La scénographie de l’Archéoforum a été revue
en profondeur. «L’objectif était de faire entrent en contact avec l’histoire
par l’émotion, indique Freddy Joris, administrateur-délégué de l’Institut du
Patrimoine wallon, qui gère la structure. Mais les visiteurs décrochaient. Il
fallait quelque chose de plus terre à terre.» Des led teintent chaque mur de
l’une ou l’autre couleur pour différencier les époques. Et surtout,
l’Archéoforum a acquis 50 tablettes numériques. Freddy Joris : « le
recours aux Ipad va peut-être nous amener un public qui ne serait jamais venu
!» Budget de l’opération Ipad: 118.000 euros. Les Ipad ont remplacé les guides,
deux au lieu de cinq. « Des visites guidées pour deux personnes, c’ était
un mode de fonctionnement délirant, lié à la précédente scénographie » (Ls
27/3/2013). Délirant ? C’est Michel Daerden, ministre du Patrimoine à
l’époque, qui a payé 20 millions d’€ à Yves
Durand, un corsaire québecqois des projets bling bling. Durand déclare : http://www.commercemonde.com/archives/sept97/profils/p2.html
« Sur le plan international, les
marchés sont vastes et les grandes villes touristiques du monde sont des cibles
de premier choix. Les productions visent essentiellement les musées, les parcs
thématiques et les hauts lieux du patrimoine mondial ». L’impression
générale de cette ‘production ‘ de la société ‘Expérience International’ est un
fouillis inextricable où un chat ne retrouverait pas ses petits !
L’Archéoforum de Liège est une infrastructure
monumentale de 84 x 44 mètres, en dessous de la place Saint-Lambert. De la
Préhistoire aux périodes les plus récentes, chaque étape de l’histoire de Liège
s’y trouve illustrée par des vestiges archéologiques. L'Archéoforum connaissait
d’importants problèmes financiers. Le Ministre Di Antonio déclare en
2012 : « l'Archéoforum a eu 130 000 visiteurs payants
depuis son
ouverture. Actuellement, le nombre de visiteurs payants annuels se situe autour
de 14.500 et si on devait y retirer les visites organisées des enfants, il ne
restera pas grand-chose. Les recettes de l'Archéoforum, ventes de billets
d'entrée et ventes à la boutique, se situent autour de 75.000 euros par an ces
cinq dernières années. Les coûts, eux, qui sont pris en charge par l'IPW,
tournent autour de 800 000 euros par an dont 600 000 euros pour le personnel.
Les 200 000 euros restants se répartissent grosso modo pour moitié entre des
frais fixes de climatisation et d'éclairage du site et pour moitié entre des
frais d'animation, de promotion et d'organisation de manifestations diverses.
Chaque visiteur de l'Archéoforum a coûté 53 euros en 2010, contre 14 pour
l'Abbaye de Stavelot, 18 euros pour le Préhistosite et de 28 euros pour
Villers. La direction de l'IPW veut arriver à un coût similaire à celui des
sites de Stavelot ou de Villers, qui bénéficient chacun d'une subvention
régionale annuelle de 500 000 euros » (P.W.- C.R.I.C. N° 150 19 juin 2012).
Di Antonio a aujourd’hui ce qu’il
voulait : « épauler les
visiteurs par de nouvelles technologies permettant de visualiser les bâtiments
anciens, et non plus systématiquement par un guide ». Il « croit que c'est le cas dans à peu près tous
les musées et sites patrimoniaux du monde ». Je me demande quels sont
ses sources. Ca fait déjà un petit temps que j’enquête auprès de personnes
ressources sur ce qui peut attirer un public, et ils insistent tout sur les
contacts humains, témoignages etc. Dans les années '90, des citoyens-militants
se sont battus, pour qu'on ne détruise pas les vestiges millénaires de Liège
(comme prévu par l'entrepreneur et accepté par la ville d'alors) ?
L'Archéoforum est aussi un important acquis citoyen, c'est le symbole d'une
longue lutte militante sur le plan culturel, et il doit y avoir encore pas
mal de gens prêts à partager cette expérience !
Une autre conséquence est que les enfants ne pourront plus assister à des
stages culturels, historiques et pédagogiques fort prisés.
Pourquoi la fréquentation est si faible ?
Pour le Ministre Di Antonio, ces vestiges souffrent « d'un double handicap : d'abord, ils sont tout sauf
spectaculaires puisque ce sont des fondations d'édifices disparus, des éléments
de constructions romaines et médiévales entremêlés, mais rien qui puisse a
priori attirer l'œil non averti. Ensuite, ces vestiges souterrains sont cachés
sous une place et rien que pour ce motif, ils ne sont pas a priori
remarqués ».
Ils sont peut être cachés sous une place, mais
une place où glandent des milliers de gens. Avant l’archéoforum, on visitait le
dimanche matin les ruines par une trappe ! Ce n’est pas un handicap, c’est
un défi : il faut attirer les gens!
Quant au premier argument, ces vestiges qui
sont tout sauf spectaculaires, n’était-ce pas au scénographe à les rendre
intéressants ? On a des personnes ressources du milieu associatif qui
savent comment faire parler ces pierres, à commencer par les gens qui ont
occupé le chantier de la place pour éviter des dégradations encore plus fortes.
Je ne dis pas que c’est facile : on fouille déjà sur la place depuis
1907 ! Mais c’est possible et ça en vaut la peine ! D’ailleurs, ces
fouilles successives sont un roman en soi !
Le site de l’Archéoforum est important en ce
qu'il parle de l'histoire de Liège. Que pourrait-on y montrer ? La
naissance du cœur d’une ville et son évolution, y compris son avenir. En 1849 on
a commencé la discussion sur ce qu’on allait représenter sur les bas reliefs de
la façade du Palais Provincial qui retracent des événements marquants de
l'histoire liégeoise Et s’il n’y avait pas eu l’échéance du cinquantenaire de
la Belgique en 1880 on discutait probablement encore. On ne doit évidemment pas
discuter pendant trente ans sur ce qu’on va mettre en avant
dans l’Archéoforum, mais par rapport aux dix années de perdues depuis
l’ouverture de l’archéoforum on a encore de la marge...
En 1849 ça a trainé parce qu’on a voulu un
grand consensus sur l’histoire de la principauté. Or, grand
consensus est souvent synonyme d’insipide. Du choc des idées
que jaillit la lumière. Le personnel de l’Archéoforum pourrait recueillir des idées, lancer
le débat, entrer en discussion avec les visiteurs sur ces vestiges.
Pour ce genre de travail les 5 personnes qu’on a transférées sont à peine
suffisantes. Et ça sera toujours moins cher que les 20 millions d’euro payés à
un consultant renommé…
Il ne faut surtout pas fuir des questions
controversées. A commencer par ce qui est à la base de la création de cette
place Saint Lambert : le démontage en 1793 de la cathédrale de Saint
Lambert, symbole du pouvoir du prince-évêque, par les révolutionnaires liégeois.
On peut aussi montrer les fondations des
maisons des chanoines, qui entouraient cette cathédrale. Ce bâtiment n’était
pratiquement pas accessible – ni visible -par les fidèles ; c’était un
bâtiment de prestige pour la collégiale Saint Lambert. On peut montrer les
fondations de la petite église paroissiale réservée aux paroissiens.
L’assasinat de l'évêque Lambert vers 705 par
les hommes d'armes de Dodon est un vrai roman, un problème de vendetta.
On peut évoquer Notger qui se venge sur son
prédécesseur Eracle, trop mou à son goût, en lui volant sa cathédrale !
Notger avait construit en 978 sur l’emplacement où se trouvait un «martyrium» à
la mémoire de Saint Lambert une cathédrale romane dédiée à
Notre-Dame-et-Saint-Lambert. Or, son prédécesseur Eracle avait annoncé le transfert sur le Publémont « le siège et
la maison épiscopale », y compris la fondation d’un sanctuaire en honneur
de sainte Marie et de saint Lambert. Notger a ravalé ‘la cathédrale sainte
Marie et saint Lambert en Publémont’ d’Eracle au rang de collégiale et l’a
dédié à Saint Martin. Il a repoussé ainsi Saint Martin vers la périphérie de
l’espace urbain où elle fût incorporée au système défensif de la porte Saint
Martin. N’est-ce pas une belle histoire ?
On peut
montrer les fondations de la plus ancienne des collégiales liégeoises, la collégiale Saint-Pierre, fondée dès 709
par l'évêque Hubert, et démolie vers 1860 par l’ingénieur Blonden qui fait
cisailler la colline Saint-Pierre, avec
sa collégiale et une série de bâtiments intéressants, pour dégager la vue sur
le nouveau Palais Provincial.
L’arasage de cette colline Saint-Pierre a été
le signal de départ d’un siècle et demi de travaux ‘inutiles’ qui ont culminé
en 1975 dans le projet fou de créer une liaison à l'autoroute E25. Il faut
montrer aussi les traces de ces travaux ‘inutiles’. Le trou de Saint Lambert du
dernier quart du XX° siècle mérite une certaine publicité, ne fût-ce pour ne
pas répéter la même erreur.
On peut montrer la tranchée creusée vers 1980
pour faire un parking sur les vestiges les plus anciennes de notre ville. En
1840 Victor Hugo s’était moqué de la première cour du palais qui était le siège
d'un marché quotidien. » On voit les robes noires des praticiens affairés
passer au milieu des grands paniers pleins de choux rouges et violets. Dans
cette sombre cour se croise perpétuellement aujourd’hui l’intarissable parole
de l’avocat et de la commère, le bavardage et le babil. » Aujourd’hui cette
cour est un parking. Et si on avait laissé faire il y aurait eu aussi un parking
où se trouve aujourd’hui l’Archéoforum.
On peut montrer les traces de la Légia, cette
rivière fantôme qui ne coule plus dans son thalweg depuis le XIII° siècle.
photo homme et ville |
A partir des traces de la naissance de notre
ville on peut lancer le débat sur ce que doit devenir ce centre ville menacé
par l’étalement urbain et étranglé par la bagnole omniprésente.
Voilà un petit aperçu, à partir de mon
expérience limitée, sur le débat qu’on peut engager avec les visiteurs ;
débat qui à son tour enrichira la présentation de ces vestiges. L’Archéoforum
peut et doit vivre !
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