La Charte d’Athènes a
défini les grands principes des congrès internationaux d'architecture moderne
(CIAM). Ces principes ont été encore longtemps après la dissolution et sont
encore largement appliqués aujourd’hui. Et là où l’on démolit leurs barres par
exemple on le fait à partir d’un faux bilan des points positifs et négatifs de
cette tendance.
Les CIAM ont réuni des tendances politiques
très diverses. Les architectes et
urbanistes communistes dans les pays capitalistes ont marqué les CIAM. En
Belgique nous avons eu Braems. Le communiste brésilien Niemeyer en faisait
partie. L’urbaniste communiste André Lurçat en était un membre fondateur. L’architecte
Jean Nicolas, au PCF dès 1929, avait accueilli en 1937 la Vème session
des CIAM. Au niveau théorique, l’historien de l’architecture Anatole Kopp organise
en 1966 un colloque franco-soviétique sur l’urbanisme. Dans l’élan du Programme
commun, le colloque « Pour un urbanisme…
» réunit en 1974 élus locaux,
architectes et urbanistes communistes.
Le Havre:Manhattan sur Mer (l'architecture) ou Stalingrad sur Mer (la municipalité) |
‘La ville radieuse’ de Corbu était au départ un
‘schéma organique’ pour Moscou. Selon Corbu, « les terrains libres de l’URSS apporteront le plan libre». Mais la
lune de miel ne dure pas : dans sa ‘Réponse
à Moscou’ il explique «qu’il est
impossible de rêver à faire concorder la ville présente ou future». L’Union
des Architectes de l’USSR appelle à ‘rejeter
énergiquement les recettes fonctionnalistes’.Le IVe CIAM devait
originellement avoir lieu à Moscou en 1932. L’enthousiasme n’y est plus, des
deux côtés. Finalement, le IV° congrès s’organise autour d’une croisière de
Marseille à Athènes en 1933. La Charte d’Athènes est un manifeste qui
influence encore notre urbanisme aujourd’hui.
Cette charte n’est pas une rupture avec le
communisme. Même si les conflits sont parfois violents. Lurçat qui a
travaillé à Moscou de 1934 à 1937, y prononce
un discours sur ses divergences avec Corbu. Corbu exige son exclusion, qui est
refusée.
Le IXe congrès des CIAM en 1953 est son chant
de cygne. Team X chargé de préparer le CIAM X, le transforment en simple lieu
de réflexion. Ces « jeunes » n'ont pas développé de théorie à proprement
parler, mais développent des pistes intéressantes sur la rue comme «association humaine ». En soi, c’est une critique pertinente et une piste intéressante. Mais le Team X
ne propose rien comme organisation. Ce vide est comblé un demi siècle plus tard
le Conseil Européen des Urbanistes (CEU) qui présente la "Nouvelle Charte
d'Athènes" en 1998. En fait, c’est
tromper un peu sur la marchandise. Cette nouvelle charte n’est en rien la
prolongation idéologique des CIAM. Cette Charte a été révisée en 2003 lors
d’une conférence internationale à Lisbonne. Un lien avec le traité de Lisbonne ? Certains proposent carrément une "Charte
de Lisbonne" afin d'éviter la confusion avec la célèbre "Charte
d'Athènes", ‘dont le caractère
messianique ne prenait en compte ni analyse sociologique ni besoins de la
population’. Cette charte de Lisbonne est remplacée en 2007 par la Charte de Leipzig dont le maître-mot est
la compétitivité des villes et des régions. Cette Charte est en fait une Charte
Partenariat Public Privé (PPP).
La Charte d’Athènes
Paris - le plan Voisin |
La Charte d’Athènes veut caser les quatre fonctions
-habiter, travailler, se divertir et circuler – dans des zones différentes. C’est aussi le rejet de la rue et le mépris des
centres historiques. Pour Le Corbusier, « au-dessus des arbres de la Ville verte, vogue le grand vaisseau de
béton de l'unité d'habitation". Dans la cité radieuse « la ville est dans le jardin, complète avec
ses logements, son hôtel et ses boutiques, sans que les habitants aient à en
sortir pour leurs occupations coutumières» (François Parfait dans la revue Urbanisme, 38, 1954).
Les CIAM veulent ‘tuer la rue corridor, ces interminables réseaux d'infrastructures des
cités-jardins, banlieues interminables des villes’.
Victor Bourgeois- Tribouillet Liège |
Les CIAM sont assez
doctrinaires et ne sont pas très à l’écoute des habitants. « L’urbanisme appartient à l’architecte »,
disait Victor Bourgeois. Le Corbusier note dans sa préface
à la réimpression de La Charte d’Athènes, en 1957 : “Dans la période 1941-1942, le mot de Charte apparut comme une
injonction à penser droit.” Ce dernier mot est non seulement connoté (Jean
Giraudoux, dans son liminaire à la première édition, en 1943, évoque la “phalange”
que constituent les partisans des CIAM et réclame “un chef” pour impulser leurs ambitions…). ‘Penser droit’ est aussi daté ; cela appartient à l’esprit
vichyste, tout comme les termes “communauté”, “corporatif”, “ordre”, “autorité”
et quelques autres. Le maréchal Pétain promulgue aussi une Charte de
l’urbanisme, par la loi du 15 juin 1943…
Les CIAM veulent faire table rase des centres
historiques. "Paris est un cancer en
bonne santé" disait Le Corbu. C’est dans cet esprit que Le Corbusier publie en juillet 1930 sa ‘Réponse à Moscou’: 66 pages, 21 planches
de plans. Dans la ligne de son plan Voisin pour Paris, il juge «qu’il est impossible de rêver à faire
concorder la ville présente ou future». Les Soviets répondent que « le
centre de Moscou n’est pas fossile, et, cerveau principal de la capitale, il se
développera encore avec elle». Le 27 novembre 1930, lors du Ciam de
Bruxelles, son ‘schéma organique’
pour Moscou devient ‘la ville radieuse’.
L’Union des Architectes de l’USSR appelle à ‘rejeter énergiquement les
recettes fonctionnalistes, et de faire une assimilation critique de l’héritage
du passé’.
L’IVe CIAM devait originellement avoir lieu à
Moscou en 1932. Mais l’enthousiasme n’y est plus, des deux côtés. Finalement,
le IV° congrès s’organise autour d’une croisière de Marseille à Athènes en
1933. Ce sujet est développé en long et en large sur mon blog.
La Charte
d’Athènes est donc une rupture entre les CIAM et les principes mis en
œuvre en URSS à partir du II° plan quinquennal. Mais la lutte entre ‘urbanistes’
et ‘désurbanistes’ continue encore un certain moment en URSS.
‘Urbanistes’ et ‘désurbanistes’ en URSS
Figure emblématique de l’urbanisme
socialiste, Nikolaï Milioutine (1889-1942) publie en 1930, en tant que
président de la Commission pour la construction des villes soviétiques, son
livre ‘Sotsgorod. Le problème de la
construction des villes socialistes’ (Paris, Les Editions de l’imprimeur, 2002, p.106; en russe, 1930). L’architecte allemand Ernst May, qui dirigera, entre autres, le projet
de ville minière de Magnitogorsk, fera traduire l’ouvrage. L’URSS développera
la politique volontariste la plus intensive de construction de villes nouvelles
connue jusqu’à présent, 1.200 en soixante ans. Le modèle soviétique sera
reproduit en en Pologne (Nowe Tychy, Nowa Huta, etc.), Hongrie (Dunaujvaros,
Komlo, Varpalota) et en Chine où une soixantaine de villes nouvelles
industrielles ont ainsi été créées autour de Shanghai. Anting New Town est
ainsi accolée à Anting, ville satellite de l’industrie automobile.
Milioutine développe le concept de micro-raïon,
«composé d’un complexe d’immeubles de
logements et de bâtiments pour les services de la vie quotidienne pour la
population (jardins d’enfants, crèches, écoles, cantines, équipement commercial
de proximité, aires de sport et jardins)». Ce micro-raïon sera l’unité
fonctionnelle élémentaire de la ville soviétique.
L’assemblage des cellules d’habitation et des
équipements proposés par Milioutine suivait le concept de ville linéaire et
pouvait être implanté «en ligne le long
de la route». Chaque micro-raïon forme un grand bloc et leur juxtaposition
standardisée dessine un tissu en damier. Milioutine voyait dans la cité-jardin,
éloignée de la ville, destinée uniquement à l’habitat et constituée
principalement de maisons individuelles, un projet bourgeois. Dans sa lutte
contre le capitalisme, la ville et la campagne ne devaient pas être dissociées.
De nombreux projets de concours de villes
furent examinés par Milioutine, parmi lesquels Stalingrad. Il proposa à
plusieurs reprises des modifications pour une organisation linéaire capable de
se développer dans les deux sens, suivant le système de la chaîne de production
par juxtaposition de bandes parallèles: chemin de fer, usine, zone verte,
route, zone résidentielle, parc, rivière. L’organisation idéale pour Milioutine
était celle qui minimiserait les temps de déplacement entre l’habitat et le
lieu de production. C’est presque prophétique : aujourd’hui le débat sur
la mobilité est d’une actualité brûlante. Le
chemin de fer définit les grands
axes de localisation des villes nouvelles industrielles soviétiques. En
principe, l’ouvrier socialiste devait pouvoir accéder à pied à l’usine. Réduire
les infrastructures coûteuses était un des paris. Bus, taxis et bateaux
remplaceraient les tramways, viaducs et tunnels.
URSS- Ville linéaire - ill. Labo urbanisme |
Finalement, les discussions entre «urbanisme»
(dans le sens aujourd’hui de «ville compacte») et «désurbanisme» («ville
diffuse»), sont toujours d’actualité. Mais il est difficile de généraliser ces
expériences intéressantes liées à une situation où les moyens de production
sont socialisés. Rappelons-nous la phrase de Corbu : « les terrains libres de l’URSS apporteront le
plan libre». Sans expropriation on a un autre urbanisme…
voir aussi Jay Rowell, « La ville socialiste introuvable : une
catégorie d’action et de signification en RDA » (L’Année sociologique, vol. 58,
no 1, 2008, p. 143-167).
« Actes du 1er colloque franco-soviétique de
géographie urbaine » (Villes en
parallèle nº 3 1980)
« Croissance et structures urbaines dans les pays
socialistes européens » (Villes en parallèle nº6 1982).
« La ville soviétique avant la perestroïka »
(Villes en parallèle nº nº 26-27 1998).
Architectes et urbanistes communistes dans les pays capitalistes
Il y a aussi une série de grands architectes
communistes dans les pays capitalistes. En Belgique nous avons eu Braems.
Brasilia- Niemeyer |
Oscar Niemeyer porte par exemple le jugement
suivant sur Brasilia, où il a été responsable de l’architecture, de
l’architecture seulement: « J’appartiens
au Parti communiste depuis 1945. Lors de la construction de Brasilia, on
pensait que ce serait une cité heureuse. Mais une fois que la ville a été
terminée, j’ai eu un choc: c’est une cité moderne, mais une ville de la
discrimination, de l’injustice, de la séparation entre les riches et les
pauvres, ceux-ci, comme partout, rejetés à l’extérieur de la ville qu’ils ont
construite…J’ai été responsable de l’architecture, de l’architecture seulement.
Mais quand je pense à ce que doivent être les villes, je tiens qu’elles doivent
réunir tous les types de
population. Le développement industriel s’est fait à
l’écart des cités, et avec les industries les ouvriers y sont relégués. La
seule cité digne de ce nom doit regrouper toutes les activités de tous les
hommes: elle doit être un bien commun. Cela est réalisable, à condition que
l’on veuille bien prendre les problèmes à leur base. Et ici il est simple : que
toute l’industrie soit rendue non polluante. Mais un tel projet se heurte
évidemment aux assises de la société capitaliste. Et l’architecte n’a pas le
pouvoir de la changer. Mais il peut protester contre la notion de
‘cité-ouvrière’, de ‘maisons ouvrières’. Les ouvriers n’ont pas besoin de ces
cadeaux. Ce qu’il faut, c’est changer la société ».
Brasilia |
En France nous avons eu Lurçat, grand
urbaniste du communisme municipal. Lurçat a été invité à Moscou en 1934 et y
travaille jusqu’en 1937. En janvier 1934 il prononce à Moscou un discours sur ‘L’architecture contemporaine en Occident’
où il critique Corbu. Corbu adresse immédiatement un réquisitoire contre Lurçat
au CIAM. Une Commission d’enquête composée de
Bourgeois, Gropius et Giedion décide
néanmoins un non lieu.
Quandcommunisme municipal rimait avec laboratoire urbain
siège du PCF- Paris- arch. Niemeyer |
La notion de « banlieue rouge » émerge en 1924 lorsque Paul Vaillant-Couturier
baptise de ce nom les mairies communistes de banlieue parisienne prises par le
PCF : des communes de banlieues très majoritairement composées d'ouvriers,
dont l'économie repose sur de grandes usines.
L’architecte Jean Nicolas rejoint le Parti
communiste français (PCF) dès 1929. Il devient secrétaire général de la Maison
de la Culture, où il croise André Malraux. C’est la Maison de la Culture qui
accueille en 1937 la Vème session des CIAM.
Les groupes d’Habitats
à Bon Marché (HBM) de Vitry et d’Ivry des années 1920-1930 étaient les fleurons
de la politique sociale du PC. Un documentaire de 1938, “Les Bâtisseurs”, commandé par la Fédération CGT du bâtiment, donne
longuement la parole à Le Corbusier, et le film place l’architecture
fonctionnaliste dans la lignée de la construction des cathédrales. ‘Aubervilliers’
(1946), un film de Jacques Prévert Lotard, commandé par le maire Charles
Tillon, montre la misère noire du logement en banlieue. Les municipalités
communistes réclament des logements.
André Lurçat est membre fondateur des CIAM. Nous
avons déjà mentionné son discours critique sur Corbu en 1934. Il participé à la
création du Front national des architectes résistants. Fin
août 1944, à la tête d’une délégation du Front national des architectes (FNA),
l’arme au poing, Lurçat fait le siège de l’Ordre des architectes créé par le
gouvernement de Vichy
A la fin de 1944, Lurçat est nommé urbaniste en chef de la reconstruction de Maubeuge, par le Gouvernement Provisoire du Général de Gaulle. Lurçat convoque
les Maubeugeois à participer à « la
Bataille de la reconstruction » et les invite à s’exprimer dans des « meetings d’urbanisme ». Puis il crée le Comité
local d’urbanisme avec des représentants des corps de métiers, de syndicats,
d’associations, et des sinistrés pour mettre au point le projet.
Ce souci de mobilisation et de dialogue avec
les forces vives distingue fondamentalement les urbanistes communistes des
CIAM. A la même époque Saint Dié refuse les plans de reconstruction de Corbu.
Lurçat s’oppose aussi au démantèlement complet
des fortifications de Vauban malgré le grand nombre de Maubeugeois qui militent
pour leur destruction. Il obtient leur classement au titre de Monument
Historique en 1947. Ce respect pour l’histoire est aussi une rupture implicite
avec les CIAM (Droitau logement et mixité: les contradictions du logement social Par Noémie
Houard).
A la même époque, le PCF demande à Auguste
Gillot, nouveau maire de Saint Denis, de faire une ville moderne modèle. En
tant qu’architecte et urbaniste en chef de la ville de Saint-Denis. Lurçat a le souci omniprésent de conserver le lien entre l’habitant et sa ville. Il maintient toujours le rapport à la ville ancienne en créant des perspectives visuelles qui luttent contre l’isolement de ses cités.
L’implantation des nouveaux quartiers en symbiose avec la ville est un troisième élément distinctif par rapport aux CIAM.
Siège pcf colonel fabien - salle comité central |
Niemeyer construit lors de son séjour à Paris, à partir de 1965, le siège du Parti Communiste Français, place du Colonel Fabien : une architecture simple, inventive et différente, pour représenter l’essence même du PCF: « Le béton, ce matériau merveilleux, a été réduit par les dogmes du fonctionnalisme à la monotonie que nous connaissons. Le siège du P.C. est une architecture qui fonctionne bien et qui est nouvelle. Je n’ai pas bâti un cube de verre ‘rationnel’, un aquarium, mais un palais. Le siège du P.C. est une leçon d’architecture sur la libération de l’espace. Et cette libération essentielle de l’espace pourrait rendre aussi à la ville sa végétation… »
Les élus des plus petites communes se tournent vers l’Atelier d’urbanisme et d’architecture (AUA). Avec l’Atelier de Montrouge, également proche du PCF, l’AUA est une des sources du renouveau architectural français des années 1960.
L’historien de l’architecture Anatole Kopp organise en octobre 1966 un colloque franco-soviétique sur l’urbanisme et la construction. Kopp a découvert l’URSS en 1956, par le biais d’un voyage de la commission architecture du PCF. Il travaille alors sur l’architecture soviétique des années 1920 et publie ses recherches dans Ville et Révolution (Paris, Seuil, 1972). Anatole Kopp publie aussi ‘Changer la vie, changer la ville. De la vie nouvelle aux problèmes urbains’ (URSS 1917-1932, Paris, 10/18, 1975) et ‘L’architecture de la période stalinienne’ (Grenoble, P. U. G., 1985) .
Dans l’élan du Programme commun, le colloque « Pour un urbanisme…» réunit en avril 1974 à Grenoble élus locaux, architectes et urbanistes communistes.
Terre d'élection par excellence du PCF jusque dans les années 1970, la ceinture rouge de Paris s'est réduite avec le déclin électoral amorcé en 1981. La banlieue
rouge connait son apogée en 1977 lors des élections qui voient le triomphe de
l'union de la gauche. En région parisienne il conquiert 15 villes de plus de 20
000 habitants et domine la petite couronne. Après 1989, la banlieue rouge est
pour l'essentiel ramenée à ses bases de départ des années 1950, c'est-à-dire
aux fiefs historiques du PCF. La banlieue rouge existe-t-elle encore en 2010 ?
Henri Lefèbvre |
Dans les urbanistes communistes français je
mentionne, même s’il n’a jamais été membre des CIAM, Henri Lefèbvre qui devient un idole de Mai 68 en tant que prof à Université de Paris X-Nanterre. En 1940, il avait rejoint la Résistance. Il est exclu du PCF en 1958 pour son rejet sans concession du stalinisme. En 1960, il signe le manifeste des 121 pour le droit à l'insoumission dans la guerre d'Algérie. Il finit son parcours à l'Institut d'urbanisme de Paris.
Il s'est occupé des problèmes d'urbanisme. Il formule notamment la nécessité de l'affirmation d'un nouveau droit, le droit à la ville. L'espace est le produit de la société, chaque société et valeur doit produire son espace. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la ville et l’urbain, dont Terre urbaine. Cinq défis pour le devenir urbain de la planète (2007), Habiter, le propre de l’humain (collectif, 2007), La Folie des hauteurs. Pourquoi s’obstiner à construire des tours ? (2008) et Ghettos de riches. Tour du monde des enclaves résidentielles sécurisées (collectif, 2009). Daniel Zamora reprend cette notion dans EM N°98.
Le team X et la "Nouvelle Charte d'Athènes"
Urban Re-identification Grid CIAM IX |
Le IXe congrès des Congrès internationaux d'architecture moderne en 1953 est un
peu son chant de cygne. Un groupe est chargé de préparer le CIAM X qui se
déroulera à Dubrovnik en 1956. En fait, ce Team X ou encore Team Ten est en
rupture avec les conceptions rationalistes de leurs prédécesseurs. Le Team X
n'a pas développé de théorie à proprement parler. Il se voulait un simple lieu
de réflexion. La rupture se cristallise pour une grande part sur une différence
de conception de la rue. De la rue « machine à circuler », les « jeunes »
passent à la rue qu'ils désignent comme « association humaine ». En soi, c’est
une critique pertinente et une piste intéressante. Mais le Team X ne propose
rien comme organisation.
Ce vide est comblé un demi siècle plus tard
par le Conseil Européen des Urbanistes (CEU) qui
présente la "Nouvelle Charte d'Athènes" en 1998. En fait, c’est tromper un peu sur la
marchandise. Cette nouvelle charte n’est en rien la prolongation idéologique
des CIAM. Cette Charte a été révisée en 2003 lors d’une conférence internationale à
Lisbonne. Un lien avec le traité de Lisbonne ? La SFU (Société Française des
Urbanistes), qui a contribué pour la France à la rédaction, fait ce lien d’une
manière assez directe : elle
propose d’ailleurs le titre "Charte de Lisbonne" afin d'éviter la confusion avec la célèbre "Charte d'Athènes", ‘dont le caractère messianique ne prenait en compte ni analyse sociologique ni besoins ou avis de la population’. Parfois la SFU parle aussi d’une "Charte pour l'urbanisme des villes du XXIème siècle". Une nouvelle idée aussi messianique pointe à l’horizon de cette nouvelle Athènes : la compétitivité des villes. Extraits : « Une ville cohérente sur le plan social sera capable de fournir un plus grand sentiment de sécurité et mettra ses habitants plus à l’aise. Au XXIème siècle encore, les villes économiquement réussies seront celles qui auront su capitaliser sur leurs avantages compétitifs. Un haut degré de connectivité multi-niveaux sera pour elles un atout majeur. Pour une ville recherchant la cohérence, capitaliser sur ses arguments culturels et naturels, en jouant de ses valeurs héritées de l’Histoire et en mettant en avant sa singularité et sa diversité, deviendra de plus en plus un avantage significatif. De même, l’offre d’un cadre de vie et de travail plaisant, sain, et sûr, augmentera considérablement dans le futur les chances des villes de rester attrayantes en réponse aux exigences croissantes des activités économiques sollicitées de toutes part ».
propose d’ailleurs le titre "Charte de Lisbonne" afin d'éviter la confusion avec la célèbre "Charte d'Athènes", ‘dont le caractère messianique ne prenait en compte ni analyse sociologique ni besoins ou avis de la population’. Parfois la SFU parle aussi d’une "Charte pour l'urbanisme des villes du XXIème siècle". Une nouvelle idée aussi messianique pointe à l’horizon de cette nouvelle Athènes : la compétitivité des villes. Extraits : « Une ville cohérente sur le plan social sera capable de fournir un plus grand sentiment de sécurité et mettra ses habitants plus à l’aise. Au XXIème siècle encore, les villes économiquement réussies seront celles qui auront su capitaliser sur leurs avantages compétitifs. Un haut degré de connectivité multi-niveaux sera pour elles un atout majeur. Pour une ville recherchant la cohérence, capitaliser sur ses arguments culturels et naturels, en jouant de ses valeurs héritées de l’Histoire et en mettant en avant sa singularité et sa diversité, deviendra de plus en plus un avantage significatif. De même, l’offre d’un cadre de vie et de travail plaisant, sain, et sûr, augmentera considérablement dans le futur les chances des villes de rester attrayantes en réponse aux exigences croissantes des activités économiques sollicitées de toutes part ».
photo urbanismovivo |
d’investissements promotionnels. Ceci conduit parfois les pouvoirs publics locaux à négliger l'implication du public dans les politiques d'urbanisme stratégique. Des manquements à la démocratie pourraient peut-être émerger dans des villes qui s'appuieraient trop sur le secteur privé pour distribuer les bénéfices sociaux du développement. Beaucoup de citadins déshérités sont exclus des bénéfices des communications modernes, des transports, des équipements et des services. Des zones spécifiquement dédiées à des consommateurs aisés tendent fréquemment à se développer dans des environnements clos, tandis que les habitants pauvres restent sans abri ou vivent dans les secteurs en déclin des centres-villes ou des banlieues.
De très
importants problèmes financiers et sociaux auxquels beaucoup de villes se
confrontent aujourd’hui conduisent à des défaillances dans la pratique de la
démocratie locale parce que des autorités publiques laissent au marché libre
des pans entiers de leur responsabilité de l’intérêt collectif ».
Je n’ai pas fait une enquête approfondie, mais
j’ai quand même l’impression que la SFU et sa « Nouvelle Charte d'Athènes » s’est fait instrumentaliser par l’Union
Européenne. Toujours est-il qu’il y a pas mal de convergences avec la Charte de
Leipzig sur la ville européenne durable.
La Charte de Leipzig sur la ville européenne durable
Les maître-mots de la Charte de Leipzig sur
la ville européenne durable, adoptée le 24 mai 2007, sont la cohésion et compétitivité
des villes et des régions. ‘La Charte de
Leipzig est fondée sur la conviction des Etats-Membres de la nécessité de
promouvoir la cohésion territoriale de l’Union Européenne tout en poursuivant
les objectifs des Stratégies de Lisbonne’. L’Union Européenne prétend qu’un
tiers de son budget est affecté à la politique de cohésion:
« L’Union
œuvre en faveur de la convergence et de la compétitivité des villes et des
régions grâce à sa politique de cohésion, à laquelle elle a alloué quelque 350
milliards d’euros, soit 35,6 % du budget total, pour la période 2007-2013 ».
Cette Charte est en fait une Charte Partenariat
Public Privé (PPP). Quelques extraits : « une politique de développement urbain intégré par l’association
des acteurs économiques, des groupes d’intéret et du public (p.2). Le
rassemblement des connaissances et des ressources financières permet de mieux concerter les investissements
publics et privés. Mettre à profit et coordonner l’utilisation des moyens
financiers mis en place par les agents publics et privés ».
centre pompidou Metz |
Les
principaux objectifs de la Charte sont de renforcer les centres villes
afin de mettre un frein au phénomène de l’étalement urbain, de prêter
assistance aux quartiers défavorisés afin que ces quartiers ne nuisent pas à
l’attractivité, à la cohésion sociale et à la compétitivité des villes ».
La déclaration de politique régionale wallonne s’inscrit dans la charte de Leipzig
La déclaration de politique régionale wallonne (DPR) s’inscrit dans la charte
de Leipzig: la densification, la reconstruction de la ville sur la ville (p.
34), la mobilité douce, la mixité des fonctions, le retour des activités
économiques en ville, la promotion du commerce de proximité, le développement
équilibré de l’ensemble des fonctions économiques.
La DPR souhaite délimiter les noyaux d’habitat
sur base de critères objectifs et qualitatifs. Le Gouvernement s’engage à
examiner la mise en oeuvre d’une politique foncière régionale au travers d’un
fonds spécialisé pour les acquisitions et les expropriations, d’une adaptation
du mécanisme de financement des communes, d’un dispositif de gestion des
plus-values et moins-values d’urbanisme, et d’un recours accru au droit de
préemption et aux autres outils fonciers (p. 137).
Le Gouvernement
veut tendre vers un objectif de 20 % de logements au loyer conventionné sur
l’ensemble du territoire wallon (p. 88). Ces logements seront publics,
associatifs ou privés (pris en gestion ou conventionnés). Chaque commune devra
tendre vers une proportion de 10 % de logements publics ou subventionnés, mais
celles qui en ont plus pourront continuer à développer plus de logements
sociaux. Il faut intégrer des fonctions telles que le commerce dans des
opérations de création et de rénovation de logements publics afin de promouvoir
la mixité sociale et l’équilibre financier des sociétés de logement; concentrer
l’action des communes qui ne disposent pas de réserves foncières suffisantes
sur leur territoire pour la construction de logement neufs, sur des opérations
d’acquisition-rénovation et sur la mobilisation du patrimoine inoccupé ;
développer la procédure des partenariats public-privé pour la mobilisation des
terrains publics ou parapublics à affecter à la politique du logement. Il est
intéressant de voir comment ces principes sont traduits en 2014 dans le Schéma
de Développement Régional (SDER).
La DPR veut doter la région d’un schéma de
développement commercial, assorti d’une cartographie permettant de réaliser des
simulations multicritères, de manière à outiller les communes pour l’examen des
projets commerciaux , et assumer une politique cohérente par « bassin de vie »
dans l’octroi des permis socio-économiques.
La DPR veut un report modal par la
construction de parkings de dissuasion qui permettent aux automobilistes de
laisser leur voiture en sécurité à l’entrée des villes et de prendre en suite
les transports en commun.
Le SDEC est un schéma élaboré par l'Union
Européenne pour coordonner l'aménagement et le développement du territoire des
différents Etats de l'Union.
Le SDER (Schéma de Développement EspaceRégional),
s’inscrit dans le SDEC. Certaines communes comme Herstal ont un Schéma de
Structure Communal (SSC).
Je ne vais pas développer ici la critique des partenariats
public-privé. L’idée à la base de la cohésion sociale est évidemment la
collaboration de classes, où c’est toujours les mêmes qui sont les dindons de
la farce. Mais cela n’empêche qu’il y a là dedans des concepts intéressants d’aménagement
de quartiers urbains mixtes d’habitat, d’activités professionnelles, d’approvisionnement
et de loisirs (voir mon blog), de renforcement
des centres villes afin de mettre un frein à l’étalement urbain, etc.
Politique de « la » ville et cohésion sociale.
photo nouvelobs |
Roland Castro a un bon pédigrée : Militant
pro FLN, il rejoint le Parti communiste en 1961 avant d’évoluer
en 1967 vers les maoïstes de l’Union de la jeunesse communiste marxiste-léniniste. Il est le représentant de mai 68 à l’école des Beaux-Arts. En 1969, il co-fonde le mouvement « Vive la révolution », auto-dissous en 1971. Son rapprochement avec François Mitterand date de 1976. En 1992, barre à droite : il devient consultant de Charles Pasqua. Il effectue ensuite un nouveau virage vers le PCF, sous Robert Hue.
en 1967 vers les maoïstes de l’Union de la jeunesse communiste marxiste-léniniste. Il est le représentant de mai 68 à l’école des Beaux-Arts. En 1969, il co-fonde le mouvement « Vive la révolution », auto-dissous en 1971. Son rapprochement avec François Mitterand date de 1976. En 1992, barre à droite : il devient consultant de Charles Pasqua. Il effectue ensuite un nouveau virage vers le PCF, sous Robert Hue.
La politique de la ville est explicitement
territoriale, mais implicitement elle
est ethnicisé. On parle de revitalisation, requalification urbaine, de
quartiers sensibles, d’un plan Marshall pour les banlieues, de ségrégations
socio-spatiales et de ghettoisation. On s’abrite derrière le vocabulaire de la
mixité sociale et de composition ethno-raciale des quartiers pour imposer une
stratégie de déconcentration spatiale des minorités ethniques, de
gentrification du territoire mais aussi
de sécurisation (Rénovation urbaine. Les leçons américaines KIRSZBAUM ThomasPresses universitaires de France; coll. La Ville en débat, 2009, 86 p).
Thomas Kirszbaum fait, à juste titre, le parallèle
avec la « rénovation urbaine » aux
Etats-Unis, connue sous le negro renewal
ou de « bulldozer fédéral ». Les États-Unis ont été le plus loin dans la
mise en place de politiques de lutte contre la ségrégation résidentielle. Les
quartiers américains sont engagés dans une dynamique de « déghettoïsation » et ressemblent désormais à des patchworks. Le
programme HOPE VI (Housing
Opportunities for People Everywhere) voulait en finir avec
les grands ensembles d’habitat social :
150.000 démolitions pour 1,4 million de logements sociaux. Il s’agit d’une combinaison de ‘place and people’ : le programme, nourri des visions du New Urbanism (faibles densités, nostalgie des solidarités et des organisations vicinales) vise conjointement mobilité (volontaire) des habitants et rénovation de leur habitat. Thomas Kirszbaum voit dans le renforcement des interventions publiques de rénovation urbaine une logique néolibérale, car relevant d’un principe d’investissement qui n’est pas nécessairement immédiatement en faveur des plus pauvres.
150.000 démolitions pour 1,4 million de logements sociaux. Il s’agit d’une combinaison de ‘place and people’ : le programme, nourri des visions du New Urbanism (faibles densités, nostalgie des solidarités et des organisations vicinales) vise conjointement mobilité (volontaire) des habitants et rénovation de leur habitat. Thomas Kirszbaum voit dans le renforcement des interventions publiques de rénovation urbaine une logique néolibérale, car relevant d’un principe d’investissement qui n’est pas nécessairement immédiatement en faveur des plus pauvres.
La ‘Politique
de la ville’ cible officiellement l’habitat mais cible en réalité
l’habitant. Or, les problèmes de l’habitat sont d’abord des problèmes
d’habitants et de peuplements, plutôt que de bâti et de travail social.
Le même lieu que le projet c-dessus 20 ans plus tard |
Dans ma ville aussi mon maire F. Daerden ne
veut pas « à tous crins augmenter la
population de la ville de Herstal : notre volonté est de définir une stratégie
pour un cadre de vie plus harmonieux avec plus de mixité sociale. » La mixité sociale est un beau terme qui
couvre une stratégie d’attirer des revenus moyens dans la ville. La
compétitivité ne joue pas seulement au niveau d’attirer des entreprises ;
c’est aussi la concurrence entre communes pour attirer ces revenus moyens. Les 262 communes de Wallonie se battent pour recueillir
les plus gros revenus pour augmenter leur base fiscale et leurs
recettes.
Les évaluations des relogements effectués à la
suite des démolitions engagées dans les quartiers dits sensibles, au nom de la
rénovation urbaine et de la mixité sociale, montrent que les habitants sont
massivement relogés dans des quartiers de même nature. On substitue une
population à une autre dans le but tacite de favoriser le « retour des Blancs ». La mixité sociale
reste ce qu’elle n’a cessé d’être depuis la fin des années 90 : un argument
potentiellement discriminatoire (au sens négatif du terme) pour modifier le
peuplement des «cités » – et
seulement de celles-ci – en agissant sur leur composition résidentielle. À
défaut de discrimination positive centrée sur la mobilité résidentielle des
minorités, la mixité sociale peut restreindre leurs opportunités résidentielles
dans les quartiers où les acteurs des politiques de l’habitat estiment que ces
populations sont en surnombre.
Commissariat de police Clichy-sous-Bois |
L’émeute est d’abord un constat d’échec de
Banlieues 89. Quinze ans plus tard le problème est toujours là. C’est un défi à
l’austérité néolibérale, à la ségrégation par l’urbanisme, aux discriminations
et violences policières. Cette faillite est celle de la politique de la ville
et d’immigration.
Voilà le contenu de la politique de la ville
et de la cohésion sociale la Charte de Leipzig. L’union Européenne a rempli le
vide créé par la fin des CIAM à sa manière. Etudes marxistes a renoué avec le
droit à la ville lancé en 68 par Lefèbvre dans EM N°98.
Mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus
rien eu d’intéressant point de vue urbanisme de gauche les cinquante dernière
années. Il y a une série de développements intéressants qui très souvent se limitent
à l’un ou l’autre aspect, à partir d’un refus (justifié) de devenir des
constructeurs de systèmes comme il y en a eu pas mal dans les CIAM. Cela sera
le sujet d’un prochain blog.
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