On ne saurait aborder les réformes en Chine, à partir de 78, sans faire l’historique des trente premières années d’édification économique, avec en tête les questions : était-il nécessaire d’aller encore plus loin que les soviétiques dans la collectivisation, ou aurait-on pu faire l’économie de ces ‘erreurs’ ? A-t-on réalisé pendant ces 30 ans l’accumulation primitive qui a permis de lâcher le pression à partir de 1978 ? Et puis, la question qui est un peu le fil rouge du débat sur l’édification socialiste : quel rôle doit jouer la loi de la valeur? L’économiste Xue Muqiao systématise aussi la notion de l’ échange inégal ; notion qui a été un peu ‘escamotée’ dans les textes soviétiques.
1949-1952 : relèvement de l’économie avec 14,1% de croissance de la production agricole par an
En 1949 se généralise la réforme agraire. Dans un premier temps la Chine communiste partagera les terres, pour enchainer très vite sur un mouvement de mise en commun des ressources dans des coopératives. L’agronome William Hilton a très bien décrit cela dans Fanshen. En 1984 il écrit d’ailleurs Shenfan où il exprime sa déception dans la politique des Réformes de Deng.
Xue Muqiao fait le bilan suivant de la réforme agraire et du 1PQ qui l’a suivi: (p.21-26)
« Le 1PQ a débuté en 1953, mais, en réalité, le travail d’édification avait commencé dès la naissance de la Chine Nouvelle en 1949. Durant les trois années de relèvement de l’économie nationale, la production agricole avait augmenté de 48,5%, soit 14,1% en moyenne par an ; la production industrielle avait augmenté de 145%, soit 34,8% en moyenne par an. Toutefois, une grande partie de cette progression est due à un effet de rattrapage.
Au cours du 1PQ, la Chine, sous l’influence soviétique, a adopté une politique de priorité à l’industrie lourde. Avec l’aide soviétique, 156 grands projets d’investissements ont été lancés. D’où les fonds nécessaires pouvaient-ils venir ? Dans les conditions d’alors, ils ne pouvaient gère provenir de l’agriculture. A l’époque, l’industrie lourde ne représentait que 8% de la valeur globale : elle ne pouvait donc pas fournir l’accumulation suffisante. En apparence, l’industrie légère fournissait une accumulation assez importante, mais en fait sa matière première provenait surtout de l’agriculture et une grande partie de son accumulation était due à un transfert provoqué par un échange inégal, la matière première agricole étant achetée à bas prix, puis les produits transformés (textile par ex.) revendus à hauts prix aux agriculteurs. Les impôts payés par l’agriculture n’étaient pas très importants mais l’accumulation provoquée par l’inégalité des échanges représentait plusieurs fois le montant des impôts. Qui plus est, la population des villes s’est beaucoup accrue et l’approvisionnement a commencé à poser des difficultés. »
Xue Muqiao insiste à juste titre sur l’inégalité des échanges ville-campagne. Cette inégalité se définit évidemment par rapport à la valeur d’échange. Les livraisons obligatoires ou achats-réquisition sont un procédé administratif qui n’a rien à voir avec la loi de la valeur…
Le premier plan quinquennal (1PQ)
Le premier plan quinquennal (1953–57) prévoit la construction de 694 projets industriels de taille moyenne ou grande, dont 156 avec l'aide de l'Union Soviétique. 595 projets sont entrés en production. La production industrielle brute a augmenté de 128,6 %. La production totale d'acier atteint 16,56 millions de tonnes, 2,18 fois plus que la production cumulée de 1900 a 1948. La production de charbon a atteint 131 millions de tonnes en 1957 (+98 % ). La valeur de la production brute de l'industrie et de l'agriculture est passée de 30 % à 56,5 % en 1957, tandis que celle de l'industrie lourde est passée de 26,4 % à 48,4 %. En 1957, 93,5 % des foyers agricoles avaient rejoint des coopératives de producteurs avancées. La production industrielle a augmenté en moyenne annuelle de 19 % entre 1952 et 1957. La production l'agriculture a augmenté de 4 % par an. Mais au fur et à mesure de l'avancement du Premier Plan Quinquennal, l'inquiétude des dirigeants chinois a cru sur la quantité de céréales produites dans les zones rurales pour la consommation dans les centres urbains.
Un chercheur américain résume assez bien la situation de départ du 1PQ : « Pour le 1PQ la constatation de départ est comme en USSR un déséquilibre entre la croissance du pouvoir d'achat et celle de la production de biens de consommation, déséquilibre qu'on impute aux paysans qui se refusent à commercialiser leurs surplus qu'ils préfèrent consommer plutôt que vendre. On introduit donc en 1953, au début du 1PQ, un système d ' achat et de vente unifié . Or, cela revient seulement à changer de problème, car désormais, ce que les paysans gardent par devers eux ce sont des liquidités monétaires, qu' il convient de résorber. Plusieurs solutions sont envisageables : aggravation de ciseau des prix, emprunt forcé, mais aussi augmentation de la production industrielle. Du coup de nouveaux problèmes. L’incapacité des usines à produire pour l’heure les machines-outils qui permettraient de fabriquer de nouveaux produits. C’est pourquoi l’attention du gouvernement se porte en priorité sur la politique d’investissement ».
Le deuxième plan quinquennal : le ‘grand bond en avant’
C’est en 1956 que Mao tire la leçon de l’expérience soviétique dans son texte ‘ Sur les dix grands rapports’. Xue explique que la Chine n’a pas réussi à réajuster les proportions entre agriculture, industrie légère et lourde, comme Mao l’avait pourtant préconisé: p23 « Afin de garantir cet approvisionnement, l’Etat a été obligé de recourir au monopole d’achat et à l’achat-réquisition. De plus, il a institué le rationnement des céréales, des cotonnades et de certaines denrées annexes. Ces mesures ont limité la consommation des paysans et, certaines années, les achats excessifs de céréales par l’Etat ont diminué leurs rations, refroidissant ainsi leur ardeur.
Dans un pays agricole à l’économie arriérée, l’édification d’une grande économie socialiste nécessite de prélever une partie des fonds sur l’agriculture ; mais ce prélèvement ne doit pas être excessif. L’Union Soviétique a rendu très difficile la vie des paysans, ce qui a limité le développement de la production agricole. Dans ‘Sur les dix grands rapports’ Mao tire la leçon de l’expérience soviétique : vis-à-vis des paysans nous ne pouvons surtout pas ‘tuer la poule aux œufs d’or’. Il fallait trouver un moyen de réajuster les proportions entre agriculture, industrie légère et lourde. Mais, en réalité, il n’en a pas été ainsi. A partir de 1956 le rythme d’accroissement de notre production agricole a commencé à fléchir (ce qui est à mettre également à mettre en relation avec un développement trop hâtif de la collectivisation). Idem pour la production industrielle. Qui plus est, à partir de 1958 on a lancé un ‘grand bond en avant’ dans la production de l’industrie lourde, ce qui a provoqué une forte chute de la production dans l’industrie lourde elle-même. C’est la sanction que nous avons subie pour ne pas avoir respecté les lois du développement économique ».
Xue Muqiao fait de l’understatement en parlant de ‘développement trop hâtif de la collectivisation’. Dans des conditions encore plus difficiles que celles prévalant en Union Soviétique, le PCC se lance dans une fuite en avant vers un modèle de ‘commune’ que Staline avait rejeté dans les années trente comme non conforme aux conditions historiques. Le 29 août 1958, le Comité Central adopte une " résolution sur l'établissement des communes populaires dans les régions rurales ". Le CC veut ainsi réaliser la "collectivisation de la vie ", afin de contribuer au processus de libération de la femme et à la lutte contre l'individualisme (en pratique : création de réfectoires, de blanchisseries, de jardins d'enfants, etc.) et avancer vers le communisme dans le mode de répartition, en passant de " à chacun selon son travail " à " chacun selon ses besoins " : création de services communautaires et extension de leur gratuité, avancée dans l'égalité des salaires, répartition des produits disponibles selon les besoins.
Pourtant, en URSS, Staline est intervenu pendant des années contre les déviations gauchistes.
Chinatoday (anciennement La Chine en construction fondée en 1949 par Song Qingling, l’épouse de Sun Yat-sen http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Chine_au_pr%C3%A9sent ) part d’une déclaration de 1958 de Mao: ‘La réalisation du communisme n’est pas une chose lointaine dans notre pays. Nous devons bien profiter du modèle des communes populaires pour trouver une voie de transition vers le communisme’. « En Chine, fin 1958, 26 000 communes rassemblent 120 millions de familles paysannes , 99 % des paysans chinois. La commune populaire veut la coexistence de l’agriculture et les activités industrielles et commerciales. La commune est aussi le pouvoir de base dans les villages. Les communes populaires ont encouragé les sciences et techniques agricoles, et aussi réussi à aménager des cours d’eau et à construire plus de 87 000 réservoirs et quantité de petits barrages. De plus, un système d’hygiène publique a été mis en place dans tous les villages chinois. Mais sans tenir compte du niveau du développement économique d’alors, l’égalitarisme et le ‘vent du communisme’ ont miné les intérêts des paysans et détruit les forces productives rurales ».
Ce ‘grand bond en avant’ est un désastre économique pour la production agricole: celle-ci devrait augmenter de 270 % ; en réalité, le gain a été de 35 % (The 2nd Five-Year, Official Web Portal, Government of China). En plus, l’inégalité des échanges a augmenté. Xue Muqiao p.178 « Dans les 20 années qui ont suivi la libération, nous avons doublé le prix d’achat des produits agricoles et l’effet de ciseaux s’est quelque peu réduit. Mais même si les conditions de la production agricole se sont fortement améliorées, la productivité du travail a très peu augmenté et, dans de nombreuses régions, les coûts unitaires de production se sont au contraire accrus avec la production. Il n’est est pas de même dans l’industrie où la productivité du travail augmente assez vite et où, plus la production est importante, plus les coûts sont faibles. C’est pourquoi les prix relatifs agricoles et industriels doivent continuellement être rajustés avec le développement de la production. Au cours des dix années troublées de la Révolution Culturelle, les prix ont été très peu rajustés, le prix des céréales n’a pas été relevé depuis vingt ans. Certaines régions à haut rendement augmentent leur production sans augmenter leurs revenus, elles doivent compter sur les bénéfices des entreprises rurales pour assurer leur reproduction agricole élargie. D’autres régions à bas rendement éprouvent même des difficultés à assurer leur reproduction simple, elles ont réduit la rémunération du travail paysan à un niveau qui ne peut même pas satisfaire les besoins les plus élémentaires de la vie et doivent faire appel à l’apport des lopins individuels. C’est pourquoi il faut rapidement procéder à un rajustement des prix agricoles et industriels, réduire l’effet de ciseaux et arriver peu à peu à un échange égal ou à un niveau proche de l’échange égal ».
Si les premiers PQ chinois ont pratiqué, comme dans l’expérience soviétique, l’échange inégal, il y a une politique des prix différente. La Chine n’augmente pas le prix de vente des produits agricoles. Ce qui permet de maintenir le fonds des salaires plus bas. L’Etat finance son plan en vendant plus chers les produits industriels. Cela ne change rien sur le fonds de l’échange inégal, mais ça a facilité le rapprochement des prix de la valeur après 1978. Françoise Lemoine, chercheuse associée au Centre d'études sur la Chine contemporaine: « Là où les soviétiques vendaient les produits agricoles avec une forte surtaxe, le PCC a suivi une politique de prix bas, permettant de garder les salaires dans l’industrie plus bas. Jusqu’ en 1978 les transferts de ressources s’opèrent de l’agriculture vers l’industrie par le jeu des prix relatifs : l’état maintient les prix agricoles à un niveau très bas, ce qui permet de comprimer les salaires urbains et donc les coûts de production industriels. Les prix des produits industriels sont, eux, relativement élevés : l’écart entre coûts et prix des produits industriels représente un montant d’impôts et de profits qui est versé au budget de l’Etat. Grâce à ces ressources l’Etat finance des investissements dans l’industrie lourde. Malgré le sensible relèvement des prix agricoles au cours de ces années, le désavantage que subit l’agriculture du fait de cette structure défavorable des prix ne fait que s’amplifier dans la mesure où elle utilise de plus en plus d’inputs et d’équipements venant de l’industrie. Parallèlement, l’industrie, où la productivité du travail s’élève, dégage des marges de profits qui vont croissant et alimentent l’expansion des revenus budgétaires et des investissements toujours canalisés pour l’essentiel vers l’industrie lourde. (L’écho financier des réformes, Françoise Lemoine ; dans Les réformes en chine, Revue du Tiers Monde PUF 1987 p.813).
Les 30 années qui ont précédées les réformes ont quand même jeté les bases, autrement dit, réalisé pour l’essentiel ‘accumulation primitive. Voici le bilan que fait Deng Xiao Ping en 1980: “It is true that in the 31 years since the founding of the People's Republic we have made quite a few mistakes, including some serious ones, and suffered repeated setbacks that adversely affected the life of the people and retarded the progress of socialist construction. Nevertheless, through our endeavours over these years the number of industrial and transport enterprises has grown to nearly 400,000, and the value of the fixed assets of state enterprises has increased nearly 21 times compared with the early post-Liberation days. We have trained large numbers of skilled workers and nearly 10 million specialists and established a fairly comprehensive industrial system and economic system. The life of the whole people is far better than it was before Liberation. Compared with some major developing countries, China has achieved a faster rate of growth.”
La réforme agraire de 1978 basée sur la responsabilité forfaitaire des ménages.
Il a fallu attendre 1978 pour une remise en question de cette collectivisation forcée et la planification par des mesures administratives. Cette remise en question est en même temps une remise à zéro : les « contrats d’exploitation intégraux » de la réforme agraire de 1978 nécessitent entre chaque foyer paysan une division égalitaire des terres. C’est en quelque sorte un retour à la réforme agraire de 1949. Reculer pour mieux bondir ?
En 1978, le gouvernement procède à la réforme agricole basée sur la responsabilité forfaitaire des ménages. On accorde aux foyers paysans uniquement un droit d’usage : les terres restent la propriété du collectif, cantons ou villages, qui redeviennent les échelons de base à la place des communes populaires, dont le démantèlement a été achevé en 1984 . (Dossier : La transition chinoise La Chine et ses campagnes p. 47-66).
En parallèle avec la responsabilité forfaitaire on passe à un système de planification par les prix, préconisé par Xue Muqiao en 1982.
p.140 « Comment satisfaire les besoins de l’industrie en matières premières agricoles, comment répondre à la demande en biens de consommation de la population ? Faut-il en définitive recourir surtout à des procédés administratifs ou à la loi de la valeur ? (La production agricole) doit obéir au Plan d’Etat certes, mais les besoins se chiffrent par centaines pour les principaux et par milliers ou dizaines de milliers si on inclut les produits secondaires. Or, l’Etat ne peut guère inclure que quelques dizaines des produits les plus importants dans son plan. De plus, comme le secteur coopératif est seul responsable de ses pertes et profits, ce genre de plan ne devrait pas être impératif, il ne devrait avoir qu’un rôle d’indication. Si l’on considère les céréales, actuellement les trois quarts de la production sont destinés à satisfaire les besoins propres de l’agriculteur, les ventes à l’Etat ne représentant qu’un peu plus de 20%. L’Etat n’a donc aucune raison d’imposer aux paysans tel type ou tel mode de culture. Il suffit à l’état d’utiliser correctement la loi de la valeur, par une fixation des prix rationnelle, et les achats ne devraient pas poser de difficultés. En ce qui concerne les cultures industrielles, les produits de l’élevage, de la sylviculture, de l’aquaculture et des spécialités locales, on peut recourir surtout à une politique des prix et à une régulation par la loi de la valeur».
L’Etat encourage donc la production par la biais des prix plus rémunérateurs. En 1985 on supprime même les livraisons obligatoires , sauf pour le coton et le grain, supprimées en 2004 seulement.
Les exploitations redevenues familiales impriment un essor sans précédent aux récoltes. De 1978 à 1984, la production des grains a augmentée de 33% soit 3% en moyenne, malgré les livraisons obligatoires. La progression des cultures industrielles a été encore plus spectaculaire, les oléagineux doublant leur production (+129% de croissance entre 1978 et 1984), le coton la triplant (Claude Aubert Les réformes agricoles ; dans Les réformes en chine, Revue du Tiers Monde PUF 1987 p.739).
Dans un premier temps les paysans sont les grands bénéficiaires (leur revenu passe de 135 yuan par personne à 255 yuan en 1985). Jusqu’en 1984 le gouvernement s’est refusé à répercuter intégralement les hausses de prix à la production sur les prix de détail, notamment sur les céréales, qui n’ont pratiquement pas variés. Les autorités entendaient ainsi éviter des ajustements importants des salaires et donc des prix de production industriels, et les processus inflationnistes en chaine. Claude Aubert évalue cette perte au sixième des revenus budgettaires (p739). En plus, en achetant aux paysans plus cher qu’il ne vendait aux consommateurs, l’Etat a du couvrir l’écart des prix par des subventions, qui accaparaient au début des années 1980 un cinquième des recettes budgétaires. De 8,4 milliards de yuans en 1978 les subventions montent à 48 en 1985.
Xue Muqiao p.184 décrit un autre effet paradoxal de cette ‘inversion entre achat et vente’ qui s’est présenté en 1964. « Les céréales ne sont pas mises en vente que dans les villes, elles doivent aussi être vendus dans les régions de cultures non céréalières, à un prix supérieur à celui pratiqué à l’égard des travailleurs des villes. Une nouvelle ‘inversion entre villes et campagnes’ caractérisée par des prix urbains inférieurs aux prix ruraux se manifestait ainsi. Les magasins de céréales dans les banlieues vendaient les mêmes céréales à bas prix pour les travailleurs des villes et à hauts prix pour les paysans maraichers. Dans les familles qui comptaient paysans et non paysans, une même table pouvait présenter des céréales de prix différents ».
Les prélèvements sur les profits des entreprises aussi descendent de 57,2 en 1978 à 4,3 en 1985.
Maintenant, cela n’a pas posé un problème insurmontable. A partir de 1983 l’Etat fait des prélèvements exceptionnels sur les ressources extra budgétaires des entreprises qui alimentent un fonds spécial pour financer des projets clefs dans l’énergie et dans les communications. Ces impôts rapportent resp. 51,9 en 1978 et 93,8 en 1984. Les revenus budgétaires montent globalement de 87,5 en 1977 à 185,4 en 1985. En même temps les dotations budgétaires destinés au financement des investissements diminuent, et les entreprises financent leurs investissements par des prêts bancaires, dans la logique de leur autonomie accrue. Il y a même une expansion excessive des investissements, et ce ne sont pas les investissements étrangers qui expliquent ça : ils restent faibles à cette époque. De 1978 à 1984 la part d’investissements dans l’industrie lourde descend de 47,7 à 39,4%, au profit de l’industrie lègère (de 10,7 à 18,4). L’énergie reste stable autour de 42% (L’écho financier des réformes, Françoise Lemoine ; dans Les réformes en Chine, Revue du Tiers Monde PUF 1987 p.815- 821).
Nous reprendrons l’analyse de la réforme dans l’industrie dans notre prochain blog.En pourcentage du revenu urbain moyen, le revenu rural moyen passe de 39 % en 1978 à 54 % en 1985, avant de s’effondrer et d’atteindre 36 % en 2000 et 30 % en 2005. A partir de 1985 l’écart entre le revenu rural et urbain s’accroit donc de nouveau. Le revenu moyen des ménages ruraux augmente en yuans constants, mais est moins rapide que celui des ménages urbains : en moyenne 4,2 % par an, contre 6,7 %, entre 1985 et 2004. L’écart n’a même jamais été aussi grand et demeure largement supérieur à ce qu’il était au sortir de la période maoïste. Le fossé entre ruraux et urbains est encore plus grand si l’on prend en compte les privilèges et services dont jouissent les villes, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation. Jusqu’en 2006, s’ajoutait à cela le lourd fardeau des taxes qui a longtemps grevé le revenu des ménages paysans. Les 750 millions de ruraux chinois, qui représentent 58 % de la population totale, n’ont ainsi contribué qu’à 32,9 % des ventes au détail des produits de consommation en 2005 (p. 47-66 Dossier : La transition chinoise La Chine et ses campagnes).
Le salaire d’un employé en ville est 170% plus élevé que celui d’un paysan, et celui d’un ouvrier d’une entreprise rurale est de plus de 60% supérieur à celui d’un ouvrier agricole. Il faut noter d’ailleurs que dans les revenus ruraux, près de la moitié en est désormais constituée par la part non agricole des activités familiales et les salaires (des ouvriers des entreprises rurales ou des migrants).Les urbains gagnent donc près du triple de ce que gagnent les paysans. En fait le fossé entre campagnards et citadins est encore plus grand dans la mesure où ce rapport de revenus ne prend pas en compte les services dont jouissent les urbains (santé, éducation, etc.).
On arrive néanmoins vers 1991 à une situation assez satisfaisante, avec une autonomie alimentaire (Claude Aubert OECD Observer. Issue: 183. 1993). China is now the world's largest producer of wheat and is moving towards self-sufficiency in food. The aim of China's radical reform, launched in 1991, is to put an end to rationing.
En 2008 Claude Aubert, économiste et spécialiste du monde rural chinois, constate d’abord dans Perspectives Chinoises, 2008/2, que la Chine, au cours de la période1985 - 2005, a plus que doublé sa production de viande tout en restant autosuffisante en grains à plus de 95 pour cent. En 2007 la Chine a même été en excédent pour les céréales. « Par ailleurs, suite à l’augmentation mondiale des prix des céréales, les chinois ont cette année introduit des taxes sur les exportations, réduisant considérablement ces dernières. Ce faisant, ils ont fait en sorte, pour éviter l’inflation des prix alimentaires, que les prix intérieurs ne soient plus alignés sur les prix mondiaux dont les cours s’envolaient. En compensation le gouvernement a augmenté les aides directes aux agriculteurs, résultant en une récolte record de grains en 2008".
Pour ce qui me concerne, avec ce décrochage par rapport aux prix mondiaux, le rajustement des prix sur la valeur a atteint ses marges en Chine. Ces prix mondiaux sont des prix monopolistes, sujets à toute sortes de spéculations. La Chine a décidé à juste titre d’aligner ses prix intérieurs sur un prix qui garantit aux paysans un revenu convenable ». Quant à savoir si cela suffira a diminuer les ciseaux des prix, cela est une autre question…
Malgré l’accentuation des ciseaux des prix, certains Tiersmondistes comme Sébastien Colin jugent que ce modèle chinois basé sur des minifundia évolue positivement, "avec un revenu paysan basé sur trois sources : l’agriculture proprement dite, les industries rurales et les migrants. La décollectivisation a permis une véritable spécialisation régionale, lançant ainsi l’agriculture chinoise sur la voie de la performance. Parallèlement à la décollectivisation, les réformes ont aussi autorisé les usines de production et de réparation des anciennes communes populaires à fabriquer pour le marché intérieur chinois et pour l’exportation. Elles ont encouragé autorités locales et agriculteurs à utiliser leurs propres ressources (terre, main-d’œuvre, capital) pour établir des entreprises de bourgs et de cantons (EBC). Ces EBC ont apporté une première réponse à l’importante question de l’exode rural. Les EBC ont absorbé l’excédent de la main-d’œuvre rurale qui a pu « quitter la terre sans quitter le canton » et « entrer dans l’industrie sans entrer dans la ville ». Elles ont créé annuellement plus de 12 millions d’emplois entre 1984 et 1988 puis 7,8 millions entre 1992 et 1996. Mais entre 1997 et 1999 certaines des EBC travaillant essentiellement à l’exportation ont aussi subi les contrecoups de la crise : 2,7 millions d’emplois par an ont ainsi été supprimés. Si la situation s’est sensiblement améliorée depuis, le marché du travail dans les entreprises rurales plafonnent autour de 130 millions de travailleurs" (p. 47-66 Dossier : La transition chinoise La Chine et ses campagnes L'édification de nouvelles campagnes socialistes: un remède contre le malaise rural chinois ? ).
Mais avant de continuer il faut expliquer ici deux notions, mingong et hukou, qui sont essentielles pour comprendre comment la Chine a essayé de contrôler l’exode rural, phénomène inévitable dans tout développement industriel.
L’exode rural. Mingong et hukou
En 1958 est promulgué le système du hukou (livret de famille), différenciant les enregistrements familiaux des habitants des campagnes et ceux des « villes et bourgs ». Le but était de fixer les paysans dans le territoire de leur Commune populaire d’origine, empêchant donc toute migration et privilégiant les citadins qui bénéficiaient d’avantages multiples, dont celui des rations alimentaires à bas prix (permettant donc la réalisation d’une «accumulation primitive » aux dépens de l’agriculture).
Avec la décollectivisation, l’abolition des Communes populaires, et la libéralisation du commerce des denrées de base en ville, les paysans ont pu commencer à migrer. En 1984, l’Etat autorisait les paysans à aller travailler dans les petits bourgs et encourageait le développement des entreprises rurales (TVE). Peu après, la réforme commençait à toucher les régions développées et côtières qui allaient connaître des taux de croissance spectaculaires. Les conditions étaient donc mûres pour le démarrage d’un exode agricole vers les villes. Au cours des années 1990, le phénomène s’amplifiait. Le portrait type de ces migrants paysans : jeunes, disposant d’une meilleure éducation, travaillant majoritairement dans les villes et les régions développées, migrant grâce à leurs propres réseaux de parenté ou de compatriotes villageois, etc. D’après l’enquête de la Banque agricole de Chine, un migrant travaillait en moyenne 207 jours dans l’année (en 1993). Une bonne partie des migrants retourne au village pour travailler aux champs pendant la saison de pointe. Les migrants ne s’installent pas définitivement dans leur lieu de travail. Une enquête de 1999 a montré que 19% étaient en ville depuis plus de 2 ans, 17% plus de 3 ans, et 30% plus de 4 ans ; 46% des migrants interrogés n’avaient pas de l’intention de retourner s’installer au village. Une enquête du ministère de l’Agriculture de 1999 montre qu’à côté de 78% de non-migrants, et 13% de migrants, plus de 8% des actifs sont comptabilisés comme anciens migrants de retour au village. Ces retours s’expliquent par la pénibilité des travaux en ville : en vieillissant les migrants âgés deviennent moins compétitifs sur le marché du travail. Surtout, le système actuel du hukou empêche les migrants d'installer leur famille à la ville, les obligeant tôt ou tard à retourner dans leur campagne (où le pécule ramené et l'expérience acquise en ville leur permettent d'y trouver, ou d'y créer, des emplois non agricoles décents).
« En 2001, le Bureau national des statistiques (SSB) publiait le recensement général de 2000. Surprise de taille : alors que la population urbaine (389 millions de personnes en 1999) était auparavant estimée à 31% de la population totale, son pourcentage passait à plus de 36% avec plus de 458 millions de citadins. Les années précédentes, l’augmentation de la population urbaine n’avait été que de 8 à 9 millions par an. D’où venait donc ces 60 millions de nouveaux urbains du recensement ? Tout simplement, les migrants ruraux, résidant en ville lors du recensement, avaient été comptabilisés. Bien entendu, le phénomène des migrations rurales est déjà fort ancien. Les autorités chinoises connaissent de longue date ces « ouvriers paysans » (appelés mingong) venus en nombre offrir leur force de travail pour les travaux les plus pénibles ou les moins rémunérés. Apparu dès le milieu des années 1980, ce phénomène a pris toute son ampleur au cours des années 1990. Il provoque une remise en cause du système d’enregistrement civil des populations (hukou) Officiellement on cite souvent le chiffre de 150 millions de « paysans en surplus ». La main d’œuvre agricole, après avoir augmenté de 285 millions de personnes en 1978 à plus de 340 millions au début des années 1990, est maintenant stagnante ( 330 millions en 2000) alors même que la main d’œuvre rurale ne cesse de progresser (305 millions en 1978, 480 millions en 2000). Cette évolution s’explique par la montée en puissance des entreprises rurales non agricoles (« Towns and Village Entreprises », ou TVE). Les actifs agricoles constituent désormais moins de la moitié de la totalité des travailleurs en Chine, et ce depuis le milieu des années 1990. La Chine, encore massivement rurale, a basculé dans une économie où les « agriculteurs », stricto sensu, sont devenus minorité. Pour autant, même si l’agriculture n’employait plus que 46% de la main d’œuvre chinoise en l’an 2000, elle ne constituait que 16% du PIB, soulignant la moindre productivité du secteur agricole. Et avec près de 330 millions d’actifs, la surpopulation paysanne est manifeste, bien illustrée par la petitesse des exploitations familiales. En ne prenant en compte que les foyers agricoles (recensement agricole de 1997), 193 millions de familles (sur 214 millions de foyers ruraux) se partageaient quelque 130 millions d’hectares cultivés, soit une moyenne de 0,67 hectare par ferme. Comment assurer le plein emploi de la main d’œuvre agricole disponible, près de deux personnes par ferme, sur une aussi petite surface ? C’est là que se pose le problème du sous-emploi agricole en Chine. Mais comment le mesurer ? Le bureau des Prix réalise chaque année depuis 1985 une enquête sur les coûts et revenus des différents produits agricoles, les journées de travail fournies pour chaque culture ou chaque activité d’élevage dans les foyers etc. En partant d’un temps complet de 280 jours par an on peut déduire l’équivalent du nombre d’actifs agricoles requis chaque année par les travaux agricoles. Ce calcul fait apparaître un « surplus » de 30 à 40%, leur nombre augmentant d’ailleurs au cours des dernières années, de 85 millions de personnes en 1995 à plus de 135 millions en l’an 2000. Les estimations publiées en Chine vont de 120 millions à 152 millions de « paysans en surplus ».
Les chiffres des actifs agricoles et non agricoles en milieu rural entre 1978-2000, fournis par l’ Annuaire statistique de la Chine 2001, montrent que la réduction de l’emploi agricole consécutif à la décollectivisation a dans une première étape été compensée par une forte augmentation des emplois non agricoles à la campagne, notamment dans les entreprises rurales (TVE) dont les effectifs ont quasiment doublé de 1985 à 1995. Pour ces dernières années, cette source d’emplois nouveaux semble s’être tarie, et les excédents de main d’œuvre agricole ont dû prendre le chemin de l’émigration (mars avril 2002 Sous-emploi agricole et migrations rurales en Chine, faits et chiffres Claude Aubert • Li Xiande ).
Vers une privatisation du foncier ?
Indépendamment du jugement sur cette décollectivisation, cette transition douce est remarquable et mériterait une analyse plus ample. Stiglitz oppose ce modèle à la transition brutale appliquée en Europe de l’Est.
Mais ici je me centrerai sur la question clef : transition vers quoi ? A ce propos, cela fait des années que je me dis que la pierre de touche est la propriété foncière. Va-t-on vers une privatisation des terres ; privatisation qui créerait, comme avec la révolution française, une base de masse pour un développement capitaliste ; ou évoluera-t-on vers le socialisme, ayant atteint le maximum avec cette nouvelle politique économique basée sur l’exploitation familiale ? La voie capitaliste a été la polarisation : concentration des terres dans les mains d’une minorité ; les paysans sans terre deviennent prolétaires et fournissent les bras pour l’accumulation capitaliste. Saurait-on dans un cadre socialiste suivre cette même logique ?
Nous avons vu comment, depuis 1885 déjà, les ciseaux de prix reviennent. Si on veut augmenter la productivité à la campagne, le surplus de main d’œuvre à la campagne va augmenter. Or, cela est une condition pour augmenter les revenus ruraux.
p. 47-66 Le débat fait rage entre les partisans du maintien du système collectif et ceux de la libéralisation totale. Pour ces derniers, la privatisation du foncier aurait l’avantage de faciliter la concentration des terres, passage obligé, selon eux, vers une réelle modernisation de l’agriculture.
En 2002, le Conseil des affaires d’État reconnait que les migrations du surplus de la main-d’œuvre rurale vers les villes étaient une conséquence normale du développement économique et de la libéralisation du marché. Il définissait ces travailleurs migrants non plus comme des paysans mais comme des membres de la classe ouvrière. Une directive du Conseil de 2003 énumére un certain nombre d’assouplissements , sans pour autant prôner une suppression pure et simple du hukou. Pour certains réformateurs, le transfert de la main-d’œuvre paysanne excédentaire rendrait possible de nouvelles concentrations des terres. Pour les ‘conservateurs’, un afflux massif et aveugle de la population rurale en milieu urbain serait un facteur de déstabilisation sociale ; le hukou reste un outil important pour réguler la taille de la population urbaine suivant ses propres intérêts et de maintenir le contrôle social.
En octobre 2005, lors de la cinquième session plénière du XVIe Comité central, le Parti communiste chinois adopte le 11e plan quinquennal (2006-2010) au cours duquel il appelle à l’« édification de nouvelles campagnes socialistes».
La terre appartient à l'Etat et depuis 1978 les paysans disposent seulement d'un droit d'usage, un bail de trente ans renouvelable et non d'un droit de propriété. Ils ne peuvent ni la vendre, ni transmettre à leurs enfants, ni même la louer sans avoir l'autorisation du gouvernement. Les réformes en projet maintiendront les règles de propriété en vigueur mais devraient faire passer de 30 à 70 ans les cessions de baux agricoles autorisées et donner aux paysans un droit de regard et des compensations plus importants lors des transferts de terres. Selon le Wall Street Journal, un paysan chinois produit 50% plus de grains aujourd'hui qu'en 1980 mais la productivité des exploitations agricoles ne suffit pas à satisfaire la demande en denrées alimentaires des villes. La taille moyenne d'une ferme en Chine est de 1.5 hectares, elle est de 15 en Pologne et en Hongrie et de 432 aux Etats-Unis ( radio86 10.10.2008 ).
Selon C. Aubert, cette prolongation des baux agricoles de 30 à 70 ans et l’autorisation de leur cession revient à une privatisation des terres qui ne se justifie nullement. L’économie agricole chinoise peut se développer dans le contexte actuel de minifundias, où 60% du revenu paysan ne provient pas de l’agriculture. Il est issu de petits commerces, de petits ateliers, de ceux qui travaillent à l’usine du canton ou encore des migrants partis à la ville. Selon lui, l’avenir de l’agriculture chinoise passe par l’agriculture de précision, autrement dit une gestion précise, en lieu et en temps, selon les terroirs, de l’eau, des intrants (engrais, pesticides), etc.. Cette dernière, pour qu’elle soit véritablement efficace, ne peut être menée que sur de petites exploitations, comme précisément les minifundias actuelles.
Or, la privatisation du droit d’usage bousculera nécessairement le statu quo des minifundias. C. Aubert est sceptique : « En octobre 2008, le Parti communiste chinois (PCC) lance une vaste réforme du secteur rural pour que le droit d’usage dont disposent les paysans puisse être fixé et transféré, vendu ou encore utilisé pour obtenir des prêts bancaires. A ce jour, le droit d’usage peut déjà être loué ou transféré de manière informelle. La réforme viserait à privatiser ce droit d’usage. Le Parti avance l’argument que la réforme va encourager la concentration foncière et ainsi accroître la productivité. Personnellement, je n’y crois pas. Même en doublant, par exemple, sa surface cultivable, d’un demi-hectare à un hectare, le paysan chinois sera loin de pouvoir entrer dans un contexte de compétition mondiale et concurrencer les agricultures européenne ou nord américaine. En outre, il n’y aura pas véritablement d’augmentation de la productivité globale. En agriculture, contrairement à d’autres secteurs, il n’y a quasiment pas d’économie d’échelle. La capacité productive ne va pas croître ; seule la productivité de la main d’œuvre va augmenter. Certains estiment que les paysans sont assis sur un "tas d’or", bref que ce droit d’usage peut devenir une ressource monnayable. Mais à qui les paysans chinois peuvent-ils céder leur droit d’exploitation ? En premier lieu aux voisins qui voudraient élargir leur exploitation. Mais quel intérêt auraient ces derniers à l’acheter au prix fort quand ils peuvent déjà l’utiliser de manière informelle? Ensuite, on peut imaginer qu’ils le cèdent à une grosse firme agroalimentaire. Cela se fait déjà, en particulier en ce qui concerne les vergers, les vignobles ou autres cultures de haut revenu. Cela étant, le revenu qui revient aux paysans est minime. En outre, une fois qu’ils auront vendu ce droit d’usage, il ne leur restera plus rien. Et l’on risque alors de faire apparaître des paysans sans terre. Le présupposé de départ est le suivant. On estime que ces droits d’usage du sol sont une entrave à la circulation de la main d’œuvre, qu’il faut "libérer les paysans" comme s’ils étaient prisonniers de cette terre. C’est faux. Beaucoup d’agriculteurs sont déjà partis en ville. Si les migrants sont discriminés en ville, il n’y a pas pour autant de problème de circulation de la main d’œuvre en Chine, bien au contraire. Lors de mes voyages, j’ai pu voir que certains villages étaient vides ou encore que c’était les plus de 45 ans et les femmes qui s’occupaient des exploitations avec, d’ailleurs, une bonne productivité (les gros travaux agricoles pouvant être assurés, contre rémunération, par des compagnies privées possédant tracteurs ou moissonneuses batteuses).
Ce qui m’inquiète, avec cette réforme, c’est que désormais, la main d’œuvre partie en ville qui aura cédé son droit d’usage, ne disposera d’aucune voie de secours dans le cas où elle se retrouverait au chômage. Elle n’aura plus la possibilité de revenir travailler au village.
Certains économistes souhaitent une libéralisation de la main d’œuvre. Mais il faut noter que, sur ce point, la décision du PCC réaffirme la politique de soutien au monde rural.
Une raison souvent invoquée est que la privatisation du droit au sol pourrait éviter certaines situations inquiétantes en banlieue des grandes villes (86 000 « incidents » en 2005 surtout dans les campagnes périurbaines). Les comités de villages vendent les terres aux organismes d’Etat des villes avoisinantes, lesquels spéculent et les revendent au prix fort aux entrepreneurs et autres promoteurs immobiliers. Les paysans sont rarement dédommagés, provoquant çà et là des mouvements de révolte. En fait, il ne s’agit pas là d’un manque de loi, car celle-ci existe, mais de sa non application dans un contexte où les paysans n’ont pas de pouvoir".
Voilà l’analyse de C. Aubert. Elle interpelle, même si son argumentation est basée sur la nostalgie des minifundias. En doublant sa surface cultivable, le paysan chinois ne saura pas concurrencer les agricultures européenne ou nord américaine ? Mais le PCC ne dit pas qu’il les mettra en concurrence. Il n’y aura pas d’augmentation de la productivité globale; seule la productivité de la main d’œuvre va augmenter ? Mais cela est quand même une base pour augmenter les revenus. Quel intérêt auraient les fermiers à l’acheter au prix fort quand ils peuvent déjà utiliser les terres de manière informelle? Une nouvelle réglementation éliminera évidemment très vite ces arrangements informels. Aubert reconnait d’ailleurs que les terres sont déjà cédées à des firmes agroalimentaires. Que le revenu qui revient aux paysans est minime ne change rien, comme l’argument qu’une fois vendu ce droit d’usage, il ne restera plus rien. Les paysans sans terre partiront en ville, comme beaucoup l’ont déjà fait avec le système actuel du hukou. Aubert constate d’ailleurs que dans certains villages ce sont les vieux qui s’occupent des exploitations. La main d’œuvre partie en ville n’aura plus la possibilité de revenir travailler au village? On pourrait envisager une situation où il y aurait d’autres sécurités d’existence…
Conclusion
Dans quelle direction évolueront les campagnes chinoises ? Peut-on envisager une évolution comparable à celle de l’Union Européenne, où le capitalisme monopoliste d’état a imposé, depuis le plan Mansholt de 1972, une agriculture qui nourrit à bas prix les travailleurs européens, et qui sert de marché à l’agroindustrie ? Une agriculture basée sur des exploitations privées, souvent réduites à une autoexploitation. A cette différence près que cette évolution serait dirigée en Chine par un état socialiste ? Dans ce modèle-là, y a-t-il de la place pour une (nouvelle) relance d’expériences collectives, basées cette fois-ci sur une agro-industrie développée ?
Je termine mon blog sur cette question largement ouverte, pour m’attaquer dans une prochaine contribution à la question du rapport fonds des salaires – accumulation.
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