Budapest et la Hongrie ont un problème avec
leur passé. Ils ont une amnésie sélective. Ils ont déboulonné leurs statues
communistes pour les déposer dans un cimetière. Et ils ont voulu supprimer une des
initiatives les plus populaires du régime communiste : le chemin de fer
des pionniers. Mais le Memento Park est devenu un top touristique. Et si le
chemin de fer des pionniers est surtout visité par des ‘locals’, ça peut
remplir une très belle journée pour les touristes aussi.
Cette amnésie collective concerne la période
communiste, mais aussi les juifs et les ottomans. L’ancien ghetto, dont le
dernier mur a été démoli en 2006, est devenu la “Romkocsma” scene,
“Ruin pub” en anglais, un mélange de trendy bars, biergarten et centrse
culturels, qui doivent préparer le VII district aux promoteurs immobiliers.
Le problème avec ça est qu’un peuple
qui oublie son passé se condamne à le revivre. Le verdict de
l’histoire ne s’est pas fait attendre: le 1er janvier 2013 une loi
interdit l’usage public de noms liés aux « régimes autoritaires du
20e siècle ». La Constitution hongroise vise ici non seulement la
dictature nazie de Ferenc Szalasi (d’octobre 1944 à avril 1945), mais aussi
tous les gouvernements socialistes de 1948 à 1990. Tout en se taisant
pieusement sur la sombre dictature de Miklos Horthy (de 1919 à 1944).
En Hongrie, pas moins de trente-six rues KarlMarx, quarante-quatre boulevards de la Libération et bien d’autres vont êtrerebaptisés. Ces noms sont désormais illégaux. Ce qui aggrave encore un peu le
problème pour les budapestois qui déjà doivent demander continuellement quand on
mentionne une rue : nouveau nom ou ancien nom ?
Le Parti communiste des travailleurs hongrois
a dû convoquer un congrès extraordinaire afin de supprimer l’adjectif
« communiste » de son nom.
José Manuel Barroso souligne que cette Loi fondamentale hongroise soulève
« des préoccupations en ce qui concerne le principe de la primauté du
droit, le droit de l'Union européenne et les normes du Conseil de
l'Europe ». Voir aussi http://www.liberation.fr/monde/01012395290-tous-a-budapest-le-15-mars
Le cimétière des statues ou Memento Park
Cette nouvelle loi ne tombe pas du ciel. Immédiatement
après la restauration du capitalisme on a déboulonné un tas de statues pour les
déposer dans ce que le peuple appelle « le cimétière des statues ». Mais
ce qui fait chaud au cœur, c’est que ce cimetière des statues, relégué dans la
périphérie de Budapest, est aujourd’hui une attraction touristique fort prisée.
Itinéraire : Ferenciek Ter : autobus 7-913 rouge
double à soufflet jusqu’au terminus Etele Ter
Bus Volan (400ftA/R) quai 7-8. XXII. District. Ouvert à partir de 10h.
Entrée: 1 500 HUF.
Il y a des bus touristiques qui partent du
centre, mais ça vaut la peine (et c’est beaucoup moins cher) de prendre le bus
au pont de la Liberté et les bains Gellert.
En 1989 déjà une revue culturelle avait proposé la création d’un parcLénine où l’on aurait placé toutes les statues de Lénine ornant les lieux
publics hongrois. D’autres proposaient de les découper et refondre ou vendre
comme souvenirs touristiques, et même de les enterrer. En 1991 la mairie de
Budapest enlève un grand nombre de statues, et lance un appel d’offre national
pour l’aménagement du site où elles seraient regroupées. On choisit un terrain
à l’extrême limite de l’agglomération budapestoise, dans une zone
semi-campagnarde d’usines, d’immeubles délabrés et d’habitations populaires
dispersées. Le parc-musée, qui fut officiellement inauguré en automne 1993, est
resté inachevé : il manque notamment le haut mur de brique. Mais
probablement que ça les arrangeait que ce ‘parc’ reste entouré d’une clôture de
fil de fer…Ca fait un peu camp de concentration…
Bela Kun |
Mais au fil des ans, sous le nom officiel de
« Szoborpark » (Parc des Statues), nom donné par le concepteur, et
sous celui de « Szobortemetö » (Cimetière de statues) attribué par le
langage populaire, ce lieu muséal paradoxal est entré dans le top des visites
touristiques. Est-ce pour compenser cela que la ville inaugure en 2002 au
centre ville un autre musée, ‘la Maisonde la terreur’. Avec une croix fléchée et une étoile rouge pour logo et «Le passé doit être
avoué» pour devise, la Maison de la Terreur ne pouvait que susciter un vif
débat. L’accusant de juger plus que d’exposer, ses principaux détracteurs dénoncent
un lieu culturel devenu instrument politique aux mains d’un gouvernement
conservateur. Inaugurée par Viktor Orban, le premier ministre conservateur de
l’époque, la Maison est foncièrement vilipendé par ses détracteurs, accusant le
gouvernement de manipuler le passé à des fins politiques. La Maison de la Terreur est devenue «
Maison de la controverse », notamment pour avoir assimilé les années 1945-1957
du régime communiste aux décennies suivantes. En somme, une provocation ouverte
pour les anciens membres du Parti Communiste des années 1980, ayant encore des
fonctions importantes dans la vie politique actuelle…
Le Parc des Statues devient Memento Parc
Dans le cadre de commémoration du cinquantième
anniversaire de la révolution de 1956, le gouvernement socialiste rebaptise le
Parc des Statues en Memento Parc, et
aménage deux « baraques » d’exposition avec une Tribune d’honneur
couronnée des bottes de Staline. Ce n’est pas une copie exacte de l’original
mais seulement une récréation artistique par Ákos Eleőd. Autrement dit : un faux, si on
veut parler en termes muséales! (http://www.szoborpark.hu).
Le « Red Star Store » est une boutique de « souvenirs »
équipée de haut-parleurs dont s’échappent en continu des marches soviétiques et
hongroises de l’époque communiste. On y vend une panoplie du kitsch
post-communiste : des T-shirts aux inscriptions ironiques, bols, cartes
illustrées et posters avec le portrait ou le slogan des « classiques du
communisme », modèles réduits de la Trabant, bougies à l’effigie de
Lénine, objets d’usage « rétro » des années communistes.
Anne-Marie Losozcny publie dans la revue ‘Rue Descartes’ une critique
pertinente sur cette politique
muséale un peu particulière: « Le regroupement postcommuniste de ces statues en un lieu doté du statut de musée pose la question de la politique du patrimoine. L’objectif explicite du « parc-musée des Statues » budapestois fut bien plus d’ordre négatif que positif : enlever ces statues des lieux nodaux du paysage urbain pour y supprimer les traces d’une période historique récente considérée comme définitivement close et pensée comme un dérapage tragique de l’histoire nationale. Le parc des Statues crée un type paradoxal de muséification, situé entre mémoire et oubli ».
muséale un peu particulière: « Le regroupement postcommuniste de ces statues en un lieu doté du statut de musée pose la question de la politique du patrimoine. L’objectif explicite du « parc-musée des Statues » budapestois fut bien plus d’ordre négatif que positif : enlever ces statues des lieux nodaux du paysage urbain pour y supprimer les traces d’une période historique récente considérée comme définitivement close et pensée comme un dérapage tragique de l’histoire nationale. Le parc des Statues crée un type paradoxal de muséification, situé entre mémoire et oubli ».
En fait, c’est de la barbarie culturelle. On a
déboulonné un Karl Marx and Friedrich Engels, sculpté en 1971 dans du granite
provenant de Mauthausen. Une dame explique sur facebook que « toute sa sympathie va aux volontaires
hongrois de la Guerre d’Espagne, punis ici. L’énorme prolétaire à casquette et
aux chaussettes russes, qui semble s’élancer par-dessus les arcades de brique,
n’éveille chez moi aucune répulsion. Ni le globe terrestre entre deux mains
symbole d’une Internationale prolétarienne révolue maintenant ; une
manifestation réprimée par la troupe. Un révolutionnaire, Béla Kun,
harangue la foule. Ce groupe me plait bien ».
La droite hongroise n’a pas hésité à
dénaturer des monuments qui font partie
du panorama de la ville. En haut du mont Gellért. La statue de la Liberté de 36 mètres commémore la libération de Budapest sous
la domination nazie. C’est le maréchal Voroshilov qui a choisi personnellement l’emplacement et
le sculpteur Zsigmond Kisfaludy Stróbl, pourtant de droite (c’était le chouchou
de Horthy) (écoutez les chœurs de l’armée rouge dans ce chant dédié àVoroshilov).
Le monument est devenue la marque du Budapest.
Le soldat soviétique qui était devant la femme, a été transporté dans le parc
des statues.
Le clou est qu’elle fut commandée en 1943, à
l'origine, par le régent du royaume (Pro-hitlérien) qui voulait honorer la
mémoire de son fils tombé au côté des nazis sur le front de l'Est.
Mais en 1947 le maréchal de l'armée rouge Voroshilov visita l'atelier du
sculpteur et jugea que la statue ferait un excellent monument aux soldats
soviétiques morts en libérant Budapest des nazis.
Il n’y a pas que le panorama qui est souillé.
C’est aussi la bataille de Budapest qui est gommé: l'un des sièges les plus sanglants de la guerre, étant
comparable, en termes de morts, aux sièges de Berlin et de Stalingrad.
Le 29 octobre 1944, l'Armée rouge commence son offensive avec un million d'hommes. Le 26 décembre, l’encerclement est complet. La garnison de Budapest se rend le 13 février 1945 et entraîne la perte pour l'Axe de 50 000 soldats aguerris.
Le 29 octobre 1944, l'Armée rouge commence son offensive avec un million d'hommes. Le 26 décembre, l’encerclement est complet. La garnison de Budapest se rend le 13 février 1945 et entraîne la perte pour l'Axe de 50 000 soldats aguerris.
Le 29 décembre 1944, la maréchal Malinovsky
avait envoyé deux émissaires pour négocier la capitulation de la ville. Deux
statues monumentales de ces deux officiers : Steinmetz, hongrois,
Ostapenko, soviétique, se retrouvent au bout du chemin central du Memento Park.
Ces statues furent retirées de la place où l’autoroute de Vienne et du lac
Balaton, appelée « route de l’Ouest », rejoint Budapest. La
silhouette de leur bras levé avait fini par évoquer pour des générations de
Budapestois le salut du départ et du retour.
Le «petit train des pionniers»
Un chemin de fer de quinzaine de kilomètres,
construite en trois mois en avril 1948 par les «pionniers» (version socialiste
des boy-scouts). Hormis la conduite de la locomotive, ils s'occupaient de tout:
annonces, vente et contrôle des billets...
Près d'un demi-siècle plus tard, le petit
train a troqué son nom pour «le train des enfants», mais, en pratique, rien n'a
changé. Au-dessus du guichet, tenu par un très jeune employé, on lit encore le
mot «caisse» en russe.
Le Train des Enfants à voie étroite appartient
aux Chemins de fer Hongrois : 9 stations, 1 tunnel, 2 viaducs, 3
locomotives à vapeur et 8 locomotives diesel.
Quinze équipes juvéniles travaillent à tour de
rôle: les meilleurs élèves de l’école. Après une formation de 4 mois ils
doivent passer des examens difficiles. On y apprend le fonctionnement des
signaux, les relations commerciales et la tenue d'un guichet. Les cours plus
politiques ont été remplacés par l'histoire des chemins de fer. Le
train, rempli de touristes en famille, traverse la forêt à 20 km/h. A chaque
étape, le chef de gare et ses jeunes collègues saluent, doigts sur la visière
de la casquette. «Exactement comme les
pionniers d'autrefois», commente Lajos Nagy, président du «chemin de fer
des enfants». «Personne n'a
jamais songé à supprimer ce train. Nous avons dû changer le nom pour être apolitiques. Mais beaucoup étaient réticents. C'est dommage d'occulter le passé», déplore ledirecteur.
jamais songé à supprimer ce train. Nous avons dû changer le nom pour être apolitiques. Mais beaucoup étaient réticents. C'est dommage d'occulter le passé», déplore ledirecteur.
Ce petit train des pionniers ferait avec ses
400.000 visiteurs pâlir pas mal de grands musées.
On y arrive par le train à crémaillère de Budapest (en hongrois : Budapesti
Fogaskerekű Vasút ou train de Sváb-hegy (en allemand : Schwabenbergbahn). Il
circule entre Városmajor et Széchenyi-hegy et nous emmène dans les “Beverly
Hills” de Budapest.
On passe parfois si près des jolies villas,
que l’on peut regarder par la fenêtre …
Le Train des Enfants qui nous emmène dans les collines de Budapest, où
il y a presque pas de touristes, un lieu de loisirs favori des gens du pays. Le
long du trajet la plus haute tour panoramique de Budapest (520 m) d’où on peut redescendre
en ville en télésiège. Mais on peut aussi redescendre en tram. Voilà qui peut
remplir une journée agréable dans les collines vertes de Buda, pimentée d’un
peu de nostalgie.
Et puis on peut s’offrir, en guise de cérise
sur le gateau, un petit coucou à Karl Marx dont la statue se trouve toujours de
à l'intérieur de la faculté des sciences économiques de l'université qui avait a été renommée Université KarlMarx des sciences économiques en 1953; depuis 1991 elle s’appelle Université de
Budapest des sciences économiques.
Vous y êtes juste à côté du marché couvert qui
vaut le détour!
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