samedi 11 janvier 2014

Calatrava : d’abord artiste avant d’être architecte

Qui veut comprendre Calatrava doit commencer par ses sculptures : « Mon travail comme sculpteur est fondamental pour comprendre mon travail comme architecte.  J’essaie d’abattre les frontières entre l’architecture et la sculpture, et d’entrevoir l’architecture comme un art. »
Une bonne entrée en matière était l’expo « SANTIAGO CALATRAVA ARCHITECTE, SCULPTEUR, CÉRAMISTE » de 2010 au Curtius de Liège. Des dessins, sculptures, mobiles, mobiliers, maquettes, céramiques etc.   
Cette expo suivait l’expo Sculpture into Architecture’  au Moma en 1993 qui était en quelque sorte la consécration de Calatrava en tant qu’artiste. C’était la première fois que le Moma invitait un artiste avec un tel profil, à cheval entre architecture et sculpture.
Cliquez ici pour "Calatrava Sculptures in Movement" Images pris lors de l’expo au  Palazzo strozzi à Florence (2000)
On pouvait y découvrir un torse d’homme se tournant (un "torse tors", en somme),  une colonne tordue en neuf tronçons, qui est devenue l’étonnante - et non moins torse - tour suédoise à Malmö, achevée en 2005.
entrée métro Alameda
On pouvait y voir aussi plusieurs sculptures mobiles, des grands carrés (1,83x1,83m) traversés de deux courbes, qui ondoient et murmurent. Il a intégré l’idée de mouvement dans plusieurs de ses bâtiments. Un de ses premiers projets a été l'entrepôt de Coesfeld (1983-85), où les portes se replient pour former des auvents. Son mobile le plus discret est certainement l’entrée du métro Alameda de Valence, où les structures se confondent avec le sol quand elles ne sont pas en usage.
L'hémisphère de Valence a une paupière gigantesque qui s'ouvre et se ferme. Au Musée d'Art de Milwaukee un immense pare-soleil suggère l'envol d'un oiseau.
Cliquez ici pour  "Wave" Sculpture by Santiago Calatrava at SMU in Dallas
Et si on l’avait laissé faire, le  Reichstag à Berlin aurait eu une coupole mobile. Calatrava a été très déçu d’être écarté et a accusé – à juste titre - Norman Foster de plagiat quand l’architecte britannique a été obligé par Helmut Kohl d’ajouter un dôme vitré dans son projet gagnant.
Pour ses ponts, il abandonne souvent le principe de symétrie au profit d'une composition dynamique. Ses ponts à arche inclinée, comme à Liège suggèrent un mouvement en suspens plutôt qu’une structure fixe et
Pont Alamillo Seville
stable. Le pylône incliné du pont Alamillo de Séville équilibre par son seul poids la traction exercée par le tablier sur les haubans
Le BBC avait présenté – à juste titre - sa gare Liège-Guillemins comme “his latest sculpture”. C’est du Magritte: ceci n’est pas une gare, c’est une œuvre d’art! Il le dit lui-même: "Quand vous êtes à l’intérieur de la gare, vous ne regardez plus la forme, vous êtes dans l’espace, vous avez pénétré la sculpture." 
Ses ponts et bâtiments aux formes courbes, complexes et aériennes sont avant tout des sculptures géantes.
Calatrava ground zero NY
Il présente sa maquette pour Ground Zero comme une «architecture-sculpture. Parce qu'aucun mur ne vient la fermer, cette structure définit une osmose très sensible entre la gare et la cité... Il n'y a plus de façade, ce qui est, à mon sens, une transgression fondamentale».
Il faut donc d’abord voir Calatrava comme un artiste-sculpteur. Le citymarketing a permis à l’ingénieur Calatrava  de gagner royalement sa vie en réalisant des sculptures sous forme de bâtiments.
Pour comprendre sa démarche il y a aussi le film ‘CALATRAVA - Dieu ne joue pas aux dés’ réalisé en 2000 par Catherine Adda. Ce film a eu le prix du jury au Festival du film d'art de Montréal et prix de la meilleure réalisation au MIPA (Muestra Internacional de patrimonio arquitectonico) de Madrid en 2001. Le film effectue un aller-retour entre les édifices construits et les entretiens avec l'artiste. L'architecte explique son "architecture organique". La main de l'architecte trace les croquis, les dessins qui servent de point de départ à l'ouvrage. Tous sont liés à l'observation du corps humain ou à celle de la nature, arbres ou feuilles : des halls comme des forêts, des ponts comme des bras tendus, des arches comme des corps en extension, des toits qui s'ouvrent et se ferment tels des fleurs. Comme un enfant, il tente de donner un équilibre à de petites formes en bois sculptées et sourit devant l'équilibre enfin trouvé. Calatrava se réfère au vivant pour imaginer des structures spatiales et abstraites.
La même REALISATRICE a fait un film sur sagare de Saint-Exupéry TGV (Gare de Satolas). Le film s’appelle à juste titre « un monument à la campagne ». Certains voient dans cette gare une immense raie manta qui flâne nonchalamment dans le ciel ou encore un oiseau qui couve et protège de ses immenses ailes les voyageurs. Mais, pour Calatrava, c’est unœil : «et cela est important, parce que si Raphael n’avait pas eu de bras, il ne serait jamais devenu peintre mais il aurait fait un bon architecte parce que celui-ci travaille avec l’œil ».
Et puis, pour justifier la non-fonctionnalité, un argument écologique fait toujours l’affaire : «  L’aile est tourné vers le sud et l’angle du toit est déterminé par l’inclination du soleil lors du solstice afin de na pas pénétrer à l’intérieur entre juin et Novembre afin de limiter les dépenses pour la clim ».
Ceci dit, si cette gare se trouve à la campagne, ce n’est pas à cause de Calatrava ; c’est la SNCF qui implante par défaut ses gares TGV à dix-vingt kilomètres des centre-villes. La ville qui veut sa gare TGV au cœur de l’agglomération, comme Lille, doit prendre en charge les surcoûts…

La continuation naturelle de celui de Gaudí 

Dürer Saint Jérôme- memento mori
Comme il se définit comme artiste, quelles sont ses sources d’inspiration ? Lorsque la BBC lui demande de faire un film sur son architecture préféré, il a choisi la crypte de la Sagrada Familia de Gaudi. Et en fait c’est la seule référence que j’ai retrouvé dans ses nombreuses interviews. Calatrava admet, “en toute modestie, que mon œuvre est la continuation naturelle de celui de Gaudí”.  Pour Gaudi,  le procès de béatification est en cours. Calatrava aussi se dit complètement désintéressé des pièges matériels du succès :  'I just design to get things right'.
Lors d’une expo au Royal Institute of British Architects il avait mis un petit squelette de chien à côté du projet pour Valencia, pour montrer son intérêt pour les structures naturelles. Et aussi – sans prétention – un mémento mori ?
Et comme Gaudí, il utilise des trencadís, cette mosaïque traditionnelle de carreaux cassés, mais en monocouleur. Seulement, les trencadis de Calatrava tiennent moins bien et les surfaces de Gaudi sont plus difficiles à reparer que les bancs de Gaudi dans le parc Guel…
Son architecture organique reprend des formes trouvées dans la nature, comme Gaudi.
Sagrada familia Gaudi
Ils ont en commun aussi le goût pour les recherches statiques et formelles, enraciné dans le passé des constructeurs de cathédrales. Gaudi a mené une lutte titanesque pour le perfectionnement d’un procédé constructif en pierre... à l’époque de l’avènement du béton. Calatrava développe la même démarche en poussant l’acier et le béton à leurs limites physiques. Par le moyen de la statique, Gaudi teste ses arcs
Mallorca - sculpture Calatrava
paraboliques qui transmettent mieux les poussées que les arcs en plein cintre ou en ogive appuyés sur des piliers. Il équilibre la structure, sans avoir recours à des arcs-boutants, des contreforts et des pinacles, et il supprime ainsi ces trois éléments dans la dernière version de la Sagrada Familia. On retrouve les mêmes arcs chez Calatrava, mais en acier et en béton.
Gaudí ‘calcule’ ses arcs en suspendant des chaînes avec des petits poids. Certaines des Sculptectures de Calatrava sont soutenues par de fins fils et pointes d’acier. Il les a transformées en sculptures géantes comme à Mallorque
On retrouve les piliers sous forme de squelette de Gaudí dans les schémas de Calatrava de 1991 pour la
Saint John - NY - projet Calatrava
Cathedral Church of St. John the Divine.
Donc comme Gaudi Calatrava teste ses idées dans des sculptures et trace à main levé des esquisses. Attention : Gaudi a une formation solide d’architecte. Et Calatrava aussi est et il pense comme mathématicien et ingénieur : sa thèse de doctorat a porté sur «l'aptitude au pliage de cadres de l'espace". C’est un sujet très abstrait.
La seule autre référence que Calatrava cite lui-même est Eugène Freyssinet  « qui a inventé la précontrainte de micro-béton pour faire des ailes d’avions.  Il n’y est probablement jamais arrivé, mais il a travaillé sur le problème.  Dans les années '20 et '30 les gens osaient et espéraient beaucoup de ce matériau ».
Finsterlin maison de verre
Calatrava reste en dessous de la réalité: ces ailes ont volé, sous la forme d’une bombe volante, il est vrai !
Bien sûr, certains vont lui trouver d’autres sources d’inspiration. Voici par exemple la maison de verre de l’expressioniste Hermann Finsterlin, de 1924. Il y aurait matière à faire un procès pour copiage à Calatrava…
D’autres trouvent que le Federal Science Pavilion de Minoru Yamasaki à la Seattle World's Fair se retrouve à peine modifié dans plusieurs projets de Calatrava. Les nervures radiales en béton et les arcs paraboliques viennent de Pier Luigi Nervi.  
D’autres citent encore Brancusi.

Un design facilement reconnaissable pour construire une image de marque

L’ideologie (et le business) du ‘branding’, la création de son image de marque, a poussé Calatrava vers un design facilement reconnaissable et traçable.
Certains trouvent  ses projets ennuyeux et repetitifs. N’exagerons pas : Mies van der Rohe disait déjà qu’on ne devait pas réinventer chaque lundi matin une nouvelle architecture. Les arcs et le style de Calatrava sont
Pfalzkeller Gallery: copie Calatrava?
effectivement très reconnaissables. Ceci dit, en me promenant dans les jardins de la Turia, j’avais affecté plusieurs ponts à Calatrava qui n’étaient pas de lui. On le copie aussi. Pfalzkeller Gallery
Et il se copie lui-même : les parallèles entre Milwaukee et WTC transportation hub, entre les operas de Tenerife et Valencia sont flagrants.
Mais je trouve que tout en visant un ‘branding’, Calatrava montre quand même une grande créativité qui continue à m’épater.

Un artiste qui réussit des prouesses technologiques

Milwaukee museum
Calatrava ne fournit pas des plans finis ; souvent c’est une esquisse artistique. Mais il sait ce qu’il veut et c’est basé sur des solides connaissances technologiques. Un témoignage des ingénieurs de Milwaukee est édifiant. Les gestionnaires du  musée de Milwaukee voulaient plus de visibilité. Ils étaient un peu radins et cherchaient une étoile montante qui n’était pas encore à son zénith. Ce n’est donc pas qu’ils voulaient à tout prix Calatrava: ils ont analysé 73 propositions. Calatrava leur a fait un brise soleil, parfaitement inutile, mais spectaculaire.
Le rapport des ingénieurs de Milwaukee qui ont réalisé la structure est édifiant pour la manière de travailler de Calatrava. C’est un artiste, pas un ingénieur : "il faisait des esquisses et aquarelles lourdement tracées au crayon qui nous  évoquaient l’esprit de la situation qu’il souhaitait. Nous devrions lire entre les lignes et essayer de traduire cela en plans de construction." John Kissinger, de la firme Graef & Associates, dit que les ingénieurs de Calatrava fournissaient des "calculs à la grosse louche." 25% de la capacité informatique du bureau Kahler - 130 personnes - a travaillé sur ces dessins pleins de courbes et des formes organiques inaccoutumées pour la plupart de nos architectes. Pour Dick Poklar de Super Sky International, le sol "est pratiquement la seule chose qui est droite." Le verre a été fabriqué en Espagne parce qu’on ne trouvait pas de fournisseur aux Etats Unis. La pièce-clé du brise soleil était le mât. "Calatrava essayait continuellement à réduire les structures en béton pour ce mât. Il essayait d’aller aussi loin que possible structurellement avec cet élément, sachant que ça allait marcher. Il comprenait jusqu’où il pouvait aller avec le béton, et cela était toujours plus loin que la plupart des ingénieurs croyaient possible."
Calatrava a expliqué devant les étudiants du MIT qu’il s’est inspiré beaucoup d’Eugène Freyssinet qui a fait des ailes d’avion en béton. BREGUET a fait voler un engin avec des ailes en béton précontraint (en fait une bombe planante, le Breguet 910, qui devait pouvoir être chargé d’une tonne de mélinite). 
Comme son précurseur Freyssinet, Calatrava maitrise ses matériaux et cherche effectivement à atteindre les limites du techniquement possible.
Calatrava a fait des ponts spectaculaires. Mais il n’est pas le premier à avoir expérimenté avec les arcs
Royal Albert Bridge
soutenant un pont. Le Royal Albert Bridge en Cornouailles de 1859 a un modèle unique avec ses deux travées formant deux lentilles juxtaposées. On a construit des ponts avec un arc par-dessus, avec le tablier suspendu à l’arc ;  les ponts en arc par-dessous, avec le tablier porté par l’arc ; les ponts bow-string. Mais je crois que Calatrava est le premier à voir incliné l’arc de manière non symétrique. C’est l’œuf de Colombe : il n’y a aucune loi de la gravité qui dit qu’un arc doit être à la verticale. C’est certes un peu plus difficile à exécuter, mais c’est surtout de la matière grise : un travail de calcul. Selon Calatrava, le surprix est en dessous de 10%...

La beauté des sculptures géantes de Calatrava est intimement liée à sa maitrise de ses matériaux préférés: l’acier et son béton blanc
Lors d’une conférence au MIT il explique que « pour l’architecture, les matériaux sont fondamentaux.  Celui qui veut saisir l’architecture doit comprendre ce que c’est le béton, l’acier. Comment le mettre en œuvre, quelles formes peut-on créer?  Peut-on passer d’une forme à l’autre utilisant le même matériau?  L’évolution de la technologie de l’acier n’est pas tellement liée à la qualité, mais à la manière d’assembler». 
Les bâtiments de Calatrava ne sont pas pensables sans l’acier coupé au laser par ordinateur. L'arche métallique de son pont à Dublin a été cintrée à froid sur la plus grande presse hydraulique ouverte horizontale au monde. Ces cintres ont été réalisés à partir de tubes de 368 mm d’épaisseur et de diamètres différents. A cause de la courbure en trois dimensions des cintres sur des axes multiples ont été nécessaires. Le soudage final a été réalisé par le chantier naval Harland&Wolff de Belfast (les chantiers du Titanic). Le tablier a été fait à Rotterdam et amené par mer, en une pièce, à Dublin). Pour les Guillemins aussi on a fabriqué la charpente à La Corogne, en Galice, à 60 kilomètres de Saint-Jacques de Compostelle. Javier Wirtz, le directeur technique, pourtant  rompu aux fastidieuses complications techniques de l'architecte catalan, trouve
que c'était l'oeuvre la plus compliquée de Calatrava. Pourtant, à La Corogne, ils avaient déjà fait la partie métallique de la gare de Lisbonne, de la Cité des sciences de Valence, de Malmö. Rien à voir avec la production standardisée des énormes piles pour éoliennes effectuée dans le hall contigu. Il faut traduire le dessin de la charpente de Calatrava - une véritable sculpture - en milliers de pièces métalliques, à l'image des artisans employés par Gaudi.  On a apporté les 10.000 tonnes de structures métalliques en Cité ardente via le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, en sens inverse.
Calatrava arrive à résoudre de défis techniques ardus. On a construit la coiffe des Guillemins sans interrompre le trafic ferroviaire. Il est vrai que c’est le liégeois Greisch qui a fait les calculs, mais c’est quand même le bureau Calatrava qui supervisait tout. Une trentaine d'ouvriers galiciens ont assemblé les 39 arcs - 3.600 tonnes - au-dessus du premier quai, puis poussés par d'énormes vérins sur des palées de glissement en téflon .
puente Alameda (peineta) Valencia
Pour le pont Alameda à Valencia, le problème était de construire le pont avec en même temps une gare de métro en dessous. Il a construit le pont à côté et l’a poussé au dessus de la gare, comme aux Guillemins. Là aussi, il « voulait l’arc du pont comme une grande sculpture dans la ville.  Et la gare du métro a un éclairage naturel via des canons de lumière et ses carreaux en cristal ».
Il utilise l’acier d’une nouvelle manière, en se servant de technologies nouvelles. Son béton blanc aussi est une image de marque. Pour la gare des Guillemins, une centrale à béton lui a été réservée pour garantir la pureté du blanc. Et en effet, si on compare le gris de la gare d’Oriente à Lisbonne de
Gare Oriente Lisbonne
1993 
avec le blanc des Guillemins, il y a incontestablement un plus esthétique. Pour la gare de Satolas aussi il a exigé ce béton blanc fait avec du ciment blanc, un gravier clair et un sable légèrement gris. Pour l’Auditorium de Ténérife, il aurait fallu transporter depuis la Péninsule les matériaux pour son béton. Alors il a choisi pour des trencadis blancs.Comparons avec l’attitude de Le Corbusier, très déçu du béton brut de sa Cité Radieuse à Marseille. Corbu a résolu le problème en construisant toute une théorie sur les charmes du béton ‘brut de décoffrage’. Autrement dit, il a contourné la difficulté avec des belles phrases…

Rejet du fonctionnalisme

Calatrava rejette le fonctionnalisme qui a regné en maître jusqu’aux sixties.. En architecture, le fonctionnalisme est un principe selon lequel la forme des bâtiments doit être exclusivement l'expression de leur usage. La forme suit la fonction : la taille d’un bâtiment, sa masse, sa grammaire spatiale et toutes les autres caractéristiques de son apparence doivent dériver uniquement de sa fonction. Si les tous les aspects fonctionnels sont respectés, la beauté architecturale en découlera naturellement et nécessairement. Le Corbusier et de l’Allemand Ludwig Mies van der Rohe se disaient fonctionnalistes, Le Corbusier parla de « machines à habiter ».
La gare des Guillemins précédente, faite par le groupe EGAU pour l’Expo de 58, était un bel exemple de fonctionnalisme. La gare de Calatrava est le contraire. C’est une œuvre d’art, pas une gare.
Ses préférences pour les effets de bravoure au dépens de la fonction se montrent dans la disparité entre la superstructure extravagant de Miwaukee qui couvre juste un petit lobby, et les galeries d’exposition dans la boite en béton en dessous, comme une arrière pensée ennuyeuse....
Au Musée des sciences Prince Philippe à Valence on a l’impression qu’on a réfléchi à ce qu’on allait exposer après la réception du bâtiment. Les volumes vides sont énormes. A l’extérieur on dirait deux tremplins avec une galerie non couverte qui ne sert à rien puisque l’accès est bloqué.
La pureté de l’œil du planétarium est obtenue en poussant les visiteurs au sous-sol dans un couloir bas et déprimant avec un éclairage artificiel.
Guggenheim NY
Que ce soit à Milwaukee ou à Valence, il esquive deux défis importants pour un architecte qui veut faire un musée: comment accueillir le mieux dans ce type d'espace une exposition : grande ou petite, ouverte ou fermée, au plafond bas ou élevé, éclairé artificiellement ou naturellement. Cette architecture est un recul par rapport aux concepts innovants du Kroller-Müller de Henry van de Velde ou du Guggenheim à New York.
Les 147 appartements Turning Torso ont tous des fenêtres inclinées et des murs courbes. Il n’y a presque pas de pièces rectangulaires. Les livings sont en forme de coin, ou ont un contour en W. Certaines fenêtres de la hauteur du mur ont presque l'angle d'un pare-brise de voiture. Certains se sentent carrément désorientés en regardant vers l’extérieur.
Pour l’opéra de Valence, il y avait évidemment la nécessité de construire un grand volume pour l’auditoire.
Palau Arts (Opéra) Valencia
Pour Calatrava, cette contrainte était un peu trop rigide pour ses géométries variables. Il a alors caché cela sous une série de toits volants qui donnent au bâtiment l'aspect d'un casque de samouraï. Il justifie cela fonctionnellement par un auditorium secondaire en plein air qui fournit  2500 sièges supplémentaires à la salle principale.
On peut se demander pourquoi une gare de métro come Ground Zéro doit ressembler à un oiseau, si ce n’est pour encourage les gens à fuir ce quartier maussade de Manhattan?

Folies des grandeurs

Calatrava est frappé d‘une certaine folie des grandeurs. Son pylône del Alamillo est le point le plus haut de Séville, au-dessus de La Giralda. Son Turning Törso à Malmö est l’édifice le plus haut de la ville (et le plus coûteux de toute la Suède). Idem pour son Pont Assut de l’Or, pour les 610 mètres de la Chicago Spire...
A Oviedo il a néanmoins dû abandonner ses trois tours de 133 mètres; l’UNESCO avait menacé de retirer la ville de la liste du Patrimoine Mondial. ALiège aussi il a dû abandonner son opposition à la construction d’une tour de 27 étages, 118 mètres de haut, à 400 mètres de ‘sa’ gare. Infrabel a croisé le fer devant le conseil d’Etat qui a jugé que rien ne démontre que l’érection de la tour nuirait à la mission de la SNCB qui est de « construire des gares et leurs dépendances en dotant celles-ci d’une forte visibilité. »

Des dépassement des budgets et malfaçons

Calatrava a accumulé une liste inhabituellement longue de projets marqués par des dépassements de coûts, des retards et des litiges. Attention : avec ça aussi il est à 100% dans les pas de Gaudi qui a vidé complètement les caisses de la fabrique d’église du Sagrada Familia, tout en laissant un bâtiment inachevé…
Guillemins
Commençons avec les Guillemins dont le coût a triplé en dix ans (dont sept de retard sur le calendrier prévisionnel) et a atteint 312 millions d'euros (437 avec les travaux liés aux infrastructures ferroviaires) soit le prix d'un airbus A380.
En 2007, l’architecte a débuté à Rome le chantier de la Cité du sport, un projet composé de deux voiles jumelles et d’une tour, destinée à accueillir en 2009 les Championnats du monde de natation. L’impossibilité de terminer les travaux à temps pour la compétition fut bientôt évidente tandis que les coûts du projet augmentaient de plus en plus. En juillet 2012 un bloggeur curieux retrouve le site abandonné: »ce que nous appelions d’un nom charmant "piscine de Calatrava » était , en fait une des deux voiles conçues pour les Championnats du monde de
Rome- piscine inachevée
natation 2009 à Rome. Le bâtiment aurait dû fermer  un boulevard qui référait au Circus Maximus. La compétition a dû s’organiser au  Foro Italico et à d'autres piscines construites à la hâte, certaines creusées dans des courts de tennis. On a essayé de relancer le bâtiment de Calatrava à l’occasion de la candidature de Rome pour les jeux Olympiques de 2020. Mais la crise financière mondiale est intervenue, et fin 2011 Mario Monti torpillé la candidature olympique de Rome en refusant le soutien de l'Etat ,
Le journal la Repubblica l’appelle "une cathédrale dans le désert », «l’emblème de la défaite ».
A Haarlemmermeer, ses trois ponts ont coûté deux fois le montant prévu au budget et des millions d'autres dans l'entretien depuis leur ouverture en 2004.
La nouvelle gare à Ground zero devrait ouvrir en 2015, mais est déjà six ans en retard et coûtera 4 milliards de dollars, deux fois le budget initial. Plusieurs personnes impliquées dans la construction de cette gare au World Trade Center ont déclaré que les dessins de M. Calatrava étaient problématiques, extrêmement difficiles à réaliser. L’architecte a exigé de caser tous les éléments mécaniques de la gare, comme la ventilation, dans les bâtiments environnants ce qui a compliqué la construction et a causé des efforts de coordination démesurés.
A Valencia, on se rend compte le 8 janvier 2014 qu’il faut remplacer tous carreaux de céramique (trencadis) qui couvrent le Palau de les Arts Reina Sofia: trois millions d'euros, dont 1,1 millions déjà dépensés pour des réparations d'urgence en décembre 2013. Selon le ministre de l'Economie Max Buch 60 % de la surface est affecté. La surface gonfle et il faut démonter entièrement les trencadis avant le prochain spectacle du 23 février. L'annulation de " Manon Lescaut " en décembre a déjà coûté 623.000 €. Calatrava a proposé une solution " à l'amiable " pour ce problème. De ses quatre salles, une ne sera jamais ouverte. Dans la grande salle on a dû retirer 200 places pour manque de visibilité. En 2005 on a déjà postposé le vernissage mais malgré ça  le mécanisme qui déplace la plate-forme de la scène est tombé en panne lors de l’ouverture postposée en 2006. Et puis, en dessous du bâtiment il y a les fondations d’un énorme mât de télécommunications qui a été abandonné. «C'est comme construire une cathédrale sur les fondations d'une autre, comme on l'a souvent fait dans le passé», a réagi Calatrava. Vu comme ça...
Oviedo palais congrès
Durant la construction du Palais des congrès d'Oviedo, en 2006, le toit s'est effondré et l'architecte a été condamné à payer 3,5 millions d'euros à l'assureur. A l’entrée de ce palais il y a un genre de grand  viseur mécanique, mobile, qui n’a jamais bougé suite à des problèmes hydrauliques.
Santiago Calatrava n’a pas été capable de réparer en 12 ans un toit qui fuite, selon Domecq, propriétaire des celliers d’Ysios en Rioja. Il demande au tribunal €2 millions pour remettre un nouveau toit au-dessus du toit ondulant. Il veut un autre architecte ; il ne veut plus que Calatrava s’en occupe. 
Cellier Ysios
A Bilbao, Aena, l'autorité aéroportuaire espagnole, trouve qu’il est  difficile d’augmenter la capacité du terminal, parce que le concept est trop fermé. Ca ils auraient pu le savoir depuis le début. Aena a dû modifier en 2005-2006 la zone des arrivées: après le dédouanement, le passagers se trouvaient directement à l'extérieur, exposés aux éléments. Aena a dû construire – à ses frais - un abri en verre pour remédier à ce problème. Calatrava a justifié son projet en invoquant l'existence d’une galerie d'observation au-dessus de la zone de récupération des bagages.
A Reggio Emilia, Santiago Calatrava a construit une gare TGV (train à grande vitesse) avec un toit tout en ondes. Très aquatique, en effet ! On aurait pu deviner. Le jour après l’inauguration du 8 juin 2013, était un jour pluvieux. Voyons, une gare n’est pas faite pour ça… L’eau s’est infiltré sur les premiers passagers. Selon le 'Ferrovie dello Stato', l’entreprise qui gère la gare, la pose de l’imperméabilisation n’était pas encore terminée et le problème serait incessamment résolu.

Les planchers en carreaux de cristal

Un de ses dada est ses carreaux en cristal qu’il utilise un peu partout, aussi aux Guillemins. Attention : Calatrava n’invente rien. Le Val Saint Lambert en fabriquait dans les années 30 et était d’ailleurs un des plus gros annonceurs du journal d’architecture L’Equerre. Le grand hall des piscines de la Sauvenière était magnifiquement éclairé par une grande verrière en béton translucide réalisé par les cristalleries du Val‑Saint‑Lambert. Apparemment, cette verrière posait les mêmes problèmes d’étanchéité qu’à Calatrava, puisque mon ami Louis Vaesen qui a travaillé à l’entretien de ce bâtiment croyait que le toit était en roofing. On a simplement résolu les problèmes d’étanchéité  en posant un roofing.
Le tablier du pont de Zubi Zuri à Bilbao aussi est habillé d'un verre translucide très voyant quand il est illuminé durant la nuit. Mais le revêtement est hautement glissant dès qu'il pleut, soit 180 jours par an au pays basque. La mairie a placé une sorte de tapis durant les mois les plus pluvieux. Mais ainsi on perd l’un des principaux attraits du pont, ces dalles illuminées. En plus, la réparation de ces dalles en cristal  coûte à Bilbao 6.000 € par an.
Le majeur de Bilbao, Iñaki Azkuna, declarait "qu’il avait marre de la dictature de Calatrava." Il y a de quoi. En 2006, le prestigieux architecte japonais Arata Isozaki avait construit un nouvel ensemble près du  Zubi Zuri. La mairie avait demandeé de construire une passerelle reliée au pont de Calatrava ce qui nécessita le retrait d’une section de parapet.  Calatrava a engagé une action en
Zubi Zurri tapissé
justice pour  atteinte à son droit moral à l’intégrité de son œuvre. Il a exigé la remise du pont dans son état original, la démolition de la passerelle, et 250 000 euros pour préjudice moral. Subsidiairement, si le pont ne pouvait pas être remis en état, il réclamait 3 millions d’euros de dommages et intérêts. La Mairie de Bilbao a dû casquer 30.000 euros pour calmer les dommages moraux occasionnés à l’Artiste. Calatrava a donné les 30.000€ à des oeuvres caritatives.
Son pont de la Constitution à Venise  a été inauguré le 11 septembre 2008 à 23h44... pour éviter les manifestations des opposants après des années de travaux s'étirant en longueur (le projet avait été lancé en 1999, alors que le pont antique du Rialto a été construit en deux ans, il y a plus de quatre siècles). Les marches du pont de profondeur variable
Venise pont de la Constitution
causent de nombreuses chutes de la part de ses utilisateurs tentés de regarder la vue qu'il offre sur Venise lorsqu'on l'emprunte. Comme les volées des marches ne sont pas régulières, on en manque une et l'on tombe. Les saillies des marches en verre se cassent très facilement sous l’impact des valises des touristes qui traversent le Grand Canal. On a alors interdit des valises ou autres chariots à roulettes avec un poids supérieur à 20 kilos et/ou d'un mètre cube maximum. Il suffisait d’y penser… Changer une seule marche coûte entre 4 et 7.000€. Les deux grandes plaques centrales ont été remplacées par des feuilles d’acier antidérapant. Ces réaménagements ont coûté 90.000€ à Venise.
Pour les handicapés le vaporetto
Certains l’appellent le pont “va et vient” : la base du pont et le pont lui-même bougent anormalement, au-delà des tolérances habituelles.  Ce qui signifie qu'il est sous surveillance permanente, avec à la clef une dépense annuelle de manutention et contrôle qui se compte en centaines de milliers d'euros.
Il est vrai que tout ce qui se prévaut à Venise d'un début d'autorité avait tout fait pour modifier le projet initial. Le projet a malgré tout résisté, mais au prix de modifications qui ont plombé sa facture : d'un devis initial de 4,50 millions €, il coûte aujourd'hui 20 millions d'euros. Le plus épineux a été l'installation d'une nacelle pour handicapés. Le projet initial n'en comportait pas. Calatrava avait jugé qu'elle était inutile, les vaporetti acheminant sans encombre fauteuils et chaises roulantes entre les parkings et la gare. C'était mal connaître les diverses associations qui exigent des structures spécifiques pour tout projet financé par l'État. On a installé une nacelle. Selon le directeur de la revue Mobilità, il faut dix-sept minutes à cette nacelle pour franchir le pont. Je suppose que les handicapés prennent quand même les vaporetti…
Pour en terminer avec ces carreaux translucides, cela devient obsessionnel dans le projet de gare pour Ground Zero où la lumière du jour est censée arriver par un toit translucide, en traversant plusieurs niveaux de ses carreaux en cristal semi-transparents pour atteindre des quais du métro. Un journaliste américain conclut naïvement: « dans l’Europe de Calatrava, où les municipalités entretiennent bien l’infrastructure, cela pourrait marcher. Mais à Manhattan crasseux où la norme est la maintenance postposée, on peut en douter ».
Voilà un petit bilan des douze travaux de Calatrava. Attention : j’ai personnalisé un peu le problème, mais les premiers à blâmer sont les gens et les institutions qui l’ont engagé.  Concernant Valencia il a pu déclarer sans mentir qu’il a eu à faire “à cinq gouverneurs différents et que personne n’a mis en cause le projet. Je suis sûr que les gens sont heureux ».
Je n’ai pas abordé les problèmes urbanistiques. J’ai abordé un peu les problèmes urbanistiques de la Turia et du huerta de Valencia dans mon blog (en néerlandais http://huberthedebouw.blogspot.be/2013/12/de-turia-een-groene-stroom-door-valencia.html). Ca mérite sûrement un approfondissement, mais ça dépasse largement l’individu Calatrava. Ce que je compte encore faire à la première occasion est un blog à part sur sa gare à Liège Guillemins…

L'Espagne aussi a son affaire Depardieu.

Le 10 décembre 2012 l’Espagne a appris, effaré, que Calatrava avait transféré sa société d'investissement Calatrava &Family Investments et son portefeuille de 31,7 millions d'euros à Zurich. Calatrava a construit une partie importante de sa fortune grâce à des grands projets réalisés en Espagne durant le boom de la construction. Après avoir fermé en 2004 le bureau de Paris qu'il avait ouvert alors qu'il travaillait sur la gare TGV de Lyon-Saint-Exupéry, Santiago Calatrava a fermé l'an dernier celui de Valence la ville où il est né. Malgré ces critiques et l'exil fiscal de M. Calatrava, le Forum des marques de renom espagnoles n'envisage pas de le destituer de son titre d'"ambassadeur honorifique" de la marque España.

Sources

mon blog « Le city marketing a mis Valence sur la carte du monde... des villes les plus endettées »
en néerlandais- in het nederlands
sur Gaudi


1 commentaire:

Sesame a dit…

Les Guillemins à Liège : une gare sans sièges sur les quais, pour attendre les trains dans les courants d'air, sans coupe-vent pour l'hiver... avec quelques trop rares sièges autour des colonnes dans le hall, d'où on ne voit pas les écrans qui donnent l'heure et les arrivées / retards des trains !!!
Pas d'espace prévus pour garer les vélos, et il a fait enlever les racks à vélo ajoutés après coup en vertu d'un droit d'image imposé à ses "clients"... Tout pour le coup d'oeil et rien pour le premier rôle d'une gare : accueillir confortablement les voyageurs. Euh, Calatrava : il a déjà pris le train et attendu une correspondance ??? A mon avis, non !!!