samedi 19 avril 2014

Les châteaux de Chokier et Aigrémont

Ces deux châteaux de plaisance, Chokier et Aigrémont, ont été construits sur les ruines de deux forteresses.

Le château de Chokier

La forteresse de Chokier a été rasée deux fois. Une première fois en 1298, lors de la guerre entre les Awans et Waroux (une véritable vendetta). Le seigneur des lieux Guillaume de Hozémont s'était moqué publiquement de l'autorité du Prince Evêque et vit son château rasé. Quatorze années plus tard une alliance entre le prince et le peuple de Liège porte un fameux coup à ces guerres féodales stériles lors du Mal Saint Martin.
En 1345, la famille Surlet voit son château brûlé par les Hutois, Liégeois et Dinantais réunis. Ceux-ci, révoltés contre la mauvaise gestion des deniers publics par la famille Surlet, pillèrent et ruinèrent les biens des familles des dits échevins.
Mais dans la famille Surlet (comme chez les de la Marck) on trouve de tout. Le 28 octobre 1467 c’est un Surlet de Chokier qui conduit les Liégeois à la bataille à Brusthem, à côté de Raes de Heers. Il est resté parmi les 6000 morts. Son voisin Guillaume de la Marck est aux abonnés absents cfr l’histoire d’Aigrémont ci-dessous.
Au XVIIIe siècle la forteresse médiévale – ce qu’il en restait - fut transformée en château de plaisance et prit à peu près l'aspect qu'il a aujourd'hui. Le 27 juin 1717, le Tzar Pierre le Grand fut reçu à Chokier. «Pierre premier, surnommé le Grand, czar de Moscovie, arriva en 1717 de France à Liége, où il fut reçu avec éclat & magnificence. Ce monarque y vit ce qu’il y avoit de plus remarquable, & observa sur-tout, avec attention, les houillères, et leurs machines. De là, il se rendit à Spa, où il prit les eaux pendant six semaines, et recouvra une santé parfaite. »
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Un siècle plus tard  en 1815, un général de Napoléon, le Comte Louis-Henri Loison, achète le château. Celui-ci avait commencé sa carrière en 1801, à la tête le la 25e division qui commande le département de l'Ourthe. Il se fait remarquer par la dévastation de l'abbaye d'Orval qui lui vaut le conseil de guerre. Pour être traduit devant le tribunal pour des faits de pillage dans l’armée française de cette époque, il fallait y aller!  Il monte vite général de brigade à l'armée de Rhin-et-Moselle. Il suit Napoléon jusqu’au bout: après sa participation  aux cent jours il est mis à la retraite en 1815. C’est à ce moment-là qu’il achète Chokier, probablement pour échapper à la restauration qui frappe les partisans de Napoléon en France. Il n’en profitera pas beaucoup : il s'éteint le 30 décembre 1816 à l'âge de 45 ans. Sa dépouille est inhumée dans un mausolée bâti dans le parc du château où elle repose durant 50 années. En 1867, lors de la vente de la propriété, le mausolée est transféré au Père-Lachaise où il rejoigne pour toujours sa 19e division (Henri Jeanpierre : Loison, général divisionnaire oublié: 1771-1816 et http://www.napoleon-series.org/research/biographies/loison/c_chokier.html).

Le château d’Aigremont

Le château d’Aigremont a été construit sur les ruines du château de Guillaume De la Marck. Pour Henry Carton De Wiart (‘La Cité Ardente’ p109) c’était « un personnage farouche et redouté, ne respirant que la guerre, vivant de la guerre, ardent aux querelles et aux rapines, aux débauches, d’humeur sauvage et de poil rude, cruel envers ses ennemis jusqu’à leur arracher le cœur de la poitrine, quand il les a massacrés, il a plus d’un trait commun avec le sanglier ardennais dont il poste la hure dans ses armes et dont il revendique le nom en guise de sobriquet ». Son histoire a inspiré le roman Quentin Durward de
Massacre de l'évêque de Liége  par Delacroix
Walter Scott en 1823, roman qui a fourni le sujet du Massacre de l'évêque de Liége peint par Delacroix.
On dit parfois que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions. Mais pour Guillaume de la Marck c’est exactement le contraire. Le chemin de ce de la Marck était pavé des intentions les plus sordides, mais a pavé la route des révolutionnaires liégeois.
Le hasard de l’histoire fait que ce chevalier pillard a joué du début à la fin un rôle clef dans la longue lutte qui a opposé les liégeois à leur prince-éveque Louis de Bourbon, lutte qui s’est terminé par le sac de Liège en 1468.
Ce prince-éveque avait été imposé à la Cité par le duc de Bourgogne en 1456, et tué par les mains de notre chevalier brigand le 29 août 1482 sous les murs de Liège. Au moment où Louis de Bourbon monte sur le trône de St Lambert, l’époque était révolutionnaire: en 1452 Gand s’était révolté contre Philippe ‘le Bon’. Et en 1463 la ville de Cologne conteste la nomination de son archevêque Robert de Bavière. 
En 1458 déjà Louis de Bourbon doit se retirer à Maastricht. En 1461 Raes de Heers dirige la révolte les knuppelslaegers ou fustigeants, qui aboutit en 1464 à la mise sous séquestre des biens et la déchéance du prince évêque. Fin 1465 le pape Paul II déclare par une bulle ‘La Pauline’ que l'autorité temporelle et spirituelle sur le pays de Liège appartient à l'évêque, et non à la Cité.
Evidemment, le protecteur le plus redoutable du prince est le duc de Bourgogne qui est à cette époque en conflit avec le roi de France Louis XI. Les liégeois croient pouvoir profiter de cette lutte : en août 1465 ils déclarent la guerre au duc de Bourgogne et ils chassent Louis de Bourbon de Huy. Ils ont été un peu rapides. Louis XI qui doit se battre sur deux fronts, contre bourguignons et bretons, signe une paix séparée avec la Bourgogne en 1465 et les liégeois se retrouvent donc seul devant le Bourguignon Philippe le Bon, qui marche avec une armée de Brabançons et de Namurois contre Liège et les bat le 20 octobre 1465 à Montenaeken.
Mais deux ans plus tard, en septembre 1467, Philippe le Bon, protecteur du prince éveque, meurt. Les Liégeois croient le moment venu de porter l’estocade à leur Prince. Ils assiégent le château de Huy où s'était réfugié leur évêque. Guillaume de la Marck figure parmi les assiégeants et met la ville au pillage. De Bourbon se réfugie auprès du nouveau duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Les Liégeois avaient tablé sur une période de transition : ils se trompent encore. Le Téméraire défait des milices communales liégeoises à Brusthem et ordonne l’incendie de la ville rebelle en octobre 1468.
De La Marck fait profil bas et essaye de faire oublier le pillage de Huy. Il fortifie Aigremont et recrute des partisans auxquels il faisait porter comme épaulette la hure de sanglier. Ce condotierre avant la lettre propose ses offres de service au Téméraire quand celui-ci passa par Maestricht pour aller secourir l'archevêque de Cologne. « En ces temps troublés, la pyramide féodale s’efface devant celle des entrepreneurs de guerre. On se contente maintenant de bandes de soudards, dont les membres comptent une forte proposition de déracinés. De la March débauche directement ou par des tiers des partisans de son ennemi Louis de Bourbon. Il acceuille des bannis retour d’exil. Ces affidés comptaient une certaine quantité de gens à cheval » (C. Gaier, Armes et combat dans l’univers médiéval II, éd. De Boeck, p.86).
Louis de Bourbon n’a évidemment pas beaucoup d’appuis dans le pays de Liège. Il ne peut pas se permettre de faire le difficile dans le choix de ses alliés. Quand Everard de La Marck propose d’amnistier son frère Guillaume l'évêque le rétablit dans sa seigneurie d'Aigremont, et lui donne même la forteresse de Franchimont et du château de Seraing en Hesbaye. Il le nomme chef de sa maison et grand maïeur de Liège, et lui donne une escorte de vingt-quatre cavaliers dont il prit l'entretien à sa charge. Guillaume mène une expédition contre Raes de Heers, leader de la révolte. Mais en même temps il répond par le mépris et de la provocation à cet éveque pantin.  En 1474, à la tête de tous les mécontents, il arrive devant les portes de Liège. Louis de Bourbon arrive encore à réunir quelques troupes et s'empare du château d'Aigremont qu'il fit raser.  
Aigrémont
Mais sa victoire sur De La Marck sera de courte durée. Avec beaucoup de perspicacité celui-ci va harceler le protecteur du prince, Charles le Téméraire qui assiégeait alors la ville de Neuss. Un peu avant il lui avait encore proposé ses services. Ce siège sera le chant de cygne de Charles le Téméraire qui trouvera la mort sous les murs de Nancy le 5 janvier 1477.
Le prince-évêque Louis de Bourbon doit fuir vers Gand. Guillaume de la Marck tue Louis de Bourbon en 1482. 
Guillaume de la Marck croit son heure venu et continue le harcèlement contre le successeur du Bourbon Jean de Hornes. Il ne saisit pas que les temps ont changé, et que les contradictions entre le roi de France Louis XI et l’empereur Maximilien, qui a repris le duché de Bourgogne après la mort du Téméraire, se sont atténuées. Le 9 janvier 1483 les bandes de Guillaume de la Marck sont battues à Hollogne-sur-Geer. Guillaume de la Marck est encore une fois amnistié en 1484 avec la Paix de Tongres et c’est en compagnie des de La Marck que Jean de Hornes fait sa Joyeuse Entrée à Liège. Mais l'archiduc Maximilien d'Autriche exige la tête de Guillaume. L'évêque attire Guillaume de la Marck dans une embuscade aux environs de Saint-Trond. Il est emmené à Maastricht où le 18 juin 1485 il est  exécuté pour avoir tué Louis de Bourbon.
Aigrémont - Photo JM Onkelinx
Son successeur Jean de la Marck, continue la lutte contre Jean de Hornes, le nouvel évêque. En janvier 1487, il assiége Liège. La guerre durera encore sept ans, jusqu’en 1492.
Voilà l’histoire de la forteresse, qui est à la base de ce château de plaisance superbe.
En 1971, le château est acquis par la société royale des demeures historiques de Belgique. Mais faute d’argent la société royale vend le château en 2001 à la société Dumont Wauthier qui est surtout intéressé par les gisements de calcaire. Si on les laisse exploiter les carrières tout alentours, ce superbe château risque de se retrouver sur un piton…

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