mercredi 19 juin 2013

La nouvelle place communale de Herstal : un « espace partagé »

La nouvelle place communale de Herstal : un « espace partagé » 

Le principe d’aménagement de la nouvelle place communale de Herstal est un espace partagé (‘shared space’ en anglais).  On accorde la priorité aux usages de la voirie plutôt qu’aux considérations réglementaires : la responsabilisation des usagers dans un espace indifférencié permettant une totale mixité d’usage serait le meilleur gage de sécurité. On exclut quasiment toute signalisation routière, et toute affectation de l’espace (la mixité des usages étant généralisée à tout l’espace public. Il y a quelques villes où ça marche et où le nombre d’accidents diminue même. Mais quelques gros requins de l’aménagement des espaces publics se sont accaparés de ce concept et restent très vagues sur les effets sur la sécurité. Le Bureau de prévention des accidents suisse ; le bureau des recherches des assureurs allemands et le Kuratorium für Verkehrssicherheit autrichien avertissent contre les risques d’accidents suite à une mauvais application de ce concept : « Il en résulte une augmentation des accidents. Les conducteurs adaptent leur comportement à l’égard des piétons lorsqu’ils les perçoivent en nombre. Dans les zones où la part de piétons est faible par rapport au trafic global, le trafic motorisé est dominant. Partant, on devrait  uniquement envisager l’aménagement d’un espace routier partagé là où le trafic piéton et/ou cycliste est  important. Pour garantir une bonne visibilité dans les espaces routiers partagés, il faut éviter le stationnement. Aussi ne faudrait-il pas prévoir  d’espace routier partagé dans des zones à besoin de stationnement élevé. Le stationnement «sauvage» sur ou à l’écart de la chaussée n’est pas compatible avec l’idée de cohabitation entre la mobilité douce et le trafic motorisé ». Or, c’est tous ces éléments-là que l’on retrouve sur la nouvelle place communale de Herstal : part de piétons faible par rapport au trafic global, besoin de stationnement élevé. Il faudra donc soit dévier le trafic automobile, soit refaire des trottoirs et séparer piétons et trafic routier…

La responsabilité de l’utilisateur dans son appropriation de l’espace

La théorie du shared space est développé par l'ingénieur hollandais Hans Monderman qui a réussi à faire appliquer ses principes dans les années 1970 par la ville de Drachten. Un programme européen "Shared space" a même été lancé depuis. A première vue, c’est l’œuf de Colombe : comment n’y avons-nous pas pensé avant ? On met en avant la responsabilité del’utilisateur dans son appropriation de l’espace qu’il partage avec les autres : une  voirie épurée de toute signalisation, avec l’idée que plus l’on dirige les usagers dans leur conduite, peu importe le  mode de déplacement qu’ils empruntent, plus l’on créé  de la ségrégation impropre à la mixité. « integrating, not segregating » : « intégrer, et non  ségréger ». Une voirie partagée transforme l’espace public en un espace que ses usagers  s’approprient : plus seulement un lieu  de passage (notamment automobile), la  ville devient un lieu de vie. Le partage de  la voirie incite donc à la déambulation.  Cet aspect est renforcé par des choix de mobilier urbain spécifique et l’accent sur  la suppression des éléments dénotant  une ségrégation entre les modes, comme  les trottoirs ou les feux de circulation.
ISABELLE JANSSENS de l’Institut Belge pour la Sécurité Routière se lance dans des considérations philosophiques sur l’être humain effet généralement imprévisible, avec un comportement est aléatoire  basé sur le contact social: "L’espace public est porteur de plusieurs activités. La circulation en fait partie. Celle-ci détermine souvent l’usage et l’aménagement de l’espace. Lorsque des problèmes se posent en termes de circulation, on renforce les règles, on  transforme l’infrastructure. La tendance est donc d’organiser au maximum l’espace public pour que le comportement des usagers soit le plus  prévisible possible. L’objectif est de rendre prévisible ce que l’autre va faire pour éviter les  accidents. Or, on le sait, des accidents continuent de se produire, notamment parce que  certaines personnes ne font pas ce qui était attendu, malgré les précautions prises.  L’être humain est en effet généralement imprévisible, son comportement est aléatoire et  basé sur le contact social. Toutes ces caractéristiques sont en parfaite contradiction avec le  comportement attendu dans le trafic.
Le concept d’espace partagé se nourrit de ce constat de décalage entre la réalité humaine et le trafic. La priorité est donnée à l’harmonie entre les fonctions de l’espace public, c’est-à-dire aussi bien le trafic que les activités quotidiennes des gens. Toutes les fonctions doivent pouvoir cohabiter dans nos villes et villages sans que l’une ne soit étouffée par d’autres. Il est important de préciser que le concept d’espace partagé n’intègre aucune volonté de réduction du trafic automobile. Il nécessite cependant une très bonne hiérarchisation et catégorisation du réseau routier.
La mise en évidence du risque est fondamentale. Les espaces où plusieurs fonctions
et usagers cohabitent sont des endroits à risques. Les solutions traditionnelles - barricader, canaliser, multiplier les panneaux - ne changent rien aux risques existants. Elles peuvent par contre avoir un effet pervers, donner l’impression de sécurité et faire baisser la vigilance. Les dangers doivent pourtant rester perceptibles.
Mais comment matérialiser dans un aménagement cette incertitude du comportement ? Le principe clé est le suivant : l’espace doit raconter son histoire. Toutes les fonctions de la rue doivent se voir.
Au vu de ce qui est décrit jusqu’ici, il va de soi que les vitesses de circulation sont
réduites. On constate une diminution de vitesse de l’ordre de 10 à 15 km/h, et ceci sans l’emploi de dispositifs ralentisseurs. La réduction de vitesse est une condition
fondamentale pour la recherche du fameux contact visuel. Cependant, celle-ci apparaît également être une conséquence des aménagements. Y a-t-il de meilleures raisons de ralentir que celle de tenir compte de tous les usagers et de ce qui se passe en rue ?
Si l’on fait une rapide évaluation de ces espaces partagés (dont les plus anciens, aux Pays-Bas, fêtent leurs 20 ans), on y constate une forte réduction du nombre d’accidents (de -20 à -40%) et la disparition des accidents graves. Les aménagements d’espaces partagés amènent de plus une amélioration sensible de la qualité et de l’agrément de l’espace".
Sur les médias sociaux, on parle déjà d’un mouvement Shared Space:  "et si on se passait des feux de circulations, passages piéton, panneaux de signalisation? C’est ce que propose le mouvement Shared Space aux Pays-Bas. Il s’agit de se faire confiance et compter sur l’autorégulation et les seules interactions interpersonnelles entre automobilistes, cyclistes et piétons. Même les trottoirs disparaissent, les piétons peuvent prendre la place qu’il leur faut et l’automobiliste se sent moins tout puissant dans son espace habituellement réservé. L’absence de règles pousse chacun à se responsabiliser. Plusieurs villes l’ont mis en place depuis 2002 et le nombre d’accident a diminué".

Un machin mis en avant par des puissants groupes d’aménagement du territoire.

D’abord ce n’est pas un mouvement, mais un machin mis en avant par des puissants groupes d’aménagement du territoire. Eiffage a déjà déposé la marque «la ruenue»®, un synonyme français de shared space.
Et dans le même contexte il est difficile d’avoir une vue objective sur la diminution du nombre d’accidents.
Un document du bpa – Bureau de prévention des accidents, Suisse ; GDV – Unfallforschung der Versicherer, Allemagne et KFV – Kuratorium für Verkehrssicherheit, Autriche avertit contre les risques d’accidents suite à une mauvais application de ce concept.

Une fausse image où la sécurité routière semble souvent secondaire.

Il existe de nombreux concepts «espace commun »  correspondants aux noms les plus divers. La plupart véhiculent cependant une fausse image: mesure de sécurité routière, solution à l’ensemble des problèmes de transport ou espace sans règles de  circulation. La sécurité routière semble souvent secondaire. En  général, aucune étude n’est spécifiquement réalisée sur l’amélioration de la sécurité; l’effet sur la sécurité  est tout simplement escompté. Cette démarche a entraîné une multiplication des mauvaises applications  du concept de «shared space». Il en résulte une augmentation des accidents  et une réduction de la qualité de séjour, ce qui met notamment en danger les usagers de la route vulnérables.  Partant, le département Unfallforschung der Versicherer du Gesamtverband der Deutschen  Versicherungswirtschaft (GDV), le Bureau suisse de prévention des accidents (bpa) et le Kuratorium für  Verkehrssicherheit (KFV) ont résumé dans la présente documentation les critères et les conditions  nécessaires à l’aménagement des espaces routiers partagés, montrant comment prendre en compte et  renforcer la sécurité routière de manière systématique. L’aménagement de l’espace public doit être lisible. « La communication entre les différents usagers de la route est un  aspect essentiel. Les conducteurs adaptent leur comportement à l’égard des piétons lorsqu’ils les perçoivent en nombre. Dans les zones où la part de piétons et de  cyclistes est faible par rapport au trafic global, le trafic motorisé est dominant. Partant, on devrait  uniquement envisager l’aménagement d’un espace routier partagé là où le trafic piéton et/ou cycliste est  important. L’ordre de grandeur suivant est applicable: près de 100 piétons/cyclistes par 1000 m2  ou  100 piétons/cyclistes qui traversent la chaussée par heure de pointe. A partir de là, on peut parler d’une  densité élevée du trafic piéton/cycliste, nécessaire pour que les conducteurs adaptent leur comportement. Les espaces routiers partagés conviennent tout particulièrement aux endroits où les piétons souhaitent traverser de manière linéaire ou libre. C’est notamment le cas des places, des élargissements similaires de  la chaussée et des zones commerçantes au centre. Lorsque le volume n’excède pas 10 000 véhicules motorisés par jour et que l’aménagement est correct, on peut supposer que le principe de respect mutuel permet de traverser en toute sécurité. Pour garantir une bonne visibilité dans les espaces routiers partagés, il faut éviter le stationnement dans la  mesure du possible ou aménager des places de parc sûres à l’écart. Aussi ne faudrait-il pas prévoir  d’espace routier partagé dans des zones à besoin de stationnement élevé si aucune alternative appropriée  ne peut être proposée pour le stationnement. Le stationnement «sauvage» sur ou à l’écart de la chaussée n’est pas compatible avec l’idée de cohabitation entre la mobilité douce et le trafic motorisé ».


Pour ISABELLE JANSSENS de l’Institut Belge pour la Sécurité Routière, citée plus haut, « pour ce type de zone, c’est le nombre de piétons qui devrait atteindre un certain seuil. En effet, toutes les réalisations actuelles démontrent que la zone fonctionne d’autant mieux que le nombre de  piétons est important ». Et elle ajoute un élément intéressant: « Vu la nature des fonctions autorisées en zone de rencontre, celles-ci doivent être desservies par le transport public régulier ».

Or, c’est tous ces éléments-là que l’on retrouve sur la nouvelle place communale de Herstal : part de piétons faible par rapport au trafic global, besoin de stationnement élevé. Il faudra donc soit dévier le trafic automobile, soit refaire des trottoirs et séparer piétons et trafic routier…

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