Palais (présumé) à Aix-la-Chapelle |
Herstal a alloué 50 000 euros pour une
scénographie d’un espace Charlemagne, avec comme fil conducteur le palais
carolingien de Herstal. Cette somme financera du matériel multimédia et
d’infographie. L’espace a été inauguré en février 2014.
La présence impériale à Herstal n’a laissé aucune trace matérielle indubitable.
Palais Charlemagne Attigny |
Ce n’est pas la première fois que Herstal
s’intéresse à ce ‘palais’. Il y a eu
notamment en 1972, à l’occasion de la rénovation de notre petit musée, une
exposition ‘Herstal avant l’an mil’,
avec un beau catalogue bien fait.
André Joris, prof à l’Ulg, a publié beaucoup sur le ‘palais carolingien de Herstal', notamment dans le N°1 des ‘Documents Herstaliens’ de 1973. Ce texte avait fait l’objet d’une intervention à un colloque
franco-allemand en 1973. Joris nous avertit directement : « La
notion de palais ne doit pas nous égarer car à l’époque le palais est
surtout une exploitation domaniale où le
prince réside. Il s’agit donc plus d’une grande ferme fortifiée que d’une sorte
de Versailles sur Meuse. En dehors des documents qui en conservent le
témoignage, la présence royale et impériale à Herstal n’a laissé aucune trace
matérielle indubitable. Aucune fouille n’a pu confirmer ou infirmer cette
hypothèse ».
Le chercheur Karl Ferdinand Werner a mis sur fiches
tous les séjours des rois carolingiens jusqu'au XIe siècle. Un ensemble
d'environ 10 000 séjours royaux donne 1000 localités de séjour, dont 500 ne se
trouvent mentionnées qu'une seule fois. Une centaine seulement de lieux de
séjour sont fréquemment mentionnés. Les conditions économiques n’étaient pas
mûres pour nourrir une cour centralisée. Les rois carolingiens allaient donc se
nourrir sur place. Ils avaient des dizaines de domaines dont la gestion est
définie dans le capitulaire « De Vilis ». Ces domaines s’appelaient
fisc. D’où nos fiscards aujourd’hui…
Une cour itinérante de fisc en fisc
C’est ainsi que l'inventaire du fisc d’Annappes mentionne des milliers de muids d'épeautre et
d'orge, des centaines de muids d'avoine, de seigle, de froment, quantité de
fèves et de poids ; 1005 porcs salés, 5025 livres de fromages, de la bière,
1250 muids de vin , 1150 moutons, béliers, brebis et agneaux, des centaines de
chevaux, ânes et mulets, des centaines de porcs, de chèvres et de vaches, 50
ruches d'abeilles, des oies, des canards et des paons. Un haras fournissait la
cavalerie impériale. Voici la composition de son cheptel en 799 : 51 juments, 3 étalons, 10 poulains, 2
ânes, 16 bœufs, 50 vaches, 20 génisses,
3 taureaux, 38 veaux ; 260 porcs, 100 porcelets, 5 verrats ; 150 brebis, 120
moutons, 200 agneaux ; 30 chèvres, 3 boucs, 30 chevreaux; 30 oies, 80 poulets,
22 paons. La royauté est donc nomade. Elle se déplace
d´un fisc à l'autre. Le palais’ n’évoquait pas un bâtiment,
mais l'’endroit où le roi exerçait son pouvoir. Ce n'est pas le bâtiment qui semble important, mais les hommes qui y habitent
et qui forment l'entourage permanent du prince. La notion de palatium dans la
tradition romaine pouvait designer, dune part, les lieux du gouvernement princier
et, d'autre part, le centre institutionnalise du pouvoir qui accompagnait le
roi itinérant. Autrement dit, il y avait un palatium,
mais aussi des palatia particuliers diffuses dans le royaume. Le mot ‘cour’, ‘Curtis'
en latin, signifie primitivement un enclos, mais aussi un groupe d'hommes ou
des animaux, en général, pour ainsi dire ‘enclos’, comme par exemple dans le
cadre militaire de la ‘cohorte’. Les évêques rassembles à Quierzy disent : « il revient au roi d'avoir toujours les
moyens de vivre décemment et de tenir son rang avec sa domesticus cortis et de
recevoir les délégations qui viennent ä son palatium ».
Palais Tribur |
En plus, si le palais de Herstal a existé, il
y a beaucoup de chances qu’il ait été pillé par les Normands en 881.
Le ‘palais’ à la Licour : un tissu de traditions qui recèlent sans doute un fond de vérité ?
Cela ne décourage pas notre prof qui
conclut : « Force sera donc de
recourir à des méthodes d’investigation
moins rigoureuses. C’est la tradition qui localise le ‘palais’ à la place
Licour. Il s’est formé à son sujet un
tissu de traditions qui recèlent sans doute un fond de vérité ».
Ingelheim Kaiserpfalz |
Quel est ce fond de vérité ? En quoi
consistent ces méthodes d’investigation moins rigoureuses ? D’abord André
Joris évoque l’origine carolingienne de l’église Notre-Dame de la Licour, même
s’il doit reconnaitre que cela se base « sur
des observations sommaires et disparates ». En 1914, lors du
creusement des fondations d’une chaufferie à la Licour, les terrassiers mirent
à jour les assises en maçonnerie qui aurait servi de base à l’ancienne tour. M.
Collart-Sacré était intervenu pour sauvegarder deux baies aveuglées
superposées, qui auraient pu faire partie du jubé primitif. La fabrique d’église s’ingénia « à endormir la
méfiance de la Commission royale des monuments. A l’intérieur de la nouvelle
sacristie on a laissé subsister un coin perdu de maçonnerie masquée par un
panneau massif » (cs tii p415).
Cette maçonnerie
masqué est probablement le seul témoin du batiment primitif. L’église actuelle
est une reconstruction de 1750, après un incendie en 1737. Lors de cette
reconstruction on n’a gardé que quatre piliers qui étaient carrés au départ. Pour
faire joli, on les a arrondis…
A partir du constat que le patronyme de
Notre-Dame est particulièrement en honneur dans les palais de l’époque, notre
prof déduit que « rien n’empêche donc de supposer que cette
église est bien l’héritière de ‘oratorium’ du palais carolingien. Les séjours
fréquents des souverains postulent l’existence d’une chapelle particulière
réservée au service de la cour royale. Dans ce cas, l’église Notre-Dame
constituerait un point de répère précieux pour déterminer l’emplacement du
palais carolingien ».
Ses ‘méthodes
d’investigation moins rigoureuses’ sont pas très sérieuses. Il aurait mieux
fait de s’en tenir à sa première conclusion : on n’a de ce palais aucune trace
matérielle indubitable et décelable.
Actum haristalio palatio publicum in dei nomine. Amen
Restent donc les capitulaires. Herstal est
cité dans un tas de documents carolingiens. Il s’agit ici de documents émis à Herstal, qui se terminent par la phrase ‘actum
haristalio palatio publicum in dei nomine. Amen’
La seule copie
disponible sur internet est un document du Codex Eberhardi, une liste
récapitulative (cartulaire) des différents titres de propriété du monastère de Fulda.
Vers 1150 le moine Eberhard fait des copies des actes dont certains avaient 350
ans. Le monastère se trouvait dans un état économique désolé. Son objectif est
de récupérer le plus possible de propriétés dont certaines n’avaient même jamais
été la propriété de l’abbaye. Il n’hésite pas devant la falsification et la
contrefaçon. L’ Eberhardi Codex est «une
des plus grandes actions de contrefaçon jamais réalisés dans un atelier unique
au Moyen Age" (Vogtherr).
De Vilis chap. LXX |
Un des plus grands médiévistes carolingiens de
niveau mondial est M. Ganshof qui a fait des recherches très poussées sur
les Capitulaires carolingiens. Il commence son étude par un constat de carence
: disparition de tous les originaux des capitulaires, absence de copie prise
sur des originaux. Par une critique interne très serrée des capitulaires, M.
Ganshof montre que, sauf pour quelques actes très importants comme la Divisio
Regnorum de 806, les capitulaires ne sont pas l'œuvre de la chancellerie mais
de secrétaires qui ont assisté aux délibérations. M. Ganshof estime que les
Carolingiens n'ont pas légiféré, au sens étroit du terme. Pour lui, les
capitulaires restent avant tout des instruments d'administration très souples (F. L. Ganshof. Recherches sur les Capitulaires. Sirey, Paris,1958, 127 p.)
Ganshof retrouve des indications que les
capitulaires ont été transmis sur des feuilles volantes: « ils avaient au cours des temps été écrits ça
et là sur de nombreux petits morceaux de parchemin ». Pour Ganshof, le
capitulaire n’est que le vestige d’une pratique d’écriture d’importance
secondaire, dans un système de législation, d’administration et de
communication très largement construit sur l’oral. Cela n’étonnera personne
d’apprendre que notre historien a remplacé Henri Pirenne à l’Ugent. Ses thèses
sont dans la droite ligne des thèses de Pirenne sur Charlemagne et Mahomet. Pirenne parle de la régression carolingienne. (voir mon blog).
Le ‘pessimisme’
de Ganshof a été contesté par d’autres historiens intéressants comme le marxiste Eckhardt Müller Mertens de la RDA et Werner, participant assidu du
séminaire de Georges Duby au Collège de France, que je cite en début de ce blog.
Je ne vais pas trancher dans ce débat. Mais je suis d’accord avec Ganshof qu’il
faut commencer par une critique interne très serrée du texte des capitulaires.
Y compris la mention de Herstal. Surtout si on sait qu’après 930 le nom de
Herstal disparut de l’histoire jusqu’en
1096,
époque à laquelle nous retrouvons notre ville comme fief brabançon. (cs tii p415).
«Le
souvenir de la résidence des souverains francs nous parait décelable au début
du 13° siècle au plus tard, quand les ducs de Lotharingie (plus tard ducs de
Brabant) ont obtenu Herstal en apanage. Ceux-ci s’efforcèrent, après l’an mil,
d’accaparer le souvenir de Charlemagne à leur profit. L’historiographie
officielle brabançonne associa le trio Pépin – Berthe- Charlemagne à Herstal
afin de faire passer le fief pour l’ancienne capitale du duché. La généalogie
complaisamment composée vers 1271 par un moine de l’abbaye d’Affighem
n’affirme-t-elle pas que ‘le roi Pépin et la reine Berthe, son épouse,
résidèrent à Herstal, jadis célèbre palais des ducs de Lotharingie et de
Brabant, dont on dit qu’il fut la capitale du Brabant’ » (A. Joris). Notre
moine de l’abbaye d’Affighem n’est probablement pas plus honnête que le moine Eberhard
dont le Codex est dans le Guiness comme le top de la contrefaçon jamais réalisés dans un atelier
unique au Moyen Age…Et la mention ‘actum
haristalio palatio publicum in dei nomine. Amen’ ne vaut probablement pas plus que le
parchemin sur lequel elle a été écrite.
Faire des fouilles pour retrouver des traces du palais carolingien de Herstal ?
Pl. St. Lambert Fouilles 1907 ill. C. Warzée |
Je ne sais pas où l’on en est avec cette
scénographie d’un espace Charlemagne. Mais on pourrait la construire autour
d’une démystification de ce culte Charlemagne. Développer un certain sens
d’esprit critique est important et dépasse largement le sujet ‘Charlemagne’.
J’espère surtout que ce texte convaincra tout
un chacun de l’inutilité de faire des fouilles pour retrouver des traces du palais
carolingien de Herstal. Dans le meilleur des cas on pourrait retrouver une
couche de terres noires, une couche de terreau qui sépare presque partout la
ville antique de la ville du Moyen Âge. Ces terres noires confirment la thèse
de Pirenne d’une rupture violente entre Antiquité et Moyen Âge, avec une
reprise de la nature sur l’urbain (jardinage, abandon). On a commencé à faire
attention à ces terres noires en 1980, à Londres. Avant,
ces terres noires étaient généralement évacuées à la pelle
mécanique. Depuis
que les archéologues sont attentifs à ça, a retrouvé cette couche de dark earth
un peu partout, à Tours ou à Lyon (THÈSE
SORBONNE Quentin BORDERIE octobre 2011
p.29-30). On aurait même retrouvé des couches similaires
en dessous de l'esplanade Saint-Léonard (Chronique de l'Archéologie wallonne, 13, Namur, 2006, p. 124-127)
Villa Romaine Pl. St. Lambert ill. C. Warzée |
Mais c’est un peu maigre pour rêver d’un Archéoforum à Herstal autour d’une couche
de terreau! Même si avec la
participation active des vers de terre à l’enfouissement des vestiges, nous
sommes chez le grand Darwin qui en a
fait l’objet de sa dernière publication en 1881.
Contentons-nous de la pierre sur laquelle
Charlemagne s’est assis, derrière notre petit musée. Un tiens vaut mieux que
deux ‘tu l’auras’ !
Et mettons un peu plus en avant notre chapelle
Orémus. Mais cela fera partie d’un prochain blog. Personne ne nous contestera Pépin
de Herstal !
Sources
http://citeres.univ-tours.fr/doc/lat/pecada/F2_15.pdf
Herstal avant l’an mil http://books.google.be/books/about/Herstal_avant_l_an_mil.html?id=0CJMHAAACAAJ&redir_esc=y
catalogue de l’exposition, Maison de Lovinfosse, 11 mars-9 avril 1972, Herstal,
Commission de la culture du Syndicat d'initiative de la Commune de Herstal,
avec le concours de la Fabrique nationale Herstal, 1972 - 107 pages
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1961_num_16_1_421684_t1_0167_0000_3# F. L. Ganshof. Recherches sur les Capitulaires. Sirey, Paris, 1958, 127 p.
http://www.mgh-bibliothek.de/dokumente/a/a119368.pdf
PALAIS R OYAUX ET PRINCIERS AU MOYEN AGE
Actes du colloque international au Mans
les 6-7 et 8 octobre 1994
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