19° siècle : l’expropriation des quartiers taudifiés et l’expulsion de leurs habitants
Au 19° siècle, la législation pour
l’amélioration de l’habitat ouvrier suit très exactement le rythme d’apparition
des épidémies de choléra.
En 1858 le gouvernement belge vote la loi sur l’expropriation des quartiers insalubres. Les communes reçoivent ainsi la possibilité d’exproprier des
quartiers taudifiés. Des milliers de maisons ouvrières et des dizaines d’impasses
et de rues disparaissent, mais aucune alternative n’est proposée aux
travailleurs et aux habitants expulsés. Les habitants déménagent vers d’autres
quartiers insalubres. Ce qui permet de tracer les grands boulevards. A Paris,
c’est Hausman. A Liège, c’est Blonden. Nous verrons que cette politique
d’expulsion est une constante dans la politique d’assainissement capitaliste.
D’autres initiatives voient le jouir, mais
elles sont plutôt atypiques. En 1895, les Aumôniers du Travail créent à Seraing
une hôtellerie ouvrière destinée aux travailleurs des campagnes. Pour l'évêque
de Liège, «providentielle est leur
mission comme celle des autres ordres qui ont fait tant de bien à l'Église !
Leur but est de combattre le socialisme pied à pied ». Mais apparament l’habitat
n’est pas le bon angle d’attaque pour contrer les socialistes: en 1907 les aumôniers transforment
leur maison
ouvrière de Seraing en institution d'enseignement industriel de jour.
C’est dans ce contexte aussi qu’est organisé un
concours d’habitations ouvrières, dans le cadre de l’Exposition universelle de
1905. Les projets retenus sont construits aux abords du parc de Cointe,
boulevard Montefiore à Liège. Une vingtaine de petites maisons modèles
s’offrent à la vue des visiteurs. A ce concours, s’en joint un autre, pour la
décoration intérieure et l’ameublement de ces habitations. Gustave
Serrurier-Bovy réalise le décor de la maison construite par la CGER. Notre architecte
art-nouveau propose même le mobilier ! Les meubles à monter soi même Silex: c’est Ikea avant la lettre.
Bien essayé, mais pas terrible, si vous me le demandez. Par contre, le leader
socialiste Jules Destrée est plein d’admiration devant "l’impression de fraîcheur, de santé, de joie
et d’énergie" qui se dégage de l’intérieur ouvrier conçu par
l’artiste.
Mais finalement ces initiatives sont assez
folkloriques. La ligne générale est le laissez faire. Et de toute manière c’est
plutôt la petite bourgeoisie qui profite de ces mesurettes.
La loi de 1889 sur le logement social
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Suite aux grèves de 1886 le roi Léopold II se
prononcer dans un discours du trône pour "la construction d’habitations ouvrières convenables".
Promulguée sous un gouvernement catholique, la loi de sur le logement social du
9 août 1889 permet à la Caisse Générale d’Epargne et de Retraite (CGER)
d’accorder des prêts à taux réduit pour la construction ou l’achat de maisons
ouvrières pour les travailleurs et les sociétés. Ironie de l’histoire, un
siècle plus tard, en 1998, c’est un socialiste, Elio Di Rupo, Vice-Premier
Ministre, qui privatise cette CGER, pour la refiler à Fortis.
La loi facilitait donc l’accès à la propriété
aux ouvriers. De 1890 à 1914 on construit en Belgique plus de 60.000 de ces
habitations.
Mais la source – la fuite des campagnes vers
la ville – ne se tarit pas : en 1800, Seraing comptait 2.000 habitants, en
1900, on en dénombrait 40.000! La crise du logement est toujours bien là !
A la sortie de la première guerre mondiale, la crise du logement au carré.
A la sortie de la première guerre mondiale,
nous retrouverons donc la crise du logement au carré. La guerre n’a rien arrangé:
200.000 maisons sont détruites lors des hostilités.
Les révoltes et révolutions qui suivent la fin
des hostilités font trembler la bourgeoisie. Elle concède le suffrage
universel, et fait semblant de s’attaquer à la crise du logement…
D’abord, on pare au plus pressé : des milliers
de logements préfabriqués sont construits
par le Fonds Albert. Il y a des abus: ces baraques sont
facturées 14.000 francs alors que le prix moyen d’une habitation sociale en dur
est de 20.000 FB.
En 1930, 15146 ‘baraques’ existent toujours, dont 2378 au Hainaut et 3242 dans la province
de Liège (histoire de la wallonie p282) A Liège, certaines de
ces baraques sont toujours habitées…
La Société Nationale des Habitations à Bon Marché
En 1919 on crée la Société Nationale des
Habitations et Logements à Bon Marché (S.N.H.L.B.M.). Sa mission est de
favoriser la création de sociétés locales de logements et de leur faire des
avances de fonds pour construction d’habitations à bon marché.
Le premier président de cette Société est le
socialiste Emile Vinck. Celui-ci préside l’Union des Villes qui organise en
1920 une conférence nationale des habitations à bon marché. Il y a à cette
époque une expérience très intéressante à Vienne. Mais cela n’inspire pas Emile
Vinck
Le Karl Marx Hof et ‘Rotes Wien’
Après la déroute de l’empire
autrichien, 73% de la population de Vienne habite dans des logements exigus et
surpeuplés. Le parti social démocrate arrive au pouvoir dans la capitale. Entre
1922 et 1934, "Vienne rouge (Rotes Wien)" érige 60.000 nouveaux
logements. Le Karl Marx Hof existe toujours et vient récemment d’être restauré.
Ces "Superblöcke", logeaient jusqu’à 5.000 personnes. Ils étaient
construits comme "Hof", autour d’une cour.
Les travailleurs autrichiens ont fait payer ce
programme de construction d’habitat social très ambitieux par une taxe contre
la spéculation. L’architecte El Lissitzky y fait ses premières expériences. En 1930, Lissitzky se rend à Moscou pour aider à la réalisation
du premier plan quinquennal de Staline, avec la construction d’une ville
industrielle entière, Magnitogorsk. Mais le POB de 1918 est
coupé de cette évolution intéressante. Émile Vandervelde, président du Parti
Ouvrier Belge, met un embargo sur les contacts avec les socialistes allemands
qui s’étaient trouvés du mauvais côté dans ce qu’il a appelé «une guerre sainte pour le droit, la liberté
et la civilisation, pour le droit des peuples à l'autodétermination ».
Cités, quartiers ou faubourg- jardins ?
Unwin |
Ce qui se passe point de vue habitat à Vienne n’est
donc pas une référence pour le POB. Emile Vinck s’inspire de ce qu’il a vu en
Angleterre pendant la guerre. Sa bible est un livre de R. Unwin, ‘Town Planning in practice’. Vinck est un
des promoteurs du congrès d’Amsterdam de l’International Federation pour Town
and Country planning and Garden Cities en 1924.
Les socialistes belges interpréteront les
théories d’Unwin d’une manière très pragmatique. En Belgique on ne construira
pas de cités satellites comme en Angleterre, mais des cités - jardins.
Le POB dénonce la spéculation qui fait grimper
le prix des terrains dans les villes, mais il capitule quand il faut passer aux
actes. Son alternative, c’est d’implanter des cités jardins dans la périphérie,
là où les terrains ne sont pas trop chers. Le développement des transports
publics facilite cette stratégie. Pour
Raphaël Verwilghen (directeur de
l'office des régions dévastées), une heure de navette est le maximum
acceptable. Ceci dit, à Liège, la plupart de ces cités se trouvent au dessus de
la vallée, et les habitants doivent descendre les coteaux pour avoir accès à
ces transports publics. La cité du Tribouillet par exemple ne verra apparaître
les bus en 1930, avec la création de la ligne 24 Sainte Foy-Thier à Liège.
le trolley 24 accidenté |
Les transports publics permettent donc une
séparation du lieu de résidence du lieu de travail, contrairement à ce qui se
faisait au XIXe siècle où les impasses et les corons avoisinaient les ateliers
et les fabriques, et où les cités patronales jouxtaient les usines. La création
des cités jardins est une rupture entre la ville et l’habitat ouvrier.
Les coopératives de locataires
Magasin n°169 de l’Union Coopérative Herstal,Coll. ILHS. |
Vingt ans plus tard, LA CONFEDERATION GÉNÉRALE DU TRAVAIL en donne la version
suivante : « Les anciens combattants socialistes recherchèrent, dès
1919, le moyen de grouper parmi eux les personnes recherchant un logement
modeste mais bien conçu et désireuses de contribuer à l'édification des habitations
par une souscription en rapport avec leurs
possibilités. Ils trouvèrent un appui auprès du sénateur Vinck. L'idée de la ‘coopérative» des locataires’ obtint une
vive faveur. Des statuts types furent approuvés par la Société Nationale. La
part de chaque coopérateur est fixée au début à 3.000
francs. Chacune de ces
parts est libérée, d'abord à concurrence de 10%, puis de 20%. Le succès fut tel
que le ministre du Travail de l'époque s'effraya. Il ne pouvait admettre que
les bénéficiaires d'avances de fonds faites par les pouvoirs publics gèrent
eux-mêmes l'œuvre conçue et créée grâce à ces fonds. Et dès 1922, l'agréation
fut refusée à toute nouvelle coopérative de locataires.
Coopérative Maison du Peuple Bxl, 1932, Coll. ILHS. |
La coopérative sera propriétaire de l'ensemble
des logements. Le coopérateur-locataire ne disposera donc pas de la propriété
individuelle de son logement. Il en sera copropriétaire en même temps que les
autres coopérateurs. « Le
coopérateur-locataire se rendra compte de ce que, peu à peu, il deviendra copropriétaire
de l'ensemble des logements, ce qui ne pourra qu'améliorer sa situation de
locataire ».
Très vite nous assistons à un recul : dès
1922, toute nouvelle agréation de coopérative est refusé. On revient à l’encouragement
de l’accès à la propriété : en 1921 déjà on autorise de vente des maisons via
des prêts bon marché (2,75%) à rembourser sur un long terme (66 ans)". Selon
certaines sources, entre 1920 et 1939, 22 % des 61.780 logements
construits sont vendus. D’autres parlent de la vente de la moitié du parc locatif
entre 1922-27 (De l’utopie au réel
1919-1994 : 75 ans de logement social en Wallonie ; Liège, Centre Culturel Les
Chiroux, 1994)
Spéculation et indemnités de guerre.
La social-démocratie évite de heurter de front
la spéculation foncière. On ne taxe pas les propriétaires riches comme à Vienne.
Les spéculateurs ‘nationaux’ sont laissés tranquilles, mais on se rattrape auprès
des vaincus. Le programme des cités jardins est financé en partie par les
indemnités de guerre. La fin des paiements des dommages de guerre par les
Allemands supprime donc un apport financier non-négligeable. C’est ce qui
explique que les cités sont construites durant une courte période seulement, de
1921 à 1926. Le peu de subventions pour des équipements collectifs
disparaissent.
Cité moderne Koekelberg |
Pour la cité Moderne par exemple, construite en 1922 à Koekelberg, le jeune
architecte Victor Bourgeois, grand prix à l’exposition des arts décoratifs à
Paris en 1925, avait prévu une place des coopérateurs et des magasins. Cette
place ne verra jamais le jour.
Ceci dit, la fin des dommages de guerre
n’arrête pas la construction de cités, qui ne sont plus construits sur une
trame coopérative, et où les équipements collectifs sont de plus en plus
clairsemés. Mais le modèle original d’Unwin était déjà tellement dilué au
départ que l’on aurait difficile de distinguer à l’œil les cités construits
avant 1926 et après.
Encore aujourd’hui certains de ces cités ont gardé un charme certain,
même si de plus en plus de jardinets sont remplacés par des clinkers ou du béton…
Et même si, au départ, ces cités ont été assez mal accueillies, au moins si on
doit se baser sur les surnoms: on parlera de « Petite Russie» pour désigner telle cité-jardin (Zelzate) ou de « Maroc » pour identifier telle autre...
Toujours est-il que 1926 est une rupture par
rapport à la maison unifamiliale. Pour économiser sur le prix des terrains on
va construire en hauteur. Ce qui n’empêche pas certaines réalisations très
réussies. En 1930 583 appartements sont construites Avenue Elisabeth aux Vennes
qui ont encore aujourd’hui pas mal de charmes.
Voies de grande circulation et rues résidentielles
Unwin Town Planning |
On retient d’Unwin la distinction entre voies
de grande circulation et rues résidentielles. .Les maisons sont disposées de
part et d’autre d’une rue courte, d’une place, d’un square ou d’un clos. Les
rues ont une fonction résidentielle. Elles donnent accès aux habitations. Elles
ne servent pas au passage des voitures. La bande de circulation y est
volontairement étroite afin de réserver de l’espace aux trottoirs,
éventuellement arborés, et aux jardinets situés devant les maisons. Des
venelles et des sentiers se faufilent dans la verdure, à l’arrière des jardins,
et conduisent vers des placettes réservées aux piétons. Nous verrons comment
dans les années 30 le CIAM propose les 7V, une classification des voies de
circulation avec la largeur des voies en fonction des besoins et des moyens de
transport.
La Maison sérésienne, Le Home ougréen et L’Habitation jemepienne etc.
Le suffrage universel acquis en 1919 porte donc
le Parti ouvrier au pouvoir à Seraing, Ougrée et Jemeppe.
En 1921 les nouvelles
majorités socialistes fondent La Maison sérésienne, Le Home ougréen et L’Habitation
jemepienne. La Maison sérésienne occupe des espaces sur les collines, avec la
cité des Biens communaux à Seraing (on y remplace dans les années 1945-1960 des
baraquements du fonds Albert). Le Home ougréen recycle un crassier
d’Ougrée-Marihaye, sur le site des Forges et Laminoirs du Haut-Pré, à la fois
pour acquérir du terrain à bas prix et pour fabriquer les briques nécessaires
aux premières constructions. L’Habitation jemeppienne construit la cité-jardin
du Bois du Mont à Jemeppe.
Maison Sérésienne |
La Maison liégeoise commence en 1921 la cité
Naniot, en style cottage.
En 1925 l’architecte Joseph Moutschen construit
la Cité des Cortils (Jupille), avec la collaboration du sculpteur O Berchmans.
Bas de la rue Naniot — Années 80 |
Et nous avons déjà mentionné la cité du
Tribouillet, au Thier à Liège.
Ceci dit, les cités jardins ne sont pas le
monopole des coopératives. Des patrons s’y mettent aussi, et avec un certain
mérite point de vue architectural.
La cité du charbonnage de Cheratte, construite
à partir de 1920, comptait 200 logements pour les familles et 128 chambres pour
célibataires dans le phalanstère. Cette cité appartenant au charbonnage, ne
pouvaient y vivre que les travailleurs du charbonnage. La cité comportait à ses
entrées de lourdes grilles qui étaient fermées la nuit et les
"étrangers" à la cité étaient sévèrement contrôlés par des gardes. La
cité de Cheratte a été rachetée au Charbonnage du Hasard par la Régionale
Visétoise d'Habitations Sociales en 1978.
Cité 1 Winterslag |
Dans un prochain blog nous allons voir la
suite des cités jardins. Avec l’aide du roi Albert, le socialiste Camille
Huysmans lance l’école de la Cambre, présidé par Henry van de Velde, l'un des
acteurs majeurs du mouvement moderniste de l'architecture et du design en
occident au début du XXe siècle. Van de Velde est membre du POB, et s’entoure
de toute une série d’architectes qui ont gagné leurs gallons avec les cités
jardins.
En 1928, à La Sarraz (Suisse), se réunit le premier CIAM, Congrès
International d'Architecture Moderne. Un de ses membres fondateurs était Victor
Bourgeois, De La Cambre. En 1933 le CIAM publie la Charte d'Athènes, qui
marquera l’urbanisme pour des décennies. Mais la crise de 1929 va rogner
fameusement les moyens. Et faute de moyens, les Ciam auront tendance à tirer
des plans sur la comète…
En Belgique, le POB va ‘gérer’ la crise. Or, «les animateurs du mouvement moderniste
occupent un grand nombre de postes clés. Ils vont gérer une série de positions
institutionnelles, à la mesure de la place que le monde
socialiste tend à prendre dans la société belge. L'essentiel des postes à pourvoir leur fut réservé, et ils ont, avec beaucoup de fidélité, épousé les thèses du POB, y compris parfois dans les errements de ce parti ».
socialiste tend à prendre dans la société belge. L'essentiel des postes à pourvoir leur fut réservé, et ils ont, avec beaucoup de fidélité, épousé les thèses du POB, y compris parfois dans les errements de ce parti ».
Ils se lanceront à fond dans le plan De Man. Et
se retrouveront, en 1940, avec Deman au Commissariat de la Reconstruction, sous
l'Administration militaire allemande dirigée par le Général Reeder. Henry Van
de Velde y est « conseiller esthétique de
la reconstruction au Commissariat Général de la Restauration du Pays ». Au
sortir de la guerre, il est accusé de collaboration avec l’Allemagne et se voit
prier de quitter la Belgique. En 1947, il s’exile en Suisse. Yvon Falise aussi,
dirigeant du groupe liégeois L’équerre, Échevin des travaux publics durant l’occupation, sera condamné lors du
procès du Grand Liège en 1945 puis réhabilité en 1959.
Mais les CIAM feront partie d’un autre blog.
1 commentaire:
Madame, Monsieur,
Je suis actuellement en Master 2 en politique économique et sociale. Je realise un mémoire en sociologie urbaine. J'aurais voulu savoir si vous possédez de la documentation sur la place Jules Seeliger ou la citée jardin Naniot.
Je vous remercie d'avance de l'attention que vous porterez à ma requête.
Claude Hitabtuma
0479884385
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