lundi 3 mars 2014

L’urbanisme de gauche après les CIAM : le vide ?

Ilot des croisiers Liège - Photo homme et ville

Introduction

Les congrès internationaux d'architecture moderne (CIAM) ont marqué toute une époque. Dans le vide idéologique et la domination sans partage des promoteurs immobiliers s’installe en 2007 la « Charte de Leipzig sur la ville européenne durable ». 
Mais dans la marge une série de personnalités développent quand même des aspects intéressants qui ne sont pas toujours en rupture avec l’idéologie dominante (notamment sur la mobilité) ou qui sont parfois carrément instrumentalisés (la mixité sociale devient gentrification ;  le contrôle social dérive vers l’espace défendable ). Mais certains aspects sont intéressants pour développer un urbanisme de gauche du XXI° siècle.
Dans le lot il y a peu de constructeurs de systèmes, ce qui n’est pas nécessairement un mal mais ce qui explique l’aspect potpourri de ce blog.

Résumé

« Death and Life of Great American Cities » de Jane Jacobs est considéré par certains comme le livre le plus influent sur la planification urbaine au 20ème siècle. C’est un peu exagéré: Jane Jacobs est aussi une proto bobo. Mais elle formule une critique virulente de politiques modernistes qui ont détruit tellement de communautés dans les villes: « Nous avons adopté le principe que "pas un seul moineau ne devrait être touché". C'est-à-dire qu'aucune intervention planifiée dans le quartier ne devait porter tort à qui que ce soit. Nous n'avons pas besoin de ce que les urbanistes appellent des ‘avantages commerciaux’. Si une intervention doit porter tort à quelqu'un, vous avez tout faux, et vous devez vous atteler à rechercher une solution afin que personne ne soit lésé ». Son approche de partir des enquêtes auprès des gens peut nous inspirer.
Jean-Pierre Garnier développe une critique intéressante sur la notion d‘ « espace défendable ».
Caracas Vénézuéla 
Dans The Human Measure, Léonard Duhl explique que si des populations à faible revenu souhaitent vivre de façon plus confortable, cela ne signifie pas pour autant qu'elles souhaitent changer de mode de vie: « Pour une Ville-Santé, le multiculturalisme et la diversité ne représentent pas un problème à surmonter mais plutôt de riches opportunités qui doivent être saisies ».
Dans ‘URBANISME ET SANTE - Un guide de l’OMS pour un urbanisme centré sur les habitants’ Barton s’inspire de la définition de la santé de l’OMS.
Les CIAM voulaient la ségrégation des modes de transport et la hiérarchisation des voies. Le rapport Buchanan ‘Traffic in towns’ de 1961 présente au Ministère des Transports de la Grande-Bretagne, est en quelque sorte l’apogée de ce genre de raisonnement: la ville doit s'adapter à la voiture. Le modèle danois rompt avec ça en recourant à deux types de voies seulement: voie de trafic et voie locale. La première catégorie sert au transit, la seconde sert au trafic local, avec des "zones 30". En France, le colloque « La rue n’est pas une route» (1987) lance le report modal avec l’amélioration des transports alternatifs. La Suède développe la "vision zéro" : personne ne doit être tué ou sérieusement blessé à l'intérieur du système de circulation." Au-delà de 30 Km/h le risque qu'un usager vulnérable soit sérieusement blessé dans un accident dépasse 50%, donc max 30km/h quand un trafic mixte est possible.
La densité urbaine (ville compacte) fait aujourd’hui figure de solution idéale à la crise urbaine. Mais c’est aussi la bouteille à encre pour des promoteurs immobiliers.

Jane Jacobs, le New Urbanism et l’apologie de la rue

L’activiste Jane Jacobs fait l’apologie de la rue, de la mixité fonctionnelle. Elle part des intérêts et de la volonté de lutte des gens. Il ne faut surtout pas se faire d’illusions sur son programme politique : elle est pour une troisième force qui protège le ‘foot people’  du ‘car people’… Certains l’appellent la proto bobo ou encore la pionnière de la gentrification. Sa réflexion est très liée à la sécurisation. Mais en cela elle n’est pas seule, comme nous venons de voir. Mais elle développe des idées intéressantes pour un urbanisme de gauche.
Jane Jacobs n’est pas directement une urbaniste, mais plutôt publiciste et activiste. Elle est une soixante-huitarde : en 1968, durant la guerre du Viêt Nam, elle quitte les États-Unis avec ses fils afin de leur éviter le service militaire et trouve refuge au Canada.
Certains considèrent son Death and Life of Great American Cities le livre le plus influent sur la planification urbaine au 20ème siècle : une critique virulente de politiques modernistes qui ont détruit tellement de communautés existantes des  centres-ville. Elle cite fréquemment New York City's Village de Greenwich comme exemple d'une communauté urbaine vivante. C’est son aspect proto bobo. Au Canada, à Toronto, Jacobs a lancé la campagne pour arrêter l’autoroute urbaine de Spadina. Toronto est aujourd’hui considéré comme une métropole qui a avec succès maintenu un grand nombre de voisinages résidentiels dans son hypercentre.
J.Jacobs: « Les nouveaux urbanistes ont travaillé très dur sur la mixité fonctionnelle. Trouver un nouvel usage à des bâtiments existants, le concept d'"infill" : partir de quelque chose qui existe et y insérer de nouveaux éléments.
Le grand "désordre" qui règne dans les villes provient de leur terrible étalement. Certains de nos grands architectes souhaitaient cet étalement, comme Frank Lloyd Wright ou Le Corbusier : sa ville ressemblait à celle de Wright sauf qu'elle était en hauteur.
Avec notre organisation de Greenwich Village avons décidé de faire nos propres plans. Nous avons adopté le principe que "pas un seul moineau ne devrait être touché". C'est-à-dire qu'aucune intervention planifiée dans le quartier ne devait porter tort à qui que ce soit. Nous n'avons pas besoin de ce que les urbanistes appellent des ‘avantages commerciaux’. Si une intervention doit porter tort à quelqu'un, vous avez tout faux, et vous devez vous atteler à rechercher une solution afin que personne ne soit lésé. Je pense que nous avons été les premiers à faire de l'infill avec des programmes de logement à New York. Il y avait cette idée intangible chez les urbanistes selon laquelle il fallait tirer des avantages commerciaux d'une intervention, et détruire ce qui existait pour les obtenir ».
Elle n’est pas marxiste: « Marx thought that the principal conflict to be found in economic life was the deep disparity of interests between owners and employees, but this is a secondary kind of conflict. The primary economic conflict, I think, is between people whose interests are with already well-established economic activities, and those whose interests are with the emergence of new economic activities. The only possible way to keep open the economic opportunities for new activities is for a “third force” to protect their weak and still incipient interests. Only governments can play this economic role. And sometimes, for pitifully brief intervals, they do » (The Economy of Cities, p. 248-249). Pas de classes donc, mais ‘foot people and carpeople’.

Jean-Pierre Garnier critique l’espace défendable”

La notion d‘espace défendable repose sur le postulat selon lequel il est des types d’espace construits propices aux actes délictueux. En France, on parle plutôt d’architecture de prévention situationnelle. Une meilleure conception de notre environnement architectural permettrait de  prévenir la criminalité: aménager les lieux pour prévenir le crime. Des espaces sont classés comme criminogènes soit parce qu’ils encouragent les activités délictueuses (exemples : recoins, impasses, culs-de-sac propices aux trafics ou aux agressions et embuscades ; cours fermées...), soit parce qu’ils entravent la répression (halls traversant qui facilitent la fuite, parkings au pied des immeubles et cheminements piétonniers gênant les patrouilles motorisées de policiers, toits-terrasses, voirie labyrinthique.... Selon certains préposés au maintien de l’ordre il s’agit d’ «espaces complices».
Jean-Pierre Garnier développe une critique intéressante sur cette notion d‘ espace défendable. Malheureusement, sa démarche s’arrête là. Je n’ai trouvé aucun élément d’alternative, aucun projet de
mobilisation. Nous avons vu comment la réflexion de  Jane Jacobs est détournée facilement par les chantres de la sécurisation.
Jean-Pierre Garnier se définit comme anarcho-libertaire. Sur son cv il se vante d’avoir travaillé au Plan Directeur de La Havane de 1966 à 1971. http://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9my_Galland En fait, il a été emprisonné en 1970 avant d’être expulsé sans retour. Dans une chronique de 2010 LA CONTRE-RÉVOLUTION CASTRISTE il dénonce la CTC qui défend « le licenciement de plus de 500 000 travailleurs dans le secteur public. Depuis l’échec de la voie volontariste du Che Cuba tourne le dos aux idéaux communistes. Les nomenklaturistes tropicaux ne font que suivre leurs homologues de l’ex-URSS, de la Chine soi-disant populaire ou encore du Viet-Nam pseudo-socialiste ». Pas étonnant donc que les sécuritaires arrivent si facilement à l’instrumentaliser…

Duhl : le lien entre santé et urbanisme

Jane Jacobs part de ‘sociological surveys’, d’enquêtes auprès des gens.  Dans le même ordre d’idées, Léonard Duhl fait  un lien direct entre hygiène mentale, sécurité et urbanisation HLM (L. Duhl urbanisme hygiène mentale). Dans ‘The Human Measure’, il explique que si des populations à faible revenu souhaitent vivre de façon plus confortable, cela ne signifie pas pour autant qu'elles souhaitent changer de mode de vie. Le partage au sein d'une communauté de valeurs communes engendre un sentiment de sécurité très fort, qui prévaut sur le confort impersonnel. Des études sociologiques sur notre quartier de Sainte Marguérite vont dans le même sens. Les bidonvilles offrent à de nombreux groupes de populations des attraits que les urbanistes ne peuvent recréer par des équivalents. Sa conclusion n'est évidemment pas qu'il faille s'abstenir de rendre ces lieux de grande misère moins insalubres, mais qu'il faut prendre en compte les aspirations et les besoins de toutes les couches de la population dans les plans
d'urbanismes. C'est pourquoi il faut intégrer la diversité sociologique. A l'inverse des recherches de standards pour l'habiter universel de Le Corbusier, il convient de réintégrer l'homme complet et concret dans les planifications urbaines. Ainsi formulé, c’est une critique directe du fonctionnalisme.
Duhl précise le rapport qu’il a vis-à-vis des urbanistes pour la mise en valeur d’une Ville-
Santé : « Pour un urbanisme de la santé, le multiculturalisme et la diversité ne représentent pas un problème à surmonter mais plutôt de riches opportunités qui doivent être saisies.
L’urbanisme doit, par exemple, être ouvert à des actions menées en commun et en provenance du terrain » (Voir aussi DUHL, L.J. & SANCHEZ, A.K. Healthy cities and the city planningprocess – a background document on links between health and urban planning, Copenhague, Bureau régional de l’Europe de l’OMS, 1999)
Dans ‘URBANISME ET SANTE - Un guide de l’OMS pour un urbanisme centré sur les habitants’ Hugh Barton & Catherine Tsourou s’inspirent de la définition de la santé, prise dans son sens large qui est celle de l’OMS. Les concepts et principes en sont expliqués et des expériences de villes et localités de la Région Europe de l’OMS sont présentées. L’ouvrage va plus loin en suggérant une démarche qui remet les aspirations des habitants au coeur même de l’action de l’urbanisme.

Urbanisme et mobilité : hiérarchisation des réseaux, zones d'environnement, zones 30 et vision zéro

Les principes de ségrégation des modes de transport et de hiérarchisation des voies se structurent progressivement lors des Congrès Internationaux d'Architecture Moderne. Ainsi dès 1924, Le Corbusier écrivait : "La circulation est de la dynamite jetée à la fournée dans les corridors des rues. Le piéton est frappé de mort. Et avec cela, la circulation ne circule plus. Le sacrifice des piétons est stérile" (Le Corbusier, éd. 1966, p.160).
Il théorisera l'intégration de différents modes de transports dans le projet urbain par une hiérarchisation des réseaux. Ainsi, dans la Charte d'Athènes, il préconise trois types de voies : "La première mesure utile serait de séparer radicalement, dans les artères congestionnées, le sort des piétons de celui des véhicules mécaniques. La deuxième, de donner aux poids lourds un lit de circulation particulier. La troisième, d'envisager pour la grande circulation, des voies de transit indépendantes des voies courantes destinées seulement à la petite circulation".
« ville cellulaire », avec des « poches » d’habitat,
d’activités, de commerces entre les « mailles »
des réseaux routiers rapides
En 1961, le Ministère des Transports de Grande-Bretagne créa un comité de spécialistes sous la présidence de Buchanan, pour étudier les problèmes posés par le développement de l'automobile. Le principal enseignement du rapport ‘Traffic in towns’ est que la ville doit s'adapter à la voiture (et non l'inverse). Cela est évidemment dépassé (Voirles conclusions en français). Mais il y a quelques idées intéressantes sur les zones d’environnement. Un réseau primaire assure le transit et les déplacements entre quartiers, un réseau secondaire assure la distribution, alors que dans les "zones d'environnement" - des chambres urbaines - seul le trafic local doit être rencontré.
Face à la congestion du trafic, on est obligé de redéfinir le rôle du trafic en ville. On est obligé d’abandonner les projets d’autoroutes en plein cœur de la ville. A Liège, à Sainte Marguérite et la Place Saint Lambert, cette stratégie avait fait plus de dégâts que tous les V1 tombés sur la ville en 1945.
Le modèle danois va plus loin que le modèle de Buchanan : cette démarche n’a recours qu’à deux types de voies : voie de trafic et voie locale. La première catégorie sert au transit et aux déplacements entre zones urbaines, la seconde sert au trafic local. Selon un tel plan, les "zones 30" ont des surfaces beaucoup plus étendues que dans le cas précédent, en particulier en incluant les voiries de distribution de quartier qui peuvent parfois correspondre à de larges emprises.
En France, le colloque « La rue n’est pas une route » (1987) lance le report modal et la réduction des vitesses automobiles en zone urbaine. La congestion devient un outil de mobilité. Une politique de report modal associe l’amélioration des transports alternatifs à la voiture à une démarche de contrainte à l’égard du mode automobile. Dans des quartiers résidentiels de Paris, sur 18% de la superficie de la capitale, les « quartiers verts » de Delanoë et les « quartiers tranquilles » de Tiberi réduisent les nuisances dues à la circulation automobile en reportant la circulation sur les axes principaux de la capitale, principalement par des Zones 30,  suppression de la circulation de transit au profit de la desserte locale en cassant les itinéraires malins ou encore l’élargissement des trottoirs ou la mise en place de pistes cyclables. L’effet se montre même par une hausse de prix de 3% dans les zones concernées par rapport au reste de Paris. 
La Suède envisage une nouvelle stratégie d'action en matière de sécurité routière basée sur la "vision zéro". Elle se fonde sur un objectif : "à long terme personne ne doit être tué ou sérieusement blessé à l'intérieur du système de circulation." Au-delà de 30 Km/h le risque qu'un usager vulnérable soit sérieusement blessé dans un accident dépasse 50%. … "En se basant sur la stratégie d'action de la vision zéro, la vitesse d'un véhicule ne doit pas excéder 30km/h quand un trafic mixte est possible ou planifié. En conséquence, il ne peut y avoir de vitesse supérieure que là où il n'y a ni piéton, ni bicyclette ou que les différents types de trafic ont été séparés." (Ministry of Transport and Communications, 1997).
Il y a une parallèle avec la sécurité dans le monde du travail. Aujourd'hui, l'entreprise intègre la sécurité dans la conception des procès industriels. La sécurité est intégrée dans un système et non plus considérée comme un programme d'action, ou un simple rajout en fin de projet.
pour une étude concrète de la mobilité à partir de la rénovation de la place communale de Herstal.

Densification urbaine

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La densité urbaine (ville compacte) fait aujourd’hui figure de solution idéale à la crise urbaine. Le thème de la densité n’est évidemment pas une rupture avec les CIAM. Le thème de l’avant dernier CIAM (le IX° 1953) est « L’Habitat pour le plus grand nombre ».
Quoique, il y a densité et densité : par exemple, les grands ensembles sont beaucoup moins denses (Coëfficient d’Occupation du Sol - COS de 0,7) que les tissus haussmanniens du centre de Paris (COS de 4,5) ou même que certains tissus pavillonnaires (IAURIF, 2005, «Appréhender la densité », Note rapide sur l’occupation du sol, n°382, juin 2005, 6p).
Toujours est-il que l’on associe spontanément densité et grands ensembles préconisés par les CIAM. Mais assez bizarrement cet avant dernier Congrès tracera une piste qui 50 ans plus tard reste une référence positive pour la densité. En marge du Congrès un sous-groupe C.I.A.M.
bidonville Ravin  Femme Sauvage, Algiers, 1961.
d’Alger part de l’analyse d’un bidonville 
Mahieddine, vaste Cité au coeur d’Alger, habitat précaire et illégal. Roland Simounet, cheville ouvrière du sous-groupe, croit à la densité : «Pour que la vie existe, il faut que ce soit dense. J’ai toujours été étonné qu’on ne densifie pas plus. On préserve plus l’intimité en se regroupant qu’en se dispersant: il suffit d’organiser la hiérarchie des espaces. On peut très bien se retrouver dans son patio en ayant traversé des espaces très denses. J’ai eu l’occasion de travailler dans des pays à démographie très forte comme l’Afrique du Nord. J’ai fait des cités où il y avait mille habitants à l’hectare. On ne voyait pas autant de monde qu’on aurait pu le croire. Tout se passait bien. » (La leçon d’Alger, entretien avec Roland Simounet, La Ville n°1, Méditerranées Alger -Marseille - Barcelone, 1995, p. 44-45).
Mahieddine bidonville (gauche) // casbah
En grande avance sur les expériences participationnistes des années ‘70, Simounet accordera un rôle opératoire aux dynamiques sociales des habitants, tout comme aux activités qui leur permettent de construire leur identité, de s’identifier aux espaces, de s’en approprier. En 1953-54, il élabore des cités d’urgence, des cités de recasement, des logements pour le plus grand nombre. La cité Djenan el Hassan a connu une renommée internationale. C’est «le logement collectif horizontal ».
À partir de 1963, Roland Simounet entame une nouvelle carrière en France avec des logements sociaux, mais aussi le musée d'art moderne à Villeneuve d'Ascq, un projet à mon avis très intéressant point de vue muséologie. Il ne transforme ni n'aplanit le terrain à bâtir, il s'adapte au lieu : « Prendre possession du site est essentiel, vous devez intervenir avec beaucoup de délicatesse, en respectant la topographie et en essayant de vous couler dedans». Admirateur de Le Corbusier, Simounet a adopté son concept de «promenade architecturale ». Dans un parcours presque labyrinthique, c'est le spectateur qui choisit. Chaque salle offre au visiteur un espace, une lumière, des proportions, des niveaux, des passages sans cesse renouvelés.
La densité est donc certes un thème intéressant, c’est aussi la bouteille à encre, voire un exutoire pour des promoteurs immobiliers.
vieux quartiers Porto, au pied  du palais épiscopal 
La densification urbaine consiste à faire vivre davantage de population sur un même espace urbain. Lorsqu'on passe de maisons unifamiliales à l'habitat collectif on effectue une densification urbaine.
On assiste à un retour en grâce dans les années 2000 des grands immeubles dans les grandes villes, souvent implantés sur des zones à requalifier (friches industrielles). Pour les villes moyennes mais aussi en milieu rural, des constructions semi-collectives à étages, avec des accès individualisés et des espaces extérieurs en jardin ou terrasse pour chaque logement, sont privilégiés aux 4 façades.
L'objectif déclaré est d'économiser les terres agricoles, de protéger les paysages, de limiter les déperditions thermiques d’augmenter la rentabilité des services urbains (réseaux d'eau, d'assainissement, transports urbains, etc.) et de limiter les déplacements en voiture au profit de déplacements doux. Il faut évidemment pour cela une mixité fonctionnelle et sociale. Ca ne sert à rien d’augmenter la densité si on doit aller travailler ou faire son shopping à l’autre bout de la ville.
Le Centre d’animation et de recherche en écologie politique Etopia, proche d’Ecolo, lie directement la séparation des différentes fonctions urbaines à l’étalement urbain: « Stop à la séparation des fonctions et à l’étalement des villes ! Pendant des décennies, au 20ème siècle, on a privilégié un urbanisme marqué par l’esprit de la Charte d’Athènes qui prônait la séparation des différentes fonctions urbaines. Ce type d’aménagement du territoire a été favorisé par l’essor de l’automobile. Les lieux de travail sont devenus de plus en plus distants des lieux de résidence; des hypercentres commerciaux séduisants se sont implantés en périphérie. L’habitude de longs et fréquents déplacements quotidiens s’est instaurée, qu’il a semblé normal de faire en voiture particulière. Insidieusement, nous sommes entrés dans l’ère des bouchons aux heures de pointe, avec la naïveté de croire qu’il suffira d’élargir les voiries routières pour assurer la fluidité d’un trafic toujours croissant ».
Nous verrons que cela est un peu court.
Ca commence déjà avec la définition du terme. Il n’existe pas une définition unique de la densité. Parler de « densité urbaine» sans se référer à un qualificatif précis n’a pas vraiment de sens. On fait souvent l’amalgame entre densité de construction et densité de population. La densité urbaine ne désigne pas la même chose à l’échelle d’un quartier, d’un bâtiment, ou d’un logement. Certains définissent même la densité comme une appréhension subjective de l’espace urbain (entassement, insalubrité, taudis contre mixité, urbanité).
Le COS (coefficient d'occupation des sols) définit une densité. Mais ces COS ne sont pas facile à définir non plus. Dans les tissus urbains mixtes, il est difficile de distinguer les surfaces dédiées à l’habitat de celles consacrées à l’emploi. Comment délimiter les périmètres ?  Pour donner quelques ordres de grandeur calculés par le CERTU (Centre d’Études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme de Lyon www.certu.fr): densité moyenne de la France 108 habitants par
km². Densité moyenne des villes de 1 350, avec 9 200 à Lyon, et 20 000 à Paris. Moyenne en banlieue 282, avec un maximum de 1 593 pour celle de Lille. En couronne périurbaine, elle descend à 62 hab./km².
Pour Etopia – qui utilise d’autres références - la densité moyenne à Bruxelles est relativement faible par rapport à celle d’autres grandes villes européennes (60 habitants à l’hectare pour 200 à Paris). Avec son chiffre de 200, Etopia est en dessous de la moyenne de 282 citée par le CERTU pour la banlieue.
La ’densité interne’, ou nombre moyen de personnes par ménage, a diminué régulièrement en un quart de siècle, passant 2,9 en 1975 à 2,4 en 1999. Ainsi, à la fin du XXème siècle en France, près d’un logement sur trois était habité par une personne seule.
En France, la loi d'engagement national pour l'environnement (Grenelle 2) impose une obligation de densification. Le premier problème est évidemment de définir ce que cela représente.
Cet absence de définition n’empêche évidemment pas de prioriser par toutes sortes de moyens la requalification des ‘dents creuses’ en zone urbaine. Mais l’augmentation des hauteurs de bâtiment autorisées, afin de permettre la création de grandes tours, me semble déjà un peu plus discutable.

L’aménagement des gares

photo worldlesstech
Un aspect à développer quand on parle d’urbanisme au XXI° siècle est l’aménagement des gares, aussi bien TGV que gares IC. Liège Guillemins n’est qu’un exemple. Voici un premier aperçu. Je compte sur mes camarades cheminots pour approfondir cet aspect.
Selon Herwig Persoons, Administrateur délégué Eurostation – Euro Immo Star, « les sociétés d’investissement manifestent un intérêt croissant pour la promotion immobilière dans les quartiers des gares, qu’ils considèrent comme un investissement à long terme sans risque. Les quartiers des gares sont même appelés à devenir un produit d’exportation belge crucial. La SNCB Holding a lancée en 2009 la marque ‘la Gare’. Les chemins de fer français aussi ont une marque ‘gares & connexions’. La baseline ‘La ville entre en gare’ est la même.
Eurostation – Euro Immo Star s’occupe de la revalorisation de terrains le long de voies ferrées. Il y a aussi Transurb-Technirail. Persoons  se plaint que du fait de la scission du Groupe SNCB, « nous avons assisté à l’apparition d’une certaine concurrence au sein du groupe. Pour l’étranger, cette évolution n’est pas une bonne chose. Mais je suis convaincu que la réalité économique nous incitera à nouveau à une meilleure collaboration.”
Selon Etienne Schouppe, dans le contexte de la concurrence internationale, Tuc Rail et Eurostation sont des bons exemples de réussite. « J’ai donc entièrement confiance en l’avenir d’une entreprise belge active dans le développement des quartiers des gares à l’étranger.”
Ce que ça veut dire concrètement est développé dans le livre de Gwenaël Breës http://www.bruxelles-midi.be/gwenael-brees  ‘Bruxelles-Midi, l'urbanisme du sacrifice et des bouts de ficelle’. Pour Gwenaël Brees, depuis que la SNCB est devenue une entreprise publique autonome, « son contrat de gestion lui impose, directement ou indirectement via ses filiales, de se comporter en véritable spéculateur avec ses réserves foncières. Quitte à mettre à mal d’autres politiques publiques.»
Pour des terrains propriétés de la SNCB-Holding et désaffectées de toute activité ferroviaire (à ce jour environ 700 ha mobilisables en Wallonie) une démarche opérationnelle commune a été mise au point : élaboration par les deux partenaires d’esquisses urbanistiques qui d’une part permette à la SNCB une rentabilisation correcte et d’autre part assure une urbanisation qui s’inscrive dans la ligne du SDER (notamment les principes de centralité, mixité et densité). Ainsi des esquisses ont été élaborées ou sont en en cours pour Quiévrain, Athus, Bastogne, Sourbrodt, Ramillies, Chimay, Tubize, Sombreffe.

Bassins d’emploi et nouvelles organisations de travail

photo musseepla.ulg
Les nouvelles organisations de travail ont évidemment un impact direct sur la mobilité. Le Just In Time par exemple ne se limite pas aux camions qui viennent livrer ; il faut aussi organiser la mobilité des travailleurs vers ces entreprises éclatés. Et la précarité de l’emploi joue un rôle important. On ne saurait plus choisir son habitat en fonction d’un emploi précaire. Quel est l’alternative : le mobil home ? Une nouvelle forme de phalanstère ? Les entreprises cherchent des bassins d’emploi les plus larges possibles. C’est la loi de l’offre et la demande d’emplois. Cela est vrai pour des emplois ‘pointus’. Malgré les problèmes de mobilité, les entreprises de pointe continuent à se concentrer dans les métropoles parce qu’ils y trouvent leurs cadres. Mais cela est vrai aussi pour des entreprises qui offrent des emplois précaires. Si TNT s’est implanté à Bierset, et si on n’a pas construit une nouvelle piste dans les champs de betteraves de la Hesbaye, c’est pour trouver dans l’agglomération liégeoise assez de candidats pour ses emplois mi-temps.
Les nouvelles organisations du travail, avec l’abandon de l’industrie implantée autour des villes oblige à une réhabilitation -  reconversion de ces friches industrielles, avec l’habitat qui se trouvait à proximité. On parle de construire la ville sur la ville ; on parle de redensification etc. Lille par exemple construit deux tiers du neuf sur la partie urbanisée.

La spéculation et la rente foncière d’urbanisation

Lors de la conversion de terrain agricole ou industriel en terrain à bâtir se crée une rente foncière d’urbanisation. Cette rente peut être dix fois la valeur du terrain !
Qui empoche cette rente? Aujourd’hui c’est les promoteurs, qui doivent parfois (souvent) laisser tomber une petite partie de cette rente pour graisser la patte aux urbanistes communaux. La DPR wallonne préconise une politique foncière régionale au travers d’un fonds spécialisé pour les acquisitions et les expropriations, d’un dispositif de gestion des plus-values et moins-values d’urbanisme, et d’un recours accru au droit de préemption et aux autres outils fonciers (p. 137).
En soi, l’idée est bonne. En ‘temps non suspect’, la ville achète les terrains à leur valeur de friche, et les revend au prix d’un terrain urbanisable, après l’avoir urbanisé et/ou dépollué. Brees décrit très bien comment, à Bruxelles Midi, Charles Picqué prétend s’interposer entre les petits propriétaires et les promoteurs et racheter les terrains aux uns pour les revendre aux autres, afin que plus-values servent aux projets publics. Sur le modèle du « partenariat public-privé », elle enfantera une créature hybride censée cumuler deux rôles inconciliables : celui du développeur immobilier et celui du garant de l’intérêt collectif.

Propriétaire ou locataire (social) ?

L’urbanisme, c’est aussi le rapport propriété-location. Je trouve qu’on ne doit pas se limiter à la défense des locataires, ou, plus restrictif encore, des locataires sociaux. Le PCF s’est construit dans les années 30 sa première base communale dans la défense de propriétaires blousés par des promoteurs peu scrupuleux. La loi de 1924 tente de rattraper les lotisseurs, qui vont inventer la parade des lotissements-jardins. Acheter une ferme de la plaine de France, la découper en 4 000 parcelles de 400 m2, les revendre sans équipement à autant d’acquéreurs est légal avant le code de l’urbanisme de 1943. Les mal-lotis sont les petits acquéreurs de terrain. Et l’affaire des mal-lotis devient un scandale public.  On assiste à une rencontre assez étrange entre les mal-lotis et le jeune PCF – étrange puisque les premiers désiraient farouchement devenir propriétaires et que le second vivait son époque gauchiste et classe contre classe. Ces nouveaux propriétaires, très mécontents des formes de leur accession, adhèrent en grand nombre au Parti communiste qui s’intéresse à eux.

Logement social et mixité sociale

Un problème délicat est la mixité sociale. La perte de cette mixité dans le logement social, suite au mode de calcul des loyers, serait selon certains, et pas nécessairement des réactionnaires, à la base de la déglingue du logement social. La Ligue des Familles nous fournit les données de base sur la mixité sociale dans le logement social dans son ‘Interpellation élections 2009 – Analyse n°2 – Avril 2009’. « Le secteur du logement social enregistre une baisse du nombre d’actifs de l’ordre de 30% depuis 1994. Le revenu moyen des candidats plafonne à 897 euros mensuels, ce qui est encore moins élevé que la moyenne des locataires sociaux déjà dans la place. Conséquence : la paupérisation du parc public se renforce encore. Le nombre important d’inactifs est également lié à la surreprésentation des seniors (33%) ». Dans l’autre sens cette mixité est utilisée parfois comme feuille de vigne pour aider les promoteurs privés avec des fonds destinés au logement social. Le promoteur Newmarket à Herstal avait un accord de principe de la SRL d’acheter et de louer ensuite aux prix du marché la moitié des centaines de logements qu’il veut construire sur la dalle de l’ex FN Moteurs.

La démographie 

La démographie est un élément important dans l’urbanisme. Le vieillissement joue un rôle important. A Herstal par ex. 830 logements nouveaux ont été créés entre 2005 et 2010, dont 440 en maisons de repos et résidences de services.
Il y a aussi les ménages monoparentales. La monoparentalité ne peut plus être pensée comme un état mais bien comme une séquence de la vie d’une proportion croissante de parents. Dans le parc social français il y a 20% de familles monoparentales et 36% de personnes seules. A Herstal il faudrait 30% de très petits logements en 2015, contre 8% en 1998, suite à une augmentation de 1700 ménages dont 90% de petites cellules, et en 2021 787 ménages supplémentaires dont 590 de petite taille. (SSC Herstal 2010).
Un point à part sont encore les faux foyers monoparentaux. En partie inspirés par une relation LAT (Living Apart Together), mais en grande partie par une législation sociale où le revenu est calculé en fonction de la co-habitation. D’où des appartements « boîtes aux lettres » dont une partie sont des domiciliations fictives, rendues plus ou moins difficile depuis que les compagnies d’électricité et d’eau doivent communiquer la consommation. Pouvons-nous, au niveau de nos communes, aider à organiser ces domiciliations fictives sur une base plus saine ? L’intervention CPAS aussi est diminuée dès qu’il y a cohabitation, ce qui encourage l’individualisation et l’atomisation des bénéficiaires.
Et puis, il y a la garde des enfants partagée, qui double en fait le besoin de chambres pour les enfants. Dans quelle mesure le logement social peut et doit-il satisfaire à ces besoins.

L’abandon du zonage ou la mixité des fonctions.

val benoit spi: mixité fonctionnelle
Il y a la mixité des fonctions au sein de la ville. Tous sont d’accord pour dire que la concentration de zones de bureaux est un désastre. Mais en pratique la mixité avec le logement ne se fait pas, parce que la cherté des terrains ne permet pas de faire du logement dans des conditions économiques acceptables.
Il y a aussi les Zonings industriels dans la périphérie. On veut garder une mixité des fonctions au sein des villes, mais dans quelle mesure remet-on en question le regroupement de toute l’activité économique dans les zonings ? Est-ce qu’un call center ou un bureau d’étude n’a pas sa place au sein d’une ville ou village ? Ou sur une friche industrielle?
Il y a là la mobilité, dans ces deux aspects : mobilité des travailleurs vers les zonings, notamment en transport public ; et la mobilité des camions vers les entreprises. Voir mes deux blogs sur les Hauts Sarts http://hachhachhh.blogspot.be/2013/06/peut-on-faire-lextension-des-hauts.html et
http://hachhachhh.blogspot.be/2014/02/le-sder-et-les-activites-economiques.html 

Conclusion

Comme je l'ai dit au départ, tout ça part un peu dans tous les sens. Ca fait un peu potpourri. Mais cela réflète la situation de l'urbanisme de gauche au début du XXI° siècle. La seule conclusion que l'on peut en tirer est de partir, plus que jamais, d'enquêtes approfondies auprès des gens, et de mettre résolument un principe en avant: les gens d'abord!

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