vendredi 13 septembre 2013

Léonard Defrance et Saint Lambert : profanateur ou administrateur de recyclage d’un ‘bien national’

Le peintre Léonard Defrance a joué un rôle important dans la révolution liégeoise de 1797. Mais pour certains, c'est “le pire des Liégeois que la terre ait jamais porté”.  Aux yeux de Théodore Gobert, Defrance est un profanateur, un destructeur d’un des édifices religieux les plus prestigieux de l’occident. Defrance est voué aux gémonies alors qu’à la même époque où l’on vend des dizaines de bâtiments tout à fait comparables à Saint Lambert,  pour les démolir et récupérer des matériaux, simplement parce que ces bâtiments étaient devenus d’inutiles témoins d’une époque révolue.
Dans la principauté liégeoise, l’abbaye de Saint Trond, une des plus
Ruines Saint Trond
vieilles et plus puissantes des Pays Bas,  fut ravagée et 1
796.  On reconstruit à son emplacement le petit séminaire d’où sortit Joseph Daris, le grand historien catholique de la Révolution Liégeoise. 
Lors de sa visite à Anvers en 1803 Napoléon a empêché la démolition de la cathédrale Notre-Dame. Le gouvernement local voulait la démonter aussi pour récupérer des matériaux de construction.
A Bruges l’église des comtes de Flandres était devenu la cathédrale Saint Donat lorsqu’on a érigé l’Evêché de Bruges en 1559. En 1794, la cathédrale a été vendue comme 'bien national’ et complètement démolie.
En France des dizaines d'églises et de monastères ont partagé le même sort.
Charles de Montalembert décrit dans son ‘vandalismeen France - Lettre à M. Victor Hugo’  la destruction du palais des comtes de Provence, et des papes d’Avignon : « L'œuvre de destruction a été commencée par Louis XIV, qui fit abattre la grande tour du palais pontifical, qui dominait les fortifications récentes d'Avignon. En 1820, il fut converti en caserne et en magasin. Aujourd'hui, tout est consommé ; il ne reste plus une seule de ces salles immenses dont les rivales n'existent certainement pas au Vatican. »
Le Général Tureau achète la magnifique abbaye bénédictine de Conches dont il ne reste maintenant plus rien
L’abbaye royale deRoyaumont  fut fondé par Louis VII et Saint-Louis y avait fait enterrer ses enfants. En mai 1790, la municipalité d'Asnières procède à un premier inventaire de l'abbaye. Elle fut adjugée sans enchères pour 642.341 livres au marquis Jean-Joseph Bourguet de Guilhem de Travanet. En décembre 1791, les bâtiments sont vidés des livres, argenterie et cloches mais aussi des sépultures royales. Leurs cendres furent dispersées en application du décret de la Convention du 12 octobre 1793, et les tombeaux se retrouvent à Saint-Denis. Travanet étant un piètre industriel, l’abbaye est vendu en 1815 à Joseph van der Mersch, un industriel de Ménin qui fuit l’intolérance des Pays Bas après la défaite de Napoléon. Joseph a déménagé sa blanchisserie du  couvent des bleuettes  à Ménin à Royaumont. Des dizaines de ses ouvriers l’ont suivi. Joseph était un cousin du héros de l'indépendance Jean-Andrévan der Mersch, lieutenant-général des États-Belgiques-Unis. Le 27 octobre 1789, il a battu une armée autrichienne bien entraînée à Turnhout. Son frère Félix-Bernard van der Mersch a fait voter en 1793 l’adhésion de Menin à la France (source François-michel van der Mersch, La révolution Belgique)
 Notre Dame avant la restauration de Viollet le Duc
Les fleurs de lys de laflèche de la croisée du transept  de NotreDame de Paris n'incarnaient que trop manifestement la royauté : la flèche fut démontée. Celle qu’on voit aujourd’hui est une nouvelle flèche mis en place par Viollet-le-Duc dont le modèle s’éloigne fondamentalement de celle du XIIIe siècle. De plus, cette flèche n’est plus un clocher.
A Clermont-Ferrand, les révolutionnaires veulent abattre l'église mais le bénédictin Verdier-Latour réussit à les persuader qu'elle constituait un
La Révolution et son idéologie
sur un portail de la cathédrale
excellent lieu de rassemblement populaire. À l'extérieur, trois des tours des transepts sont arasées de même que les statues des portails et les sculptures du tympan.
A Saint Nectaire, la cathédrale est convertie en temple de la Raison en 1793, et le groupe de l'Assomption est transformé en figure patriotique puis, l'année suivante, en temple de l'Être suprême. On enlève le plomb de la couverture (qui ne sera restaurée qu'en 1797) pour fabriquer des balles.
cathédrale Arras Adam Van der Meulen 1632-1690
A Cambrai, le Comité de salut public envoie Joseph Le Bon pour « régénérer Cambrai, ville de prêtres, de fanatistes et d'aristocrates». Après avoir servi de grange, l'église du Saint-Sépulcre est transformée en temple de la Raison : Le Bon y harangue le peuple depuis la chaire qu'il appelle son « tonneau de Diogène ». L'église est finalement vendue comme bien national. Toutefois l'administration municipale en interdit la destruction en 1800, sauvant ainsi l'édifice d'une probable disparition. Mais la cathédrale Notre Dame, «merveille des Pays-Bas », est démolie.
Dans le Pas-de-Calais,  sur 702 bâtiments religieux 175 sont détruits. 
En 1804 Napoléon la voyant en si mauvais état la cathédrale Saint Nicolas d’ARRAS, décide de la faire raser. En 1809, il n'en reste que la tour, qui s'effondre lors d'une tempête.
A CHANTILLY, le Petit Château est transformé en prison sous la Terreur. Une première partie est vendue par lots entre 1793 et 1795. Le reste du domaine est loti en 1798. En 1799, les adjudicataires du château entreprennent aussitôt de le démolir pour récupérer les matériaux de construction. Seuls sont épargnés le Petit Château et les Grandes Écuries, les entrepreneurs s'étant vu retirer le marché avant d'avoir pu les détruire.
A Champmol, la Chartreuse fut achetée par le député aux Etats-Généraux Emmanuel Cretet, en 1791.  Il démolit l’église. Les tombeaux avaient été exceptés de la vente, et les cercueils des deux premiers ducs trouvèrent un abri à Saint-Bénigne ; tous les autres, y compris celui de Philippe le Bon, disparurent. "On plante des calebasses dans la cendre de Philippe le Bon ! " s’écriait l’académicien Louis Bertrand. Le démolisseur a été nommé ministre de l’intérieur, comte de Champmol, et fut mis au Panthéon.
Quand on voit tout ça, on se demande comment à Liège, cité si ardente,  la nostalgie pour cette cathédrale
Saint Paul- Délices du pays de Liège
disparue était si grande qu’en 1810 déjà on ajoute une tour à l’église de Saint Paul sur le modèle de la tour principale de Saint Lambert. La collégiale Saint Paul n'avait anciennement qu'un petit clocher dont on peut voir encore le dessin dans les Délices du pays de Liège. Sans aucun respect pour le bâtiment existant – là aussi on parlerait aujourd’hui de barbarie architecturale -  on  décide de construire une flèche qui reproduit la forme de celle de Saint-Lambert. La partie qui contient les cloches est bâtie en pierres de sable provenant des tours carrées de l'ancienne cathédrale. On récupère la flèche de la tour de l'abbaye de Saint-Trond, démolie dans les mêmes conditions. En 1802, l'ancienne collégiale Saint Paul fut érigée en cathédrale. Les chapitres de chanoines des huit collégiales de Liège avaient été dissous en 1797. Dans le cadre du concordat,  un nouveau chapitre de chanoines est reconstitué pour Saint Paul à qui Bonaparte fit même délivrer une reconnaissance d’un million à payer sur le trésor de l'État (cette dette ne fut pas acquittée pendant la période impériale). En 1805, la nouvelle Cathédrale récupère même une partie des biens et des
Defrance - autoportrait
rentes qu'elle et Saint-Lambert possédaient avant la révolution. Napoléon intervient encore en 1812 pour que le clocher soit installé. Donc il y a bien déjà cette nostalgie, voire volonté de restauration, mais la cible n’est pas – encore – Defrance.
On doit se demander pourquoi à Liège, cinquante ans plus tard, on a pu porter un jugement si tranché sur Defrance, par des profs d’université qui sont payés pour avoir un minimum de recul historique, par un Gobert  dont 'Les rues de Liège' sont toujours une référence.
L’Archéoforum de Liège est cette infrastructure monumentale de 84 x 44 mètres, en dessous de la place Saint-Lambert. Il a de la peine pour attirer des visiteurs. On y voit entre autres les fondations de la cathédrale de Saint Lambert. Si on veut intéresser des gens à cet amas de pierres de tout âge, il ne faut surtout pas fuir des questions controversées. Le débat sur la disparition de ce symbole de l’Ancien Régime y a d’autant plus sa place que ce démontage est à la base de la création de cette place Saint Lambert.

Autres blogs sur la révolution liégeoise


Defrance - Fonderie

Aucun commentaire: