vendredi 6 septembre 2013

A l'occasion du bicentenaire de la mort de Grétry

Liège fête en 2013 le bicentenaire de la mort du compositeur liégeois Grétry. Lors du 15 août en Outre-Meuse, un nouveau géant  Grétry a défilé. Le  13, 14, 15, 20, 21,22 et 24 /9, il y a Grétry superstar au Moderne,  sur une idée de Michel JASPAR, qui incarne depuis 5 ans le musicien dans les rues de Liège, à travers ses "Flâneries Erudites deMonsieur Grétry". Le 27 septembre le concert d’ouverture de l’orchestre philharmonique célèbre Grétry. Et le 20 octobre l’ORW programme sa « Caravane du Caire ».

Grétry, enfant de choeur?

André Grétry commence comme enfant de choeur à la collégiale Saint-Denis de Liège. Ca ne lui laisse pas des souvenirs inoubliables : « Qu'on juge, dit-il, de ce que j'ai dû souffrir pendant les quatre ou  cinq années que j'ai passées dans cette horrible inquisition; si, pendant ces misérables années, je n'ai pas tout à fait perdu mon temps, si j'ai fait quelques progrès dans la musique, je n'obtins point cet avantage par les leçons de l'instituteur, mais malgré ses leçons».
En 1759 il obtient une bourse pour le collège Darchis à Rome, où les jeunes artistes liégeois avaient la table et le logement pendant cinq ans, à la condition de porter le costume d'abbé.
En avril 1761, il quitta Rome. En se dirigeant vers la France, il se vit contraint de s'arrêter à Genève, son gousset étant vide ; il y trouva à donner des leçons bien rétribuées et rencontra Voltaire qui habitait dans le coin.
En février 1766 il s’établit en France où le succès n’est pas immédiat. Même si en 1769 le célèbre quatuor « Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille » de son deuxième opéra Lucile passera dans l’histoire et sera fréquemment joué dans les rangs de la Grande Armée. Ce morceau était très apprécié sous l’Empire. Il était inscrit au répertoire courant des musiques régimentaires. Il est interprété par les musiques de la Garde dans le salon carré du Louvre, le jour du mariage de Napoléon avec Marie-Louise. Le morceau est joué aussi lors de l’entrée dans Moscou et pendant la retraite de Russie.
Au moment de la Restauration cette chanson sert d’hymne bourbonien. Ce fut un hymne national non officiel du Royaume de France entre 1815 et 1830. Dans sa brochure sur l'insurrection de Paris de 1832, Heinrich Heine, ami de Karl Marx, y fait allusion: " Louis-Philippe, Roi des Français  (et non « roi de France »)  est entouré des canons des Français: où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille."
Il devient quand même un des compositeurs préférés de la Reine Marie-Antoinette. En 1771, Zémire et Azor, une comédie-ballet en quatre actes, connaît un tel succès que Grétry obtient une rente royale. Le ‘Jugement de Midas’ (1778) par contre était contesté à la cour. La ville la reçut favorablement, ce qui inspira à Voltaire le quatrain:
La cour a dénigré tes chants,
   Dont Paris a dit des merveilles
 Grétry, les oreilles des grands
     Sont souvent de grandes oreilles
Richard Cœur de Lion marque l'apogée du talent de Grétry. L’un des airs de Richard deviendra le signe de ralliement des royalistes : « Ô Richard, Ô mon roi, l’univers t’abandonne ». Il fut joué en particulier le premier octobre 1789 à Versailles, lors d'un banquet historique. Le banquet de la garde des Flandres, le 1er octobre à l’Opéra royal, apparaît comme la dernière provocation de la monarchie. Les Gardes du corps du Roi organisent un banquet en l’honneur du nouveau régiment de Flandres. L’orchestre joue 'O Richard, O mon roi'. La famille royale descend alors sur la scène. Les gazettes transforment le banquet en orgie et avancent que la cocarde tricolore a été foulée au pied. Organiser un banquet quand le peuple a faim, c’en est trop ! Marat, Danton et Desmoulins appellent à marcher sur Versailles.
Le 5 octobre, les parisiennes marchent sur Versailles. On ferme les grilles du château. Le roi confie sa défense à La Fayette qui déploie ses hommes sur la place d’Armes. La foule, trempée par la pluie, massée dans la cour de Marbre, réclame leur apparition du couple royal. Louis XVI promet de leur donner du pain et de se rendre à Paris. Le cortège royal quitte Versailles. Pour de bon.
Par la suite, une version adaptée aux circonstances circulera dans les milieux royalistes avec pour titre « O Louis, ô mon roi » (1791)
Ce qui ne retient pas l’Empereur, charmé par ‘Richard cœur de Lion’, de donner de son propre mouvement, une pension à Grétry. 
Mais avant ça, Grétry mange du pain noir. Lorsque Marie Antoinette passe à la guillotine, le compositeur perd sa rente royale. De sa fortune accumulée sous l'ancien régime, il ne reste presque rien : son beau-frère a sombré dans la faillite emportant avec lui les économies prêtées par le musicien et son propre frère meurt subitement, laissant à Grétry le soin de s'occuper de la veuve et de ses sept enfants.
Ce qui ne l’empêche pas de soutenir cette révolution. Grétry, adulé sous l’Ancien Régime, ne succombe pas à la Terreur. Ami intime de Rouget de Lisle et de Beaumarchais, il sert rapidement la propagande révolutionnaire. Dans une lettre que Grétry adresse le 4 novembre 1792 à Rouget de Lisle , Grétry écrit: « bonjour, mon Brave, revenez m’embrasser, soyez tout couvert de gloire, un de ces jours, mon Pays de Liège sera françois, j’en suis enchanté, j’en suis tout fier ».
 David La mort du jeune Barra 
Les titres de certaines de ses productions sont éloquents: Couplets du citoyen patriophile dédié à nos frères de Paris, (1792) ; Hymne en l'honneur deMarat et Le Pelletier (1793) ; Hymne à l'Eternel : Je te salue (1794) ; Ronde pour la plantation d'un arbre dela Liberté , 1799 ; Joseph Barra (1794) ; La Rosière républicaine, ou la fête de la vertu, (1794).

Monument Grétry à Montmorency
Napoléon le décore Chevalier de la Légion d’Honneur en 1802 et Chevalier de l’Empire en 1808. Grétry renvoie l’ascenseur avec son ‘Eloge à Bonaparte, le plus grand des héros’, (1801).
Son air ‘La Victoire est à nous’  de sa ‘Caravane du Caire’ est chanté lors de l’entrée à Moscou en 1812. C'est évidemment discutable si 'la victoire était à eux'... 
Voici la version ‘opéra’ http://www.youtube.com/watch?v=R3wI_n-6BPE
On le retrouve aussi sous le titre Waterloo Soundtrack http://www.youtube.com/watch?v=HXmljXjwZko  , ce qui est tout à fait à côté de la plaque puisque là incontestablement la victoire n’était pas du côté français. Mais c’est un beau clip avec des belles images.
Grétry Père Lachaise
Sa fin de vie est à l’image de ce révolutionnaire : Grétry achète l'ermitage du grand philosophe J.J. Rousseau, à Montmorency, où il passe ses vieux jours. Son corps repose au Père-Lachaise, et la statue Place de l'Opéra à Liège renferme une urne avec le cœur du compositeur.

La statue de Grétry et le vide dans la statuaire révolutionnaire liégeoise

Philippe Raxhon décrit dans « La mémoire de la révolution française » le vide dans la statuaire révolutionnaire liégeoise. La seule statue est celle de Grétry. Il y a encore la plaque «LOIX PUBLIEES DANS LE DEPARTEMENT DE L'OURTE » sur le Palais des Princes-Evêques. Il y a eu de 1797 jusqu’en 1814  une dalle au pont des Arches qui fut pris d'assaut lors de la seconde entrée des Français. En souvenir de cette action on lui donna le nom de Pont de la Victoire. En 1796 une dalle en marbre noir reprenait cette inscription:
PONT DE LA VICTOIRE ICI LES LIÉGEOIS ONT VU BRISER LEURS FERS NEUF THERMIDOR AN II DE LA RÉPUBLIQUE UNE ET INDIVISIBLE
Après la chute de l'Empire l'inscription disparut et le pont reprit le nom de Pont des Arches.
La seule statue est donc celle de Grétry. Le 6 septembre 1828 son cœur fut transporté à Liège. Selon Ph. Raxhon, « ce cœur est celui d’un artiste, il n’est donc pas à priori chargé politiquement. Grétry est le révolutionnaire dénaturé de la révolution, révolution qui se neutralise dans sa musique, même révolutionnaire ».
C’est le début d’une tradition commémorative de Grétry à Liège. L’urne funéraire resta à l’hôtel de ville jusqu’en 1842. Le socle provisoire resta à l’hôtel de ville et finit par contenir des bouteilles de vin destinées au protocole. Le bourgmestre Julien d’Andrimont avait l’habitude, lors des séances de travail, d’en appeler à l’huissier de service pour « faire saigner le cœur de Grétry » et boire à la santé du compositeur (note P.R. p247)
La statue resta Place de l’Université, jusqu’au transfert en 1866 place du Théâtre.
Emile Lohest et Félix Pardon écrivent même un opéra ‘Jeunesse de Grétry »  en 1871.
A l’occasion du bicentenaire de la mort de Grétry, la ville a restauré sa maison natale qui avait été transformée en ‘Maison Grétry’ en 1911. Pourtant, à cette époque, la Commission des Beaux Arts de la ville avait émis un avis défavorable entre autres par le doute qui s’était installé dans le conseil communal sur l’historicité de cette maison natale. En 1913, année du centenaire de la mort du musicien, il y a encore un virulent échange de vues là-dessus où l’échevin des Beaux –Arts en personne estimait que cette maison n’était pas la maison natale. Il lui fut répondu que d’ici cinq ans les gens le croiraient tous. Ce qui se serait réalisé si Philippe Raxhon n’aurait pas soulevé le lièvre dans son « La mémoire de la révolution française ». Les initiateurs soulignent l’exemple populaire qu’incarne Grétry dans une Belgique libérale bourgeoise aux prises avec les socialistes et la « guerre des classes » : « la maison est située en Outremeuse, où vibre l’âme de notre population et l’appropriation de cette modeste demeure sera,
pour les humbles, d’un enseignement profond et réconfortant, alors que Grétry, par sa volonté, par son talent a su parvenir au faîte de la gloire et des honneurs ». Pour les cathos, Grétry fut une victime de la révolution, et son ralliement à ses principes contraint et forcé : « Malheureusement, la révolution avait soufflé en tempête sur les libéralités de l’ancien régime (sic) et Grétry n’avait conservé de ces recettes que ses droits d’auteur ; encore dut-il donner des gages de civisme, renier son passé royaliste et entrer dans le mouvement révolutionnaire. On n’avait pas oublié, à la Convention, que les gardes du corps au banquet de Versailles, le 1 octobre 1789, avaient chanté avec des larmes dans la voix l’air de ‘Richard Cœur de lion’ (Gazette de Liège 14/9/1911). Pour d’autres, Grétry était carrément l’auteur de la Marseillaise, et non Rouget de Lisle (L’Oeuvre juin 1911 p.137). Mais lors de l’inauguration de la maison Grétry, en présence du roi Albert et de la reine Elisabeth, aucun discours ne fait allusion à son activité de compositeur révolutionnaire.

Biblio

Philippe Raxhon, La mémoire de la révolution française entre Liège et Wallonie Labor bxl 1996 p.82-
Mémoires, ou essai sur la musique (Grétry, André Ernest Modeste)
 L'Académie royale de Belgique a son Fonds Froidcourt-Droixhe qui contient les archives de Georges de Froidcourt, magistrat liégeois spécialisé dans le 18e siècle de la principauté, collectées au fil des ans par Daniel Droixhe ainsi que plusieurs lots acquis lors d'une vente publique. Ce Fonds contient entre autres des ouvrages du 18e siècle relatant le retour du pianiste à Liège et les manifestations organisées en son honneur, notamment par Fabre d'Eglantine qui lui a consacré un poème. D. Droixhe y a adjoint ses propres archives La correspondance générale de Grétry, et  Grétry, Rouget de Lisle et la Marseillaise. 
Le blog de JEAN-MARC ONKELINX Musicologue-conférencier, Professeur d'histoire de la musique depuis 1990. Enseigne au Conservatoire royal de Liège, avec entre autres quelques orientations discographiques et bibliographiques à propos de Grétry
Autres Œuvres révolutionnaires de Grétry
Guillaume Tell , http://www.youtube.com/watch?v=JSs_C3--EW0 ; interprêté par r Les Nouveaux Caractères. Concert dans la galerie des glaces du Château de Versailles, octobre 2009  http://www.youtube.com/watch?v=0HGqS9sU2Ps
1790, Pierre le Grand comédie mêlée de chants, d'après «l'Histoire de Russie sous Pierre le Grand» de Voltaire. Créé à la Comédie Italienne de Paris le 13 janvier 1790 http://www.youtube.com/watch?v=pGBWiMecG4I
1792, Basile, d'après «Don Quichotte» de Cervantes. Créé à la Comédie Italienne de Paris le17octobre 1792
1792, Cécile et Ermancé, ou Les deux couvents, comédie en 3 actes sur un livret de C. J. Rouget de Lisle et J.-B.-D. Desprès. Créé à la Comédie Italienne de Paris le 16 janvier 1792
1793-1794, L’inquisition de Madrid, drame lyrique en 3 actes, livret de A. J. Grétry
1794, Callias, ou Nature et patrie, opéra en un acte sur un livret de F.-B. Hoffman. Créé l'Opéra Comique de Paris le 19 septembre 1794

1794, Le congrès des rois, comédie en 3 actes sur créé à l'Opéra Comique de Paris le 26 février 1794

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