En septembre 2013 on a lancé la Via Charlemagne, de Barcelone à Hambourg, pour fêter
les 1.200 ans de la disparition du célèbre empereur. Tout ça à l’appel du
Mouvement Européen France-Marne avec le soutien du Mouvement Européen
International, du Mouvement Européen Allemand, du Mouvement Européen du Luxembourg,
du Groupement Européen Ardennes Eifel, de l’Association Route Européenne des
Légendes, de Kréascientia, le Comité de jumelage Reims -Aachen –excusez du
peu. Cette Route sera reconnue
prochainement comme Itinéraire Culturel Européen par le Conseil de l’Europe. "Cette
route retracera les itinéraires historiques et les pérégrinations de ce
personnage symbole de la construction européenne", explique Frédéric
Daerden.
Ces itinéraires ont été tracés dans le sang. Pour
beaucoup d’allemands, Charlemagne est LE TUEUR DE SAXONS ( Sachsentoter).
Cet anniversaire relancera sans doute aussi un débat lancé il y a presqu’un
siècle par Henri Pirenne, un de nos historiens les plus célèbres. Charlemagne s’est
tourné contre les saxons parce que les Maures étaient une noix trop dure à
casser…
Charlemagne inconcevable sans Mahomet ?
En 1922, Pirenne écrit un article, « Mahomet et Charlemagne » où il dit : « Sans l'Islam, l'Empire franc n'aurait sans doute jamais existé, et
Charlemagne sans Mahomet serait inconcevable ». Dès lors, il va enchaîner articles
et conférences et écrira peu avant sa mort en 1935 son ouvrage de synthèse
portant le titre de son premier article, Mahomet et Charlemagne.
Ce débat continue aujourd’hui. En 2008-2009 l’UGent crée un site sur Mahomet et Charlemagne (à côté d’une séance académique,
un colloque et une expo), dans le cadre de l’année Pirenne.
Et en 2007 mon ami Lucas
Catherine publiait ‘La guerre millénaire contre l’Islam’. Pour lui, ‘Mahomet et Charlemagne’ de
Pirenne est le livre de référence pour les rapports entre l’occident chrétien
et les musulmans autour de la Méditerranée. Il parle du ‘miroir de Pirenne’, dans lequel la civilisation occidentale
reflète et veut confirmer son identité. Selon Catherine, la thèse de Pirenne est le début de l’islamophobie
occidentale.
Ces thèses de Pirenne sont effectivement
instrumentalisées par l’extrême droite, lancé en 1939 avec une traduction non
autorisée en allemand, et repris aujourd’hui sans gène par l’extrême droite flamande
qui dénonce ‘l’impact catastrophique de
l’ Islam’. D’ailleurs, il n’y a pas que l’extrême droite nationaliste
flamande qui le revendique.
Constituée de Français volontairement engagés, la 33e division de grenadiers SS
prend le nom de Division Charlemagne. Elle est une des 38 divisions de la
Waffen-SS. En 2011 Marine Le Pen est photographiée en compagnie de Franz
Schönhuber, ex-Waffen SS de la division «Charlemagne ».
En 2013 une centaine de militants d'extrême droite se rassemblent au pied de la statue équestre de Charlemagne pour rendre hommage à Dominique Venner, qui s'était
suicidé dans la cathédrale de Notre-Dame de Paris
Le médiéviste Patrick J Geary démontre que
l'Histoire est instrumentalisée par des dirigeants nationalistes qui en
appellent au haut Moyen Age pour asseoir leurs revendications ; il cite
notamment le discours évoquant le "peuple
de France né avec le baptême de Clovis en 496" de Jean Marie Le Pen. Geary
démontre que cette histoire n'existe que depuis le XIXe siècle. Cette origine
médiévale est devenue l'instrument des nationalismes européens. Nous
approfondirons cela dans un autre blog.
Pirenne et
la régression carolingienne
Si ‘Mahomet et Charlemagne’ de Pirenne est effectivement instrumentalisé par
l’extrême droite, ça ne signifie pas du tout que c’est une thèse
d’extrême droite. Au contraire, c’est une thèse très intéressante qui relativise
fortement cette ‘civilisation
carolingienne’ et tout ce qui s’y rattache. Pirenne
parle de la régression carolingienne, cette « civilisation anticommerciale ». «L’histoire est forcée de reconnaître que, si
brillant qu’il apparaisse par ailleurs, le siècle de Charlemagne, à le
considérer du point de vue économique, est un siècle de régression. Ce qui est vrai de la culture littéraire, de
l’état religieux, des mœurs, des institutions et de la politique ne l’est pas de
la circulation et du commerce.» [1].
Si Henri Pirenne est
surtout connu pour son Histoire de Belgique en sept volumes parus entre 1900 et
1932, je n’hésiterais pas à définir son ‘Mahomet et Charlemagne’ comme son magnum
opus. Pendant treize années il a publié ses «Vorarbeiten »,
études préparatoires, dans le recueil ‘Histoire
économique de l'Occident médiéval’. La rédaction du livre fut achevée le 4
mai 1935. Six mois plus tard, l'existence terrestre du grand historien prenait
fin. A vrai dire, ce qu'il avait achevé n'était qu'une rédaction provisoire, un
premier jet sous une forme simplifiée qu’il nommait « le monstre ». Son «
monstre » reçut le titre de son article de 1922 : Mahomet et Charlemagne. Pour
la digithèque de l’ULB, «il n'est guère d'œuvre historique qui
ait, au cours des trente dernières années, été aussi féconde que Mahomet et
Charlemagne et les mémoires qui l'ont préparé et étayé ».
Voici la thèse de départ si féconde de Pirenne en 1923: “entre
la période mérovingienne, antérieure à l’irruption de l’Islam, et la période
carolingienne, qui débute au moment même de cette irruption, on constate des
différences que l’on ne puisse expliquer que par cet événement.” (Pirenne, Un contrasteéconomique. Mérovingiens et Carolingiens)
Selon lui, la conquête musulmane rompt l'unité méditerranéenne, sépare l'Orient de
l'Occident, qui est alors obligé de vivre en vase clos. Le pouvoir politique
remonte vers le nord de l'Europe occidentale, l'État franc va se développer.
Selon Pirenne, les invasions germaniques n'ont
pas altéré en profondeur la civilisation romaine à son déclin, en Europe
occidentale. Le grand bouleversement a été opéré au VIIe siècle, quand les
Musulmans acquièrent la maîtrise dans l'ouest de la Méditerranée. Le centre de
gravité se déplace vers le nord, vers les pays germaniques. La base économique en
est la terre et singulièrement le domaine se suffisant à lui-même. La grande
figure de ce monde nouveau, Charlemagne, est inconcevable sans Mahomet.
Cette thèse de Pirenne a inspiré pas mal
d’historiens pendant un siècle.
Georges Duby : une profonde dépression agricole.
A partir des années 1960 Georges Duby développe, en
s’inspirant de Pirenne, la thèse que la période carolingienne aurait été
caractérisée par une profonde dépression agricole. Un des caractères essentiels
du monde carolingien aurait été le taux de rentabilité extrêmement faible du
système de production domanial[2]. Dévorée par les prélèvements destinés à maintenir tant bien que mal
le capital humain, à reconstituer le capital d’exploitation et à assurer la
consommation de l’armée, de la cour royale et des seigneurs, la production
agricole ne laisse guère de marge pour approvisionner le marché.
L’autoconsommation était la règle et consumait toute opportunité de
développement non-agricole.
Le tableau de Duby est sinistre : « En dépit d'une énorme dépense de
main-d'œuvre et de l'extension démesurée de l'aire des villages, il faut
s'imaginer ces ruraux tenaillés par la faim. Leur seule préoccupation était
sans doute de subsister, de tenir pendant le printemps et le début de l'été, au
moment des travaux les plus durs. Lorsque le peu qui restait des réserves
alimentaires après les réquisitions des chefs commençait à s'épuiser, s'ouvrait
alors chaque année le temps des grandes privations et des nourritures de
hasard, où l'on trompait sa faim en dévorant les herbes du jardin, les baies de
la forêt, où les paysans quêtaient un peu de pain à la porte des riches. Toute
l'économie de ce temps paraît bien dominée par la menace permanente de la
disette » (Cit. in Raymond Delatouche, Regards surl'agriculture aux temps carolingiens, Journal des savants, 1977, Volume 2,Numéro 2, pp. 73-100).
« Le
colon de Charlemagne tire lui-même sa charrue en bois, gratte le sol de son
bâton à fouir; nulle fumure ; pas d'assolement ; une sorte de culture
itinérante ; un incroyable gâchis de main-d'œuvre ». Pour la
médiéviste Renée Doehaerd, il y a une évidence : la faim, la pénurie.
illustration De Villis |
Nous en avons une idée à partir de
l'inventaire d’Annapes, un fisc royal, qui figure dans le capitulaire deVillis.
Les récoltes de l'année précédente rapportées aux semences prélevées pour
l'année en cours donnent les rapports suivants : 1, 8/1 pour l'épeautre ; 1,65
pour le froment ; 1 pour le seigle ; 1,65 pour l'orge. Suivent 430 muids
d'avoine, 1 muid de fèves, 12 muids de pois sans indication de semence.
L'inventaire du matériel comprend, en fait d'outils en fer, 2 faux, 2
faucilles, 2 pelles ferrées.
Au XXI siècle, en 2006, Jean-Pierre Devroey écrit : « pendant un long siècle de
guerres d’agression quasi permanentes (710-820), l’ost franc est certainement la source la plus importante des dépenses couvertes par les
prélèvements sur la production agricole, dans le cadre de l’économie de
transferts contrôlée par l’aristocratie. Les profits de la guerre (butin,
tribut) sont redistribués par le roi entre le Trésor, l’Église, les Grands et
sa propre suite. Une fraction était absorbée par les échelons inférieurs de la
pyramide aristocratique dans le cadre des transferts réglés par la relation
réciproque entre dons et services personnels. Les dépenses de la guerre quant à
elles pesaient en dernière analyse presque exclusivement sur la paysannerie,
soit directement sur les paysans propriétaires affligés par la charge du
service militaire personnel ou des taxes de remplacement et des amendes, soit
indirectement sur les autres paysans dans le cadre de la médiation et de la
domination seigneuriale. Il serait naïf de penser que l’augmentation de la
demande interne représentée par la guerre et les autres formes de dépenses
aristocratiques à l’époque carolingienne a pu constituer un stimulant direct de
la production agricole » (Économie et société rurales du Haut Moyen Âgeoccidental : lecture dynamique des sources, compréhension dynamique de la société).
Le siècle de Charlemagne : des bandes qui étendent leurs déprédations en auréole, semant la ruine et le dépérissement
Pirenne oppose
la brillance d’une culture, mœurs, institutions et politique du siècle de
Charlemagne à une économie en régression. Georges Duby est beaucoup plus sec
dans son livre « Guerriers et paysans » qui est pour moi la
référence pour cette période. Duby parle de bandes qui étendent leurs déprédations
en auréole, semant la ruine et le dépérissement, une force d’agression dans la province la plus sauvage du royaume Franc :
Voici le
paragraphe complet : « En
Austrasie, dans la province la plus sauvage du royaume Franc, autour d’une
grande famille, celles des ancêtres de Charlemagne, et des hommes qui s’étaient
attachés à elle par les liens de l’amitié vassalique, une force d’agression
s’affermit progressivement pendant le premier tiers du VIII° siècle ; elle
se lança avec succès contre les autres clans aristocratiques, puis contre les
autres ethnies. Les bandes ainsi formées étendirent leurs déprédations en
auréole, de tous côtés, dans les profondeurs de la Germanie en réponse aux
incursions averses, en expéditions punitives de plus en plus lointaines, vers
la Neustrie, la Bourgogne, vers les contrées les plus romanisées du sud de la
Gaule, à la recherche des richesses à prendre, puis vers l’Italie lombarde ».
Voilà donc la base
de cette civilisation ‘brillante’ : rapines et vendettas.
Saint Bertin |
Cette civilisation
est encore basée sur l’esclavage, à condition qu’il ne s’agisse pas de
chrétiens. G. Duby montre comment la subsistance d’un seul des soixante moines
de l’abbaye de Saint Bertin reposait sur les prestations d’une soixantaine de
foyers dépendants, qui utilisaient des esclaves. Le Polyptique de Saint-Bertin (850-870) nous donne un aperçu
de quelques uns de ces foyers, avec le nombre d’esclaves : à Quelmes, les moines possèdent 1 église dotée de 12 bonniers, 6 esclaves et 4
luminaires qui paient chacun un denier de cire.
A Moringhem, le maire Thegen possède 5 bonniers de taillis, 5 bonniers
de prés, 200 bonniers de terre arable et 12 esclaves. Wenemar possède 24
esclaves. Osorad 24 ;. Bavo 16 ; Vendelard 14 ; Menghefrid 4;
Baudouin 9 esclaves. A Acquin, l'abbaye possède une église à laquelle 7
"luminaires" paient chacun 2 deniers de cire. Irhemard, le maire,
possède 23 esclaves ; Stillefrid 8; Bavo 14. A Coyecques, l'abbaye possède
une église avec 18 bonniers et 2 esclaves.
Mais en même
temps Georges Duby décrit comment une chose peut se convertir en son contraire :
la désagrégation d’une politique basée sur la conquête pousse à une lente
mutation de l’esclavage.«Restreignant la
valeur du butin que tous les ans, à la fin de l’été, les armées apportaient à
la cour, il tarissait peu à peu la source principale des libéralités royales.
Or de celles-ci dépendait en fait toute la puissance qui permettait au roi de
tenir l’aristocratie. Alors commence la désagrégation de l’édifice politique
construit par la conquête ; sur ses ruines allait se poursuivre dans les
cadres tout nouveaux le développement économique.
Au VII° siècle les grands propriétaires découvrent qu’il
était profitable de marier certains de leurs esclaves, de les caser dans un
manse, de les charger d’en cultiver les terres attenantes et de nourrir ainsi
leur famille. Le procédé déchargeait le maitre, réduisant les frais d’entretien
de la domesticité ; il stimulait l’ardeur au travail de l’équipe servile
et en accroissait la productivité ; il assurait ainsi son renouvellement,
puisqu’il confiait aux couples d’esclaves le soin d’élever eux-mêmes leurs
enfants jusqu’à ce qu’ils fussent en âge de travailler. Ce dernier avantage
devint sans doute, peu à peu, le plus évident. Se met alors en branle une lente
mutation de l’esclavage qui le rapproche peu à peu de la condition des
tenanciers libres. C’est l’un des évènements majeurs de l’histoire du travail,
et fut certainement un facteur décisif du développement économique » (Georges Duby, Guerriers et paysans, Gallimard 1980 p. 50).
Voilà donc
comment dans ce système barbare et cruel naissent les germes du système féodal,
où les serfs casés dans une manse ont une certaine forme d’autonomie toute
relative mais infiniment plus productive qu’un système basé sur l’esclavage. Duby
montre de manière très dialectique comment le progrès peut naitre de la
dévastation : «ces attaques pendant de longues décennies signifièrent
d’abord la ruine et le dépérissement. Mais finalement, sur ces dévastations
s’édifia le nouvel Empire, un immense état qui fut pendant un demi-siècle
solidement tenu en main » (Duby p. 90).
Roncevaux : une défaite
Ce nouvel Empire a tenu seulement un demi-siècle!
C’est presqu’un hasard de l’histoire. Si au niveau politique et militaire la
dynastie carolorégienne constitue un progrès, cet Empire n’est pas qualitativement
supérieur à ses adversaires. D’abord on retrouve les rapports vassaliques aussi
dans l’Empire Maure en Espagne et même chez les danois : le dirigeant
saxon Widukind est le beau fils du roi danois.
La force militaire carolingienne, basée sur l’ost
et sur une complicité dans la rapine, se décompose là où il n’y a pas
grand-chose à ramasser ou, pire encore, là où pleuvent les coups comme ça a été
le cas avec les musulmans espagnols.
Charlemagne avait traversé les Pyrénées à l’appel du Wali (gouverneur)
de Barcelone, menacé par l'émir de
Cordoue. Le Wali lui avait offert la soumission de Saragosse en échange d'une
aide militaire. Mais Saragosse refusa de lui ouvrir ses portes, déclarant
qu'elle n'avait jamais fait allégeance à Charlemagne. Charlemagne avait dû
retourner dans son royaume les mains vides. Pour se mettre quelque chose sous
la dent, sur le chemin du retour, il mit à sac la ville basque de Pampelune. En
représailles, il fut ensuite attaqué par les Basques à Roncevaux, le 15 aout
778. Cela est le noyau factuel (ou le fond de vérité) de la Chanson de Roland.
Contrairement à la chanson, il n'y avait aucun sarrasin à Roncevaux ! Et contrairement à la chanson aussi, ce raid
au-delà des Pyrénées était une défaite.
L’hymne national d’Andorre
prétend que
« Le Grand
Charlemagne, mon père,
Nous délivra des arabes,
Je reste la seule fille
de l'empire de Charlemagne ».
Nous délivra des arabes,
Je reste la seule fille
de l'empire de Charlemagne ».
Cet hymne
politiquement peu correct est donc aussi à côté de la plaque. Charlemagne a eu quelques
« marches » au-delà des Pyrenées dont la dépendance était très
nominale.
Mais Charlemagne a un
handicap supplémentaire en s’attaquant aux Maures : non
seulement des villes comme Saragosse dépassent les moyens de siège des armées
carolingiennes; les terres (re)conquises sur les arabes sont réclamées par
l’Eglise. Ce ne sont pas des terres vierges !
Charlemagne et ses guerriers se tournent donc
plus volontiers vers le nord. Avec les barbares on peut tout se
permettre : ce n’est nin des djins, comme on disait à l’époque des
flamins. Ce n’étaient pas des humains et contre eux tout était permis. La Saxe
a été présentée comme un pays barbare, càd qui n’appartient à personne et qui
n’a aucune structure politique ou culturelle. En fait, il y avait une structure
politique : comme les Frisons ( premières victimes de pépin de Herstal),
les Saxons étaient des vassaux des Danois, connus alors sous le nom de Normands
ou Vikings.
Les campagnes de Charlemagne contre les Saxons
sont une première guerre de trente ans,
de 772 à 799. Il faudra un génocide et la dispersion des survivants pour venir
à bout de la résistance. Cette ‘guerre’ commence par des escarmouches, des incursions de pillage
réciproques. En 775, Charlemagne convoque les grands du royaume à Quierzy, pour
en finir avec les Saxons. "La loi du fer de Dieu" consiste à choisir
entre le baptême ou la mort.
Widukind |
Il obtient quelques victoires contre les
saxons dirigés par Widukind, beau-fils du roi de Danemark. Widukind refuse
(sagement) en 777 la convocation à un concile convoquée par Charlemagne dans la
ville nouvellement fondée de Karlsburg
(aujourd’hui Paderborn). C’est là que le roi des Francs
convoque un concile où beaucoup de Saxons se font baptiser (le choix entre
baptême ou mort). Il y rencontre aussi le gouverneur arabe de Saragosse, et il y
décide son razzia en Espagne.
Widukind s’exile au Danemark, d’où il relance
la résistance saxonne alors que l'armée franque est mobilisée en Espagne. Widukind,
avec le soutien des Frisons et des Danois, bat les Francs au mont Süntel. Charlemagne
doit rompre le siège de Saragosse et revenir dare dare en Saxe. A Verden sur la
Weser, en 782, il décapite 4500 personnes, et fait déporter 12000 femmes et
enfants.
Voilà le récit du médiéviste français Des Michels : « Charles, pleinement rassuré sur la fidélité future des Saxons, apprit
qu’un corps de Francs venait d'être égorgé à Rastringen en Frise dans une
embuscade que les Saxons avaient préparée. Il ordonna de dévaster la Saxe et
pour en finir avec un peuplé si indocile, il se décida à passer la saison
rigoureuse sur le Weser. Ce camp devint une ville qui, sous le nom de
Neuf-Héristall, conserva le double souvenir du séjour de l'armée et du berceau
de la maison royale ».
Ruines Iburg |
Permettez-moi ici une petite digression. Selon
un dictionnaire etymologique, Stal (Stelle, lieu, établissement), Herstal,
Herstelle, Heristall, désigne un camp,
l'emplacement occupé par une armée : Heer.
Herstal a donc un ‘concurrent’ :
Neu Heristall sur la Weser. Et Des Michels y situe
même le berceau de la maison royale ! On y trouve les ruines du château Iburg, détruit par Charlemagne.
En 785 Charlemagne sort le capitulaire ‘De
partibus Saxoniæ’ : les païens doivent se convertir sous peine de mort.
Mais même après leur conversion, les Saxons ont du mal à renoncer totalement à
leurs coutumes anciennes. Les Saxons se tiendront tranquilles pendant huit ans,
mais la conquête religieuse de la Saxe va provoquer de nouveaux soulèvements,
les missionnaires francs utilisant souvent la force pour parvenir à leurs fins.
Dans les années 792 à 795, des Saxons se
soulevèrent à nouveau.
Mais voici le happy end de Des Michels : « Les
Saxons Transalbins massacrèrent les commissaires royaux envoyés dans leur
contrée pour la levée des tributs ainsi que Godescalk qui allait remplir une
mission de Charlemagne auprès de Sigefried, roi des Danois. Le sang de quatre mille Saxons expia la violation du
droit des gens. La paix fut alors rétablie depuis le Rhin jusqu'à l’Oder depuis
l’Océan jusqu’ aux sources de l’Elbe.
A la diète de Saltz, les Saxons remis en
possession de leurs biens recouvrèrent leurs lois nationales. Ils furent
affranchis du tribut mais ils restèrent soumis à la prestation de là dîme, qui
ne leur était pas moins odieuse. Car, si nous mêmes, écrivait le sage Alcuin en
798, nés, nourris, instruits dans la foi catholique, nous consentons avec peine
à payer la dime de nos biens, combien plus une foi tendre encore et un
instinct avare doivent-ils répugner à
cette largesse!
Cependant les Saxons promirent de rester
fidèles. Pendant qu'il allait ordonner la dispersion de dix mille familles dans
les cantons déserts de la Belgique et de l’Helvétie, il donnait à d'autres de
belles métairies dans la Gaule, de même qu'il avait doté ses guerriers en Saxe
de la dépouille des proscrits, intéressant ainsi les vainqueurs et les vaincus
à la fusion des deux pays et des deux nations » (Chrysanthe Ovide DesMichels, Histoire générale du moyen age, Volume 2, 1834).
Pour beaucoup d’allemands, peu convaincus de cette
‘fusion des deux pays et des deux nations’, Charlemagne reste « LE TUEUR DE SAXONS ! ». Comme Saint Jacques de Compostelle est le matamore, tueur
des maures, Charlemagne est le « Sachsentoter ».
La conquête de la Saxe à la base de l’expansion viking
Nous avons vu que Widukind était beau-fils du
roi de Danemark où il se avant de relancer la résistance saxonne qui mène à la
victoire sur les Francs au mont Süntel. Charlemagne envoit Godescalk en mission
de auprès de Sigefried, roi des Danois. Ces ‘tribus barbares’ avaient don des
structures politiques assez élaborées. A cette époque le Danemark construit le
Danevirke, un mur de 30 km, pour se protéger des incursions de Charlemagne. Ce mur danois est toujours visible aujourd’hui. Les nazis ont encore voulu en faire un barrage
antichars.
Pour réaliser une telle construction, il faut
un haut degré d’organisation politique. Les gens du Nord n’étaient pas si
barbares que ça. Il n’y a qu’un site carolingien tant soit peu
comparable : Mercator raconte que Charlemagne a eu "cette idée folle" de relier leRhin au Danube. En 793, près de l'actuel Treuchtlingen, il a lancé un chantier
de sept mille hommes : mille huit cent mètres de terres marécageuses à creuser
à la bêche. Au bout de 1400 m, l'entreprise aurait été abandonnée en raison de
coulées de boues, ennoiement et effondrement des berges lors de fortes pluies.
Il ne subsiste plus aujourd'hui de cet ancien canal appelé la Fosse caroline qu'un
bras en eau de 500 m de long et des digues en remblai.
Fossa Carolina |
Ce qui explique que point de vue bâtiments Charlemagne
a laissé des vestiges fort rares. Le gros des constructions étaient en bois et
les Vikings ont brûlé pas mal. A l’Archéoforum en dessous de la Place Saint
Lambert il y a une couche de cendres bien visible et quelques trous de pieux de
structures d’époque (en bois). Même la capitale Aix a été brûlé presque
complètement par les Vikings. Le gros de ce qu’on y voit est postérieur à
Charlemagne. Avant de commencer à creuser pour retrouver à Herstal des vestiges
du Palais de Charlemagne, mettons-nous bien en tête que dans le meilleur des
cas nous devrons nous contenter d’empreintes laissées dans l’argile par les
pieux de fondation…
Un Empire fameusement secoué par les Vikings
Pierre commémorant le paiement de Danegeld |
Charlemagne
assiste donc impuissant aux premiers assauts des Vikings. En 806 déjà, au
moment où, par l’Acte de Thionville, Charlemagne prévoit le partage de son
empire entre ses trois fils (Divisio regnorum), les Normands ou Vikings coupent
les routes de la Manche. Et les fistons ne font pas mieux. En 861, Charles le
Chauve fit porter 5000 livres aux Normands de la Somme, 6000 à ceux de la
Seine. L’imposition du Danegeld fut introduite en Angleterre en 865 ;
cette taxe devint permanente ; l’année 991, le prélèvement prélevé de la
sorte atteignit la valeur de 10.000 livres. Ce Danegeld était une véritable
taxe et cela montre que la pression normande était bien permanente et ne se
limitait pas du tout à des incursions furtives.
Voici le détail de ces incursions avec en parallèle le délitement de l’Empire de Charlemagne:
En 817, Louis le Pieux divise, de son vivant,
l'Empire en trois royaumes (Ordinatio imperii).
819 : Les
Normands paraissent dans l'estuaire de la Loire et de la Seine.
820 raids des
Vikings sur l'abbaye de Noirmoutier.
En 840, à la
mort de Louis Ier le Pieux, fils de Charlemagne, l'empire carolingien
s'effondre, les trois fils dépècent l'empire.
841 les
Normands pillent et incendient Rouen.
Des 841, dans
les bouches de l’Escaut, les Vikings se substituèrent à l’aristocratie indigène
et s’approprièrent à sa place les surplus du travail paysan. Ils fondèrent des
états autour de Rouen et York (Duby p.133).
La vieille cité
romaine de Tongres fut définitivement délaissée par ses habitants. Duurstede,
pillée en 834-837, disparait dès le milieu du IX° siècle. Le portus de Gand,
deux fois détruit, reprend vie vers 900 sur un autre emplacement (Duby p.155).
En 843 Traité
de Verdun : partage de l'empire d'Occident de Charlemagne entre les trois fils
de Louis le Pieux. Les Normands pillent Nantes.
845 les
Normands pillent et brûlent Paris. Ils emmènent des Parisiens comme esclaves.
Charles Le Chauve achète la paix à Ragnarr, le chef viking.
851 Les armées
scandinaves commencent leurs hivernages en Francie.
853 les
invasions normandes atteignent Tours.
854 les
nordiques investissent momentanément Angers.
862 : Les Vikings
s'installent à demeure dans la vallée de la Seine. Et se font fréquemment verser des tributs en
argent et en or.
En 885, les
Normands assiègent Paris pour la cinquième fois. Charles Le Gros achète la paix
pour 2.800 livres d'argent. La population ne fuit pas et s'organise pour la
bataille. Paris est défendu avec succès par le comte de Paris, Eudes. Le Viking
Sigefroid s'établit sur la rive droite de Paris.
888, Dijon est
ravagée par les envahisseurs normands.
Dans les îles Britanniques apparait en 865 la Grande Armée païenne
danoise. Il est probable que d'autres attaques aient eu lieu auparavant. La Northumbrie
est partagée entre un royaume viking et un résidu saxon, l'Est-Anglie devient
un royaume danois. Les petits royaumes d'Irlande, d'Écosse et du pays de Galles
connaissent des sorts semblables. Jórvík (York) devient la capitale d'un
royaume viking, allié aux Norvégiens de Dublin.
Cette invasion
Viking sonne le glas de la dynastie Carolingienne. En février 888, Eudes, comte
de Paris, qui s'est révélé chef intrépide contre les Normands, est élu roi de
Francie. C’est le début d’une lutte entre Robertiens et Carolingiens (Charles
le Simple) qui pendant cent ans vont se contenter de faire de la figuration.
Conclusion
E-V Luminais Attaque Vikings |
Biblio
https://dipot.ulb.ac.be/dspace/bitstream/2013/124343/1/DDKeymeulenPirenne-2011.pdf Mahomet et Charlemagne, de l’ébauche à
la concrétisation
L.
CATHERINE, Van morendoders tot botsende beschaving. De duizendjarige oorlog
tegen de Islam, Berchem, Epo, 2007
Georges Duby
Guerriers et paysans Gallimard 1980
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