La Grève Robert Koehler 1886 |
1886. Année de crise
1886. Année de crise.
Début 1886, les mineurs de Décazeville, dans l'Aveyron, se mettent
en grève. La troupe intervient sans succès. Une campagne internationale de
solidarité se développe. A Liège on vend Le Catéchisme du Peuple à 10 cts au
lieu de 5 cts, au profit des mineurs de Décazeville.
En février Cockerill ouvre une souscription parmi son
personnel au profit des ouvriers nécessiteux, pensionnés ou renvoyés faute
d'ouvrage. Elle se charge gracieusement d'en verser le produit à un bureau de
bienfaisance. Ces mesures, estime le directeur baron Sadoine, n'ont pas été
sans influence sur l'assiduité des travailleurs de cette entreprise lors des
grèves de mars.
18 mars 1886: Meeting public organisé à l'occasion de la Commune de Paris
extrait La Meuse 19 mars 1886 |
Jeudi 18 mars 1886 Wagener appelle à un grand meeting public
en commémoration du 15° anniversaire de la Commune en la salle du Café National, place Delcour, suivi d’une
manifestation place Saint Lambert.
Ce meeting sera le point de départ d'une
bourrasque sociale et amènera Wagener aux Assises.
Ce jour-là les mineurs abandonnent leurs fosses. On y crie
"vive la république". Parti de Seraing, un cortège ramasse les travailleurs
de Jemeppe, Ougrée, Tilleur, à la suite d'un drapeau rouge. D'autres arrivent de
Saint-Nicolas, de Herstal.
A 18h, la place St Lambert est noire de monde: un millier,
estime la police. Wagener arrive, porteur d'un drapeau rouge. Arrivé rue
Léopold, le cortège casse la grande épicerie Mauguin. Un torrent s'écrase en
Neuvice, la rue aux orfèvres. Dans l'arrière salle du café National un
Warnotte, qui se réfère aux thèses défendues par le tout jeune Parti Ouvrier Belge POB , « fait
honte aux manifestants des désordres : point n'est besoin d'appeler à la
révolte pour revendiquer nos droits. Vive l'ouvrier lorsqu'il pense et qu'il
agit après voir bien pensé". Ce Warnotte témoignera contre Wagener au
procès aux Assises. Il lui mettra ces mots à la bouche : « Les
propriétaires, nom de D…, c’est avec la dynamite qu’il faut les traiter. Une
bête vous saute au nez pour défendre ses jeunes, et vous autres vous êtes assez
c… pour ne pas donner à manger à vos enfants. Ceux qui ont des enfants qui
crèvent de faim et ne cherchent pas à leur procurer du pain, n'importe par quel
moyen, sont N… de D… des rosses. La faim justifie le vol et le pillage. Vive la
Commune». Vers 20h30 la place Delcour devant le café National est couverte de 3
à 4000 personnes.
Le bourgmestre de Liège avait signé une interdiction de rassemblement
de plus de 5 personnes. La vue de 18 gendarmes à cheval et de 12 gendarmes à
pied des Chasseurs Eclairés et des Artilleurs de la Garde civique provoque une
immense clameur: "A bas les gendarmes! A bas la garde civique!"
meeting POB 26 avril 1886 |
Des coups de feu éclatent. La place est évacuée. La foule
assiège l'hôtel de ville. Du pétrole en flamme est projetée sur les gendarmes à
cheval. Le bilan: 17 blessés amenés à la permanence, 60 arrestations, 104
édifices endommagés. La Meuse écrit: "vers 4 heures, les anarchistes étaient
retournés dans les villages de la banlieue d'où ils étaient sortis comme des
bandes de barbares".
Le ministre de la guerre inspecte les troupes dans la
berline de Cockerill. Il est prié à dîner par le baron Sadoine, directeur
général de Cockerill.
Le mouvement du 18 mars 1886 était parti du Charbonnage de la
Concorde à Jemeppe. Tous les mineurs qui avaient quitté leur travail sont
congédiés sur le champ comme grévistes et fauteurs de révolution. Dans la nuit,
la rage au cœur, quatre fugitifs rentrent de Liège. La grève éclate. Les vitres
de la maison du directeur Kelecom volent en miettes. A 7 heures, une centaine
d'hommes à Seraing , derrière un drapeau rouge improvisé, exhortent les
habitants à marcher sur Liège.
Trois bataillons d'infanterie, suivi de la brigade de
gendarmes à cheval et d'un escadron de lanciers marchent sur Tilleur et
Jemeppe. Deux compagnies sont postées aux Usines Cockerill, encore que le baron
Sadoine, administrateur directeur général de la Société Cockerill, fasse
admirer la discipline de ses gens, tous au travail, eux.
Samedi, traditionnellement, le jour de paie: des piquets de
police se portent aux Charbonnages du bois d'Avroy et du Val Benoît. Au palais
de justice pénètrent par fournée les détenus dont hâtivement on instruit le
procès. L'escorte de policiers revolvers au poing fait des moulinets du sabre
pour dégager la passage.
desordres à Liège 1886 (La Meuse) |
A Seraing, des grévistes tirent sur la permanence de l'hôtel
de ville, où sont enfermés des camarades.
A Liège, c'est l'alarme. On clabaude: "les mines
flambent à Tilleur. Cockerill, le Horloz, seraient au pillage. Le château,
l'hôtel de ville de Seraing brûlent" (journal de Liège 21.3.1886).
Horreur, "on aurait même hissé la tète d'un maître ouvrier au bout d'un
bâton" (Le peuple 22.3.1886).
Le 21 mars, le soleil qui se lève annonce le printemps. Il
brille aussi sur les 6000 troupiers chargés de l'ordre dans le bassin à demi
paralysé.
Le déploiement des forces militaires dans la région a de
quoi impressionner: 6 bataillons de ligne, 5 escadrons de lanciers, 2 batteries
d'artillerie à cheval, 100 gendarmes renforcés d'unités des 9°, 10° et 12° de
ligne venant d'Arlon et de 3 bataillons du 4° de ligne venant de Bruxelles. Le
ministre de la guerre lui-même, le général Pontus, a parcouru les positions
dans la berline de Cockerill, escortée par les lanciers. Il a été prié à dîner
par le baron Sadoine, administrateur directeur général de la Société Cockerill.
Les soldats tirent
A Tilleur, ça se gâte. Les soldats tirent. On relève un
mineur armé d'un pistolet, une femme qui allait quérir son enfant à l'école, un
père de famille qui sera amputé, un jeune passant touché au ventre. Il décédera
à l'hôpital. A Jemeppe, Joseph Dewar, 18 ans, Lambert Sody,15 ans, tous deux
membres de la fanfare locale, tombent mortellement frappés.
A Seraing, il y a bataille rue du Bac. Un lancier touche Henri Deridder d'une balle
dans la face. A sa fenêtre, rue des Pierres, Nicolas Jacob, cafetier et agent
d'affaires, a la tête emportée d'un coup de fusil par un fantassin chargé du
couvre feu.
Le 23.3 une échauffourée oppose la police à des grévistes au
haut de la Chauve Souris, près du Charbonnage de la Haye, à Saint Gilles. Deux
luxembourgeois, Charles Manderscheid et Pierre Schroeder, sont très grièvement
blessés.
La grève est maintenant totale dans la plupart des
charbonnages. A Herstal 129 des 169 mineurs de la houillère Gérard Cloes
refusent de descendre. Le bourgmestre apprend qu’une dizaine d’individus
s’étaient promenés à Wandre, avec drapeau rouge et bonnet phrygien, sous les
fenêtres du Charbonnage, qu’ils avaient traversé le pont de Wandre-Herstal et
qu’ils étaient venus manifester devant la maison occupée par la famille du
détenu Wagener. Il décide de faire fermer les cafés à 19h, d’interdire des
rassemblements et la circulation sur le pont sans laissez-passer.
Cette interdiction de circuler sur le pont fraîchement
inauguré est assez cocasse si l’on sait que ce pont avait été réclamé depuis des
décennies par Herstal. Signalons en passant que l’année après, en 1887, le même
bourgmestre interdit une réunion de propagande en plein air à l’occasion de
l’inauguration de la première Maison du Peuple au n° 13 de la rue Hoyoux
(source : P. Baré p. 297).
Malgré les ordres donnés, le café Wagener, au Rivage, était
resté ouvert ; une visite du commissaire « en fit sortir plusieurs individus
notoirement connus comme adeptes de Wagener. Ils furent conduits, sous escorte
de police et de pompiers, jusqu’au-delà du pont ».
Le mouvement s'use, sauf à Herstal où la grève s’étend de
Cloes à la Petite Bacnure, Bonne Espérance et Bonne Foi Hareng.
A Seraing on défend de parler sur la tombe de Nicolas Jacob
pour les funérailles duquel un bataillon de carabiniers, un bataillon de
lignards, un fort détachement de lanciers sont mobilisés.
Les obsèques de Lambert Sody, à Jemeppe, se déroulent sous
l'œil de la troupe. La fanfare dont il était membre n'a pu sortir de l'église.
Seule la famille a pu suivre le cercueil au cimetière.
Les métallurgistes hésitent. Il y a bien grève dans les
tôleries et laminoirs de Jemeppe et d'Ougrée. Un mouvement s'est amorcé à
l'Usine de fer de Cockerill. Mais le baron Sadoine est sur la brèche. Il sait
stimuler les forces de l'ordre et haranguer ses salariés. Ce n'est pas pour
lui, proclame-t-il, qu'il va chercher des commandes aux quatre coins de
l'Europe et qu'il travaille à perte; c'est pour leur donner de l'ouvrage et
subvenir aux besoins de leurs femmes et enfants.
Tragédie à Roux
La situation est devenue tragique dans le bassin de
Charleroi. La paie du 25 mars, réduite, a indigné les mineurs. Le 26 mars, la
fermentation gagne les verreries. A Lodelinsart, l'usine Baudoux flambe, ainsi que
le château du propriétaire. Tragédie à Roux, le lendemain, des morts parmi les
grévistes trop audacieux devant des militaires en haute amenés forcés.
Le 28 mars 1886 la Sûreté publique fait un bilan des émeutes
à Liège: 4 morts, 43 blessés. Le 31 mars le roi écrit: "Il faut faire une
loi pour atteindre les meneurs et leurs écrits, une autre pour réprimer le port
d'armes sans autorisation". Le 16 avril le ministre de la Justice
présentait à la Chambre le projet de loi qui servira (e.a.) à accuser les 13 de
Clabecq.
La justice se veut rapide, exemplaire. Les sentences
tombent: 77 condamnations par le Tribunal correctionnel de Liège, nous
négligeons les cas de police dont regorgent les prisons. On reproche à Edouard
Wagener son attitude "révoltante", son air de "bravade" et
ses réponses "cyniques". Il est âgé de 37 ans. Il avait été sous-officier, grâce à "une grande facilité de conception et
d'élocution", mais ensuiteramené au rang de sergent, puis dégradé. Il avait monté une affaire de galvanoplastie, travaillé à la Fonderie des canons. Négociant, commissionnaire, il était en 1886 fabricant de chaises et
cabaretier, près du Pont de Wandre, à Herstal. Lors de son procès en Assises, La Meuse
publie des extraits d'une de ses lettres à un journal de Herstal: "Il faut
démantibuler le Vieux Monde. C'est quand le porc est gras, bourgeois, qu'on le
tue. Ouvrier, prends la machine! Paysan, prends la terre!"
La cour frappe Wagener au maximum: 6 mois de prison.
Le 28 mars la Gazette de Liège avait dénoncé "le mal
immense accompli dans les masses par le Catéchisme du Peuple, catéchisme
perfidement et habilement rédigé, en vue d'exciter les colères et les haines
des travailleurs contre le capital". Alfred Defuisseaux prend 12 mois pour
son Catéchisme du Peuple, Edouard Anseele 6 mois pour injures contre le Roi.
Commune Paris 1871 |
C'est le même jour, le 9 août, qu'est voté la loi qui est
libellé comme suit:
" Seront punis comme auteur d'un crime ou d'un délit
ceux qui, soit par des discours tenus dans des réunions ou dans les lieux
publics, soit par des écrits, des imprimés, des images ou emblèmes quelconques,
qui auront été affichés, distribués ou vendus, mis en vente ou exposés aux
regards du public, auront provoqué directement à le commettre ... ".
La sentence cassée le 3.10 par la cour de Cassation, sera
confirmée en Cour d'Assises de Namur le 21.12.1886.
Le 11 août 1886 Oscar Falleur, dirigeant de l'union Verrière,
et son compagnon Xavier Schmidt encoururent 20 ans de travaux forcés devant la
Cour d'Assises du Hainaut pour les journées tragiques de Charleroi.
Marcinelle 1886 |
Ce texte est rédigé sur base de deux textes : René Van Santbergen, une bourrasque sociale Liège 1886, Lg 1969). Rapport de Mr. Le Bourgmestre sur les grèves du mois de mai dernier présenté en séance publique du Conseil Communal du 3 mai 1886 ; dans le N°24 du « Musée Herstalien », p.11 à 23.
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