lundi 21 avril 2014

Voltaire sur la théologie carolingienne

Ajouter une légende
Je ne saurais arrêter mes blogs sur Charlemagne sans dire un mot sur Voltaire. Ca continue de m’étonner comment deux siècles et demi après ses pages visionnaires sur Charlemagne (Abrégé de l'histoire universelledepuis Charlemagne jusques à Charlequint Chapitre VIII : De la Religion).
on soit retombé, au niveau de ce qu’on sert au grand public, à des inepties. D’abord quelques extraits de Voltaire qui relativisent cette grande civilisation carolingienne.

Charlemagne, qui vendait si cher la connaissance du Christianisme!

« Dès ces temps les Évêques d'Occident étaient des Seigneurs temporels.  Les Évêques et les Abbés avaient beaucoup d'esclaves. On reproche à l'Abbé Alewin d'en avoir eu jusqu'à vingt mille (Voltaire utilise ici délibérément  le nom saxon d'Alcuin).
Ce nombre n'est pas incroyable. Alewin avait trois Abbayes, dont les terres pouvaient être habitées au moins par vingt mille hommes. Ces esclaves connus sous le nom de serfs ne pouvaient se marier ni changer de demeure sans la permission de l'Abbé. Ils étaient obligés de marcher 50 lieues avec leurs charrettes, quand il l'ordonnait. Ils travaillaient pour lui trois jours de la semaine, et il partageait tous les fruits de la terre.

Plus d'un Évêque allait au combat avec ses serfs. Je vois du temps de Charlemagne 14 Monastères qui doivent fournir des Soldats; pour peu qu'un Abbé fût guerrier, rien ne l'empêchait de les conduire lui-même. Il est vrai qu'un Parlement se plaignit à Charlemagne du trop grand nombre de Prêtres qu'on avait tué à la guerre. Il fut défendu alors aux Ministres de l'Autel d'aller aux combats. Il n'était pas permis de se dire Clerc sans l'être, de porter la tonsure sans appartenir à un Évêque. De tels Clercs s'appelaient "acéphales". On les punissait comme vagabonds.
Aix-la-Chapelle- Charlemagnes nains
Telle était la puissance de ces Abbés sur les Moines, qu'ils condamnaient quelquefois aux peines afflictives les plus cruelles. Ils furent les premiers qui prirent le barbare usage des Empereurs Grecs, de faire brûler les yeux; et il fallut qu'un Concile leur défendît cet attentat, qu'ils commençaient à regarder comme un droit.
La Religion Chrétienne ne s'était point encore étendue au Nord plus loin que les conquêtes de Charlemagne. La Scandinavie, le Danemark, qu'on appelait le "Pays des Normands", étaient plongés dans une idolâtrie grossière. Ils se figuraient qu'après leur mort le bonheur de l'homme consistait à boire dans la salle d'Odin de la bière dans le crâne de ses ennemis. Les Moscovites, plus sauvages que le reste de la grande Tartarie, en savaient à peine assez pour être Païens; mais tous ces Peuples vivaient en paix dans leur ignorance: heureux d'être inconnus à Charlemagne, qui vendait si cher la connaissance du Christianisme! »

La querelle des Images

Après une conférence de la Pre Florence Close sur la théologie de Charlemagne j’ai eu envie d’approfondir le sujet. Et voilà que Voltaire me relance sur cette piste. Pour lui, la querelle des Images est ce qui s'offre de plus singulier en matière de Religion. En effet, nous savons que les musulmans interdisent les images. Idem avec les iconoclastes chez nous.
Mais en fait Charlemagne aussi était contre les images. En partie parce que ça l’arrangeait bien : en prenant le contrepied des positions de l'Impératrice de Byzance Irène, il pouvait prétendre être le seul Empereur.
Voltaire « voit d'abord que l'Impératrice Irène, Tutrice de son malheureux fils Constantin Porphyrogénète, pour se frayer le chemin à l'Empire, flatte le Peuple et les Moines, à qui le Culte des Images proscrit par tant d'Empereurs depuis Léon l'Isaurien plaisait encore. Voilà ce qui assemble en 786 le second Concile de Nicée, septième Concile Oecuménique, commencé d'abord à Constantinople, puis continué à Nicée. Nicée rétablit le Culte des Images.
Or, Charlemagne s'était déclaré hautement contre les Images. Il venait de faire écrire les Livres qu'on nomme "Carolins", dans lesquels ce culte est anathématisé. Il assemblait en 794 un Concile à Francfort, composé de 300 Évêques ou Abbés tant d'Italie que de France, qui rejetait d'un consentement unanime le service et l'adoration des Images.
Tandis que le Pape Adrien envoyait en France les Actes du second Concile de Nicée, il reçoit les Livres Carolins opposés à ce Concile, et on le presse au nom de Charles de déclarer hérétique l'Empereur de Constantinople et sa mère.
On voit assez par cette conduite de Charles, qu'il voulait se faire un nouveau droit de l'hérésie prétendue de l'Empereur, pour lui enlever Rome sous couleur de justice. Le Pape écrit à Charlemagne : ‘Je ne peux déclarer Irène et son fils hérétiques après le Concile de Nicée, mais je les déclarerai tels s'ils ne me rendent les biens de Sicile’».

Le filioque

Voltaire «voit la même prudence de ce Pape dans une dispute encore plus délicate, et qui seule eût suffi en d'autres temps pour allumer des guerres civiles. On avait voulu savoir si le St. Esprit procède du Père et du Fils, ou du Père seulement? Toute l'Église Grecque avait toujours cru qu'il ne procédait que du Père. Tout l'Empire de Charlemagne croyait la procession du Père et du Fils. Ces mots du Symbole "qui ex patre filioque procedit", étaient sacrés pour les Français, mais ces mêmes mots n'avaient jamais été adoptés à Rome. On presse de la part de Charlemagne le Pape de le déclarer. Le Pape répond qu'il est de l'avis du Roi, mais ne change rien au Symbole de Rome ».
ill. wikipedia
Ici aussi je penche vers une théologie carolingienne instrumentalisée : après les images, le filioque était un bon prétexte pour contester l’autorité de Byzance… Les théologiens arabes tranchent cette dispute d’une manière autrement radicale : pour eux, et je partage ce point de vue, la religion chrétienne n’est pas une religion monothéiste, avec sa Trinité et ses saints. Et ceci nous ramène au Sint Tchåle. Notre église de la Licour est placée sous la protection de Notre-Dame mais aussi sous celle de Saint-Charles, Sint Tchåle, canonisé en 1165 à la requête de l’empereur schismatique Frédéric Barberousse (pour Rome il était l’Antichrist) et avec l’approbation de l’antipape Pascal III. Ma boucle est bouclée et avec Voltaire je peux laisser reposer Charlemagne en paix…


Aucun commentaire: