En 2013 Liège a commémoré le 700° anniversaire
du « Mal Saint Martin ». Le 3 août 1312 le peuple a incendié la
collégiale de Saint Martin où 200 nobles s’étaient barricadés. Les nobles s’étaient
repliés sur Saint Martin parce que les portes de la ville étaient bloquées par les maraîchers de Vottem et les houilleurs de
Sainte-Marguerite. Mais si le Mal Saint
Martin, c’est les Matines brugeoises, Vottem a eu sa bataille des Eperons d’or,
et cela à deux reprises ! En 1307 le prince évêque Thibaut de Bar doit
fuir à Maastricht, et cite les chefs des révoltés à Vottem. En 1346 rebelote
avec Englebert De la Marck. Et, à deux reprises, les princes se font battre par
les milices !
Le Perron de Vottem au centre d’une bataille en 1307
A Liège le perron était à l’époque le symbole
du pouvoir de justice, le pouvoir temporel, du prince-évêque. A Vottem se
trouvait un Perron de « dépannage », quand le Perron Place du Marché
était inaccessible au prince évêque. L’historien Claude Gaier le situe à l’angle
de la vieille voie de Tongres et l’actuelle rue des Neuf Journaux. D'ailleurs, le meilleur texte sur La Bataille de Vottem est de sa main, dans 'Armes et combats dans l’univers médiéval' TI (De
Boeck 1995p.27-37).
Au début du siècle suivant Jean d'Outremeuse témoigne encore de l’existence de ce Perron à Vottem.
Au début du siècle suivant Jean d'Outremeuse témoigne encore de l’existence de ce Perron à Vottem.
Tout ça remonte à 1254, année où Henri deDinant devient le premier bourgmestre liégeois nommé
par un suffrage vraiment populaire. Il organise les milices populaires par
vinâves, des compagnies de vingt personnes, commandées par des vingteniers.
Quelques années plus tard, il est prêt pour la confrontation avec le prince. Le
prince s’était plaint au Pape de ce que les bourgeois de Liège avaient institué
des compagnies (Cart. de
Saint-Trond, t. I) et excommunie les Liégeois. En 1255, le
prince arrive avec l’aide du duc de Brabant, du comte de Gueldre, du comte de
Juliers et du comte de Looz d’imposer la paix de Bierset. Par prudence, le
Prince y avait prévu le droit d'ouvrir un plaid à Vottem, quand la Cité était
trop dangereuse pour lui.
Quand un demi siècle plus tard, en 1307, le prince évêque Thibaut de Bar doit fuir à
Maastricht, devant la pression du peuple, il cite donc les chefs des révoltés à
Vottem. Le peuple en armes occupe le lieu avant l'arrivée du prince. Le prince n’ose
pas lancer le combat et doit signer la paix à Seraing.
La Bataille de Vottem de 1346 : notre bataille des Eperons d’Or de 1302
En 1346 le prince évêque Englebert De la
Marck croit que le rapport des forces a changé. Il cite de nouveau les citains
à Vottem. Le peeuple répond en envoyant 3000 miliciens qui se retranchent à
Vottem, près du Perron. 19 juillet 1346. Face à eux, 4000 cavaliers, dont le
roi de Bohème, le roi des Romains, le comte de Looz, le marquis de Juliers et
j’en passe. Devant la détermination des milices liégeoises, la brillante armée
des princes se débande. Claude Gaier compare cette victoire inattendue de la
piétaille sur la chevalerie à la bataille des Eperons d’Or des flamands à
Courtrai en 1302.
Cette bataille de Vottem est aussi une rupture
par rapport au Mal Saint Martin en 1312. Là, les chanoines du Chapitre de Saint
Lambert s’étaient retrouvés à côté des ‘Petits’, contre les nobles. Cette
alliance était conjoncturelle, facilitée en plus par le vide de pouvoir après
la mort du prince Thibaut de Bar. A l’époque, c’était le prévôt du chapitre de
Saint-Lambert qui assume la régence.
A Vottem par contre les milices des métiers se
retrouvent face au Prince: c’est clairement le beau côté contre le mauvais côté. Marx : « La production féodale aussi avait deux éléments antagonistes, qu'on
désigne également sous le nom de beau côté et de mauvais côté de la féodalité, sans considérer que
c’est toujours le mauvais côté qui finit par l'emporter sur le côté beau. C'est
le mauvais côté qui produit le mouvement qui fait l'histoire en constituant la
lutte. Ainsi, pour bien juger la production féodale, il faut la considérer
comme un mode de production fondé sur l'antagonisme. Il faut montrer les forces
productives se développaient en même temps que l'antagonisme des classes,
comment l'une des classes, le mauvais côté, allait toujours croissant, jusqu'à
ce que les conditions matérielles de son émancipation fussent arrivées au point
de maturité. » (Misère de
la philosophie. Réponse à la Philosophie de la Misère de M. Proudhon)
Henri Pirenne aussi – contemporain de Marx -
interprète l'histoire politique et sociale liégeoise en termes de luttes de
classes. Dans le Mal Saint Martin il voit les Petits qui par l’intermédiaire
des corporations de métiers s’imposent face aux Grands, aux patriciens des
lignages. A l’époque du Mal Saint Martin, ces corporations de métier sont un
phénomène assez récent : dès 1237, il existait une corporation de foulons et de
tondeurs à Saint-Trond; en 1255, les batteurs de Dinant reçurent un règlement. Partout
en Europe, les métiers – le ‘mauvais
côté’ - s’affirmaient face aux nobles et au clergé. En 1297, le prince
évêque avait du autoriser le regroupement des travailleurs en corps de métier.
Palerme Vêpres siciliennes |
En Sicile, le 31 mars 1282, les cloches de
Palerme avaient sonné les Vêpres Siciliennes. A Bruges en 1302 on a eu les
Matines. Les mouvements du Moerlemaaie et du Cockerule avaient déjà secoué
Bruges en 1280. Tournai a connu sa rébellion en 1279-1281, Saint Omer en
1280-1283, Gand en 1280. Des troubles urbains s’étaient produits à Provins en 1279, à Rouen en 1281 et 1292, à
Arras en 1280, à Laon en 1295, à Calais en 1298, à Saint Quentin en 1293 et
1299, à Magdebourg en 1301, à Augsburg et Trèves en 1303, Spire en 1304, Strasbourg
et Brême en 1308, Ulm en 1327, Mayence et Strasbourg en 1332 (P. Boucheron et D. Menjot, La Ville médiévale,
Seuil 2011 p338).
Cette montée en puissance est facilitée et
nourrie par les disputes féodales stériles entre les familles nobles ;
disputes qui n’ont rien à envier aux vendettas siciliennes. Dans la principauté les Awans et Waroux se
sont entretués pendant trente-huit ans, de 1297 à 1935. Au moment où la paix
est signée entre les deux clans, trente mille hommes ont perdu la vie, et la
noblesse a perdu une bonne partie de son pouvoir. En 1384, les
"Grands" renonceront à tout pouvoir politique, laissant au peuple le
droit de choisir tous les membres du conseil de la Cité.
Le pouvoir central s’appuie sur les villes pour affaiblir la noblesse
D’une manière générale, le pouvoir central
s’appuie sur les villes pour affaiblir cette noblesse féodale. En France les
rois établissent ainsi leur monarchie absolue. Mais Liège appartient au
Saint Empire Romain Germanique où le pouvoir centralisé – l’Empire - est
faible. Pourtant, l’Empire
germanique avait un système assez original d'Église impériale, la
Reichskirche, dont Notger avait été un membre-fondateur.
"Inventé" à Liège, ce système transforme l'évêque en véritable
comte-fonctionnaire au service de l'empereur-roi. Théoriquement, l'empereur
gardait à sa disposition des ressources très considérables, qui ne risquaient
jamais de lui échapper puisque les évêques, célibataires de par leur fonction
même, ne pouvaient les transmettre à d'éventuels héritiers.
Mais la désignation des princes-évêques
n’échappe pas aux querelles féodales,
d’autant plus qu’il s’agissait formellement d’une élection. Pas par le peuple,
bien sûr, mais par le Chapitre Saint Lambert.
Cela faisait soixante chanoines à acheter. C’est beaucoup d’argent, même
pour un Empereur. Les ducs et princes germaniques essayent de placer leurs
enfants dans les évêchés, contre le candidat de l’empereur.
Dans la principauté de Liège, dans le quart de
siècle précédant le Mal Saint Martin, le peuple avait vu ainsi cinq évêques se
succéder sur le trône de Saint Lambert. En 1288 le prince évêque Jean de
Flandre avait été enlevé pendant une
partie de chasse et emprisonné pendant cinq mois. Il avait été libéré après
paiement
d'une rançon. Déstabilisé, il avait confié la charge de la principauté
à son père Guy de Dampierre, comte de Flandre et comte de Namur. Il meurt en
1291. L’interrègne dure quatre ans, suite à la mésentente au sein du Chapitre
qui reflète une mésentente entre la maison d'Avesnes et la maison de Dampierre.
La maison d'Avesnes joue la carte de la France ; la maison de Dampierre
mise sur l’Empire (G. Xhayet p
423). Il faut une intervention du pape en personne pour
clore cet interrègne : Boniface VII nomme en 1296 Hugues de Chalons comme
prince évêque. C’est dans ce contexte que celui-ci doit autoriser les
travailleurs à se grouper en corps de métiers en 1297. Et c’est dans le même
contexte que nous verrons une alliance Chapitre – métiers en 1312.
Dans les années précédant le Mal Saint Martin,
les nobles avaient essayé de restaurer leur pouvoir. Suite à un appel des
nobles au pape, en 1301, celui-ci avait enlevé l'évêché à de Chalons et l’avait
remplacé par Thibaut de Bar qui avait essayé de récupérer le terrain perdu avec
le soutien des Grands.
17 août 1307 : La première bataille de Vottem et la paix à Seraing
D’un côté donc les princes-évêques doivent
faire des concessions aux métiers, pour briser le pouvoir des nobles. D’un
autre ils ont besoin du soutien des nobles contre les métiers. En 1307 Thibaut
de Bar fuit à Maastricht. Il s’assure du soutien du duc de Brabant et du comte
de Looz, et cite les chefs des révoltés à Vottem, le 17 août 1307, ne pouvant
siéger à Liège. Mais le peuple en armes occupe Vottem avant l'arrivée du prince et de
sa cour de justice. Le prince renonça à tout combat et doit accepter le 19 août
1307 dans la paix à Seraing les privilèges qui leur avaient été accordés.
Lors du conflit qui mènera
au Mal Saint Martin, le Chapitre de Saint Lambert s’appuie sur les métiers contre les nobles. Quand en 1312 Thibaut de Bar meurt, le prévôt du chapitre de Saint-Lambert, Arnold de Blankenheim,
assume la régence. Celui-ci joue la carte des métiers pour établir son
autorité. Il fait exécuter
promptement trois hommes d'armes du lignage des
Waroux (Awans et Waroux s’entretuaient depuis 1297). Les Grands (= nobles)
envoient le comte de Looz battre le rappel de ses vassaux. Dans la ville les
nobles projettent d’aller brûler la halle des mangons. Arrivés à la «manghenie », ils la trouvent gardée de
toutes parts. Les Grands se replient sur le Marché, lorsqu’à la pointe du jour
Blankenheim sort de la Cathédrale à la tête de ses chanoines, armés de pied en
cap pour fondre sur les nobles. Les Grands, jugeant la position intenable, se
décident à gagner les hauteurs de Publémont, où ils espèrent rencontrer bientôt
les troupes du comte de Looz. Ils se jettent dans l'église de Saint-Martin et
s'y barricadent de leur mieux. Mais rien ne peut arrêter le peuple en délire:
l'église est entourée de monceaux de paille et de bois sec: bientôt un vaste
brasier consume le temple et tous ceux qu'il renferme. Quand le comte de Looz
arriva aux portes de la Cité, le 4 août au matin, l'aristocratie liégeoise
était détruite.
Adolphe de la Marck, qui succède à Thibaut, se
limite à faire payer la reconstruction de l’église et termine l’affaire par la
paix de Fexhe en 1316. C’est selon Wikipedia « le document le plus célèbre de l’histoire du Pays de Liège où elle
prend la même place que la Magna Carta dans l’histoire d'Angleterre ».
1346 : la seconde Bataille de Vottem
Si Adolphe de la Marck se montre conciliant, c’est
par nécessité. Le pouvoir d’état féodal était basé sur l’ost, ce service
militaire que les vassaux – ban et arrière-ban - devaient à leur suzerain. Après
le massacre de la fleur de la noblesse lors du Mal Saint Martin, ce pouvoir de
« ban » ne pèse plus bien lourd. D’autant plus que les nobles continuent de
s’entretuer. Le 25 août 1325 par exemple, lors de l’affrontement de Dommartin
entre 350 chevaliers du côté Waroux et 270 chevaliers côté Awans, 65 nobles
trouvent la mort.
Pendant toute cette période, le seul recours
pour le prince évêque est l’aide militaire à l’Empire Germanique.
Mais l’Empire est déchiré de contradictions
profondes. Englebert De la Marck, neveu
de son prédécesseur, doit attendre l’avènement au pouvoir de l’empereur Charles IV en 1346
pour remettre les métiers à leur place. Il obtient enfin l’aide de l’armée impériale
et cite, comme en 1307, les métiers au Perron de Vottem. Les métiers liégeois confient le commandement à
Raes de Waroux et à Berthold d'Ockier. L'armée liégeoise alla prendre position
à Vottem, près du Perron, et s'y retrancha au moyen de fossés et de palissades (C. de Borman : Les Echevins de
la souveraine justice de Liège
Imprimerie L. Grandmont-Donders,
T. I., pp. 142 et suiv. Liège, 1892).
Tombeau d'Englebert de la Marck |
Face à eux 4000 cavaliers, dont le roi de
Bohème, le roi des Romains, le comte de Looz, le marquis de Juliers et j’en
passe. C’est "la plus formidable cavalerie qui
eut à cette époque foulé le sol de la ‘patria’ : plus que le roi
d’Angleterre en avait pour attaquer la France !" (C. Gaier, Armes et combat dans l’univers
médiéval II, éd. De Boeck, p.81).
« L'évêque s'avançait vers le Perron pour
procéder aux formalités du jugement ; mais exposés aux traits qui partaient du
camp ennemi, menacés d'être lapidés par le jet des machines de guerre, ils
durent se retirer et allèrent s'abriter derrière un moulin à vent, situé hors
des limites de la franchise. Bientôt on en vint aux mains. Toute la tactique de
l'armée liégeoise, exclusivement composée de fantassins, consistait à rester en
rangs serrés et à opposer un mur de lances et de piques aux charges de la
cavalerie ennemie ; en même temps celle-ci était accablée par la grêle de
projectiles qui partaient du camp retranché. Voyant que les efforts de la
cavalerie venaient échouer contre l'invincible discipline des milices urbaines,
beaucoup de chevaliers mettent pied à terre et engagent la lutte corps à corps.
La brillante armée des princes se débande et fuit honteusement » (C. de Borman : Les Echevins de la souveraine justice
de Liège Imprimerie L.
Grandmont-Donders, T. I., pp. 142 et
suiv. Liège, 1892).
Claude Gaier compare à juste titre cette victoire
inattendue de la piétaille sur la chevalerie à la Bataille de Vottem à la
bataille des Eperons d’Or des flamands à Courtrai en 1302 et la victoire des
archers anglais à
Crécy en 1346.
Crécy - wikipedia |
Un an plus tard l'évêque avait de nouveau réuni une armée
formidable, dont ses anciens alliés fournissaient le principal contingent. Un
de ses alliés, le seigneur d'Argenteau, ravage Hermalle, Heur-le-Romain, Aaz et
Haccourt. Les milices de Liège mettent le siège devant Argenteau, firent
crouler le château au moyen d'une mine et le démolirent de fond en comble. Enhardies
par ce succès, elles marchèrent résolument au devant de l'évêque. Ils acceptent le combat en rase campagne et se
font battre à plate couture à Tourine. Huit jours après, la paix de Waroux leur
impose un lourd tribut.
Mais cette défaite n’arrête
pas le cours de l’histoire. Quelques décennies plus tard,
en 1384, les "Grands" renoncent à tout pouvoir politique, laissant au
peuple le droit de choisir tous les membres du conseil de la Cité.
Voilà pourquoi mon historique des révoltes de
Herstal commence en 1307, tout en sachant que c’est le hasard de la fusion des
communes de 1977 qui a réuni Herstal à Vottem. Il est clair que ces deux batailles
du XIII° siècle sont intimement liées à l’histoire de la cité de Liège,
beaucoup plus qu’à celle de la Seigneurie de Herstal.
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