lundi 13 mai 2013

Guernica de Picasso au Reina Sofia Madrid : un modèle de présentation muséale XXI° siècle !


 « La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements, c'est un instrument de guerre, offensif et défensif, contre l'ennemi. »— Picasso
Le Centre d’art Reina Sofia  fait évidemment partie d’une visite à Madrid. D’autant plus que c’est gratuit, tous les samedis après midis et les dimanches de 10h à 21h, mais aussi tous les jours de 19h à 21h.
Reina Sofia fait partie du Triangle d'Or de l'Art avec le Prado et le Musée Thyssen-Bornemisza. Mais c’est aussi situé près de la gare d’Atocha, la plus grande gare d'Espagne. En 1992, l'architecte Raphael Moneo y a inséré un jardin de 4 000 m² avec 7 000 arbres et plantes, dont de grands palmiers, dans l'ancienne gare en fer de 1888, un chef-d'œuvre de l'architecture ferroviaire du xixe siècle. La gare fut le théâtre sanglant des attentats terroristes de 2004. Vaut la visite. Sans mentionner le jardin vertical créée en 2006-2007, à l’entrée du CaiForum, par Patrick Blanc, un grand botaniste et artiste des murs de verdure. 400 000€ quand même pour cette installation de 24 mètres de haut avec 15 000 plantes de 250 espèces différentes.
Inauguré en 1992, un des points forts de Reina Sofia est Guernica, une des œuvres les plus célèbres de Pablo Picasso. Il réalisa cette huile sur toile entre le premier mai et le 4 juin 1937, commandée par le gouvernement républicain pour le pavillon espagnol de l'Exposition Internationale de Paris de 1937. Cette
une reproduction en céramique à Gernika
toile monumentale est une dénonciation engagée du bombardement de la ville de Guernica, le 26 avril 1937, ordonné par les franquistes et exécuté par des troupes allemandes nazis et fascistes italiennes.
Le tableau est devenu très vite un symbole de la dénonciation de la violence franquiste et fasciste, avant de se convertir en symbole de l'horreur de la guerre en général. Conservée pendant toute la dictature franquiste aux États-Unis, sur demande de Picasso, cette œuvre a finalement été transférée en Espagne en 1981. Picasso ne verra pas son tableau arriver sur le sol espagnol : il est décédé en 1973.
Avec  Guernica, Reina Sofia aurait pu se reposer sur ses lauriers et engranger les billets touristiques. Pourtant, son directeur, Manuel Borja-Villel, deux ans après son arrivée, en 2008, a réussi à doper la fréquentation de 30 % en revivifiant entre autres Guernica en exposant à ses côtés de documents liés à la guerre civile : "Guernica est ancré dans une période. On a ajouté à proximité Les Désastres de la guerre, de Goya, pour poser la question de ce que c'est qu'être artiste en période de conflit".
Le tableau est accompagné de photographies de la guerre civile espagnole signées Robert Capa, de documents de propagande d'époque... Mais aussi d'un film de Luis Buñuel, de tableaux de Juan Miro, ou encore d'une maquette du pavillon espagnol de la République présenté à Paris en 1937.  
J’y ai découvert aussi que Dali aussi a été républicain. En 1937 le peintre catalan est trotskiste tandis que Picasso l’andalou ne deviendra communiste que plus tard. Un des tableaux célèbres de Dali est «
Dali Prémonition de la guerre civile
Construction molle avec haricots bouillis - Prémonition de la guerre civile » de 1936. Il est expose en Phildelphie. Fernando Arrabal a écrit un dialogue entre DALI vs  PICASSO où Dalí dit: «Il faut vous engager comme moi je le fais. Le front antifranquiste, c’est l’espoir ! ».
Le musée expose aussi 45 études préliminaires pour Guernica. Et ces études préliminaires ne sont que le sommet d’un iceberg. Physiquement, Picasso a réalisé cette toile en cinq semaines. Mais c’est en fait un condensé de dizaines d’esquises et de tableaux de taureaux, chevaux et tous les éléments qui composent le tableau. 10% d’inspiration et 90% de transpiration ! Sa Minotauromachie entre autres est une clef importante pour comprendre Guernica.  Une autre référence est  le fusillé du Tres de Mayo de Goya que l’on retrouve dans la femme qui lève les bras au ciel.
Lors de l'Exposition de 1937 la toile se retrouvait face à la Fontaine de mercure d'Alexander Calder. L’original est à la Fundación Miró de Barcelone, mais Calder a réalisé une version un peu plus petite pour la Calder Foundation de New-York.  Reina Sofia a passé un accord pour que la source fasse partie de la réconstruction du Pavillon de la République de 1937.  Même le mercure qui remplit la fontaine est tout un symbole : les mines de mercure d'Almadén sont restée pendant toute la guerre civile du côté des Républicains.
Capa au Reina Sofia
Googleartproject qui donne toute une série de photos de Capa explique aussi que Reina Sofía a un triple programme: repenser la fonction d’un musée aujourd’hui; analyser les mécanismes de médiation entre le  public et l’institution; et finalement, proposer des nouveaux contextes et histoires à partir de la collection qui mènent à une nouvelle notion de modernité. L’institution ne considère plus sa tâche comme une simple transmission de culture. Et aussi sous cet aspect muséal les salles ‘Guernica’ valent le déplacement !
La toile resta au MoMA de New York durant une quarantaine d'années en raison du refus catégorique de Picasso, membre du Parti communiste français, que l'œuvre aille en Espagne tant que « les libertés publiques n'y seraient pas rétablies ». Durant la Seconde Guerre mondiale, Picasso, qui vivait à Paris, reçut la visite d'Otto Abetz, l'ambassadeur nazi. Ce dernier lui demande devant une photo de Guernica: « C'est vous qui avez fait cela ? ». Picasso a répondu : « Non... vous ».
La présence aux Etats Unis a été contesté aussi pendant la guerre de Vietnam: en 1967, 400 artistes ont signé une  pétition demandant à Picasso de ne pas laisser Guernica aux Etats Unis.
Et en 2003, une reproduction du tableau à l'ONU –un cadeau de Rockefeller en 1985 - a été cachée à la demande desdiplomates américains par une toile bleue lors du vote de la résolution concernant la guerre d'Irak. Censure ou décence ? 
L’historien d'art britannique Anthony Blunt, un des Cinq de Cambridge, un groupe d'espions ayant travaillé pour le compte de l'Union soviétique pendant la guerre froide, a écrit Picasso's Guernica en 1969.
Le Reina Sofia a donc largement mérité son Guernica. Même si ça a tenu à un fil. Le musée du Prado en rêvait. Son projet: réunir trois oeuvres majeures réalisées par les trois génies de la peinture espagnole : Les Fusillades du 3 mai de Francisco Goya, La reddition de Breda ou Les Lances de Diego Velazquez, toutes deux conservées au Prado, et le célèbre tableau de Pablo Picasso. Ce projet était intéressant, mais ne vaut pas la belle et intéressante présentation aujourd’hui à Reina Sofia.
Et pour terminer encore un mot sur l’architecte Jean Nouvel  qui a ajouté en 2005 un auditorium, une bibliothèque et des nouvelles salles d'expositions sous une grande marquise rouge en aluminium et en zinc adossée à l'ancien hôpital de Sabatini.   
Un architecte intéressant, ne fut-ce parce qu’il s’oppose à l’héritage de la Charte d’Athènes, rédigée sous la houlette de Le Corbusier.  Mais aussi au ‘fuck context’ de Rem Koolhaas :  « À chaque fois que je peux conserver quelque chose, je le fais. Transformer un lieu, c’est un acte de création aussi important que de l’inventer ex nihilo. D’ailleurs, même quand on prend un lieu vide, c’est une transformation puisqu’on ne crée jamais un espace, mais dans l’espace. L’architecture du XXIe siècle, de toute façon, ça va être ça : travailler à partir de ce qui existe déjà, en grande partie. Il y a tellement de territoires urbanisés… Tout le monde a été mis là trop vite et trop mal. Et comme nous ne sommes plus dans une époque de croissance, il va bien falloir travailler là-dessus ». 

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