Liège fête en 2013 le bicentenaire de la mort
du compositeur liégeois Grétry. Lors du 15 août en Outre-Meuse, un nouveau
géant Grétry a défilé. Le 13,
14, 15, 20, 21,22 et 24 /9, il y a Grétry superstar au Moderne, sur une idée de Michel JASPAR, qui incarne depuis 5 ans le musicien dans les rues de Liège, à travers ses "Flâneries Erudites deMonsieur Grétry".
Le 27 septembre le concert d’ouverture de l’orchestre philharmonique célèbre
Grétry. Et le 20 octobre l’ORW programme sa « Caravane du Caire ».
Grétry, enfant de choeur?
André Grétry commence comme enfant de choeur à
la collégiale Saint-Denis de Liège. Ca ne lui laisse pas des souvenirs
inoubliables : « Qu'on juge, dit-il, de ce que j'ai dû souffrir pendant
les quatre ou cinq années que j'ai
passées dans cette horrible inquisition; si, pendant ces misérables années, je
n'ai pas tout à fait perdu mon temps, si j'ai fait quelques progrès dans la
musique, je n'obtins point cet avantage par les leçons de l'instituteur, mais
malgré ses leçons».
En 1759 il obtient une bourse pour le collège
Darchis à Rome, où les jeunes artistes liégeois avaient la table et le logement
pendant cinq ans, à la condition de porter le costume d'abbé.
En avril 1761, il quitta Rome. En se dirigeant
vers la France, il se vit contraint de s'arrêter à Genève, son gousset étant
vide ; il y trouva à donner des leçons bien rétribuées et rencontra Voltaire
qui habitait dans le coin.
En février 1766 il s’établit en France où le
succès n’est pas immédiat. Même si en 1769 le célèbre quatuor « Où peut-on
être mieux qu'au sein de sa famille » de son deuxième opéra Lucile passera
dans l’histoire et sera fréquemment joué dans les rangs de la Grande Armée. Ce morceau était très apprécié sous l’Empire.
Il était inscrit au répertoire courant des musiques régimentaires. Il est
interprété par les musiques de la Garde dans le salon carré du Louvre, le jour
du mariage de Napoléon avec Marie-Louise.
Le morceau est joué aussi lors de l’entrée dans Moscou et pendant la retraite de Russie.
Au moment de la Restauration cette chanson sert d’hymne bourbonien. Ce fut un hymne national non officiel du Royaume de France entre 1815 et 1830. Dans sa brochure sur l'insurrection de Paris de
1832, Heinrich Heine, ami de Karl Marx, y fait allusion: " Louis-Philippe,
Roi des Français (et non « roi de France ») est entouré
des canons des Français: où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille."
Il devient quand même un des compositeurs
préférés de la Reine Marie-Antoinette. En 1771, Zémire et Azor, une
comédie-ballet en quatre actes, connaît un tel succès que Grétry obtient une
rente royale. Le ‘Jugement de Midas’ (1778) par contre était contesté à la cour.
La ville la reçut favorablement, ce qui inspira à Voltaire le quatrain:
La cour a dénigré tes chants,
Dont
Paris a dit des merveilles
Grétry,
les oreilles des grands
Sont souvent de grandes oreilles
Richard Cœur de Lion marque l'apogée du
talent de Grétry. L’un des airs de Richard deviendra le signe de ralliement des
royalistes : « Ô Richard, Ô mon roi, l’univers t’abandonne ». Il fut joué en particulier le premier octobre 1789 à Versailles, lors
d'un banquet historique. Le banquet de la garde des Flandres, le 1er octobre à l’Opéra royal, apparaît
comme la dernière provocation de la monarchie. Les Gardes du corps du Roi
organisent un banquet en l’honneur du nouveau régiment de Flandres. L’orchestre
joue 'O Richard, O mon roi'. La famille royale descend alors sur la scène. Les
gazettes transforment le banquet en orgie et avancent que la cocarde tricolore
a été foulée au pied. Organiser un banquet quand le peuple a faim, c’en est
trop ! Marat, Danton et Desmoulins appellent à marcher sur Versailles.
Le 5 octobre, les parisiennes marchent sur
Versailles. On ferme les grilles du château. Le roi confie sa défense à La
Fayette qui déploie ses hommes sur la place d’Armes. La foule, trempée par la
pluie, massée dans la cour de Marbre, réclame leur apparition du couple royal.
Louis XVI promet de leur donner du pain et de se rendre à Paris. Le cortège
royal quitte Versailles. Pour de bon.
Par la suite, une version adaptée aux
circonstances circulera dans les milieux royalistes avec pour titre « O Louis,
ô mon roi » (1791)
Ce qui ne retient pas l’Empereur, charmé par
‘Richard cœur de Lion’, de donner de son propre mouvement, une pension à
Grétry.
Mais avant ça, Grétry mange du pain noir. Lorsque
Marie Antoinette passe à la guillotine,
le compositeur perd sa rente royale. De sa fortune accumulée sous l'ancien
régime, il ne reste presque rien : son beau-frère a sombré dans la
faillite emportant avec lui les économies prêtées par le musicien et son propre
frère meurt subitement, laissant à Grétry le soin de s'occuper de la veuve et
de ses sept enfants.
Ce qui ne l’empêche pas de soutenir cette
révolution. Grétry, adulé sous l’Ancien Régime, ne succombe pas à la Terreur.
Ami intime de Rouget de Lisle et de Beaumarchais,
il sert rapidement la propagande révolutionnaire. Dans une lettre que Grétry
adresse le 4 novembre 1792 à Rouget de Lisle , Grétry écrit: « bonjour, mon
Brave, revenez m’embrasser, soyez tout couvert de gloire, un de ces jours, mon
Pays de Liège sera françois, j’en suis enchanté, j’en suis tout fier ».
David La mort du jeune Barra |
Les titres de certaines de ses productions sont éloquents: Couplets du
citoyen patriophile dédié à nos frères de Paris, (1792) ; Hymne en l'honneur deMarat et Le Pelletier (1793) ; Hymne à l'Eternel : Je te salue
(1794) ; Ronde pour la plantation d'un arbre dela Liberté , 1799 ; Joseph Barra (1794) ; La Rosière républicaine, ou la fête de la
vertu, (1794).
Monument Grétry à Montmorency |
Napoléon le décore Chevalier de la Légion
d’Honneur en 1802 et Chevalier de l’Empire en 1808. Grétry renvoie l’ascenseur
avec son ‘Eloge à Bonaparte, le plus grand des héros’, (1801).
Son air ‘La Victoire est à nous’ de sa ‘Caravane du Caire’ est chanté lors de
l’entrée à Moscou en 1812. C'est évidemment discutable si 'la victoire était à
eux'...
Voici la version ‘opéra’
http://www.youtube.com/watch?v=R3wI_n-6BPE
Et puis en version plus martiale http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=qB1kp9adYYE&feature=fvwp
On le retrouve aussi sous le titre Waterloo
Soundtrack http://www.youtube.com/watch?v=HXmljXjwZko , ce qui est tout à fait à côté de la plaque
puisque là incontestablement la victoire n’était pas du côté français. Mais
c’est un beau clip avec des belles images.
Grétry Père Lachaise |
Sa fin de vie est à l’image de ce
révolutionnaire : Grétry achète l'ermitage du grand philosophe J.J. Rousseau, à Montmorency, où il
passe ses vieux jours. Son corps repose au Père-Lachaise, et la statue Place de l'Opéra à Liège renferme une urne avec le cœur du
compositeur.
La statue de Grétry et le vide dans la statuaire révolutionnaire liégeoise
Philippe Raxhon décrit dans « La mémoire
de la révolution française » le vide dans la statuaire révolutionnaire
liégeoise. La seule statue est celle de Grétry. Il y a encore la plaque «LOIX
PUBLIEES DANS LE DEPARTEMENT DE L'OURTE » sur le Palais des
Princes-Evêques. Il y a eu de 1797 jusqu’en 1814 une dalle au pont des Arches qui fut pris
d'assaut lors de la seconde entrée des Français. En souvenir de cette action on lui donna le
nom de Pont de la Victoire. En 1796 une dalle en marbre noir reprenait cette
inscription:
PONT DE LA VICTOIRE ICI LES LIÉGEOIS ONT VU
BRISER LEURS FERS NEUF THERMIDOR AN II DE LA RÉPUBLIQUE UNE ET INDIVISIBLE
Après la chute de l'Empire l'inscription
disparut et le pont reprit le nom de Pont des Arches.
La seule statue est donc celle de Grétry. Le 6
septembre 1828 son cœur fut transporté à Liège. Selon Ph. Raxhon, « ce cœur est celui d’un artiste, il n’est
donc pas à priori chargé politiquement. Grétry est le révolutionnaire dénaturé
de la révolution, révolution qui se neutralise dans sa musique, même
révolutionnaire ».
C’est le début d’une tradition commémorative
de Grétry à Liège. L’urne funéraire resta à l’hôtel de ville jusqu’en 1842. Le socle provisoire resta à l’hôtel de ville
et finit par contenir des bouteilles de vin destinées au protocole. Le
bourgmestre Julien d’Andrimont avait l’habitude, lors des séances de travail,
d’en appeler à l’huissier de service pour « faire saigner le cœur de
Grétry » et boire à la santé du compositeur (note P.R. p247)
La statue resta Place de l’Université, jusqu’au
transfert en 1866 place du Théâtre.
Emile Lohest et Félix Pardon écrivent même un
opéra ‘Jeunesse de Grétry » en 1871.
A l’occasion du bicentenaire de la mort de Grétry,
la ville a restauré sa maison natale qui avait été transformée en ‘Maison
Grétry’ en 1911. Pourtant, à cette époque, la Commission des Beaux Arts de la
ville avait émis un avis défavorable entre autres par le doute qui s’était installé
dans le conseil communal sur l’historicité de cette maison natale. En 1913, année
du centenaire de la mort du musicien, il y a encore un virulent échange de vues
là-dessus où l’échevin des Beaux –Arts en personne estimait que cette maison
n’était pas la maison natale. Il lui fut répondu que d’ici cinq ans les gens le
croiraient tous. Ce qui se serait réalisé si Philippe Raxhon n’aurait pas
soulevé le lièvre dans son « La mémoire de la révolution française ».
Les initiateurs soulignent l’exemple populaire qu’incarne Grétry dans une
Belgique libérale bourgeoise aux prises avec les socialistes et la « guerre des classes » : « la maison est située en Outremeuse, où vibre
l’âme de notre population et l’appropriation de cette modeste demeure sera,
pour les humbles, d’un enseignement profond et réconfortant, alors que Grétry,
par sa volonté, par son talent a su parvenir au faîte de la gloire et des
honneurs ». Pour les cathos, Grétry fut une victime de la révolution,
et son ralliement à ses principes contraint et forcé : « Malheureusement, la révolution avait soufflé
en tempête sur les libéralités de l’ancien régime (sic) et Grétry n’avait
conservé de ces recettes que ses droits d’auteur ; encore dut-il donner
des gages de civisme, renier son passé royaliste et entrer dans le mouvement
révolutionnaire. On n’avait pas oublié, à la Convention, que les gardes du
corps au banquet de Versailles, le 1 octobre 1789, avaient chanté avec des
larmes dans la voix l’air de ‘Richard Cœur de lion’ (Gazette de Liège 14/9/1911).
Pour d’autres, Grétry était carrément l’auteur de la Marseillaise, et non
Rouget de Lisle (L’Oeuvre juin 1911 p.137). Mais lors de l’inauguration de la
maison Grétry, en présence du roi Albert et de la reine Elisabeth, aucun
discours ne fait allusion à son activité de compositeur révolutionnaire. Biblio
Philippe Raxhon, La mémoire de la révolution
française entre Liège et Wallonie Labor bxl 1996 p.82-
Mémoires, ou essai sur la musique (Grétry,
André Ernest Modeste)
L'Académie royale de Belgique a
son Fonds Froidcourt-Droixhe qui contient les archives de Georges de
Froidcourt, magistrat liégeois spécialisé dans le 18e siècle de la
principauté, collectées au fil des ans par Daniel Droixhe ainsi que plusieurs
lots acquis lors d'une vente publique. Ce Fonds contient entre autres des
ouvrages du 18e siècle relatant le retour du pianiste à Liège et les
manifestations organisées en son honneur, notamment par Fabre d'Eglantine qui
lui a consacré un poème. D. Droixhe y a adjoint ses propres archives La correspondance générale de Grétry, et
Grétry, Rouget de Lisle et la Marseillaise.
Grétry : quelques souvenirs Liégois / J.
Martiny. https://urresearch.rochester.edu/fileDownloadForInstitutionalItem.action?itemId=14614&itemFileId=33922
La Maison Grétry 1913 http://booksnow2.scholarsportal.info/ebooks/oca7/24/catalogueillustr00li/catalogueillustr00li.pdf
Le blog de JEAN-MARC ONKELINX
Musicologue-conférencier, Professeur d'histoire de la musique depuis 1990.
Enseigne au Conservatoire royal de Liège, avec entre autres quelques
orientations discographiques et bibliographiques à propos de Grétry
Autres Œuvres
révolutionnaires de Grétry
Guillaume Tell , http://www.youtube.com/watch?v=JSs_C3--EW0 ;
interprêté par r Les Nouveaux Caractères. Concert dans la galerie des glaces du
Château de Versailles, octobre 2009 http://www.youtube.com/watch?v=0HGqS9sU2Ps
1790, Pierre le Grand comédie mêlée de chants,
d'après «l'Histoire de Russie sous Pierre le Grand» de Voltaire. Créé à la
Comédie Italienne de Paris le 13 janvier 1790 http://www.youtube.com/watch?v=pGBWiMecG4I
1792, Basile, d'après «Don Quichotte» de
Cervantes. Créé à la Comédie Italienne de Paris le17octobre 1792
1792, Cécile et Ermancé, ou Les deux couvents,
comédie en 3 actes sur un livret de C. J. Rouget de Lisle et J.-B.-D. Desprès.
Créé à la Comédie Italienne de Paris le 16 janvier 1792
1793-1794, L’inquisition de Madrid, drame
lyrique en 3 actes, livret de A. J. Grétry
1794, Callias, ou Nature et patrie, opéra en
un acte sur un livret de F.-B. Hoffman. Créé l'Opéra Comique de Paris le 19
septembre 1794
1794, Le congrès des rois, comédie en 3 actes
sur créé à l'Opéra Comique de Paris le 26 février 1794
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