De retour d’un city trip à Madrid. Je n’ai pas
perdu mon temps: j’ai découvert au Prado une salle entière de faux Goya. Je
m’étais toujours demandé comment ses Pinturas negras ont été transférées des murs de la Quinta del
Sordo sur toile (entre 1819 et 1823 Goya avait couvert tous les murs de sa
‘maison du sourd’ avec ses Peintures Noires). Le site du Prado tourne autour du
pot, mais ment mal. Le Baron- banquier Erlanger, inventeur des placements à
risque, les high-risk bonds, pensait en 1874 de faire une bonne affaire en
achetant la quinta de Goya. Notre spéculateur Erlanger a essayé de transferer
ces peintures murales sur toile, via un double transfert. Il y a une bonne
partie qui est restée sur le mur, et une autre partie sur le support de
transfert. Le ‘restaurateur’ a dû compléter à sa guise. Compléter est un mot
trop faible puisque les peintures d’origine n’étaient même pas à l’huile. Selon
le Prado Goya utilisait des ‘traces’ d’huile: “chemical analysis reveals the
use of oils” – or, ce qui se trouve au Prado sont des peintures à l’huile.
Ce que nous voyons ne sont donc même pas des
copies: ce sont des tableaux ‘selon Goya’. Pour les réaliser les originaux ont
été irrémédiablement detruits.
Et pourtant, ce sont des vrais Goya. Le
message de Goya nous est arrivé via des intermédiaires. Il a fallu un speculateur
et un restaurateur, peu scrupuleux mais talentueux, pour que sa dénonciation de
l’ancien régime nous parvienne.
Incantacion |
Goya peint ses 'peintures noires', une série de quatorze fresques avec la
technique de l’huile al secco (sur la surface de plâtre d’une paroi) pour
décorer les murs d’une maison acquise en 1819. Ces tableaux sont une satire de
la religion : bien des personnages (duélistes, moines, sœurs, familiers de
l’Inquisition) représentent le monde caduc antérieur aux idéaux de la
Révolution française. Pour préserver sa propriété de possibles représailles,
après la restauration de la Monarchie absolue en 1814, Goya cède sa Quinta à
son fils Javier Goya en 1823. Rappelons que l’Inquisition n’est définitivement
abolie qu’en 1834 seulement en Espagne.
En 1859 ce fils vend la propriété à un promotor immobilier, qui la refile
l’année suivante à un certain Louis Caumont, qui la vend en 1873 à Frédéric Émile d’Erlanger, un
banquier allemand. En 1874, avant la démolition de la ferme, Erlanger paye Salvador
Martínez Cubells, restaurateur du Prado, qui avec l’aide de ses deux fils
Enrique et
Francisco les transfère sur toile. Je n’ai pas retrouvé l’âge ni les
qualifications des fistons en question. Erlanger voulait vendre ces toiles à
l’Exposition universelle de Paris de 1878. L’opération était si discutable
qu’il ne trouva pas d’acheteur. Evan S. Connell explique dans ‘FranciscoGoya: A Life’ que ce double transfer ‘n’était pas
entirely succesfull’ et que le restaurateur Cubells avait une réputation
de ‘restauration imaginative’. Cubells était pourtant le restaurateur officiel
du Prado, mais travaillait ici pour son compte. Même le Prado reconnait que les
tableaux ont ‘souffert enormément’ dans le transfert, et ont ‘perdu une grande
quantité de matière’.
photo theearthwolf |
Le Professeur Nigel Glendinning, un expert de
Goya de niveau international, explique que cette restauration était tellement
lourde qu’au mieux on peut parler d’ approximations des originaux de Goya.
Certains parlent même de faux. Glendinning décrit de manière détaillé comment
Cubells a arraché les originaux des murs. Glendinning insiste – et je le
soutiens – qu’il s’agit néanmoins de vrais Goya. Mais en 2008 encore le Prado
exclut ‘le Colosse’ d’une exposition sur ses peintures contre la guerre, et
annonce que le tableau est l’œuvre d’un assistant de Goya.
Finalement, Erlanger décide en 1881 de léguér
la série complète à l’Etat espagnol, qui ne sait quoi faire avec ce legs chargé
d’histoire. En 1897 le fils Erlanger – celui de Sidi Bou Said à Tunis - ne retrouve pas le don de
son père au Prado et doit interpeller le directeur de l’époque Francisco
Pradilla, pour que les œuvres furent exposées.
Pour certains, Goya
s’est plié à tous les vents politiques. Ils invoquent sa position de peintre à
la Cour depuis 1786, et le fait qu’il avait gardé cette position après
l’invasion Napoléonienne en 1808, à la cour de Joseph Bonaparte.
tres de mayo |
Cette accusation est injuste.
Goya a été un opposant, mais comme tout artiste dans une société de classes, il
fallait vivre et c’est les classes dirigeantes qui ont les moyens financiers
pour entretenir un artiste.
Goya a essayé de trouver des fonds auprès du
peuple, mais là aussi il a buté contre un mur. En 1799 il a voulu publierles Caprichos en 300 exemplaires. Il en avait vendu 27 copies quand l’Inquisition lui tombe sur la bosse. En 1803 il peut éviter un procès après un
arrangement avec le roi qui déclare que c’est lui a a demandé de les graver. Il arrive à négocier d'une pension
pour son fils Javier. Mais en échange il doit
lui laisser tous les invendus et les plaques originales.
Goya, De toverspreuk, 1797 |
Goya a été peintre de
la cour, mais il est aussi LE peintre de la guerre d’indépendance espagnole soutenue
par les Portugais et Brittaniques d’un côté, et Napoleon de l’autre. Le mot
"guerrilla" date de cette époque, et c’est en se basant sur cette
tactique que les russes ont réussi à battre Napoléon quelques années plus tard. Le 9 février 1808 Napoleon envahit l’Espagne
et met son frère Joseph Bonaparte sur le trône. Le 2 mai 1808 Madrid se
soulève. Goya fait deux tableaux qui marqueront ces journées : le
soulèvement du 2 et la répression du 3 mai. C’est aussi à cette époque qu’il fait sa
seconde grande série de 83 gravures ‘Los desastres de la Guerra’. Mais encore
une fois cet oeuvre ne rapporte rien à Goya qui fait juste quelques épreuves. La serie complète est publiée seulement en
1863, 35 ans après sa mort.
Goya a soutenu au départ les idéaux de la
révolution française, en espérant que cette révolution allait débarrasser l’Espagne
de la féodalité et de l’obscurantisme. Mais comme beaucoup de libéraux, après l’invasion française, il est tirailléentre la résistance nationale et ses idéaux des Lumières. Il est resté peintre
le la Cour sous Joseph Bonaparte, dont il paint encore le portrait en 1810, mais
ses ‘Désastres’ sont une dénonciation de la guerre impérialiste de Napoléon. Ce
qui ne l’empêche pas de choisir finalement l’exil à Bordeaux.
Le Prado expose donc une salle
entière de faux, dans lesquels perce quand même de manière très forte le
message que Goya arrive à nous faire parvenir. C’est pour moi les charmes de
cette salle, et mon seul regret est que le Prado n’est pas un peu plus honnête
dans ses explications. La vérité sur le transfert des Peintures Noires sur
toile ne saurait qu’aider le spectateur à se libérer de cette commercialisation
à outrance, où l’on amène le spectateur à regarder une toile avec les yeux d’Oncle
Picsou plein de dollars…
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