jeudi 2 mai 2013

Une salle entière de faux Goya au Prado !


De retour d’un city trip à Madrid. Je n’ai pas perdu mon temps: j’ai découvert au Prado une salle entière de faux Goya. Je m’étais toujours demandé comment ses Pinturas negras ont  été transférées des murs de la Quinta del Sordo sur toile (entre 1819 et 1823 Goya  avait couvert tous les murs de sa ‘maison du sourd’ avec ses Peintures Noires). Le site du Prado tourne autour du pot, mais ment mal. Le Baron- banquier Erlanger, inventeur des placements à risque, les high-risk bonds, pensait en 1874 de faire une bonne affaire en achetant la quinta de Goya. Notre spéculateur Erlanger a essayé de transferer ces peintures murales sur toile, via un double transfert. Il y a une bonne partie qui est restée sur le mur, et une autre partie sur le support de transfert. Le ‘restaurateur’ a dû compléter à sa guise. Compléter est un mot trop faible puisque les peintures d’origine n’étaient même pas à l’huile. Selon le Prado Goya utilisait des ‘traces’ d’huile: “chemical analysis reveals the use of oils” – or, ce qui se trouve au Prado sont des peintures à l’huile.
Ce que nous voyons ne sont donc même pas des copies: ce sont des tableaux ‘selon Goya’. Pour les réaliser les originaux ont été irrémédiablement detruits.
Et pourtant, ce sont des vrais Goya. Le message de Goya nous est arrivé via des intermédiaires. Il a fallu un speculateur et un restaurateur, peu scrupuleux mais talentueux, pour que sa dénonciation de l’ancien régime nous parvienne.
Incantacion
Goya peint ses 'peintures noires', une série de quatorze fresques avec la technique de l’huile al secco (sur la surface de plâtre d’une paroi) pour décorer les murs d’une maison acquise en 1819. Ces tableaux sont une satire de la religion : bien des personnages (duélistes, moines, sœurs, familiers de l’Inquisition) représentent le monde caduc antérieur aux idéaux de la Révolution française. Pour préserver sa propriété de possibles représailles, après la restauration de la Monarchie absolue en 1814, Goya cède sa Quinta à son fils Javier Goya en 1823. Rappelons que l’Inquisition n’est définitivement abolie qu’en 1834 seulement en Espagne.
En 1859 ce fils vend la propriété à un promotor immobilier, qui la refile l’année suivante à un certain Louis Caumont, qui la vend  en 1873 à Frédéric Émile d’Erlanger, un banquier allemand. En 1874, avant la démolition de la ferme, Erlanger paye Salvador Martínez Cubells, restaurateur du Prado, qui avec l’aide de ses deux fils Enrique et
photo theearthwolf
Francisco les transfère sur toile. Je n’ai pas retrouvé l’âge ni les qualifications des fistons en question. Erlanger voulait vendre ces toiles à l’Exposition universelle de Paris de 1878. L’opération était si discutable qu’il ne trouva pas d’acheteur. ­ Evan S. Connell explique dans ‘FranciscoGoya: A Life’
 que ce double transfer ‘n’était pas  entirely succesfull’ et que le restaurateur Cubells avait une réputation de ‘restauration imaginative’. Cubells était pourtant le restaurateur officiel du Prado, mais travaillait ici pour son compte. Même le Prado reconnait que les tableaux ont ‘souffert enormément’ dans le transfert, et ont ‘perdu une grande quantité de matière’.
Le Professeur Nigel Glendinning, un expert de Goya de niveau international, explique que cette restauration était tellement lourde qu’au mieux on peut parler d’ approximations des originaux de Goya. Certains parlent même de faux. Glendinning décrit de manière détaillé comment Cubells a arraché les originaux des murs. Glendinning insiste – et je le soutiens – qu’il s’agit néanmoins de vrais Goya. Mais en 2008 encore le Prado exclut ‘le Colosse’ d’une exposition sur ses peintures contre la guerre, et annonce que le tableau est l’œuvre d’un assistant de Goya.
Finalement, Erlanger décide en 1881 ­de léguér la série complète à l’Etat espagnol, qui ne sait quoi faire avec ce legs chargé d’histoire. En 1897 le fils Erlanger – celui de Sidi Bou Said à Tunis - ne retrouve pas le don de son père au Prado et doit interpeller le directeur de l’époque Francisco Pradilla, pour que les œuvres furent exposées.
Pour certains, Goya s’est plié à tous les vents politiques. Ils invoquent sa position de peintre à la Cour depuis 1786, et le fait qu’il avait gardé cette position après l’invasion Napoléonienne en 1808, à la cour de Joseph Bonaparte.
tres de mayo
Cette accusation est injuste. Goya a été un opposant, mais comme tout artiste dans une société de classes, il fallait vivre et c’est les classes dirigeantes qui ont les moyens financiers pour entretenir un artiste.
Goya a essayé de trouver des fonds auprès du peuple, mais là aussi il a buté contre un mur. En 1799 il a voulu publierles  Caprichos en 300 exemplaires.   Il en avait vendu 27 copies quand l’Inquisition lui tombe sur la bosse. En 1803 il peut éviter un procès après un arrangement avec le roi qui déclare que c’est lui a a demandé de les graver. Il arrive à négocier d'une pension pour son fils Javier. Mais en échange il doit  lui laisser tous les invendus et les plaques originales. 
Goya, De toverspreuk, 1797
Goya a été peintre de la cour, mais il est aussi LE peintre de la guerre d’indépendance espagnole soutenue par les Portugais et Brittaniques d’un côté, et Napoleon de l’autre. Le mot "guerrilla" date de cette époque, et c’est en se basant sur cette tactique que les russes ont réussi à battre Napoléon quelques années plus tard.  Le 9 février 1808 Napoleon envahit l’Espagne et met son frère Joseph Bonaparte sur le trône. Le 2 mai 1808 Madrid se soulève. Goya fait deux tableaux qui marqueront ces journées : le soulèvement du 2 et la répression du 3 mai. C’est aussi à cette époque qu’il fait sa seconde grande série de 83 gravures ‘Los desastres de la Guerra’. Mais encore une fois cet oeuvre ne rapporte rien à Goya qui fait juste quelques épreuves.  La serie complète est publiée seulement en 1863, 35 ans après sa mort.
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Goya a soutenu au départ les idéaux de la révolution française, en espérant que cette révolution allait débarrasser l’Espagne de la féodalité et de l’obscurantisme. Mais comme beaucoup de libéraux,  après l’invasion française, il est tirailléentre la résistance nationale et ses idéaux des Lumières. Il est resté peintre le la Cour sous Joseph Bonaparte, dont il paint encore le portrait en 1810, mais ses ‘Désastres’ sont une dénonciation de la guerre impérialiste de Napoléon. Ce qui ne l’empêche pas de choisir finalement l’exil à Bordeaux.
Le Prado expose donc une salle entière de faux, dans lesquels perce quand même de manière très forte le message que Goya arrive à nous faire parvenir. C’est pour moi les charmes de cette salle, et mon seul regret est que le Prado n’est pas un peu plus honnête dans ses explications. La vérité sur le transfert des Peintures Noires sur toile ne saurait qu’aider le spectateur à se libérer de cette commercialisation à outrance, où l’on amène le spectateur à regarder une toile avec les yeux d’Oncle Picsou plein de dollars…


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