mardi 16 avril 2013

Quel avenir pour l’archéoforum de Liège?


La scénographie de l’Archéoforum a été revue en profondeur. «L’objectif était de faire entrent en contact avec l’histoire par l’émotion, indique Freddy Joris, administrateur-délégué de l’Institut du Patrimoine wallon, qui gère la structure. Mais les visiteurs décrochaient. Il fallait quelque chose de plus terre à terre.» Des led teintent chaque mur de l’une ou l’autre couleur pour différencier les époques. Et surtout, l’Archéoforum a acquis 50 tablettes numériques. Freddy Joris : « le recours aux Ipad va peut-être nous amener un public qui ne serait jamais venu !» Budget de l’opération Ipad: 118.000 euros. Les Ipad ont remplacé les guides, deux au lieu de cinq. « Des visites guidées pour deux personnes, c’ était un mode de fonctionnement délirant, lié à la précédente scénographie » (Ls 27/3/2013). Délirant ? C’est Michel Daerden, ministre du Patrimoine à l’époque, qui a payé 20 millions d’€  à Yves Durand, un corsaire québecqois des projets bling bling. Durand déclare : http://www.commercemonde.com/archives/sept97/profils/p2.html « Sur le plan international, les marchés sont vastes et les grandes villes touristiques du monde sont des cibles de premier choix. Les productions visent essentiellement les musées, les parcs thématiques et les hauts lieux du patrimoine mondial ». L’impression générale de cette ‘production ‘ de la société ‘Expérience International’ est un fouillis inextricable où un chat ne retrouverait pas ses petits !
L’Archéoforum de Liège est une infrastructure monumentale de 84 x 44 mètres, en dessous de la place Saint-Lambert. De la Préhistoire aux périodes les plus récentes, chaque étape de l’histoire de Liège s’y trouve illustrée par des vestiges archéologiques. L'Archéoforum connaissait d’importants problèmes financiers. Le Ministre Di Antonio déclare en 2012 : « l'Archéoforum a eu 130 000 visiteurs payants
depuis son ouverture. Actuellement, le nombre de visiteurs payants annuels se situe autour de 14.500 et si on devait y retirer les visites organisées des enfants, il ne restera pas grand-chose. Les recettes de l'Archéoforum, ventes de billets d'entrée et ventes à la boutique, se situent autour de 75.000 euros par an ces cinq dernières années. Les coûts, eux, qui sont pris en charge par l'IPW, tournent autour de 800 000 euros par an dont 600 000 euros pour le personnel. Les 200 000 euros restants se répartissent grosso modo pour moitié entre des frais fixes de climatisation et d'éclairage du site et pour moitié entre des frais d'animation, de promotion et d'organisation de manifestations diverses. Chaque visiteur de l'Archéoforum a coûté 53 euros en 2010, contre 14 pour l'Abbaye de Stavelot, 18 euros pour le Préhistosite et de 28 euros pour Villers. La direction de l'IPW veut arriver à un coût similaire à celui des sites de Stavelot ou de Villers, qui bénéficient chacun d'une subvention régionale annuelle de 500 000 euros » (P.W.- C.R.I.C. N° 150 19 juin 2012). 

Di Antonio a aujourd’hui ce qu’il voulait : « épauler les visiteurs par de nouvelles technologies permettant de visualiser les bâtiments anciens, et non plus systématiquement par un guide ». Il « croit que c'est le cas dans à peu près tous les musées et sites patrimoniaux du monde ». Je me demande quels sont ses sources. Ca fait déjà un petit temps que j’enquête auprès de personnes ressources sur ce qui peut attirer un public, et ils insistent tout sur les contacts humains, témoignages etc. Dans les années '90, des citoyens-militants se sont battus, pour qu'on ne détruise pas les vestiges millénaires de Liège (comme prévu par l'entrepreneur et accepté par la ville d'alors) ? L'Archéoforum est aussi un important acquis citoyen, c'est le symbole d'une longue lutte militante sur le plan culturel, et il doit y avoir encore pas mal de gens prêts à partager cette expérience !
Une autre conséquence est que  les enfants ne pourront plus assister à des stages culturels, historiques et pédagogiques fort prisés.
Pourquoi la fréquentation est si faible ? Pour le Ministre Di Antonio, ces vestiges souffrent « d'un double handicap : d'abord, ils sont tout sauf spectaculaires puisque ce sont des fondations d'édifices disparus, des éléments de constructions romaines et médiévales entremêlés, mais rien qui puisse a priori attirer l'œil non averti. Ensuite, ces vestiges souterrains sont cachés sous une place et rien que pour ce motif, ils ne sont pas a priori remarqués ». 
Ils sont peut être cachés sous une place, mais une place où glandent des milliers de gens. Avant l’archéoforum, on visitait le dimanche matin les ruines par une trappe ! Ce n’est pas un handicap, c’est un défi : il faut attirer les gens!
Quant au premier argument, ces vestiges qui sont tout sauf spectaculaires, n’était-ce pas au scénographe à les rendre intéressants ? On a des personnes ressources du milieu associatif qui savent comment faire parler ces pierres, à commencer par les gens qui ont occupé le chantier de la place pour éviter des dégradations encore plus fortes. Je ne dis pas que c’est facile : on fouille déjà sur la place depuis 1907 ! Mais c’est possible et ça en vaut la peine ! D’ailleurs, ces fouilles successives sont un roman en soi !
Le site de l’Archéoforum est important en ce qu'il parle de l'histoire de Liège. Que pourrait-on y montrer ? La naissance du cœur d’une ville et son évolution, y compris son avenir. En 1849 on a commencé la discussion sur ce qu’on allait représenter sur les bas reliefs de la façade du Palais Provincial qui retracent des événements marquants de l'histoire liégeoise Et s’il n’y avait pas eu l’échéance du cinquantenaire de la Belgique en 1880 on discutait probablement encore. On ne doit évidemment pas discuter pendant trente ans sur ce qu’on va mettre en avant dans l’Archéoforum, mais par rapport aux dix années de perdues depuis l’ouverture de l’archéoforum on a encore de la marge...
En 1849 ça a trainé parce qu’on a voulu un grand consensus sur l’histoire de la principauté. Or, grand consensus est souvent synonyme d’insipide. Du choc des idées que jaillit la lumière. Le personnel de l’Archéoforum pourrait recueillir des idées, lancer le débat, entrer en discussion avec les visiteurs sur ces vestiges. Pour ce genre de travail les 5 personnes qu’on a transférées sont à peine suffisantes. Et ça sera toujours moins cher que les 20 millions d’euro payés à un consultant renommé…
Il ne faut surtout pas fuir des questions controversées. A commencer par ce qui est à la base de la création de cette place Saint Lambert : le démontage en 1793 de la cathédrale de Saint Lambert, symbole du pouvoir du prince-évêque, par  les révolutionnaires liégeois.
On peut aussi montrer les fondations des maisons des chanoines, qui entouraient cette cathédrale. Ce bâtiment n’était pratiquement pas accessible – ni visible -par les fidèles ; c’était un bâtiment de prestige pour la collégiale Saint Lambert. On peut montrer les fondations de la petite église paroissiale réservée aux paroissiens.
L’assasinat de l'évêque Lambert vers 705 par les hommes d'armes de Dodon est un vrai roman, un problème de vendetta.
On peut évoquer Notger qui se venge sur son prédécesseur Eracle, trop mou à son goût, en lui volant sa cathédrale ! Notger avait construit en 978 sur l’emplacement où se trouvait un «martyrium» à la mémoire de Saint Lambert une cathédrale romane dédiée à Notre-Dame-et-Saint-Lambert. Or, son prédécesseur Eracle avait annoncé le  transfert sur le Publémont « le siège et la maison épiscopale », y compris la fondation d’un sanctuaire en honneur de sainte Marie et de saint Lambert. Notger a ravalé ‘la cathédrale sainte Marie et saint Lambert en Publémont’ d’Eracle au rang de collégiale et l’a dédié à Saint Martin. Il a repoussé ainsi Saint Martin vers la périphérie de l’espace urbain où elle fût incorporée au système défensif de la porte Saint Martin. N’est-ce pas une belle histoire ?
On  peut montrer les fondations de la plus ancienne des collégiales liégeoises,  la collégiale Saint-Pierre, fondée dès 709 par l'évêque Hubert, et démolie vers 1860 par l’ingénieur Blonden qui fait cisailler  la colline Saint-Pierre, avec sa collégiale et une série de bâtiments intéressants, pour dégager la vue sur le nouveau Palais Provincial.
L’arasage de cette colline Saint-Pierre a été le signal de départ d’un siècle et demi de travaux ‘inutiles’ qui ont culminé en 1975 dans le projet fou de créer une liaison à l'autoroute E25. Il faut montrer aussi les traces de ces travaux ‘inutiles’. Le trou de Saint Lambert du dernier quart du XX° siècle mérite une certaine publicité, ne fût-ce pour ne pas répéter la même erreur.
On peut montrer la tranchée creusée vers 1980 pour faire un parking sur les vestiges les plus anciennes de notre ville. En 1840 Victor Hugo s’était moqué de la première cour du palais qui était le siège d'un marché quotidien. » On voit les robes noires des praticiens affairés passer au milieu des grands paniers pleins de choux rouges et violets. Dans cette sombre cour se croise perpétuellement aujourd’hui l’intarissable parole de l’avocat et de la commère, le bavardage et le babil. » Aujourd’hui cette cour est un parking. Et si on avait laissé faire il y aurait eu aussi un parking où se trouve aujourd’hui l’Archéoforum.
On peut montrer les traces de la Légia, cette rivière fantôme qui ne coule plus dans son thalweg depuis le XIII° siècle.
photo homme et ville
A partir des traces de la naissance de notre ville on peut lancer le débat sur ce que doit devenir ce centre ville menacé par l’étalement urbain et étranglé par la bagnole omniprésente.
Voilà un petit aperçu, à partir de mon expérience limitée, sur le débat qu’on peut engager avec les visiteurs ; débat qui à son tour enrichira la présentation de ces vestiges. L’Archéoforum peut et doit vivre !

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