En
1424 l'évêque Jean de Heinsberg édicte son « Nouveau Régiment» qui
remplace l'élection directe des maîtres de la Cité. Un fameux recul
démocratique : le ‘Régiment’ était une élection à trois degrés, et, comme
si ça ne suffisait pas, le prince-évêque pouvait nommer un tiers des
commissaires-électeurs. S’il ose sortir son Nouveau Régiment, c’est parce qu’il
se sentait fort : en 1421 il avait signé un Traité secret d'alliance avec le
duc de Bourgogne. Ce Régiment est la fin
de la révolte des Hédroits qui avait commencé en 1395. Il met le feu aux poudres d’une nouvelle révolte, parfois appelé – à tort
– le complot des Dathin. Le prince-évêque arrive assez facilement à la mater
dans le sang. Pas pour longtemps néanmoins : en 1458, les citains de Liège
refusent l’autorité de leur prince Louis de Bourbon. Celui-ci est remis sur le
trône par les mêmes bourguignons. Cette révolte mènera au sac de Liège en 1468.
Un des opposants les
plus en vue de ce ‘Nouveau Régiment’ était Watier Dathin. Mais Watier assurait
mal ses arrières : en 1429 le métier des fèvres conteste une condamnation
d’un tribunal présidé par Watier Dathin et le Prince- évêque profite de cet
incident pour exiler les Dathin.
Le prince joue sur les contradictions au sein du peuple. Il
avait signé une alliance secrète avec le duc duc de Bourgogne Philippe le Bon,
qui organise en 1430 une série d’incidents aux frontières liégeoises à partir
du comté de Namur qu’il venait d’ acheter. Les Liégeois obligent Jean de
Heinsberg de déclarer la guerre au duc de Bourgogne. Le Prince Evêque accepte
mais joue double jeu. Il ‘perd’ cette guerre et en 1431 le traité de Malines impose
un lourd tribut de 150.000 nobles aux Liégeois.
Guillaume, fils de Watier Dathin, arrive à remobiliser ses troupes contre ce
traité et contre le Nouveau Régiment. Les métiers réinstaurent l’élection
directe des maîtres. Guillaume Dathin
est élu. Jean de Heinsberg doit quitter sa capitale. Mais une fraction des
Métiers lui reste dévouée et arrive à battre la fraction des Dathin en
janvier 1433.
Si la révolte des Dathin se joue principalement à Liège et à
Montegnée, elle concerne aussi Herstal: en
1435 le chanoine Lambert Dathin qui avait essayé d'intéresser le concile de
Bâle au sort réservé à sa famille exilée, est assassiné et jeté dans un puits
de mine abandonné au Bernalmont. Et le commanditaire est nommé bailli de Herstal (*), comme récompense pour services rendus au Prince-éveque et au
duc de Bourgogne.
Le Nouveau Régiment de Heinsberg
La
révolte des Hédroits avait commencé en 1395. Cette révolte avait duré dix ans, si on
compte jusqu’à la défaite du peuple à Othée, en 1404, voire 23 ans si on compte
jusqu’à la démission du prince évêque Jean
de Bavière en 1418. En 1424 l'évêque Jean de Heinsberg sent que le moment est
propice pour édicter son « Nouveau
Régiment de Heinsberg » où l'élection directe des maîtres de la
Cité était remplacée par une élection à trois degrés, où un tiers des
commissaires-électeurs étaient à sa nomination, autant vaut dire à sa dévotion.
S’il ose sortir son Nouveau Régiment c’est
parce qu’il se sentait fort : en 1421 il avait signé un Traité secret
d'alliance avec le duc de Bourgogne, contre le Dauphin de France Charles. En
1458, cinquante ans à peine après la défaite d’Othée, les citains de Liège
refuseront l’autorité de leur prince Louis de Bourbon, qui doit se retirer à
Maastricht. Celui-ci est remis sur le trône par les mêmes bourguignons Philippe
le Bon et son fils Charles le Téméraire. Cette révolte mènera au sac de Liège
en 1468.
Un des opposants les plus en vue de ce ‘Nouveau Régiment’ était Watier Dathin, d’une famille de houilleurs de Montegnée. Dathin
avait des bons gènes : il appartenait à une ancienne famille de Petits, et
un oncle, Piron le Robier, avait été le chef le plus actif de la révolutiondémocratique de 1384.
Comme souvent, le nom est écrit diversement dans les documents du temps :
Wathier ou Wautier Datin, Datyn, Dathin, Daltin, Datien, Dantine, Dantin,
Daultin, etc.
Watier n’était pas né de la dernière pluie. Il s’était déjà
frotté au Chapitre de Saint-Lambert en essayant d’y faire entrer son fils
Guillaume. Les chanoines avaient refusé, évoquant un bref du pape Martin V de 1426
interdisant d'y recevoir des non nobles. Watier avait appelé tous les métiers à
refuser de vendre quoi que ce soit aux tréfonciers du chapitre ; un
boycott avant la lettre !
En 1429 le Chapitre voyait une chance de se défaire de cette
tête brulée. Le métier des fèvres s’était opposé à Watier sur base d’une condamnation du tribunal des
échevins, présidé par Watier. Le Chapitre arrive à le faire exiler.
Le prince-évêque se sentait soutenu aussi par son alliance secrète
avec Philippe le Bon. Celui-ci poursuivait une stratégie visant à réunir ses « États
de par-deçà » (la Flandre ou leurs « pays bas » avec ses « États de par-delà ». Dans ce
cadre-là il avait acheté en 1430 le comté de Namur et organisé une série
d’incidents aux frontières liégeoises. Les
Liégeois obligent leur évêque à déclarer la guerre au duc de Bourgogne. Les
Échevins bannis proposent leur aide à l'expédition, et se présentent même tout
armés. L’offre est refusée. Les Liégeois ne font pas le poids face aux
Bourguignons. Ce n’est pas difficile : le Prince Evêque fait tout pour que
la campagne tourne au vinaigre en vertu de son alliance secrète. Il signe une paix défavorable (traité de Malines)
le 15 décembre 1431, payable évidemment par ses sujets.
Noble d'or Henry V |
Guillaume Dathin, fils de Watier, arrive à remobiliser ses
troupes contre ce traité et les 150.000
nobles d'amende au duc de Bourgogne. Dans la
foulée il mène campagne contre le Nouveau Régiment. Les modérés objectent
qu'ils consentiraient volontiers à l’abolition de ce Règlement, s'ils n'avaient prêté serment au prince de
maintenir les lois établies. « Qu'à
cela ne tienne, répliqua Guillaume, les Liégeois sont une nation libre qui a le
pouvoir de faire et d'abroger les lois ! ». Un bon principe de départ
qu’on devrait rappeler encore de temps en temps de nos jours….
Les métiers réinstaurent donc l’élection directe des maîtres. Guillaume Dathin est élu. Jean de Heinsberg quitte
sa capitale. Mais une fraction des Métiers lui reste dévouée, entre autres Fastré Baré Surlet (il prendra
Terril Bernalmont - photo cliketclak |
Le 5 janvier 1433, lors d’une assemblée tumultueuse des Bons
Métiers, les Dathins essayent d'obtenir le rappel de Watier. « Devant un nouveau refus, ils décident de marcher sur l'Hôtel de Ville
et se retranchent sur le Marché. Wathier Dathin n'arrive point. Ses amis
abandonnent les barricades. Les adhérents des Dathin, pris les armes à la main,
sont tués, rompus ou roués; ceux qui, blessés, s'étaient réfugiés dans leurs
maisons, sont jetés dans la rue par les fenêtres, et mis en pièces. Leurs
maisons, après avoir été pillées, sont dévastées. Une commission, où se
trouvaient des affidés du Prince, poursuit tous les Dathins sous l'inculpation
de complot, de sédition. Elle proclame bannis à perpétuité cinquante-deux
Dathins, avec leurs femmes et leurs enfants mineurs. Elle en condamne trois
cents à des amendes énormes. Les biens des bannis à perpétuité sont confisqués
au profit des Bons Métiers, qui se trouvent ainsi intéressés à ne pardonner
jamais. On met leurs têtes à prix, et l'on va même jusqu'à promettre grâce
entière à tout banni qui tuerait un autre banni. La Cité se soumet sans réserve
au Régiment de Heinsberg » (F. Henaux Histoire du pays de Liège, 3e édition, T.II. Imprimerie J. Desoer,
Liège, 1874, pp. 34 et suiv.) .
Le 2 juin 1434 le prince-évêque signe une alliance ouverte
avec Philippe le Bon.
Le chanoine Lambert Dathin essaye en 1435 d'intéresser le
concile de Bâle à l’exil de sa famille. Le concile repousse son recours. Il
paye cher son audace : l’année après il tombe dans une embuscade tendu par
Jean de Bernalmont: « ils
l'entraînèrent à Bernalmont, le couchèrent sur le bord d'une houillère, et
après lui avoir brisé la tête à coups de maillet, le précipitèrent tout botté
et éperonné dans le bur.... » On retrouve le cadavre du chanoine un an plus
tard, lorsque le maître de fosse Nicolas de Tawe voulut réexploiter le bur. En effet, les Bernalmont étaient des houilleurs aussi, comme les
Dathin : en 1325, l'hôpital St Mathieu à la Chaîne avait donné au chevalier
Hubert de Bernalmont l'exploitation de la grande veine de Sept Pieds. Le bur
Gurgule près du chemin de Bernalmont au Bouxthay est cité déjà en 1426.
En 1438, Surlet enverra « trois compagnons » à Namur
pour assassiner Guillaume d'Athin. Quant à Watier, il mourut en exil en 1456.
Fastré Baré Surlet bailli de Herstal
La fraction victorieuse ne se contente pas de se partager
les biens des vaincus. Ils se sucrent aussi par d’autres moyens. C’est ainsi qu’en 1440 Fastré Baré Surlet est
nommé bailli de Herstal. Surlet obtient
cette fonction honorifique suite à une intervention directe du duc de Bourgogne
dans un conflit d’héritage entre Henri de Gronsveld, sire d’Oupeye, et Antoine de Croy. Philippe-le-Bon suivait cette affaire de près. En 1444 encore « Philippe-le-Bon désirait vivement savoir à
quoi s'en tenir sur la participation des Herstaliens à la résistance du sire
d'Oupeye. Il fut heureusement obligé de partir pour la Bourgogne, et, ce
jour-là tout le pays de Liège fut en proie à la plus vive émotion; le bruit courait
que le seigneur de Croy devait venir s'emparer de Herstal. Les bourgeois coururent aux armes, quand on
apprit que ces rumeurs n'étaient que mensonges et que le duc chevauchait par
d'autres chemins ».
Conjuration des houilleurs
ancien puits dans la campagne du Bouxthay |
La plupart de nos historiens parlent de la conjuration, sédition
ou complot des Dathin. J’espère avoir démontré que ces évènements n’ont rien à
voir avec un complot, mais sont un véritable mouvement de masse balotté entre
révolution et soumission.
On parle aussi d’un coup de force du métier des mineurs . La
réalité est beaucoup plus complexe. Selon Généviève Xhayet, « drapiers, houilleurs, tanneurs et mangons
appuient alors le maître Wathieu Dathin, tandis que des fèvres, meuniers,
pêcheurs, blanchisseurs et charleirs constituent la faction adverse . La présence de Piron Borghet, gouverneur des
mangons, parmi les conjurés explique probablement la forte proportion de
mangons dans les rangs pro-Dathin » (G.X, Réseaux de
pouvoir p.281 et.274)
Fernand Henaux par contre décrit Watier comme un démocrate,
« un grand citoyen », le « chef du parti national », le « défenseur
des anciennes libertés ». M. Pirenne
croit ‘faire justice de cette énormité’
en prenant comme témoin Jean de Stavelot : « II est absolument impossible de considérer les Datin avec Hénaux
comme les chefs du parti populaire. Ce furent de riches ambitieux cherchant à
se pousser aux honneurs en exploitant les passions des artisans mécontents du
‘régiment de Heinsberg’. Leur prétendu
sentiment démocratique était de date fort récente. En 1430 encore, Watier Datin
était considéré comme un ennemi du peuple ».
Or, Pirenne est ici en mauvaise compagnie. Jean de Stavelot n’est pas un témoin neutre : moine de l'abbaye Saint-Laurent de Liège, il avait
accompagné en Bohême l'évêque Jean de Heinsberg dans sa campagne contre les
Hussites. D’autant plus que Saint Laurent avait eu beaucoup de litiges avec les houilleurs concernant l’exploitation
des veines de charbon sur leurs terres…
Pour Godefroid Kurth (La Cité de Liège au Moyen-Age, 1909),
«au milieu de cette Cité qui
n'obéissait plus à son prince, qui n'avait plus de patriciat, qui ne
reconnaissait l'autorité de ses maîtres que dans la mesure où ils lui
obéissaient, qui ne formait plus qu'une multitude houleuse et inquiète toujours
agitée par le vent des émeutes, nous voyons se lever l'étonnante fortune d'une
famille d'hommes nouveaux, qui aurait peut-être, comme dans les républiques de
l'antiquité grecque et du moyen-âge italien, profité de la désorganisation de
la Cité pour fonder une tyrannie héréditaire, si elle n'avait manqué à un degré
rare de ces qualités d'ordre idéal qui sont indispensables à l'édification de
toute fortune politique. Watier Dathin était une intelligence vulgaire et un
caractère sans prestige; le talent, l'éloquence et la vertu lui faisaient
également défaut. Il ne cessait d'augmenter sa richesse par tous les moyens,
exploitant le prince, rançonnant les petits, ne reculant pas devant les
concussions les plus éhontées, suspecté même, lui le plus haut magistrat
judiciaire du pays, d'être de connivence avec des criminels qui lui payaient
une part du produit de leurs crimes. On
a voulu voir dans cet insolent Crésus un tribun populaire et un chef de parti :
c'est lui faire trop d'honneur et ne rien comprendre à son rôle. il ne
s'appuyait que sur les houilleurs de la banlieue, pauvres gens qui peinaient
dur et pour qui l'activité politique consistait à cogner sur ceux que leur
patron désignait à leur coups ».
les biens confisqués des Dathin servent à la restauration du pont des Arches |
Le boycott suite au refus du Chapitre de Saint-Lambert d’accueillir
son fils Guillaume, montre pour Kurth «
à quel degré inouï d'outrecuidance était
arrivé ce parvenu : il proclame ainsi contre ce corps vénérable une vraie
interdiction de l'eau et du feu » . Ceci dit, Kurth s’indigne de « l'outrecuidance d’imposer à ce corps vénérable une vraie interdiction
de l'eau et du feu » mais s’ indigne aussi de la répression des Dathin
« qui atteignit d'emblée ce degré de
sauvagerie qu'on ne rencontre que dans les guerres civiles : quiconque prêtait
assistance aux proscrits devenait lui-même un ennemi public : un homme fut
exécuté pour avoir donné à manger à son père mourant de faim. Par contre, on
réservait des gratifications en argent à quiconque tuait un des proscrits. On
confisquait les biens des Dathin, qui, administrés par la ‘Cour des absentis’
furent affectés à la restauration du Pont des Arches puis partagés entre les
Trente-Deux métiers. Faire de ceux-ci les héritiers des coupables, c'était les
intéresser à ne jamais leur pardonner ».
Le pantin Heinsberg remplacé par la marionnette Louis de Bourbon
Heinsberg s’installe de plus en plus dans la dépendance de
Philippe. Il voyagea le plus possible,
ne négligeant aucune occasion d'étaler son faste. Mais le Bourguignon ne se
contente pas d’un pantin. Il prépare l'avènement au trône de Liège d'un prince
de sa maison : son neveu, Louis de Bourbon. Heinsberg lui promet que la
première prébende vacante serait réservée à ce jeune homme; mais l'évêque ne
tint pas ou ne put tenir son engagement. Il promet à Louis un meilleur bénéfice,
le sien! L'évêque se repentit de son
imprudence : il était trop tard. Philippe l'attire à La Haye, où Heinsberg fut
reçu comme s'il n'eût jamais été question de rien ; mais à l'heure des adieux,
le duc revint sur le manque de parole de son hôte. Heinsberg fut conduit au
fond du palais, dans une salle tendue de noir, où se tenaient un franciscain
portant un flambeau, et l'exécuteur des hautes œuvres, le glaive à la
main. « Révérendissime évêque, dit le moine, d'un ton sinistre, le duc n'admet
plus de délai : ou résignez sur l'heure, ou songez à votre conscience » .
Le malheureux expédia immédiatement au souverain pontife l'acte juridique de
son abdication en faveur de Louis de Bourbon.
(*)« Le 9 septembre
1444, arrivaient Jean de Nassau, sénéchal de Brabant, beau-frère de l'évêque
Jean de Heinsberg, le comte de Blanckenheim, son neveu, délégués du duc de
Bourgogne et de Brabant, et s'en furent prendre possession de Herstal et
procéder à l'installation du nouveau bailli » (JEAN DE STAVELOT, Chronique, p. 542 et SS. Cfr. Public. de
la Soc. hist. et arch. du duché de
Limbourg, t. XII, P. 49 et SS). Antoine de
Croy vendait le 19 février 1468 Herstal au comte de Nassau, le même qui l’avait aidé jadis à le réintégrer dans ses droits
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