Dans un blog précédent j’ai abordé la théorie de la grande brisure de Pirenne, que Marc Bloch résumait
ainsi en 1929: « Vers la fin du
VII° siècle, au moment où les Musulmans, brusquement survenus, ferment la
Méditerranée occidentale, se place selon Pirenne la grande brisure. Cette théorie
a le mérite de toutes les grandes hypothèses scientifiques : elle nous
force à réfléchir sur nos catégories traditionnelles et peut être à les
remanier. Auparavant, l’économie antique se continuait. Son destin, maintenant,
est révolu. En son lieu va régner une économie sans échanges, et toute
agricole. Ce système caractérisera à la fois l’époque carolingienne et les
siècles qui suivirent, jusqu’à la renaissance du commerce et des villes »
(Marc Bloch,
Annales d’histoire économique et sociale, 1929, p.251-258).
Ces thèses de Pirenne ont été instrumentalisées
par l’extrême droite qui dénonce ‘l’impact
catastrophique de l’ Islam’. Marine Le Pen se fait photographier en
compagnie d’un ex-Waffen SS de la division «Charlemagne ».
Mais Charlemagne a été instrumentalisé dès le
début ; Geary démontre qu’il a été instrumentalisé par toutes sortes de
nationalistes. Il est instrumentalisé aujourd’hui dans le city-marketing et
dans le cadre d’une certaine idée de l’Europe. C’est ce que nous approfondirons
dans ce blog.
Charlemagne, Barberousse et le patriotisme urbain
Charlemagne crypte Grossmünster (cathédrale) de Zürich |
Robert Folz passe en revue les différentes cités de l’Empire Germanique avec un
culte impérial depuis le XIIIe siècle. Les villes découvrirent tout le parti
qu’elles pouvaient tirer d’un souverain saint, réceptacle de légitimité et
d’identité. C’était une forme de patriotisme urbain.
Le top, c’est le Charlemagne schtroumpf de
Zürich.
En fait, Robert Folz est un peu à côté de la plaque avec son patriotisme
urbain. Très souvent ce culte impérial se développe dans
les villes impériales, parce que ça arrange les Empereurs
germaniques. C’est ainsi que Fréderic Barbarousse revendique la naissance de
Charlemagne pour Ingelheim.
Depuis Otton I, couronné empereur par le pape en 962, jusqu’à la dissolution de l’Empire par
Napoléon, les pouvoirs de l’empereur germanique ont été fort limités. Avec
l'affaiblissement du pouvoir carolingien, les ducs avaient reconquis leur
indépendance du pouvoir central. Ils créent l'Empire comme instrument des ducs,
et ils le créent comme une monarchie élue, dont les règles trouvent leur forme
achevée dans la Bulle d'Or de 1356. Dans le Saint-Empire ‘romain’ germanique,
sept princes-électeurs (Kurfürst) élisent le roi. Après, ce roi est couronné
comme Empereur par le pape.
Cette « élection » est une garantie
sûre d’un pouvoir impérial faible, puisque les candidats devaient acheter les
voix. Suite à ça ils commencent leur règne avec une caisse vide, voire une
dette. Et quand une dynastie commence à menacer le pouvoir des ducs, si cette
élection juteuse ne suffit pas, les ducs choisissent l’empereur dans une autre
dynastie. Les luttes entre les familles des Welfs et des Staufen ont marqué
l’histoire de l’Empire germanique.
Charlemagne avait imposé son pouvoir à ses
vassaux entre autres en invoquant la continuité de l'Empire romain (translatio
imperii ; le complément Deutscher Nation - en latin Nationis Germanicæ - a
été ajouté au xve siècle).
Frédéric Barberousse Kyffhäuser, |
Le couronnement par le pape est un autre argument
de légitimité. Depuis le début cela a été un facteur difficile à contrôler par
les Empereurs. Déjà Charlemagne a dû se rendre quatre fois à Rome pour arranger
les histoires. Ses clercs – et ceux du pape – se sont donnés à cœur joie pour
fabriquer des faux, notamment sur la donation de Constantin qui ‘définissait’ la protection du pape par l’empereur. Il faudra à Barberousse six expéditions pour y affirmer
l’autorité impériale.
Chapelle palatine Aix |
Barberousse calme les
Romains, et se fait couronner empereur le 18 juin 1155, mais la population
romaine se soulève juste après le couronnement pour capturer le pape. Les
troupes impériales et papales combattent les Romains. Le calme fut rétabli,
Barberousse ne cherche pas à mater la rébellion, ni à rétablir le pouvoir du
pape sur la ville. Adrien se tourne alors vers un autre bras armé temporel dans
son conflit avec la cité romaine, et conclut le traité de Benevento avec les
Normands en 1156. Ces Normands, descendants des Vikings qui avaient sonné le
glas de l’Empire carolingien étaient en Sicile depuis 1035! Et voilà qu’ils se retrouvent sur les chemin des
Stauffen.
Voilà le premier d’une longue série de
schismes. Alexandre III réagit
promptement en excommuniant Barberousse en 1165. En réponse la chancellerie
impériale développe les concepts de ‘honor imperii’, ou le pouvoir suzerain de
l'empereur, et de ‘sacrum imperium’
(empire saint). Avec ça Frédéricq gagne le soutien d'une grande partie de l'épiscopat
allemand. Les évêques allemands interdisent au clergé de faire appel à la curie
romaine. L'influence du pape fut ainsi réduite, ce qui profita à l'empereur
comme aux évêques à la recherche d'une plus grande autonomie par rapport à
Rome.
Frédéric s'improvise même diplomate et propose sur une
rencontre en août 1162 entre lui, le roi de France et les deux papes au pont de
Saint-Jean-de-Losne sur la Saône. Si un pape devait ne pas se présenter,
l'autre serait reconnu comme seule autorité officielle. C’était bien trouvé,
mais Alexandre refuse de s'y rendre et Louis VII refuse de trancher. La
situation reste donc bloquée.
Le schisme apparut
tout d'abord résolu à la mort de Victor en 1164. Barberousse tenta de doter la
partie allemande de l'empire d'une dimension théologique supplémentaire. Les
ossements des trois rois mages furent transportés à Aix-la-Chapelle. À la Noël
1165, Charlemagne est sanctifié à Aix-la-Chapelle, visant une plus grande
légitimité pour l'empire par la sainteté de son fondateur, d'autant que
Charlemagne jouait un grand rôle dans la conception de Frédéric du rôle
impérial.
Frédéric reprend Rome
en juillet 1167. Alexandre III s'enfuit à Bénévent, déguisé en pèlerin. Mais l’armée
impériale étant frappée par une violente épidémie (probablement la malaria, ou
la justice divine, qui sait) il doit reprendre les négociations avec le pape, tout
en maintenant un autre fer dans le feu : il fait élire l’anti-pape Calixte
III en 1168.
Le ‘vrai’ pape monte les
villes lombardes (Milan, Brescia, Parme, Padoue, Plaisance, Bologne, etc.) contre
l’empereur. Avec succès puisqu’en 1176 les villes italiennes du Nord infligent à Legnano une défaite décisive aux troupes
impériales. Ce qui amène Frédéric à se racheter en se lançant dans la troisième
croisade qui mettra fin à ce premier schisme. Saladin
était entré dans Jérusalem en 1187. En 1189 Fréderic part avec Philippe Auguste et
Richard Cœur de Lion. Il provoque même Saladin en duel mais il se noie le 10
juin 1190 dans le fleuve Saleph en Anatolie, avant qu'il n'ait pu rencontrer
Saladin.
Le lien avec
Charlemagne permettait donc à Barberousse de revendiquer un droit dynastique à
la charge impériale, et de relier plus étroitement les éléments principaux de
l'autorité impériale (couronnement par le pape, souveraineté sur la ville de
Rome et protection de l'Église) et ainsi de rabaisser le rôle du pape.
Les schismes continuent
par intermittence jusqu’en 1467.
Le dernier antipape d’Avignon, Benoît XIII, retiré à Aragon (dernier État à le
reconnaître), meurt en 1423. Trois de
ses quatre derniers cardinaux élisent encore l’antipape Clément VIII, qui finit
par renoncer quand le roi d’Aragon se rallie au pape de Rome. Les derniers
soutiens dans le clergé sont totalement réprimés en 1467.
Et
l’instrumentalisation de Charlemagne atteint un sommet artistique avec le
portrait de Charlemagne par Dürer pour Maxilimien d'Autriche.
D'ailleurs, quant au schismes, Charlemagne a été à la base du premier schisme avec Bysance...
D'ailleurs, quant au schismes, Charlemagne a été à la base du premier schisme avec Bysance...
Les Capets: l'union des lignées carolingienne et capétienne
Hugues Capet |
L’élection pose beaucoup moins de problèmes
que dans l’Empire germanique: très vite, le roi de France couronne son héritier
de son vivant. Philippe Auguste est le premier roi - à partir de 1190 -qui
signe ses actes ‘Rex Franciæ’, roi de
France, au lieu de Rex Francorum.
Mais la naissance manquait à Hugues Capet.
Circonstance aggravante : son père lui-même avait encore reconnu
solennellement le droit des princes carolingiens.
La dynastie nouvelle cherche donc à conquérir
une légitimité en mariant une descendante de Charlemagne.
C’est fait avec Philippe Auguste qui épouse en 1180 Isabelle de Hainaut, une descendante directe de Charles de
Basse-Lotharingie, prétendant carolingien et rival d'Hugues Capet. Vers 1200 le
moine Gilles de Paris fait dans son poème Karolinus descendre Philippe de
Charlemagne. Par cette union des dynasties carolingiennes et capétiennes il
fait de lui le premier vrai représentant d'un genus royal. La royauté est transmise
par le sang.
Sacre de Philippe Auguste |
Ses héritiers vont jusqu’à déplacer la tombe
de Philippe Auguste, afin de symboliser cette union des deux lignées. Inhumé en
la basilique Saint-Denis, au sud du maître-autel, ils la mettront au centre,
avec celle de son fils Louis VIII.
Voici la généalogie de Louis VIII par un
chroniqueur anonyme : « A cette époque, Hugues Capet, comte de
Paris et duc des Francs, s'étant emparé du royaume, il passa de la race de
Charles à celle des comtes de Paris, qui provenaient d'origine saxonne. Nous
pouvons trouver exactement, depuis le roi Hugues Capet, fils du comte Hugues,
jusqu'à Louis, dont nous allons parler, sept générations. Car Hugues Capet, le
premier roi de la race du comte Hugues, engendra Robert, qui engendra Henri,
lequel engendra Philippe Ier ; Philippe Ier engendra Louis le Gros ; Louis le
Gros engendra Louis le Jeune, qui engendra Philippe il, père de ce Louis dont
il s'agit ici. Le roi Philippe eut Louis, comme il a été dit, d'Elisabeth ou
Isabelle, fille de Baudouin, comte de Hainaut. Ce Baudouin provenait de la race
d'Hermengarde, comtesse de Namur, fille de Charles, duc de Lorraine, et oncle
de Louis, dernier roi de la race de Charlemagne, et qui mourut sans héritier.
Hugues Capet usurpa la couronne sur lui, et le fit mourir en prison. Jusqu'à
lui, la race de Pépin et de l'empereur Charlemagne était demeurée en possession
du trône. Louis ayant hérité du trône de son père, il est clair que par lui la
couronne revint à la race de Charlemagne » ( ANONYME, VIE DE LOUIS VIII, dans COLLECTION DES MÉMOIRES RELATIFS A L'HISTOIRE DE FRANCE,PAR M. GUIZOT, PROFESSEUR D'HISTOIRE MODERNE A L’ACADÉMIE DE PARIS. 1824).
Remarquons que notre chroniqueur ne pèse pas
ses mots quant aux circonstances de ce coup d’état fondateur d’une
dynastie : «Hugues Capet usurpa la couronne sur Louis, dernier roi de la
race de Charlemagne, et le fit mourir en prison ». Comme acte fondateur d’une dynastie il
y a mieux….
Ce mariage de Philippe Auguste avec Isabelle
de Hainaut est le premier d’une longue
série. Louis VIII aussi épousa une descendante de Charlemagne. Petit
détail : l’Eglise interdisait pourtant
l’inceste (la consanguinité) jusqu’au 7° dégré. Pure hypocrisie : la papauté
y voyait un moyen, par le truchement des dispenses, d’accroître son hégémonie,
mais aussi, voire surtout, ses revenus (Le chevalier, la femme et le prêtre. Le mariage dans la sociétéféodale, Georges Duby )
En 1429 Jeanne d'Arc s’appuye sur ce culte de Charlemagne pour
convaincre les incrédules (l’année avant, son seigneur local la prend pour une
affabulatrice ou une illuminée et conseille de la ramener chez ses parents avec
une bonne gifle). Jeanette l’épée de Charles Martel. Intéressant pour Herstal, ça.
Martel et Pépin, c’est Herstal. Personne ne nous les conteste, contrairement à
Charlemagne dont des dizaines de villes réclament le berceau.
La légende veut que Charles Martel a exterminé
en 732 les derniers Sarrasins à Fierbois. En ex-voto, il y déposa, derrière
l'autel d‘une chapelle, son épée. Et voilà que Jeanne, comme par hasard, sur
son chemin vers Chinon où résidait le futur Roi Charles VII, s’arrête à Fierbois, où elle assiste même à
trois messes. Une fois reconnue comme l’envoyée du Seigneur par le dauphin,
elle reçoit une armure, mais elle refuse l’épée, prétextant - et je cite les
minutes de son procès - « chercher une épée dans
l'église
Sainte-Catherine-de-Fierbois derrière l'autel. Cette épée était en terre, toute
rouillée et la garde était ornée de cinq croix». Jeanne d’Arc prend l'habitude
de frapper avec cette épée sur le dos des filles de joie, et brisa même cette
épée sur le dos d'une prostituée, à Saint-Denis. Au grand dam du dauphin, qui y
tenait, à cette épée (ou aux prostituées ?) Selon Wiki, on n'a aucun
indice sur ce que sont devenus les morceaux. Pourtant, en 2007, cet épée
magique ressurgit comme par miracle: la revue "Le sourire de Marie" annonce
que « le souffle de haine de Satan
attise les noirceurs d'âmes les plus cruelles au cœur des hommes qui refusent
d'être enfants de Dieu. Il faut un catalyseur à la résistance. Jeanne de
France annonce que doit se lever maintenant le germe de la résistance à
l'envahisseur. A leur chef, je donnerai mon épée car telle est ma dernière
mission pour la France et pour le roi de France."
Jeanne d'Arc Fierbois |
Des imposteurs! Notre Ville de Herstal doit
réagir ! Si on creuse un peu derrière l’autel de la Chapelle Orémus, on
trouvera à coup sûr un morceau de cet Opinel de Martel…
L'épée de Martel est décisive pour rétablir la
légitimité de Charles VII qui conclut six ans plus tard la paix d'Arras qui
termine la guerre de cent ans avec les Anglais.
Lors de la Révolution française, la noblesse se réclame toujours de la
République romaine et fait remonter
ses privilèges à la conquête franque. Mais l'abbé
Sieyès, favorable au Tiers état, rappelle que cette conquête s'est faite sur
les Gaulois.
L'abbé Seyès par David |
Les “Gaulois”, ancêtres du peuple, s’opposentaux “Francs” qui sont les ancêtres des aristocrates.
Un peu partout en Europe, l’idée se diffuse
que les nations nouvelles ou à former descendent d’un peuple primitif. Pour les
historiens français c’est les Gaulois. (Le Mythe national, l’histoire de la France revisitée de Suzanne
Citron - éd. de l’Atelier, 2008 - 352p)
Petit retour de balancier avec Napoléon qui s’inspire du mythe de Charlemagne
pour instaurer son régime impérial. Il pense un temps à la cathédrale d’Aix
pour son sacre impérial. Le sceptre et la couronne de Charlemagne sont
restaurés pour son sacre (ou copiés).
Sacre de l'empereur Napoléon et couronnement
de l'impératrice Joséphine Jacques-Louis DAVID
1806
Sous la Restauration on revient aux Gaulois et
on range Charlemagne aux placards. Napoléon III commande la statue monumentale
de Vercingétorix à Alésia. Après la défaite de 1870, sous la Troisième
République, Vercingétorix est vu comme un résistant à l’envahisseur, dans le
contexte de revanche sur l'Allemagne. Charlemagne, glorifié par Bismarck, est
alors en France décrit comme un barbare. Dans Le Charivari du 6 avril 1871,
Daumier représente l’empereur allemand assis sur le trône de Charlemagne,
coiffé d’une « couronne à pointe »
et brandissant un os en guise de sceptre.
La phobie du casque à pointe 1871 |
La division Charlemagne de mauvaise mémoire ne
redore évidemment pas le blaon de notre Empereur.
Le culte est repris trente nans plus tard parLe
Pen et Cie dans le cadre d’un certain racisme et la recherche du ‘français de
souche’. L’historien Jacques Saillot, éditeur en 1979 du Sang de Charlemagne a trouvé
plusieurs dizaines de milliers de descendants des Carolingiens. La revue 'Nos
Ancêtres et Nous’ estimait en 1986 que depuis au moins cinq générations, tout
français de souche descend de l’empereur à la barbe fleurie. En 2000, le
généalogiste Frédéric Günst-Horn inscrit tous les descendants de Hugues Capet
-plus de 100 000 personnes -dans un CD-Rom. Et comme Hugues Capet descendait
plusieurs fois de Charlemagne le compte est sûrement bon.
Précisons que sous les Francs seuls les hommes
libres étaient membres de la cité. Si ‘franc’, pendant tout le Moyen-âge a
voulu dire ‘libre’ et le veut dire encore, c’est que seuls les libres, à
l’exclusion des servi, faisaient partie
du populus Francorum (Marc Bloch, revue de synthèse, t. LIII, 1933,
p.324-325). Il faudra donc exclure du peuple de souche les descendants des
serfs…
Les mouvements germaniques contre Napoléon inventent les racines de leurs nations
Dans ‘Quand les nations refont l’histoire’, il montre que la notion de peuple n’est pas figée, ni
aujourd’hui, ni au Ve siècle. « L’acquisition
initiale», un moment, datable, en général au cours du Ier millénaire
chrétien, où un peuple se serait constitué, où il aurait acquis des
caractéristiques linguistiques, religieuses, culturelles, des traditions, le
distinguant des autres peuples, relève largement du mythe. On a construit,
rétrospectivement, l’image de peuples éternels, homogènes et marqués par la
vision du «nous et eux». Chez les Romains,
l’appartenance au « nous »,
la citoyenneté romaine, est définie par des critères juridiques plus que
linguistiques, géographiques ou ethniques. En revanche, les Barbares,
nombreux, lointains, mal connus, sont définis selon des critères vaguement
géographiques ou linguistiques. Par exemple, les Germains habitaient de l’autre
côté du Rhin.
Patrick Geary démontre que cette vision simple cache une réalité beaucoup plus
complexe. Là où les Romains virent des «Francs», des «Alamans», des «Goths» ou
des «Huns», il y eut des entités politiques qui naquirent, se développèrent,
parfois entrèrent en conflit avec l’empire, puis disparurent et furent
remplacées par d’autres qui les avaient détruites et partiellement intégrées,
mais pas nécessairement assimilées. Ces noms étaient des étiquettes destinées à
fournir des représentations commodes.
De tous temps, des peuples barbares
pénétrèrent dans l’empire et y furent juridiquement intégrés. La condition
juridique ou économique des individus compta toujours beaucoup plus que leur
origine ethnique. Le phénomène se reproduisit tout au long du Ier millénaire. Les
Saxons jouèrent le rôle des nouveaux Barbares pour les royaumes franc.
Geary, sans nier l’existence de sentiments
d’appartenance commune ou de caractères constitutifs d’une identité collective,
développe l’idée d’une construction permanente des identités des peuples et des
nations, et met en garde contre les représentations figées de l’histoire et
surtout contre leur utilisation par des idéologues nationalistes. L’Europe est
peut-être née au Haut Moyen Age, mais l’identité de ses peuples se construit au
présent et c’est l’avenir plus que le passé qui doit servir de référence.
Les peuples barbares qui transformèrent le monde romain étaient donc, comme d'ailleurs
les Romains eux-mêmes, des entités politiques plutôt qu'ethniques, associant
des groupes d'origines culturelles, linguistiques et géographiques diverses.
D'où l'absurdité à voir dans ces étiquettes des désignations ethniques
susceptibles de justifier des revendications nationalistes.
Charlemagne, père de l’Europe : une fable appliquée à des réalités politiques contemporaines
La même A-M Thiesse se demande, lors d’une
Table ronde en 2008 : « Le
roman de l’Europe a-t-il remplacé le roman national ? »
« L’histoire de France a longtemps été
racontée comme le développement naturel d’un pays qui aurait toujours formé une
unité cohérente : ne voit-on pas de nos jours se bâtir le récit d’une Europe de
toute éternité ? Il s’écrit une histoire de l’Europe qui rappelle celle des
nations de la fin du XIXème siècle, celle d’une grande aventure européenne. Les
historiens doivent justifier et financer leurs projets de recherche. Or les objets
d’étude européens voient croître leurs chances d’obtenir des financements.
Les récits nationaux ont comme fonction de dire
qui fait partie de la communauté nationale, donc qui on peut en exclure.
Il n’apparaît aucun personnage sur les billets
de l’euro ; il n’existe pas de personnage européen. Charlemagne, père de
l’Europe, est une fable appliquée à des réalités politiques contemporaines.
Chacun trouve son Charlemagne, pour servir sa démonstration. En 1945, pour Fichtenau, Charlemagne est l’exemple négatif d’une
unification par le fer. Tandis qu’à la fin du XXème siècle, on cherche dans
l’action de
Charlemagne des éléments intéressants pour bâtir une unité européenne. Le denier d’argent carolingien constituerait un « proto-euro » car il représentait un système monétaire pour toute l’Europe de l’ouest. Des chercheurs allemands vendent la constitution du Saint Empire Romain Germanique comme une préfiguration des institutions actuelles. La guerre ne fait plus partie des valeurs contemporaines, si bien que dans le roman européen, elle est passée à la trappe, alors que c’est sur le Vieux Continent que s’est développé l’art de la guerre et du massacre. C’est sur la démocratie athénienne, la république romaine, l’humanisme, les Lumières… qu’est alors fondé ce roman, un « roman rose », alors qu’on pourrait écrire plus facilement un sanglant roman d’épouvante (un « roman gore »). Le roman rose de l’Europe est pluri-séculaire; il faudrait dès lors le commencer par la fin : il n’est pas l’aboutissement d’un désir d’unité, il est un choix et non une conséquence. Il est plutôt fondé sur le refus de deux mille ans d’histoire » (LE ROMAN DE L’EUROPE, MYTHES ET ANACHRONISMES ParMarion BEILLARD ).
Charlemagne des éléments intéressants pour bâtir une unité européenne. Le denier d’argent carolingien constituerait un « proto-euro » car il représentait un système monétaire pour toute l’Europe de l’ouest. Des chercheurs allemands vendent la constitution du Saint Empire Romain Germanique comme une préfiguration des institutions actuelles. La guerre ne fait plus partie des valeurs contemporaines, si bien que dans le roman européen, elle est passée à la trappe, alors que c’est sur le Vieux Continent que s’est développé l’art de la guerre et du massacre. C’est sur la démocratie athénienne, la république romaine, l’humanisme, les Lumières… qu’est alors fondé ce roman, un « roman rose », alors qu’on pourrait écrire plus facilement un sanglant roman d’épouvante (un « roman gore »). Le roman rose de l’Europe est pluri-séculaire; il faudrait dès lors le commencer par la fin : il n’est pas l’aboutissement d’un désir d’unité, il est un choix et non une conséquence. Il est plutôt fondé sur le refus de deux mille ans d’histoire » (LE ROMAN DE L’EUROPE, MYTHES ET ANACHRONISMES ParMarion BEILLARD ).
Charlemagne et le city marketing au XXIsiècle
Herstal - étape Charlemagne |
Avec le roman rose
de l’Europe pluri-séculaire on retrouve le patriotisme urbain sous la forme de
citymarketing. Notre boucle est bouclée. Mais ça mérite un blog à part. On ne
mélange pas torchons et serviettes !
Sources
Dans
les hyperliens repris dans le texte je signale particulièrement
Sur Geary et les nations qui refont
l’histoire
sur Charlemagne et L’EUROPE
LE ROMAN DE L’EUROPE, MYTHES ET ANACHRONISMES
Par Marion BEILLARD Table ronde 12 octobre
2008 avec comme intervenante e.a. Anne-Marie THIESSE, spécialiste de la
construction des récits nationaux au XIXème siècle.
http://books.google.be/books?id=5b5ChP5NKSUC&pg=PA59&lpg=PA59&dq=patrick+geary+nations+charlemagne&source=bl&ots=7AFwwQdmRW&sig=0AL7lxhCgerYFU1_uxmnESirSGc&hl=fr&sa=X&ei=miVkUpbBGofL0QXn24HIAQ&ved=0CFAQ6AEwAw#v=onepage&q=patrick%20geary%20nations%20charlemagne&f=false
La socio-histoire de l'intégration européenne, Yves Déloye
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