Résumé
Gosuin se réfugie à Bruxelles. Ceci est un
point à éclaircir: pourtant, quelques jours avant les mêmes Autrichiens y
étaient entrés. Quels étaient les soutiens de Gosuin là-bas ?
Le lendemain, les Kaiserlicks entraient à
Liège. La répression s’abat sur les patriotes : le 8 juillet 1791 ils furent
décrété de prise de corps et séquestre fut mis sur leurs biens.
Mais la situation bascule quand le 20 avril
1792 l’Assemblée nationale législative française déclare la guerre à Autriche.
150.000 Prussiens et Autrichiens, joints par 20.000 émigrés, pénètrent le 12
août sur le territoire français. Mais ils ne rentrent pas dans la France
révolutionnaire comme dans du beurre : Dumouriez les bat à Jemappes le 6novembre 1792.
Une nouvelle phase commence: la Binamêye
revolution liégeoise devient une
révolution vraiment bourgeoise – avec expropriation de la noblesse et de
l’église - en tant que département de l’Ourthe dans le cadre de la République
française. Gosuin reprend très vite ses
affaires. Mais ce nouveau départ de Gosuin sera court. Le 4 mars 1793 les
Autrichiens reviennent et pillent allégrement les magasins d’armes de Gosuin, qui
gagne cette fois-ci la France. La République fait appel aux refugiés liégeois pour
relancer les fabriques d’armes. A
la demande du ‘Comité de salut public’ Gosuin rétablit à Sédan et à Charleville des manufacture
d’Armes. La première année de sa
gestion, il sortait 41.000 armes; l’année suivante 73.000.
En 1794 la République réquisitionne dans le
pays de Liège tous les bois de fusils, platines, et jusqu’aux outils des
fabricants et se déclare « seule puissance belligérante à laquelle il soit
permis de transmettre ces produits ». Si les armuriers liégeois veulent
des matières premières, ils doivent apprendre à travailler de façon à obtenir
des pièces quasi-interchangeables. La majorité ne comprend pas. Gosuin père et
fils par contre travaillent d’arrache pied, de 1797 à 1799, afin de doter leur
entreprise d’armes aux exigences des français En 1799 les Gosuin fondent la
« Manufacture Nationale d’Armes de guerre », qui met au travail en
1808 968 ouvriers armuriers. En 1798 il est appelé à Paris pour y conclure un
marché de 150.000 armes.
Le 24 mars 1801 il obtient, avec la
bénédiction de Napoléon, le « privilège exclusif » de fournir la
Nation française en armes pour six ans. Ce monopole lui permettra d’écraser ses
concurrents.
Les armuriers liégeois se plaignent auprès de
Napoléon qui répond : « Assurez moi une fabrication de 30 à 35.000
fusils par an, et je délierai Gosuin, et ses ouvriers pourront alors être
répartis entre tous les fabricants ».
Un
fournisseur de la république se faisait payer en assignats qui perdent très
vite de leur valeur. Mais l'assignat permet d'acheter des biens confisqués à leur
valeur nominale. Gosuin en profite : sur les 20.000 hectares confisqués
dans le département de l’Ourthe, Gosuin en accapara 1956 ! Gosuin suit une stratégie de rentier : il
achète des belles fermes et quelques abbayes, dont l’abbaye du Val Notre-Dame à
Antheit où il s’installe comme rentier. Il ne profitera pas longtemps : il
meurt dans cette abbaye en septembre 1808.
Son commerce guerrier fut continué par son
fils, mais ne survécut pas à la chute de l’Empire.
1792 : Un nouveau départ pour Gosuin
En novembre 1792, le général français Dumouriez inflige à Jemappes une lourde
défaite aux Autrichiens. Dès avant
son entrée à Liège, le peuple avait libéré les détenus politiques de la prison
Saint-Léonard. Dumouriez dira dans ses mémoires: «La
populace d’Outre-Meuse, peut-être la plus dangereuse d’Europe, après celle de
Londres et de Paris, s’était emparée non pas du gouvernement (en décembre
1792), car il n’y en avait plus, mais de la force. Ces malheureux ne pensaient
qu’à se venger et à punir. Ils menaient les soldats français chez leurs anciens
ennemis particuliers (!) et on traitait ceux-ci en aristocrates, c’est-à-dire
qu’on les pillait et massacrait ». Impressionné par ces "excès", le
général Dumouriez passera l’année après au camp de la contre-révolution
autrichienne.
Gosuin avait devancé Dumouriez: le 11
juin 1792 il avait loué une vaste propriété Quai Saint Léonard « appelé ci-devant
la Rafinerie ». Où se situait cette propriété ? Celui ou celle qui ne
veut pas ces détails peut passer au point suivant.
«L’exposé
fidèle des raisons qui ont retardé l'exécution de la sentence impériale de
Wetzlar » qui date de 1790 (Sentence du Tribunal d'Empire condamnant le
pays à reprendre son évêque) nous apprend que « le chanoine tréfoncier
Libert fut logé, et dans la maison attenante, qui appartient à un nommé Goswin,
l’un des rebelles les plus turbulents et des plus opiniâtres, on ne mit personne ».
Etre logé signifiait qu’on y casait des soldats. Le texte de 1790 parle de ‘la
maison attenante au tréfoncier ’. Mais ce texte est antérieur à la location de la
« Rafinerie » quai Saint Léonard par Gosuin en 1792.
On retrouve la trace de ce tréfoncier
Libert en 1795, lorsque les liégeois furent invités à transporter les
bombes, obus, boulets que trainaient partout,
dans le « Parc d’Artillerie de Liège au Quai Saint Léonard, dans la
maison du ci-devant Tréfoncier Libert ». Selon Pierre Baré il s’agirait de
la propriété de Gosuin. Il situe cette propriété à la Linière et cite en preuve
une lettre de J-J Fabry de 1789. Le seul hic, c’est que ce site qui abritait jadis le couvent des Récollectines fut vendu seulement en 1799 comme bien
national et que Gosuin n’aurait pas pu l’acquérir en 1792..
Pierre Frankignoule aussi situe l’armurerie de
Gosuin à la Linière (il a publié en 1990 une étude de reconversion de
l'Ancienne Linière - aujourd’hui hôtel Ramada).
Le même Baré écrit dans une note de bas de
page que les ateliers de Gosuin se localisaient encore au début du XX° siècle
au Quai Saint Léonard sous les numéros 27 à 34, c'est-à-dire entre la place des
Déportés et la rue Marengo (pb p.393).
Après la chute de Napoléon, l’armurerie fut
acquise le 20 août 1816 par Philippe-Joseph Malherbe qui avait fondé en 1814 la « P.J.
Malherbe & Cie ». L’acte de la vente « par licitation en un seul
lot » parle d’un ensemble de 20 ares sise au Quai Saint Léonard N° 15,
avec cours, jardins, écuries, remises, forges « tenant d’un bout la quai
Saint Léonard, l’autre du faubourg du même nom, d’un côté les enfans Boverie
& de l’autre M. Constant ».
En 1867 Malherbe occupait toujours les
ateliers de Gosuin et mentionnait dans ses annonces publicitaires encore à
cette époque « Fabricant d’Armes de guerre, ex-manufacture impériale d’armes ».
C’est Gosuin qui avait obtenu le titre de manufacture impériale.
http://www.clham.org/050251.htm
Dans son historique de MANUFACTURE
D'ARMES DE L'ETAT (M.A.E.), le colonel Pierre
LEONARD, commandant de l'Arsenal de Rocourt, avertit que l'établissement connu
sous le nom de Manufacture d'Armes de Liège est antérieur à la M.A.E. et
avait disparu au moment où celle-ci fut créée. Ceci n’est vrai qu’en
partie : quand le 12 novembre 1837 le Gouvernement Belge décide
l'organisation d'une Compagnie "d'ouvriers armuriers", un
"atelier de réparations" est annexé à la fabrique MALHERBE de
GOFFONTAINE – ex-Gosuin - qui elle-même était déjà louée par l'Etat Belge. C’est
en 1838 seulement que le Gouvernement achète rue SAINT-LEONARD une propriété où
démarre vraiment en 1840 la Manufacture d'Armes de l'Etat (aujourd’hui logement
social et crêche).
Bref, la localisation des ateliers n’est pas
claire. Même si la facilité nous pousse à les situer rue Goswin.
Cela s’explique aussi par la nature de ces
ateliers. Nous allons voir que Gosuin ne révolutionne pas l’armurerie liégeoise
sur le plan technique, mais principalement au niveau des normes de production
où il arrive à imposer une certaine normalisation. Ses ateliers consistaient
probablement en magasins qui réceptionnaient les pièces détachées ou les fusils
montés et qui les vérifiaient avant des les soumettre aux contrôleurs français.
Pour illustrer la persistance de cette
structure économique on peut citer la construction en 1880,
d’une cité ouvrière pour armuriers, la cité Benoît, construite entre la rue et
le quai Saint-Léonard. Elle se compose de 2 alignements de maisons et jardinets
auxquels font face des ateliers destinés au travail des armuriers. Voir aussi
le texte de P. Frankignoule sur ces maisons armuriers de la rue Brahy et Bailleux, ancienne
cité Benoit.
Un nouveau départ qui tourne court
Au départ Gosuin travaille par Constantini, un
intermédiaire et marchand d’armes (peu scrupuleux d’ailleurs) qui avait reçu du
gouvernement français en 1791 400.000 francs en assignats pour la fourniture de
60.000 fusils.
Mais le nouveau départ de Gosuin sera court. Le
4 mars 1793 le général Miranda avertit les députés liégeois que les
Autrichiens reviennent. Toutes les armes finies ‘dont les magasins
regorgeaient’, confirma Gosuin, furent transportés à Maastricht et ses avoirs
pillés, y compris ses livres de compte (Pb p.285). Gosuin gagne cette fois-ci
la France. L’exilé Pierre Lebrun lance un appel à l'Assemblée au nom des exilés liégeois: «Nos bras ne peuvent plus nous être appel de utiles. Nous vous en
faisons l'offrande, et en combattant pour vous, nous nous rappellerons toujours
cette ancienne devise du peuple liégeois: Mieux vaut mourir de franche volonté,
que du pays perdre la liberté.»
En juin Lebrun transmet au Comité des Citoyens
Liégeois exilés le souhait de déceler parmi les refugiés liégeois « quatre
principaux ouvriers » pour concourir à l’établissement d’une fabrique
d’armes.
Gosuin se porte candidat. Il acquit dans la
vente des Biens Nationaux l’ancienne abbaye de Bussily qu’il convertit en
manufacture d’armes. Il dirige aussi une
manufacture d’armes avec une fonderie de canons à Moulins. A la demande du ‘Comité de salut public Gosuin
établit à Sédan une manufacture d’un ‘genre nouveau’ capable de fournir
mensuellement 7.000 garnitures de fusils complètes. Mais
son usine la plus importante est la Manufacture d’Armes de Charleville, une
ancienne manufacture royale.
Gosuin continue à travailler pour son marchand
d’armes Constantini. Il signe le 7 septembre 1793 un contrat portant sur la
fourniture de 15.000 fusils pour 450.000 francs. Et le 13 septembre un autre
contrat pour 24.000 fusils.
Il a le soutien
complet de la ‘Commission des Armes et des Poudres’ qui somma par exemple le 21 novembre 1794 l’Agence de vérification
& réception des Armes de Liège de faire livrer les houilles nécessaires à
Gosuin pour sa manufacture de Libreville (ex-Charleville). Lors de l’occupation
de Hastière par les Autrichiens, Gosuin avait d’ailleurs déjà formé un commando
d’un détachement de dragons pour enlever des bateaux de charbon au nez et à la barbe des Autrichiens.
La première année de
sa gestion, la manufacture sortait 41.000 armes; l’année suivante 73.000.
La seconde restauration autrichienne ne durera
pas longtemps : à Fleurus, le 26 juin 1794, les troupes de la république
française repoussent les troupes alliées (Autriche, Royaume-Uni et
Province-Unies). Le 27 juillet
1794, les troupes autrichiennes quittent Liège après avoir bombardé et incendié
le quartier d'Amercœur. Le dernier prince-évêque François-Antoine-Marie de Méan
part en exil.
C’est l’année où Gosuin épousa en secondes noces la fille aînée de sa défunte épouse,
âgée de 37 ans et par conséquent sa belle-fille. 33 ans après son décès cette
union fut encore contestée devant les tribunaux, dans le cadre de son héritage.
Mais il ne reste pas à
Liège et il ramène sa jeune épouse vers la douce France. En 1797, lors de son
retour à Liège, à la fin de son contrat à Charleville, il réussit à consacrer
son union par l’église. L’acte de mariage fut transcrit sur les registres de la
paroisse Sainte Foy.
Son fils Jean-Joseph
Gosuin avait entretemps mené l’entreprise familiale de main de maître. Il avait
notamment acheté un maka à Chaudfontaine. Il achète aussi à Joseph Malherbe – qui
reprendra l’armurerie de Gosuin en 1814 - une usine en 1796-1797 qu’il
transforma en usine à canons.
Mais ces ‘makas’ et usines à canons ne sont
pas la base de la percée fulgurante de Gosuin. Il a saisi l’importance de
travailler selon les normes imposées par la République. PB p.296 Et cette
République s’était donné les moyens de les faire respecter: en 1794 elle réquisitionne
tous les bois de fusils, platines, et jusqu’aux outils des fabricants et se
déclare « seule puissance belligérante à laquelle il soit permis de transmettre
ces produits ». Le 15 janvier
1793 Liège avait offert à la République les plombs de la Cathédrale, dont elle
avait décrété la démolition. Cette même Agence reçut
d’ailleurs l’autorisation de récupérer tous les « fers, cuivres, &
cloches » en provenance de Saint Lambert…
Un officier d’artillerie, installé dans la
maison décanale de la place Saint Paul, vérifie le respect des calibres et
gabarits. Les armuriers liégeois doivent apprendre à travailler exactement
d’après dessins et modèles de façon à obtenir des pièces quasi-interchangeables.
La majorité des fabricants ne comprennent pas. Dans une « Notte sur la
Manufacture d’Armes au pays de Liège » du 25 juin 1795 un armurier se
plaint : « pourquoi l’Agence des Armes établie sur la Place
Saint Paul doit-elle entraver les opérations… Il est de fait qu’elle intercepte
la liaison cimentée, de tous tems, entre l’ouvrier et le commerçant fabriquant…
Cette agence ombrage : cela suffit pour qu’on doive par principe
d’encouragement l’écarter » pb p.296
Gosuin père et fils par contre travaillent
d’arrache pied, de 1797 à 1799, afin d’adapter leur entreprise d’armes aux
exigences et capacités exigées des français. En 1799 les Gosuin fondent la
« Manufacture Nationale d’Armes de guerre », avec au départ 51 ouvriers
armuriers. Ceux-ci augmentèrent à 596 en 1803 et 968 en 1808.
Il faut quand même préciser qu’il y avait
là-dedans un paquet d’artisans à domicile. Encore une fois, la Manufacture des
Gosuin ne révolutionne pas directement la technique.
Son premier atout est donc le respect des
normes et calibres. Un autre est son assise financière assez large : quand
on fournit la République il faut savoir attendre son argent. Il a d’ailleurs les
pires problèmes pour se faire payer à temps. Ses matières premières, il est
obligé de les acheter rubis sur ongle. Mais c’est ses ouvriers qui ‘avanceront’
leur force de travail. Ils attendront leur salaire et trinquent. C’est ainsi que
Gosuin se plaint en février 1800 auprès du Ministre de la guerre que les
boulangers, merciers et bouchers de Charleville refusent de fournir le nécessaire à ses armuriers « faute d’écus sonnants. J’ai fait le
sacrifice d’emprunter au Mont de Piété, sur mes deux ordres de 150.000 francs,
80.000 frs que je leur ai envoyé par exprès ».
Un sacrifice fort relatif : nous verrons
la fortune qu’il réussit à ramasser en quelques années de temps…
Un capitalisme monopoliste
Le 24 mars 1801 il obtenait, avec la bénédiction
de Napoléon, le « privilège exclusif »
de fournir la Nation française en armes pour six ans. Ce monopole lui permettra
d’écraser ses concurrents.
Rapidement, il met la
main sur le réseau des armuriers à domicile et il dicte sa loi aux autres
marchands-fabricants. Le maire de Herstal l’accuse d’être "la cause de la ruine
de l’industrie herstalienne et de la misère qui accable ses citoyens" (René Leboutte Reconversions de la main-d'oeuvre et transition démographique).
Berthier |
Je vous
permettrai bien de fournir des armes à l’étranger, pourvu qu’elles ne fussent
point de notre modèle, parce qu’il m’est indifférent que ces armes soient
mauvaises ; mais avec cette permission, vous enleveriez les ouvriers de la
Manufacture Nationale par l’appât d’un plus haut salaire, et vous la mettriez
dans l’impuissance de faire son service au prix convenu.
Je
conviens que votre commerce est détruit par le nouvel ordre des choses ;
mais la défense de l’Etat m’oblige à le maintenir, et je ne puis que vous
plaindre. La prudence me commande donc de réserver à Gosuin le droit exclusif
de fabriquer des armes de guerre, soit pour la France, soit pour ses alliés (pb
308) ».
Voilà le capitalisme à peine sorti de l’Ancien
Régime, avec ses limitations à l’initiative privé de toutes sortes, et on est
déjà dans un capitalisme monopoliste d’Etat !
Les armuriers liégeois récusés regrettent déjà
« les opulentes corporations
ecclésiastiques. Vous détruisez l’entrepreneur collectif… privé de toutes les
ressources que lui procurait la résidence
de son Prince, de son chapitre ».
En décembre 1802 ils se plaignent auprès de
Napoléon qui tout en ne désavouant pas son ministre, demande quand même au
baron Desmousseaux, son préfet du Département de l'Ourthe, un Mémoire sur les
armuriers liégeois. Celui-ci argumente, à l’encontre du monopole de Gosuin, « qu’élevant sa manufacture personnelle sur
les débris de l’antique manufacture liégeoise ; paralysant l’activité, les
capitaux de ses confrères s’emparant à la fois de leurs bénéfices et de leurs
ouvriers… accroit chaque jour son immense fortune ».
A leur grande surprise, le 25 avril 1803 huit
armuriers liégeois, qui avaient soumissionné au nom d’une association
« Des Treize » pour 47.000 fusils, furent honorés de cette commande,
aux mêmes conditions que Gosuin. Mais huit mois plus tard rien n’était
exécuté ; sur les quelques pièces présentées aux officiers contrôleurs, la
majorité fut refusée. Le ministre de l’Intérieur Chaptal fit remarquer à son
préfet que « Gosuin avait fourni
14.000 fusils du type ‘1777 corrigé’ malgré la sécheresse (les makas étaient mûs par l’eau), et il en fourniroit un
plus grand nombre encore s’il n’étoit continuellement entravé par la
concurrence qu’établissent les huits fabricants et s’ils ne lui débauchaient
ses ouvriers ».
L’ouvrier déforcé dans la vente de sa force de travail
Non seulement les ouvriers devaient parfois
attendre leur salaire ; en plus on élimine la concurrence entre patrons et
l’ouvrier se trouve devant un seul patron qui dicte sa loi…
Et le comble : en France la loi Le Chapelier est promulguée le 14 juin 1791. Elle proscrit les
organisations ouvrières, notamment les corporations des métiers, mais également
les rassemblements paysans et ouvriers ainsi que le compagnonnage. Cette loi
eut pour effet de détruire les guildes, corporations et groupement d'intérêts
particuliers, détruisant du même coup les usages et coutumes de ces corps. Elle
provoque, dès 1800 chez les ouvriers charpentiers, la formation de ligues
privées de défense, appelées syndicats, et des grèves, qu'elle permet de
réprimer pendant presque tout le xixe siècle. Bien qu'ils soient également
interdits, la loi ne parvient pas à empêcher la formation de véritables
syndicats patronaux.
Ceci dit, si objectivement l’ouvrier perdait
tous ses droits pour ne garder que la propriété de sa force de travail, il comprend qu’il n’est pas question de
retourner en arrière. En avril 1792 déjà le "comité général des Belges et
des Liégeois" commença à rédiger un modèle de Constitution où le pouvoir
législatif serait exercé par une assemblée unique, élue au suffrage universel
de tous les citoyens âgés de plus de vingt et un an. Les révolutionnaires
liégeois joignent l’acte à la parole : lors des élections à la Convention
nationale liégeoise de 1792 il y eut 4837 et 8575 électeurs, alors que c'était
la première application du suffrage universel à Liège ; La municipalité
« de la ville, faubourgs et banlieue de Liége, y compris Herstal »,
fut élue le 30 décembre 1792 par 7113 votants. Cette municipalité organise le
23 janvier suivant, une consultation populaire sur la réunion du pays
à la France. Sur 9700 votants, 50% de l'effectif électoral, il n'y eut que
40 votes négatifs. Liége ne comptait alors que 45,000 habitants. Ce fut
le seul acte important de cette municipalité, qui n’eut qu'une durée de deux
mois : le 1er mars 1793, les Français évacuèrent la ville, les Impériaux y
firent leur entrée. Et il faudra attendre 1893 pour retrouver le suffrage
universel (pour les hommes, et assorti d´un vote plural : certains électeurs
disposaient d´une deuxième ou d´une troisième voix et 1919 pour le suffrage
universel simple.
Marx écrit dans le Manifeste Communiste :
« Petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, tout
l'échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat;
d'une part, parce que leurs faibles capitaux ne leur permettant pas d'employer
les procédés de la grande industrie, ils succombent dans leur concurrence avec
les grands capitalistes; d'autre part, parce que leur habileté technique est
dépréciée par les méthodes nouvelles de production ». C’est ce que nous
avons vu avec les armuriers déclassés par Gosuin. Marx continue : « A
ce stade, le prolétariat forme une masse disséminée à travers le pays et
émiettée par la concurrence. S'il arrive que les ouvriers se soutiennent par
l'action de masse, ce n'est pas encore là le résultat de leur propre union,
mais de celle de la bourgeoisie qui, pour atteindre ses fins politiques
propres, doit mettre en branle le prolétariat tout entier, et qui possède
encore provisoirement le pouvoir de le faire. Durant cette phase, les
prolétaires ne combattent donc pas leurs propres ennemis, mais les ennemis de
leurs ennemis, c'est-à-dire les vestiges de la monarchie absolue, propriétaires
fonciers, bourgeois non industriels, petits bourgeois. Tout le mouvement
historique est de la sorte concentré entre les mains de la bourgeoisie; toute
victoire remportée dans ces conditions est une victoire bourgeoise. Les
collisions individuelles entre l'ouvrier et le bourgeois prennent de plus en
plus le caractère de collisions entre deux classes ».
La bourgeoisie doit mettre en branle le
prolétariat tout entier, et elle réussit à avoir un soutien politique très large, au point qu’elle instaure
–momentanément – le suffrage universel. Lors de la révolution liégeoise et
française les prolétaires ne combattent pas leurs propres ennemis, mais les
ennemis de leurs ennemis, c'est-à-dire les vestiges de la féodalité.
« Les ouvriers commencent par former des
coalitions contre les bourgeois pour la défense de leurs salaires. Parfois, les
ouvriers triomphent; mais c'est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de
leurs luttes est moins le succès immédiat que l'union grandissante des
travailleurs » : nous voyons que depuis le début la bourgeoisie
essaye de tuer cette union dans l’œuf, avec la loi Le Chapelier et avec des systèmes
monopolistes où le travailleur se retrouve seul devant un patron tout puissant.
La visite de l’Empereur à Liège
Ce « débat » armuriers – Gosuin connait
son apogée lors de la visite de Napoléon à Liège le 1 en août 1803. Le futur
empereur fut logé au Palais de la Préfecture, (aujourd’hui Curtius ex Musée d’Armes), c'est-à-dire à proximité
des ateliers de Gosuin. Les officiers supérieurs furent hébergés par Gosuin
« à côté de Palais ». Gosuin offre au Premier Consul 1800 mousquets
et fusils, qui offre à son tour son buste et deux colonnes en marbre. Les
« Armuriers Réunis » lui offrirent aussi un fusil de chasse en damas
d’une finesse rare ; Napoléon l’‘oublia’ lors de son départ de la Cité.
Chaptal écrit le 27 août au préfet
Desmousseaux : « je vois que
vous n’avez pas saisi le vrai sens dans lequel s’est expliqué le premier
consul, dans la conférence qu’il a eu avec le commerce liégeois. Vous proposez
de rompre les conditions et avantages faits à Gosuin, sans rien mettre à la
place. Vous voulez détruire sans créer. Vous livrez l’approvisionnement au
hasard. Comment Liège ne fournirait-il pas 3000 armes par mois lorsque le seul
entrepreneur de Charleville en donne 4000 ».
Lors de cette conférence Napoléon aurait dit :
« Assurez moi une fabrication de 30
à 35.000 fusils par an, et je délierai Gosuin, et ses ouvriers pourront alors
être répartis entre tous les fabricants ».
Le 18 mai 1804,
Napoléon est proclamé empereur et Gosuin change le nom de sa manufacture en « manufacture
Impériale d’Armes de guerre »
En juillet le ministre
des Finances prohibe totalement la sortie des armes de luxe, un coup fatal pour
le commerce armurier, pour qui cela restait la seule ressource.
Napoléon assouplit un peu l’embargo et stipule
que le canons de celles-ci ne pouvaient excéder « le calibre de 22 à la livre » ( le calibre
correspond au nombre de balles rondes que l'on peut faire avec une livre de
plomb).
Une redistribution foncière par le biais monétaire
Un fournisseur de la république comme Gosuin
était payé en assignats, des billets dont la valeur est assignée (autrement dit
« gagé ») sur les biens du clergé. Très vite l'assignat perd de sa
valeur. Mais justement à cause de ça certains s'enrichissent énormément :
ils peuvent acheter d'immenses terrains et bâtiments pour la valeur nominale, beaucoup
plus élevée que la valeur réelle dans les transactions normales. Politiquement
et socialement, les assignats réalisèrent un important transfert de propriétés
en un temps très réduit. Ainsi, les assignats attachèrent au nouveau régime
tous les acquéreurs de biens nationaux, et cette nouvelle bourgeoisie foncière
redoutera désormais le retour de la Monarchie.
Gosuin eut l’appétit féroce : sur les
20.000 hectares confisqués dans le département de l’Ourthe, Gosuin en accapara
1956 ha! (Pb 323)
Nous n’avons pas une vue globale sur l’effet
de cette redistribution foncière à Liège, mais une thèse de doctorat de 1996 fait
le point sur le département de la Dyle. Cette vaste opération de redistribution
foncière y a concerné près de 20 % de la superficie, quelque 125 couvents, 973
maisons et bâtiments, 343 fermes, 77 moulins et plus de 5 000 acquéreurs. 77 %
des acquéreurs furent des bourgeois et seulement 10 % des cultivateurs (alors
que ces derniers achetèrent quelque 52 % des biens nationaux dans le
département voisin du Nord, selon G. Lefebvre). La vente des biens
ecclésiastiques (constituant 95 % des biens nationaux) favorise la catégorie
des négociants manufacturiers et facilite le passage à l'industrie mécanisée.
La bourgeoisie a donc surtout tiré profit de ce vaste transfert de biens
fonciers et immobiliers, tandis que le problème social des campagnes se
trouvait retardé d'au moins un siècle (François Antoine, La vente des biens nationaux dans le département de la Dyle , Bruxelles, 1997)
Une autre étude d’Ivan Delatte concernant le
département de Jemappes nous éclaire sur les modalités de la vente
des biens nationaux. La loi du 6 novembre 1796 facilitait beaucoup les
conditions de payement. Un dixième du prix devait être payé en numéraire dans
les six mois : quatre autre dixièmes au cours des quatre années suivantes, et
la moitié du prix qui restait, en rentes de l'état à leur valeur nominale. Peu
de temps après, les payements pouvaient se faire entièrement en fonds publics à
leur valeur nominale. Les acheteurs obtinrent des délais prolongés, et ne
payèrent qu'au moment où les fonds d'état étaient fortement dépréciés. Pendant
les neuf premiers mois de 1797, le
payement s'effectuait, pour la moitié, en bons de retraite acquis au cinquième
de leur valeur, et l'autre moitié au moyen de fonds d'état qui se négociaient à
10 % de leur valeur nominale. Par exemple une grosse exploitation rurale
estimée à 50.000 livres fut vendue pour 140.000 livres et payée par des bons et
des rentes ayant une valeur réelle de 16.200 livres, soit 32 % de la valeur
réelle du bien. Pendant la plus grande partie de l'an VI, les biens furent
payés effectivement la moitié de la valeur. La vente des biens nationaux n'a
donc profité qu'à la bourgeoisie urbaine et aux gros fermiers. (Ivan Delatte, La ventedes biens nationaux dans le Département de Jemappes. Bruxelles, 1938).
Gosuin achète donc des terres et fermes. En ce
début de révolution industrielle, beaucoup de ses confrères capitalistes
installent leurs usines dans les abbayes et prieurés. Ces locaux sont une
bouffée d’oxygène pour le capitalisme naissant. Ainsi l'abbaye cistercienne du
Val-Saint-Lambert, fondée au XIIe siècle, mise en vente le 10 juillet 1797, est
rachetée par Jean-François Deneef qui y installe une filature de lin. En 1825,
on y développer une cristallerie.
Dans le faubourg de Saint Leonard un paquet d’usines
s’installent dans ces anciens couvents et prieurés. La Linière Saint-Léonard
abritait le couvent des Récollectines vendu en 1799 comme bien national avant
de servir en 1800 de dépôt de houille (et parc d’Artillerie où en 1795 les
liégeois doivent déposer bombes, obus, boulets- cfr plus haut ?) Le
couvent sera ensuite acheté par John Cockerill qui y installe une linière où
1.000 personnes fabriquaient du coton et du lin (au dernier étage on peut encore voir les
«colonnes de Cockerill»). Cockerill achètera
aussi plus tard le château des princes évêques à Seraing. La révolution en
avait fait un magasin à poudre avant de devenir propriété personnelle du Roi
Guillaume des Pays-Bas qui le céda en 1817 à Cockerill. Le château abrite
actuellement l’administration de C.M.I.
photo liegecitations.wordpress.com |
En 1802, les Français tentent d’affranchir
leur pays de leur sujétion vis-à-vis de l’Angleterre quant à l’acier. Les
frères Poncelet offrent un produit tout à fait concurrentiel ; même prix et
même qualité que l’acier anglais. Ils fondent la Société Saint-Léonard pour la
fabrication d’articles en acier. Un arrêté de 1806 autorisa l’agrandissement des ateliers en louant les cloîtres de Saint-Barthélemy. En 1826, les ateliers
s’installent dans les locaux de l’ex-couvent des Carmélites, située àl’emplacement de la Braise.
Cette usine construira en 1839 sa
première locomotive. Trainworld de la SNCB exposera la maquette d‘une
locomotive « Saint-Léonard».
Gosuin par contre suit une stratégie de
rentier : il achète des belles fermes et quelques abbayes, dont dont
l’abbaye du Val Notre-Dame à Antheit où il s’installe comme rentier. La famille Gosuin donnera le maître-autel de
cette abbaye à l’église Sainte Foy à Saint Léonard.
J. Gosuin achète aussi en 1797, au prix de
342,000 francs, l’abbaye de Neufmoustier. A sa suppression, l'abbaye possédait, outre ses bâtiments conventuels à
Huy, divers biens, notamment 80 bonniers de terre à Petit Bois, 32 à Meeâe, des
bois à Vierset, Neuville, Villers-le-Bouillet, où elle avait aussi des parts de
houillières.
Jean Gosuin ne profitera pas longtemps de ses biens ‘mal acquis’. Il s’éteignit dans cette abbaye devenu pour lui sa maison de campagne le 11
septembre 1808.
Son commerce guerrier fut continué par le fils
Jean-Joseph, mais ne survécut pas à la chute de l’Empire. L’usine fut reprise
par Philippe-Joseph Malherbe, comme j’ai décrit plus haut.
Sa situation familiale compliquée allait
devenir un terrain fertile pour ‘innombrables procès, surtout après le décès de
sa femme et fille Marie Decarme en 1833. Le mariage même fut remis en cause. On
monte en Cassation, on évoque le droit romain, le droit divin, la loi du
Lévitique etc. Plus de 30 ans après son décès, la Cour de Liège reconnaissait
la validité de son mariage avec Marie Decarme. Même le fameux Constantini revient
à l’attaque pour le non respect de sa première commande suite à l’intrusion des
Autrichiens.
Biblio
Les citations marqués pb viennent de Pierre
Baré Herstal sous la révolution
liégeoise tome II ch XVII Le triomphe de Jean Gosuin p.283 -
L'histoire de la Manufacture d'Armes de Liège est développée
par Cl. GAIER dans le bulletin trimestriel de l'A.S.B.L. "Les Amis du
Musée d'Armes de Liège", N° 42-43 de Septembre 1984 sous le titre :
"Un mémoire inédit sur la Manufacture d'Armes de Liège en 1803".
2 commentaires:
Fabuleux, dommage que votre blog est très mal structuré, un petit effort svp !!!
Comme dit précédemment "fabuleux" et... "blog mal structuré" (difficile de s'y retrouver). J'aurais aimé lire la "première" partie ?
Et savoir à qui on doit cette belle bio.
HPH administrateur asbl "Les Amis du Musée d'Armes de Liège"
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