La nouvelle place communale de Herstal : un « espace partagé »
Le
principe d’aménagement de la nouvelle place communale de Herstal est un espace partagé (‘shared space’ en anglais). On accorde la priorité aux usages de la voirie plutôt qu’aux considérations
réglementaires : la responsabilisation des usagers dans un espace
indifférencié permettant une totale mixité d’usage serait le meilleur gage de
sécurité. On exclut quasiment toute signalisation routière, et toute affectation
de l’espace (la mixité des usages étant généralisée à tout l’espace public. Il
y a quelques villes où ça marche et où le nombre d’accidents diminue même. Mais
quelques gros requins de l’aménagement des espaces publics se sont accaparés de
ce concept et restent très vagues sur les effets sur la sécurité. Le Bureau de
prévention des accidents suisse ; le bureau des recherches des assureurs allemands
et le Kuratorium für Verkehrssicherheit autrichien avertissent contre les
risques d’accidents suite à une mauvais application de ce concept :
« Il en résulte une augmentation des
accidents. Les conducteurs adaptent leur comportement à l’égard des piétons
lorsqu’ils les perçoivent en nombre. Dans les zones où la part de piétons est
faible par rapport au trafic global, le trafic motorisé est dominant. Partant,
on devrait uniquement envisager
l’aménagement d’un espace routier partagé là où le trafic piéton et/ou cycliste
est important. Pour garantir une bonne
visibilité dans les espaces routiers partagés, il faut éviter le stationnement.
Aussi ne faudrait-il pas prévoir
d’espace routier partagé dans des zones à besoin de stationnement élevé.
Le stationnement «sauvage» sur ou à l’écart de la chaussée n’est pas compatible
avec l’idée de cohabitation entre la mobilité douce et le trafic motorisé ».
Or, c’est tous ces éléments-là que l’on retrouve sur la nouvelle place
communale de Herstal : part de
piétons faible par rapport au trafic global, besoin de stationnement élevé. Il
faudra donc soit dévier le trafic automobile, soit refaire des trottoirs et
séparer piétons et trafic routier…
La responsabilité de l’utilisateur dans son appropriation de l’espace
La théorie du shared space est développé par l'ingénieur hollandais Hans
Monderman qui a réussi à faire appliquer ses principes dans les années 1970 par
la ville de Drachten. Un programme européen "Shared space" a même été
lancé depuis. A première vue, c’est l’œuf de Colombe : comment n’y
avons-nous pas pensé avant ? On met en avant la responsabilité del’utilisateur dans son appropriation de l’espace qu’il partage avec les
autres : une voirie épurée de toute
signalisation, avec l’idée que plus l’on dirige les usagers dans leur conduite,
peu importe le mode de déplacement qu’ils
empruntent, plus l’on créé de la
ségrégation impropre à la mixité. « integrating, not segregating » : «
intégrer, et non ségréger ». Une voirie
partagée transforme l’espace public en un espace que ses usagers s’approprient : plus seulement un lieu de passage (notamment automobile), la ville devient un lieu de vie. Le partage
de la voirie incite donc à la
déambulation. Cet aspect est renforcé
par des choix de mobilier urbain spécifique et l’accent sur la suppression des éléments dénotant une ségrégation entre les modes, comme les trottoirs ou les feux de circulation.
ISABELLE JANSSENS de l’Institut Belge pour la Sécurité Routière se lance dans
des considérations philosophiques sur l’être humain effet généralement
imprévisible, avec un comportement est aléatoire basé sur le contact social: "L’espace public est porteur de plusieurs activités. La circulation en fait
partie. Celle-ci détermine souvent l’usage et l’aménagement de l’espace.
Lorsque des problèmes se posent en termes de circulation, on renforce les
règles, on transforme l’infrastructure.
La tendance est donc d’organiser au maximum l’espace public pour que le comportement
des usagers soit le plus prévisible
possible. L’objectif est de rendre prévisible ce que l’autre va faire pour
éviter les accidents. Or, on le sait,
des accidents continuent de se produire, notamment parce que certaines personnes ne font pas ce qui était
attendu, malgré les précautions prises.
L’être humain est en effet généralement imprévisible, son comportement
est aléatoire et basé sur le contact
social. Toutes ces caractéristiques sont en parfaite contradiction avec le comportement attendu dans le trafic.
Le
concept d’espace partagé se nourrit de ce constat de décalage entre la réalité
humaine et le trafic. La priorité est donnée à l’harmonie entre les fonctions
de l’espace public, c’est-à-dire aussi bien le trafic que les activités quotidiennes
des gens. Toutes les fonctions doivent pouvoir cohabiter dans nos villes et
villages sans que l’une ne soit étouffée par d’autres. Il est important de
préciser que le concept d’espace partagé n’intègre aucune volonté de réduction
du trafic automobile. Il nécessite cependant une très bonne hiérarchisation et
catégorisation du réseau routier.
La
mise en évidence du risque est fondamentale. Les espaces où plusieurs fonctions
et
usagers cohabitent sont des endroits à risques. Les solutions traditionnelles -
barricader, canaliser, multiplier les panneaux - ne changent rien aux risques
existants. Elles peuvent par contre avoir un effet pervers, donner l’impression
de sécurité et faire baisser la vigilance. Les dangers doivent pourtant rester
perceptibles.
Mais
comment matérialiser dans un aménagement cette incertitude du comportement ? Le
principe clé est le suivant : l’espace doit raconter son histoire. Toutes les
fonctions de la rue doivent se voir.
Au vu
de ce qui est décrit jusqu’ici, il va de soi que les vitesses de circulation
sont
réduites.
On constate une diminution de vitesse de l’ordre de 10 à 15 km/h, et ceci sans l’emploi
de dispositifs ralentisseurs. La réduction de vitesse est une condition
fondamentale
pour la recherche du fameux contact visuel. Cependant, celle-ci apparaît également
être une conséquence des aménagements. Y a-t-il de meilleures raisons de ralentir
que celle de tenir compte de tous les usagers et de ce qui se passe en rue ?
Si
l’on fait une rapide évaluation de ces espaces partagés (dont les plus anciens,
aux Pays-Bas, fêtent leurs 20 ans), on y constate une forte réduction du nombre
d’accidents (de -20 à -40%) et la disparition des accidents graves. Les
aménagements d’espaces partagés amènent de plus une amélioration sensible de la
qualité et de l’agrément de l’espace".
Sur
les médias sociaux, on parle déjà d’un mouvement Shared Space: "et si on se passait des feux de circulations, passages piéton, panneaux de
signalisation? C’est ce que propose le mouvement Shared Space aux Pays-Bas. Il
s’agit de se faire confiance et compter sur l’autorégulation et les seules interactions
interpersonnelles entre automobilistes, cyclistes et piétons. Même
les trottoirs disparaissent, les piétons peuvent prendre la place
qu’il leur faut et l’automobiliste se sent moins tout puissant dans son espace
habituellement réservé. L’absence de règles pousse chacun à se
responsabiliser. Plusieurs villes l’ont mis en place depuis 2002 et le nombre
d’accident a diminué".
Un machin mis en avant par des puissants groupes d’aménagement du territoire.
D’abord
ce n’est pas un mouvement, mais un machin mis en avant par des puissants
groupes d’aménagement du territoire. Eiffage a déjà déposé la marque «la ruenue»®, un synonyme français de shared space.
Et
dans le même contexte il est difficile d’avoir une vue objective sur la diminution
du nombre d’accidents.
Un
document du bpa – Bureau de prévention des accidents, Suisse ; GDV –
Unfallforschung der Versicherer, Allemagne et KFV – Kuratorium für
Verkehrssicherheit, Autriche avertit contre les risques d’accidents suite à une
mauvais application de ce concept.
Une fausse image où la sécurité routière semble souvent secondaire.
Il existe de nombreux concepts «espace commun » correspondants aux noms les plus divers. La plupart
véhiculent cependant une fausse image: mesure de sécurité routière, solution à
l’ensemble des problèmes de transport ou espace sans règles de circulation. La sécurité routière semble
souvent secondaire. En général, aucune
étude n’est spécifiquement réalisée sur l’amélioration de la sécurité; l’effet
sur la sécurité est tout simplement
escompté. Cette démarche a entraîné une multiplication des mauvaises
applications du concept de «shared
space». Il en résulte une augmentation des accidents et une réduction de la qualité de séjour, ce
qui met notamment en danger les usagers de la route vulnérables. Partant, le département Unfallforschung der
Versicherer du Gesamtverband der Deutschen Versicherungswirtschaft (GDV), le Bureau
suisse de prévention des accidents (bpa) et le Kuratorium für Verkehrssicherheit (KFV) ont résumé dans la
présente documentation les critères et les conditions nécessaires à l’aménagement des espaces
routiers partagés, montrant comment prendre en compte et renforcer la sécurité routière de manière
systématique. L’aménagement de l’espace public doit être lisible. « La communication entre les différents
usagers de la route est un aspect
essentiel. Les conducteurs adaptent leur comportement à l’égard des piétons
lorsqu’ils les perçoivent en nombre. Dans les zones où la part de piétons et
de cyclistes est faible par rapport au
trafic global, le trafic motorisé est dominant. Partant, on devrait uniquement envisager l’aménagement d’un
espace routier partagé là où le trafic piéton et/ou cycliste est important. L’ordre de grandeur suivant est
applicable: près de 100 piétons/cyclistes par 1000 m2 ou 100
piétons/cyclistes qui traversent la chaussée par heure de pointe. A partir de
là, on peut parler d’une densité élevée
du trafic piéton/cycliste, nécessaire pour que les conducteurs adaptent leur
comportement. Les espaces routiers partagés conviennent tout particulièrement
aux endroits où les piétons souhaitent traverser de manière linéaire ou libre.
C’est notamment le cas des places, des élargissements similaires de la chaussée et des zones commerçantes au
centre. Lorsque le volume n’excède pas 10 000 véhicules motorisés par jour et
que l’aménagement est correct, on peut supposer que le principe de respect
mutuel permet de traverser en toute sécurité. Pour garantir une bonne
visibilité dans les espaces routiers partagés, il faut éviter le stationnement
dans la mesure du possible ou aménager
des places de parc sûres à l’écart. Aussi ne faudrait-il pas prévoir d’espace routier partagé dans des zones à
besoin de stationnement élevé si aucune alternative appropriée ne peut être proposée pour le stationnement.
Le stationnement «sauvage» sur ou à l’écart de la chaussée n’est pas compatible
avec l’idée de cohabitation entre la mobilité douce et le trafic
motorisé ».
Pour ISABELLE JANSSENS de l’Institut Belge pour la Sécurité Routière, citée plus haut, « pour ce type de zone, c’est le nombre de piétons qui devrait
atteindre un certain seuil. En effet, toutes les réalisations actuelles
démontrent que la zone fonctionne d’autant mieux que le nombre de piétons est important ». Et elle
ajoute un élément intéressant: « Vu la nature des fonctions
autorisées en zone de rencontre, celles-ci doivent être desservies par le
transport public régulier ».
Or,
c’est tous ces éléments-là que l’on retrouve sur la nouvelle place communale de
Herstal : part de piétons faible par
rapport au trafic global, besoin de stationnement élevé. Il faudra donc
soit dévier le trafic automobile, soit refaire des trottoirs et séparer piétons
et trafic routier…
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