« La
peinture n'est pas faite pour décorer les appartements, c'est un instrument de
guerre, offensif et défensif, contre l'ennemi. »— Picasso
Le Centre d’art Reina Sofia fait évidemment partie d’une visite à Madrid.
D’autant plus que c’est gratuit, tous les samedis après midis et les dimanches
de 10h à 21h, mais aussi tous les jours de 19h à 21h.
Reina Sofia fait partie du Triangle d'Or de
l'Art avec le Prado et le Musée Thyssen-Bornemisza. Mais c’est aussi situé près
de la gare d’Atocha, la plus grande gare d'Espagne. En 1992, l'architecte Raphael Moneo y a inséré
un jardin de 4 000 m² avec 7 000 arbres et plantes, dont de grands palmiers,
dans l'ancienne gare en fer de 1888, un chef-d'œuvre de l'architecture
ferroviaire du xixe siècle. La gare fut le théâtre sanglant des attentats
terroristes de 2004. Vaut la visite. Sans mentionner le jardin vertical créée en 2006-2007, à l’entrée du CaiForum, par Patrick Blanc, un grand
botaniste et artiste des murs de verdure. 400 000€ quand même pour cette
installation de 24 mètres de haut avec 15 000 plantes de 250 espèces
différentes.
Inauguré en 1992, un des points forts de Reina
Sofia est Guernica, une des œuvres les plus célèbres de Pablo Picasso. Il réalisa cette huile sur
toile entre le premier mai et le 4 juin 1937, commandée par le gouvernement
républicain pour le pavillon espagnol de l'Exposition Internationale de Paris
de 1937. Cette
toile monumentale est une dénonciation engagée du bombardement
de la ville de Guernica, le 26 avril 1937, ordonné par les franquistes et
exécuté par des troupes allemandes nazis et fascistes italiennes.
une reproduction en céramique à Gernika |
Le tableau est devenu très vite un symbole de
la dénonciation de la violence franquiste et fasciste, avant de se convertir en
symbole de l'horreur de la guerre en général. Conservée pendant toute la
dictature franquiste aux États-Unis, sur demande de Picasso, cette œuvre a
finalement été transférée en Espagne en 1981. Picasso ne verra pas son tableau
arriver sur le sol espagnol : il est décédé en 1973.
Avec Guernica, Reina Sofia aurait pu se reposer sur
ses lauriers et engranger les billets touristiques. Pourtant, son directeur,
Manuel Borja-Villel, deux ans après son arrivée, en 2008, a réussi à doper la
fréquentation de 30 % en revivifiant entre autres Guernica en exposant à ses
côtés de documents liés à la guerre civile : "Guernica est ancré dans
une période. On a ajouté à proximité Les Désastres de la guerre, de Goya, pour
poser la question de ce que c'est qu'être artiste en période de conflit".
Le tableau est accompagné de photographies de
la guerre civile espagnole signées Robert Capa, de documents de propagande
d'époque... Mais aussi d'un film de Luis Buñuel, de tableaux de Juan Miro, ou
encore d'une maquette du pavillon espagnol de la République présenté à Paris en
1937.
J’y ai découvert aussi que Dali aussi a été
républicain. En 1937 le peintre catalan est trotskiste tandis que Picasso l’andalou
ne deviendra communiste que plus tard. Un des tableaux célèbres de Dali est
«
Construction molle avec haricots bouillis - Prémonition de la guerre
civile » de 1936. Il est expose en Phildelphie. Fernando Arrabal a écrit
un dialogue entre DALI vs PICASSO où Dalí dit: «Il faut vous
engager comme moi je le fais. Le front antifranquiste, c’est l’espoir ! ».
Dali Prémonition de la guerre civile |
Le musée expose aussi 45 études préliminaires
pour Guernica. Et ces études préliminaires ne sont que le sommet d’un iceberg. Physiquement,
Picasso a réalisé cette toile en cinq semaines. Mais c’est en fait un condensé
de dizaines d’esquises et de tableaux de taureaux, chevaux et tous les éléments
qui composent le tableau. 10% d’inspiration et 90% de transpiration ! Sa
Minotauromachie entre autres est une clef importante pour comprendre Guernica. Une autre référence est le fusillé du Tres de Mayo de Goya que l’on
retrouve dans la femme qui lève les bras au ciel.
Lors de l'Exposition de 1937 la toile se
retrouvait face à la Fontaine de mercure d'Alexander Calder. L’original est à la Fundación Miró de Barcelone, mais Calder a réalisé une
version un peu plus petite pour la Calder Foundation de New-York. Reina
Sofia a passé un accord pour que la source fasse partie de la réconstruction du
Pavillon de la République de 1937. Même le mercure qui remplit la
fontaine est tout un symbole : les mines de mercure d'Almadén sont restée
pendant toute la guerre civile du côté des Républicains.
Capa au Reina Sofia |
Googleartproject qui donne toute une série de
photos de Capa explique aussi que Reina Sofía a un triple programme: repenser la fonction d’un musée aujourd’hui;
analyser les mécanismes de médiation entre le
public et l’institution; et finalement, proposer des nouveaux contextes et
histoires à partir de la collection qui mènent à une nouvelle notion de modernité.
L’institution ne considère plus sa tâche comme une simple transmission de
culture. Et aussi sous cet aspect muséal les salles ‘Guernica’ valent le
déplacement !
La toile resta au MoMA de New York durant une
quarantaine d'années en raison du refus catégorique de Picasso, membre du Parti
communiste français, que l'œuvre aille en Espagne tant que « les libertés
publiques n'y seraient pas rétablies ». Durant la Seconde Guerre mondiale,
Picasso, qui vivait à Paris, reçut la visite d'Otto Abetz, l'ambassadeur nazi.
Ce dernier lui demande devant une photo de Guernica: « C'est vous qui avez fait
cela ? ». Picasso a répondu : « Non... vous ».
La présence aux Etats Unis a été contesté
aussi pendant la guerre de Vietnam: en 1967, 400 artistes ont signé une pétition demandant à Picasso de ne pas laisser
Guernica aux Etats Unis.
Et en 2003, une reproduction du tableau à
l'ONU –un cadeau de Rockefeller en 1985 - a été cachée à la demande desdiplomates américains par une toile bleue lors du vote de la résolution
concernant la guerre d'Irak. Censure ou décence ?
L’historien d'art britannique Anthony Blunt, un des Cinq de Cambridge, un groupe d'espions
ayant travaillé pour le compte de l'Union soviétique pendant la guerre froide,
a écrit Picasso's Guernica en 1969.
Le Reina Sofia a donc largement mérité son
Guernica. Même si ça a tenu à un fil. Le musée du Prado en rêvait. Son projet: réunir trois oeuvres majeures
réalisées par les trois génies de la peinture espagnole : Les Fusillades
du 3 mai de Francisco Goya, La reddition de Breda ou Les Lances de Diego
Velazquez, toutes deux conservées au Prado, et le célèbre tableau de Pablo
Picasso. Ce projet était intéressant, mais ne vaut pas la belle et intéressante
présentation aujourd’hui à Reina Sofia.
Et pour terminer encore un mot sur l’architecte
Jean Nouvel qui a ajouté en 2005 un auditorium, une
bibliothèque et des nouvelles salles d'expositions sous une grande marquise
rouge en aluminium et en zinc adossée à l'ancien hôpital de Sabatini.
Un architecte intéressant, ne fut-ce parce
qu’il s’oppose à l’héritage de la Charte d’Athènes, rédigée sous la houlette de
Le Corbusier. Mais aussi au ‘fuck
context’ de Rem Koolhaas : « À chaque fois que je peux conserver quelque chose, je le fais. Transformer
un lieu, c’est un acte de création aussi important que de l’inventer ex nihilo.
D’ailleurs, même quand on prend un lieu vide, c’est une transformation
puisqu’on ne crée jamais un espace, mais dans l’espace. L’architecture du XXIe
siècle, de toute façon, ça va être ça : travailler à partir de ce qui existe
déjà, en grande partie. Il y a tellement de territoires urbanisés… Tout le
monde a été mis là trop vite et trop mal. Et comme nous ne sommes plus dans une
époque de croissance, il va bien falloir travailler là-dessus ».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire