Je voudrais commencer par expliquer ces notions essentielles.
Les kolkhoziens ne touchent pas un salaire. Il se partagent, en fonction des
journées qu’ils ont travaillé (journées pesées en fonction de leur capacités de
travail) , les produits obtenus dans leur coopérative. Les familles qui ont
beaucoup de bras touchent plus. Les kolkhoz situées près des villes ont plus
facile d’écouler une partie de leurs produits à des prix intéressants sur les
marchés kolkhoziens. Il y a des kolkhoz avec des terres fertiles ; d’autres
ont moins de chance. Chaque famille a droit à un lopin individuel assez
conséquent. Bref, il y a une certaine inégalité au départ qui peut choquer
quelqu’un qui part d’un principe égalitaire. Je signale que cette inégalité
existe déjà dans le principe marxiste ‘à chacun selon son travail’, puisque
tout le monde n’a pas les mêmes capacités de travail.
Les kolkhoz échangent leurs produits avec ‘la ville’. Sur
quelle base se fera cet échange? Sous le capitalisme, c’était relativement
simple. Les produits de la campagne s’échangent avec ceux de la ville sur base
d’un prix qui est la somme de c+v+ le profit moyen. Plus une rente qui dépend
de la fertilité etc..
Sous le socialisme, la rente n’existe plus, puisque le sol
est nationalisé. Ca simplifie les choses, mais seulement en partie. Comme
l’explique un réformiste chinois : « Les différences de revenu entre
chaque équipe de production ont pour origine subjective l’effort inégal de
chacune, mais aussi deux origines objectives :
La différence dans la production due aux différences dans
les conditions naturelles crée encore un revenu différentiel qui est une cause
importante de l’écart des rémunérations entre chaque unité coopérative.
Outre la terre, les autres moyens de production (bétail,
instruments, machines agricoles, engrais et insecticides, équipement
d’irrigation etc.) sont inégales. Dans les unités riches en moyens de
production et où la productivité de travail est élevée, une même journée de
travail reçoit une assez forte rémunération.
Les produits que l’Etat donne à chaque unité collective sont
calculés d’après les produits que celle-ci fournit. Les équipes dotées de
bonnes conditions matérielles peuvent, grâce à leur plus grande productivité,
obtenir un revenu important. La rémunération du travail dans une unité
collective obéit en réalité à deux principes : dans un même ensemble
comptable, c’est essentiellement qui travaille plus qui obtient plus ; entre
plusieurs unités comptables différents, c’est surtout qui produit plus qui
obtient plus.
Dans les unités où la production est élevée, non seulement
le niveau de vie est élevé mais encore l’accumulation est importante. Pour
réduire progressivement l’écart entre unités riches et pauvres, l’Etat doit
nécessairement utiliser les impôts agricoles ou tout autre arme de politique
économique afin de prélever à son profit une partie de revenu différentiel dû à
la supériorité des conditions naturelles. Cet impôt servira à venir en aide aux
unités défavorisées.
Dans les sociétés capitalistes, le surplus de bénéfice
engendré par ces conditions est à l’origine de la rente différentielle de la
terre et revient pour l’essentiel au propriétaire de cette terre (Xue Muqiao “Problèmes économiques du
socialisme en Chine », economica 1982 p.121-123).
Les kolkhoz vendent donc leurs marchandises. Du produit de
cette vente il faut défalquer des frais de gestion. Dans la mesure où les
assemblées générales des coopératives fonctionnent bien, elles s’assurent que
ces frais de gestion ne sont pas exagérés. Jusque là ça reste simple.
Les coopératives doivent investir. Une partie des fonds de
départ vient des expropriations des grands propriétaires fonciers et des
fermiers riches qui sabotent la collectivisation. Le produit de ces
expropriations vient enrichir le fonds des kolkhoze. Mais on ne saurait vivre
indéfiniment sur ces ‘capital de départ’ : à un certain moment il a fallu
mettre de côté une partie des rentrées pour le développement futur, ce qui a diminué
d’autant la partie de la récolte à partager entre coopérateurs. Les premières
années surtout il a fallu se serrer la ceinture pour assurer les récoltes de
demain.
Une partie des ces investissements sont imposés par
l’Etat qui crée des stations de machines et tracteurs (SMT) ; les
kolkhoz payent l’utilisation de ces machines en nature, par le prélèvement
d’une partie de la récolte.
Voilà en quelques lignes les principes de fonctionnement des
kolkhoz.
Deux sortes d’exploitations socialistes : les entreprises
d’État et les exploitations coopératives (collectives)
Voyons cela maintenant un peu plus en détail, sur base du Manuel
d’Economie Politique (MEP ;
Je signale que j’ai fait des coupures à
gauche et à droite, sans mettre des parenthèses, pour faciliter la lecture).
La
socialisation de l’économie paysanne autrefois morcelée a permis un emploi
étendu des machines et l’application dans l’agriculture des méthodes de culture
les plus perfectionnées. L’agriculture socialiste de l’U.R.S.S. comprend les
kolkhoz, les stations de machines et de tracteurs (SMT) et les sovkhoz. Le
regroupement effectué en 1950 a sensiblement augmenté l’étendue des kolkhoz. On
comptait, au 1er janvier 1955, 89 000 kolkhoz au lieu de 254.000 au 1er janvier
1950. Chaque kolkhoz avait en moyenne 589 hectares de terre arable avant le
regroupement et 1 950 hectares au début de 1955. Grâce aux machines agricoles
et aux spécialistes des 9000 SMT, les kolkhoz ont pour base matérielle et
technique la grande production mécanique.
Les
sovkhoz, grandes entreprises d’État, dotées de l’équipement technique le plus
moderne, jouent un rôle important. En 1955, il existait 5000 sovkhoz
spécialisés dans la culture des céréales, l’élevage (production de viande et de
lait, élevage du porc, du mouton, de la volaille, du cheval), la culture du
coton, etc.
Dans la
première phase du communisme, la propriété collective socialiste revêt deux
formes :
1) la forme de la propriété
d’État, et
2) la forme de la propriété
coopérative-kolkhozienne.
La
propriété socialiste d’État est celle du peuple tout entier représenté par
l’État socialiste des ouvriers et des paysans. La propriété socialiste
coopérative-kolkhozienne est celle des différents kolkhoz et associations
coopératives.
À ces deux formes de propriété
socialiste correspondent deux types d’entreprises socialistes :
1) les entreprises d’État
(fabriques, usines, sovkhoz, S.M.T., etc.), et
2) les entreprises coopératives
ou collectives (kolkhoz, artels d’artisans, coopératives de consommation).
L’existence de deux formes de
propriété socialiste tient aux conditions historiques. Après avoir conquis le pouvoir
politique, la classe ouvrière trouve devant elle différentes formes de
propriété privée historiquement constituées : d’une part, la grande propriété
capitaliste, fondée sur l’exploitation du travail d’autrui ; d’autre part, la
petite propriété privée fondée sur le travail personnel.
Au cours de la révolution
socialiste, la grande propriété capitaliste est expropriée. Ainsi apparaît la
propriété socialiste d’État. Mais le programme du communisme scientifique refuse
l’expropriation des paysans et des artisans. Les petits et les moyens
producteurs de marchandises s’associent de leur plein gré pour former des
coopératives de production : kolkhoz, coopératives artisanales, et la propriété
de leurs principaux moyens de production est socialisée sur des bases
coopératives. Ainsi apparaît la propriété coopérative et kolkhozienne.
L’existence de deux formes de
propriété sociale est donc une nécessité objective ; elle marque les deux voies
différentes par lesquelles la classe ouvrière et la paysannerie viennent au
socialisme, puis au communisme.
L’une et l’autre des deux classes qui existent
en U.R.S.S. bâtissent le socialisme, font partie du système de l’économie
socialiste. Mais la classe ouvrière est rattachée par son travail à la
propriété socialiste de l’État (bien du peuple tout entier), et la paysannerie
kolkhozienne à la propriété coopérative-kolkhozienne qui appartient aux kolkhoz
et aux associations coopératives-kolkhoziennes. Ce sont ces liens avec des
formes différentes de propriété socialiste qui déterminent au premier chef la
situation différente de ces classes. Ceci détermine aussi une certaine
différence entre les voies de leur développement ultérieur. Leur développement
a ceci de commun que ces deux classes évoluent vers le communisme (V.
Molotov, La Constitution du socialisme : Articles et discours).
En Union
soviétique, les coopératives exercent leur activité sur un sol qui est le
patrimoine du peuple tout entier. L’outillage moderne des stations de machines
et de tracteurs est lui aussi le patrimoine du peuple entier. La propriété
coopérative-kolkhozienne comprend les bâtiments, le bétail de trait collectif, le
matériel agricole, les services sociaux et culturels. Les entreprises d’État et
les exploitations collectives ont ceci de commun que les unes et les autres :
1.
sont
fondées sur des moyens de production socialisés, socialistes, et sur le travail
collectif ;
2.
excluent
la possibilité d’une exploitation de l’homme par l’homme ;
3.
fonctionnent
suivant un plan en vue de satisfaire les besoins croissants des travailleurs ;
4.
appliquent
le principe socialiste de la répartition selon le travail.
Mais
entre la propriété d’État et la propriété coopérative il existe certaines
différences.
1.
Dans
les entreprises d’État règnent les rapports de production socialistes sous leur
forme la plus évoluée. La propriété d’État est le bien du peuple entier ; dans
les entreprises d’État, tous les moyens de production sans exception sont
socialisés. Dans les kolkhoz (lorsqu’ils ont la forme d’artels) les principaux
moyens de production des paysans membres des coopératives sont collectivisés sur
la base du libre consentement ; en vertu des Statuts de l’artel agricole, une
partie des moyens de production n’est pas socialisée et reste la propriété
personnelle du foyer kolkhozien (exploitation auxiliaire individuelle du
kolkhozien).
2.
La
production des entreprises d’État est la propriété de l’État socialiste et est
réalisée aux prix établis par les organismes d’État. La production du kolkhoz
est la propriété de ce dernier. Une partie lui permet de s’acquitter de ses
obligations envers l’État au titre du stockage à des prix fermes établis par
l’État, et de payer en nature les travaux exécutés au kolkhoz par la SMT. Tout
le reste est à la disposition de l’artel, sert à constituer les fonds sociaux kolkhoziens
statutaires et est réparti entre les membres de l’artel au prorata des
journées-travail effectuées. Une partie
de la production des kolkhoz est aussi vendue à l’État à des prix supérieurs
aux prix de stockage ou sur le marché kolkhozien aux prix de ce dernier.
3.
Dans
les entreprises d’État, qui sont le bien du peuple entier, la part du produit
social qui va à la consommation personnelle de l’ouvrier lui est versée sous
forme de salaire. Le kolkhozien reçoit la part de revenu à laquelle il a droit
d’après le nombre des journées-travail qu’il a accomplies, part qui est
prélevée sur les fonds de son kolkhoz. Le montant dépend aussi bien du degré de
participation du kolkhozien au travail social (nombre des journées-travail effectuées)
que de la productivité du travail et du développement de l’économie collective
du kolkhoz (montant de la rémunération de chaque journée-travail). Le revenu de
chaque kolkhozien varie avec les résultats du travail du kolkhoz dans son
ensemble, le rendement des cultures et la productivité de l’élevage. Le salaire
est versé à l’ouvrier en espèces. Les revenus de l’artel sont répartis entre
les kolkhoziens en espèces et en nature (produits agricoles). Si l’ouvrier tire
son revenu uniquement du travail qu’il accomplit dans l’entreprise socialiste,
le kolkhozien a pour principale source de revenu son travail dans l’exploitation
collective du kolkhoz, et pour source d’appoint celui qu’il effectue dans son
exploitation auxiliaire individuelle. Le kolkhozien réalise sur le marché
une partie de la production qu’il a
reçue au titre des journées-travail et de celle qui provient de son exploitation auxiliaire individuelle.
4.
L’État
socialiste administre les entreprises qui lui appartiennent par l’intermédiaire
de directeurs nommés. Ce sont des organismes d’État qui planifient toute
l’activité de ces entreprises en matière de production et établissent les principales dispositions
concernant l’organisation socialiste du travail. Dans les kolkhoz, en raison de
leur nature coopérative, toutes les affaires sont gérées par l’assemblée
générale des kolkhoziens, ainsi que par la direction qu’elle a élue. Les plans
de production et le budget, les normes de
rendement, les modalités de la répartition sont fixés par les
kolkhoziens eux-mêmes sur la base des Statuts de l’artel agricole, en
s’inspirant des lois existantes, des objectifs assignés par le plan et les
directives de l’État socialiste.
Le droit
des travailleurs de la société socialiste à la propriété personnelle s’étend
aux revenus et à l’épargne provenant de leur travail, à leur maison
d’habitation et à l’économie domestique, aux objets de ménage et d’usage
quotidien, aux objets de consommation et de commodité personnelle.
La propriété du foyer kolkhozien
est une forme particulière de la propriété personnelle en régime socialiste.
Chaque foyer kolkhozien possède en propre une exploitation auxiliaire sur un
terrain attenant à l’habitation, une maison d’habitation, du bétail productif,
de la volaille et du menu matériel agricole.
À l’époque du socialisme, la
propriété personnelle ne peut provenir que du travail. Les objets qui sont
propriété personnelle ne peuvent se transformer en capital, c’est-à-dire
devenir un instrument d’exploitation. Le droit de propriété personnelle, de
même que le droit d’héritage de la propriété personnelle, sont garantis par
la Constitution de l’U.R.S.S.
Résumé du chapitre
28
Il existe en régime
socialiste deux formes de propriété sociale : la propriété d’État et la
propriété coopérative-kolkhozienne. Par suite, il existe aussi deux sortes
d’exploitations socialistes : les entreprises d’État et les exploitations
coopératives (collectives).
En société
socialiste, la propriété d’État est le bien du peuple tout entier. La propriété
d’État est la forme la plus haute, la
plus évoluée, de la propriété socialiste ; c’est à elle qu’appartient le rôle
déterminant, le rôle dirigeant, dans l’économie nationale. En U.R.S.S., elle
embrasse la majeure partie des richesses du pays. La propriété
coopérative-kolkhozienne est une propriété de groupe ; c’est la propriété des
différents kolkhoz, coopératives artisanales, sociétés de consommation.
En régime socialiste, la propriété personnelle
s’étend aux objets de consommation. La propriété du foyer kolkhozien en est une
forme particulière. La propriété personnelle des travailleurs augmente à mesure que s’accroît la propriété collective
socialiste.
Du communisme de guerre et la NEP au premier plan
quinquennal
Cette propriété coopérative-kolkhozienne n’est pas sortie de
la cuisse de Jupiter ou de la tête d’un grand théoricien. Elle est le produit d’une
dialectique très complexe entre l’état soviétique et les masses. Avant d’en arriver
là, on est passé par le communisme de guerre et
la nouvelle politique économique (Je me baserai ici aussi sur des extraits du Manuel ; un autre texte
intéressant est de « L’impôt en nature » de Lénine, p.364- 365 Œuvres
t32, éd soc. 1962).
Le
communisme de guerre est la négation de l’échange simplement parce que, suite à
la guère civile, il n’y avait pas d’articles industriels à échanger contre les
produits de l’agriculture. La nouvelle politique économique est un retour au
marché. Il fallait commencer par intéresser matériellement les paysans
travailleurs au relèvement rapide de l’agriculture, afin de procurer des
denrées alimentaires à la population des villes.
Dès le printemps de 1918,
l’intervention étrangère imposa l’obligation de mettre toute l’économie au
service du front, et cela alors que les ressources matérielles étaient
extrêmement limitées. Le pouvoir des Soviets n’avait pas d’articles industriels
à échanger contre les produits de l’agriculture, dont la quantité avait, elle
aussi, fortement diminué. Il était impossible de constituer des stocks de
denrées agricoles pour l’armée et la ville par l’achat et la vente. La
réquisition des excédents devint nécessaire : autrement dit, l’État prenait aux
paysans par voie de prélèvement tous leurs excédents de denrées alimentaires
sans passer par le marché. Cette politique reçut le nom de « communisme de
guerre ». Le commerce des produits de base fut interdit afin d’éviter qu’ils ne
tombent entre les mains des spéculateurs. Dans les villes, les objets de
consommation étaient sévèrement rationnés et distribués selon un principe de
classe ; de plus, l’importance de la ration dépendait de la difficulté du
travail et de l’importance de l’entreprise. Les entreprises recevaient et
livraient les produits contre des bons, sans payement en argent, et n’avaient
aucune indépendance économique. En 1920, la production de la grande industrie
n’atteignait qu’un septième environ, et celle de l’agriculture que la moitié de
celle de 1913. Le « communisme de guerre » était inévitable dans des conditions
historiques bien déterminées, celles de la guerre civile et de la ruine
économique. Mais la réquisition des excédents et l’interdiction de faire du
commerce enlevaient au paysan tout intérêt matériel à la production des denrées.
La nouvelle politique économique
Après
en avoir terminé avec l’intervention étrangère et la guerre civile, le pouvoir
des Soviets passa, au printemps de 1921, à la nouvelle politique économique
(Nep). La Nep a pour but de construire le socialisme en utilisant le marché, le
commerce, la circulation monétaire. On devait commencer par intéresser
matériellement les paysans travailleurs au relèvement rapide de l’agriculture,
afin de procurer des denrées alimentaires à la population des villes, et des
matières premières à l’industrie. Au début de la Nep, le commerce apparaissait
comme le maillon essentiel. La fin de la guerre permit de remplacer les
réquisitions par l’impôt en nature. Celui-ci, dont le montant était fixé
d’avance, était moins élevé que les réquisitions et laissait entre les mains des
paysans des excédents de blé et d’autres produits qu’ils pouvaient vendre
librement sur le marché ou échanger contre des articles industriels. Le
rationnement de la population fut remplacé par un commerce largement développé.
L’action de l’État s’exerçait sur l’économie paysanne par une réglementation
économique indirecte au moyen du commerce, des fournitures, des stockages, des
prix, du crédit, de la politique financière. L’action de la loi de la valeur se
manifestait sur le marché privé en ceci que les prix s’établissaient
d’eux-mêmes, que la concurrence et la spéculation subsistaient, que les
éléments capitalistes s’enrichissaient aux dépens des travailleurs. Concentrant
entre ses mains une quantité croissante de marchandises et procédant de plus en
plus largement au stockage des produits agricoles, l’État soviétique parvint à
fixer le prix du blé et des autres marchandises de base et à réduire au minimum
le libre jeu des prix du marché. Le rôle régulateur de l’État vis-à-vis du
marché privé s’affirma de plus en plus. La tâche qu’assigna la 11e conférence
du P.C.(b)R. était la suivante : prenant en considération l’existence du marché
et tenant compte de ses lois, apprendre à en tirer parti. Le pouvoir des
Soviets appliquait une politique de limitation et d’éviction des éléments
capitalistes : industriels, koulaks, commerçants. Les impôts qui frappaient les
capitalistes furent augmentés ; les possibilités qui s’offraient à eux
d’employer les moyens de production et le travail salarié diminuèrent. Autrement
dit, la sphère d’application de la loi de la plus-value se rétrécissait. Si,
dans les premières années de la Nep, on observait une certaine animation, une
certaine croissance des éléments capitalistes, leur rôle dans l’économie
commença bientôt à baisser de plus en plus rapidement. La part du secteur privé
dans la production industrielle, qui était d’un quart pendant les premières
années de la Nep, descendit à un dixième en 1929. Alors qu’en 1921-1922, les
trois quarts environ du commerce de détail étaient aux mains du commerce privé,
au début de 1926, le commerce d’État et coopératif s’était définitivement
assuré une situation prépondérante dans ce domaine. La grande industrie atteint
en 1926 le niveau de 1913 quant au volume de la production. Le volume global de
la production agricole dépassait en 1926 celui de 1913.
Des petites exploitations
paysannes dispersées aux grandes fermes collectives
En 1926 la grande industrie et la production agricole
reviennent au niveau de 1913. C’est une réussite pour la NEP, mais en même
temps une crise s’annonce. La production brute de céréales atteint le niveau
d'avant-guerre, mais le pays ne retrouve que la moitié du blé marchand.
La
raison en est le passage de la grande exploitation du propriétaire foncier, qui
fournissait la plus grande quantité de blé marchand, à la petite et moyenne
exploitation paysanne, qui en fournit le minimum. Les fermes collectives
commercialisent la moitié de leur production. Ils fournissent plus de blé
marchand que les exploitations des grands
propriétaires fonciers d’avant-guerre, mais elles ne sont pas nombreuses à
cette époque. Les petites et moyennes exploitations paysannes
commercialisent seulement un dixième de leur production. En 1927, les
paysans riches produisent 130 millions de pouds (1 pouds =
16,38 kg) de blé marchand, contre seulement 35 millions pour les fermes collectives.
Et ces 35 millions me semblent une estimation optimiste de
la part de Staline vu le faible pourcentage de fermes collectives : « En 1927, les communes
représentaient 7,3% des formes collectives d’exploitation, les artels 46% et
les toz (compagnonnages pour la culture en commun ; associations
temporaires pendant la période des travaux agricoles) 46,7% ; ces trois
formes prises ensemble groupaient 0,8% des exploitations paysannes »
(Marie Lavigne Les économies
socialistes A.Colin 1979 p. 33).
Ce n’est donc qu’en 1927, avec une crise du blé, que
commence l’essor de l’économie collective. Voyons d’abord comment Staline, un
des dirigeants de cette révolution dans la révolution, décrit son déroulement.
La plupart des textes de Staline
ci-dessous ont été réunis dans « Les questions du léninisme ». La
pagination réfère à l’édition Frasheri, Tirana, 1970. Une partie des textes sont
traduits de l’anglais via google translate. Je remplacerai une partie par le
texte français des «questions du léninisme » dont j’ai retrouvé le texte
sur internet après avoir rédigé cette partie. Une autre approche intéressante
est le Chapitre 4 - La collectivisation - d’ un autre regard sur Staline , qui insiste beaucoup plus sur les aspects politiques et les rapports
de classes.
Dans « Sur le
front du blé » (p.258- via google translate) Staline décrit en 1928 comment
la NEP a atteint ses limites.
« La
base de nos difficultés en matière de blé réside dans le fait que
l'augmentation de la production de blé marchand n'est pas en phase avec
l'augmentation de la demande. L'industrie, le nombre de travailleurs et les
villes sont en croissance. Et la croissance des zones de production des
cultures industrielles (coton, lin, betterave à sucre, etc.), crée une demande
pour les céréales. Tout cela conduit à une augmentation rapide des besoins en
blé marchand. Mais la production de blé marchand s’accroit à un taux
désastreusement lente.
On
ne peut pas dire que les stocks de céréales à la disposition de l'Etat ont été
plus faibles que l'an dernier, ou l'année précédente. Au contraire, nous avons
eu beaucoup plus de céréales dans les mains de l'Etat cette année que les
années précédentes. Néanmoins, nous sommes confrontés à des difficultés en ce
qui concerne l'approvisionnement en grain.
Voici
quelques chiffres. En 1925-1926, nous avons réussi à obtenir 434 millions de
pouds de grain le 1er avril. De ce
montant, 123 millions de pouds ont été exportés. Ainsi, il est resté dans le
pays 311 millions de pouds de blé stocké.
En 1926-1927, nous avions stocké 596 millions de pouds de grain le 1er avril.
De ce montant, 153 millions de pouds ont été exportés. Il est resté dans le
pays, 443 millions de pouds. En 1927-1928, nous avions stocké 576 millions de
pouds de grain le 1er avril. De ce montant, 27 millions de pouds ont été
exportés. Il est resté dans le pays 549 millions de pouds. En d'autres termes, nous
avions le 1er avril de cette année, pour les besoins du pays, un stock de blé
supérieur 100 millions de pouds à celui de l'an dernier, et 230 millions de pouds de plus
que l’avant dernière année. Néanmoins, nous éprouvons des difficultés sur le
front de céréales cette année.
L'année
dernière, la production brute de céréales a été égale à la production
d'avant-guerre, c'est à dire 5000 millions de pouds. Comment, alors expliquer
que, en dépit de ces circonstances, nous produisons que la moitié du blé marchand, et que nous
exportions seulement un vingtième des chiffres d'avant-guerre?
La
raison en est surtout et principalement le changement dans la structure de
notre agriculture provoqués par la Révolution d'Octobre, le passage de la
grande exploitation du propriétaire foncier et du koulak, qui fournissait la
plus grande quantité de blé marchand, à la petite et moyenne exploitation
paysanne, qui en fournit le minimum. Le simple fait que, avant la guerre, il y
avait 15 à 16.000.000 exploitations paysannes individuelles, alors
qu'actuellement, il y en a 24 à 25000000, montre que désormais la base de notre
agriculture est essentiellement la petite économie paysanne, qui fournit le minimum
de blé marchand.
Prenons,
par exemple, les fermes collectives (kolkhoz) et fermes d'Etat (sovkhoz). Ils
commercialisent 47,2 pour cent de leur production brute de céréales. En
d'autres termes, ils fournissent plus de blé marchand que les exploitations des grands propriétaires
fonciers d’avant-guerre. Mais quid des petites et moyennes exploitations paysannes? Ils
commercialisent seulement 11,2 pour cent de leur production totale de
céréales. La différence, comme vous voyez, est assez frappante.
P265
La voie de sortie réside, avant tout, à passer des petites exploitations
paysannes dispersées, arriérées et éparpillés, aux grandes fermes collectives,
équipées de machines, armées de connaissances scientifiques et capable de
produire la quantité maximale de blé marchand. La voie de sortie réside
dans la transition de l'agriculture paysanne individuelle à l’économie collective ».
Fin 1929 , dans « Questions de politique agraire en URSS p407 » Staline pose la question :
pouvait-on en 1927 remplacer la production et le blé marchand
du koulak par la production et le blé marchand de nos fermes
collectives et fermes d'Etat?
«
En 1927, les koulaks produisaient plus de 600 millions de
pouds de céréales, et sur ce total 130 millions de pouds étaient
commercialisés en dehors du district. Force assez sérieuse, dont
il fallait tenir compte. A cette époque nos fermes collectives
et fermes d'Etat produisaient 80 millions de pouds,
dont environ 35 millions de pouds de blé marchand ».
1929 est pour Staline « L'année du grand tournant » ( p376) :
«En
1928 la surface ensemencée des sovkhoz était de 1.425.000 hectares, avec une
production marchande de plus de 6 millions de quintaux de céréales ; la
surface ensemencée des kolkhoz
atteignait 1.390.000 hectares, avec une production marchande d’environ 3,5
millions de quintaux de céréales. En 1929 la surface ensemencée des sovkhoz
était de 1.816.000 hectares, avec une production marchande de près de 8
millions de quintaux de céréales ; la surface ensemencée des kolkhoz était de 4.262.000 hectares, avec une
production marchande de presque 13 millions de quintaux de céréales ».
Remarquez le choix pour les kolkhoz qui triplent leurs
surfaces contre un statu quo pour les sovkhoz. Ces résultats spectaculaires qui
donnent « le vertige du succès »
(p421 ). Staline constate que « dans
une série de régions de l'URSS, l'artel n'est pas encore consolidée, mais déjà
ils ‘socialisent’ les maisons d'habitation, le petit bétail et la
volaille ».
L'ouvrier et la kolkhosienne, sculpture de Vera Mukhine réalisée pour le pavillon soviétique de l'Exposition universelle de Paris, 1937. |
« Un
des grands mérites de la stratégie politique de notre parti, c'est qu'il est
capable à tout moment de définir le maillon principal. Ce maillon, est-ce
peut-être, l'association pour la culture commune de la
terre? Non, ce n'est pas cela. Les associations pour la culture
commune de la terre, dans lequel les moyens de production ne sont pas encore
socialisés, représentent une étape déjà franchie du mouvement kolkhozien.
Est-ce
la commune agricole (sovkhoz)? Non, ce n'est pas cela, les communes
sont encore un fait isolé dans le mouvement kolkhozien. Les conditions ne
sont pas encore mûres pour les communes agricoles comme forme prédominante.
Le maillon principal du mouvement kolkhozien, sa forme prédominante à l'heure
actuelle, est l'artel agricole
Dans l'artel
agricole sont collectivisés les moyens de production de base,
principalement ceux qui servent à la production des céréales : le travail,
la jouissance de la terre, les machines et autres outils, les animaux de trait
et des bâtiments agricoles. Ne sont pas socialisés les parcelles
individuelles (petits potagers, petits vergers), les maisons d'habitation, une
partie du bétail laitier, petit bétail, volaille, etc., .
L'artel
est le maillon principal du mouvement kolkhozien, car elle
est la forme la mieux adaptée pour résoudre le problème des céréales. Et
le problème des céréales est le lien principal dans l'ensemble du système
de l'agriculture parce que, si elle n'est pas résolu, il sera impossible
de résoudre ni le problème de l'élevage (petits et grands), ni le problème des
cultures industrielles qui fournissent les principales matières premières pour
l'industrie.
Peut-on dire que cette ligne du Parti est appliquée
sans violation ou de distorsion? Malheureusement
pas. Nous savons que dans une série de régions de l'URSS, où la lutte pour
l'existence des exploitations collectives est encore loin d'être terminée, et
où les artels ne sont pas encore consolidées, des tentatives sont faites pour
sauter hors du cadre des artels et de sauter tout de suite dans la commune
agricole. L'artel n'est pas encore consolidée, mais déjà ils «socialisent»
les maisons d'habitation, le petit bétail et la volaille. Cette «socialisation»
dégénère en décrets bureaucratiques sur le papier, les conditions n’étant pas encore
réunies qui rendraient cette socialisation nécessaire. On pourrait penser que
le problème des céréales a déjà été résolu dans les fermes collectives, qu'il
est déjà une étape passée, que la tâche principale à l'heure actuelle n'est pas
la solution du problème des céréales, mais la solution du problème de l'élevage
et de l’aviculture. A qui profite cette course stupide et nuisible à notre
cause? Irriter le paysan kolkhozien par la ‘socialisation’ des maisons
d'habitation, tous les bovins laitiers, tous les petits ruminants et la
volaille, lorsque le problème des céréales n’est toujours pas résolu, que
la forme artel de l'agriculture collective n'est pas encore
consolidée - n'est-il pas évident qu'une telle «politique» peut seulement avantager
nos ennemis jurés?
Je
ne parle même pas de ces ‘révolutionnaires’ - s’il est permis de les appeler
ainsi! - qui pour organiser une artel, commencent par décrocher
les cloches des églises. Enlever les cloches de l'église – pensez-donc
comme c’est rr-révolutionnaire! »
Quatre ans plus tard, en 1934, dans son rapport au XVIIe congrès du P.C (b) de l'U.R.S.S. ( p.136 2. l’essor de l'agriculture), Staline constate que cette confusion
extrême sur transformation de l'artel en commune future existe toujours chez
certains membres du Parti. Une des conséquences en est
« qu’au
cours de la période écoulée l'essor des principales branches de l'agriculture a
été beaucoup plus lent. Pour ce qui est de l'élevage, nous avons même observé
une diminution du cheptel ; ce n'est qu'en 1933, et seulement dans l'élevage du
porc, qu'apparaissent des indices de progrès.
Il
est évident que les difficultés extrêmes pour grouper en kolkhoz les petites
exploitations paysannes dispersées et, en général, la période de réorganisation
de l'économie paysanne individuelle et de son passage dans la voie nouvelle,
kolkhozienne, devaient nécessairement déterminer, dans l'agriculture, un rythme
de progression plus lent, de même qu'une période relativement longue de dépression
quant au développement du cheptel.
P152
Tous reconnaissent aujourd'hui que l'artel, dans les conditions présentes, est
la seule forme juste du mouvement kolkhozien. Et cela se conçoit parfaitement :
a) l'artel allie rationnellement les intérêts personnels, quotidiens, des
kolkhoziens avec leurs intérêts collectifs ; b) l'artel adapte judicieusement
les intérêts personnels et quotidiens aux intérêts collectifs, facilitant ainsi
l'éducation du paysan individuel d'hier dans l'esprit collectiviste. A la
différence de l'artel où seuls les moyens de production sont collectivisés,
dans les communes étaient collectivisés, jusqu'à ces derniers temps, non
seulement les moyens de production, mais encore le foyer de tous les membres de
la commune, c'est-à-dire qu'à la différence des membres de l'artel, ils ne
possédaient, personnellement, ni volaille, ni petit bétail, ni vache, ni
céréales, ni terrain attenant à la maison. Cela veut dire que dans les communes
les intérêts personnels, les intérêts quotidiens des membres étaient moins pris
en considération, moins alliés aux intérêts collectifs, qu'étouffés par ces derniers
au profit d'un égalitarisme petit-bourgeois. Il est clair que c'est là le point
le plus faible des communes. Et c'est ce qui explique, en somme, que les
communes ne sont pas très répandues, et qu'on ne les trouve que par unités ou
dizaines.
Cela
ne signifie évidemment pas que la commune ne soit plus la forme supérieure du
mouvement kolkhozien. Pas la commune actuelle, à technique arriérée, pauvre en
produits et qui passe d'elle-même à l'état d'artel, mais la commune future, qui
naîtra alors que la technique sera plus développée et les produits abondants.
La commune agricole actuelle est née alors que la technique était peu
développée et les produits insuffisants. C'est ce qui explique, en somme,
qu'elle ait pratiqué le nivellement et négligé les intérêts personnels
quotidiens de ses membres. La commune agricole de demain naîtra lorsque le
kolkhozien verra qu'il lui est plus avantageux de prendre la viande et le lait
à la ferme du kolkhoz, que d'élever sa vache et son petit bétail ; lorsque la
kolkhozienne verra qu'il lui est plus avantageux de prendre ses repas au
réfectoire, de prendre son, pain à l'usine de panification et de faire laver
son linge au lavoir public, que de s'occuper de ces choses elle-même. La
commune de demain naîtra sur la base d'une technique et d'une artel plus
développées, à la faveur de l’abondance des produits. Quand cela sera-t-il ?
Pas de sitôt, évidemment. Mais cela sera. Il serait criminel de hâter artificiellement
le processus de transformation de l'artel en commune future. Le processus de
transformation de l'artel en commune future doit se faire graduellement, au fur
et à mesure que tous les kolkhoziens se convaincront de la nécessité de cette
transformation.
Voilà
ce qu'il en est de l’artel et de la commune. La question, semble-t-il, est
limpide, presque élémentaire.
Et
pourtant, chez certains membres du Parti, il existe une confusion extrême sur
ce point. Ils pensent qu'en déclarant l'artel principale forme du mouvement
kolkhozien, le Parti s'est éloigné du socialisme, a rétrogradé la commune,
forme supérieure du mouvement kolkhozien, vers une forme inférieure.
Pourquoi
? je vous le demande. Parce que, voyez-vous, il n'y a pas d'égalité dans
l'artel où l'on maintient les différences de besoins et de vie personnelle chez
ses membres, tandis que dans la commune il y a égalité, puisque les besoins et
la vie personnelle de ses membres sont égalisés. Mais chaque léniniste sait que
le nivellement des besoins et de la vie personnelle est une stupidité petite-bourgeoise
réactionnaire, digne de quelque secte primitive d'ascètes, mais non d'une
société socialiste, organisée à la manière marxiste. On ne saurait en effet
exiger des hommes qu'ils aient tous les mêmes besoins et les mêmes goûts, que
dans leur vie personnelle ils adoptent un standard unique. Et enfin, est-ce que
chez les ouvriers ne subsistent pas des différences tant dans leurs besoins que
dans leur manière de vivre ? Cela signifie-t-il que les ouvriers sont plus loin
du socialisme que les membres des communes agricoles ? Par égalité le marxisme
entend, non pas le nivellement des besoins personnels et de la manière de
vivre, mais la suppression des Et le marxisme part de ce principe que les goûts
et les besoins, des hommes ne sont pas et ne peuvent pas être identiques et
égaux, en qualité ou en quantité, ni en période de socialisme, ni en période de
communisme ».
En FEVRIER 1933, dans un discours au Ier Congrès Kolkhoziens, Staline s’explique à propos d’un
« petit
malentendu que le pouvoir des Soviets a eu, dans un passé récent, avec
les kolkhoziennes. C'était à propos de leurs vaches. Mais maintenant la
question des vaches est réglée, et le malentendu est dissipé. (Applaudissements
prolongés.) Nous sommes arrivés à ceci que la plupart des kolkhoziens possèdent
déjà une vache par foyer. Une année, deux années passeront encore, et vous ne
trouverez plus un seul kolkhozien qui n'ait pas sa vache. Soyez assurés que
nous, bolcheviks, saurons faire en sorte que chaque kolkhozien ait sa vache
(Applaudissements prolongés) ».
En 1939 seulement, Staline peut faire état de sérieux
progrès dans l'élevage, même s’il est vrai que
« pour le troupeau de chevaux et l'élevage
du mouton, nous sommes encore au-dessous du niveau d'avant la Révolution, mais
pour le gros bétail à cornes et l'élevage des porcs, nous avons déjà dépassé ce
niveau » (STALINE
RAPPORT PRESENTE AU XVIIIe CONGRES DUPARTI SUR L'ACTIVITE DU COMITE CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE (BOLCHEVIK) DE L'U.R.S.S.
LE 10 MARS 1939 ).
Et il peut annoncer le transfert d’ un million et demi de jeunes kolkhoziens
vers l’industrie :
«
Il n'est plus question maintenant de caser dans l'industrie, d'embaucher par
charité les paysans sans travail et sans abri qui ont rompu avec leur village
et vivent sous la menace de la faim. Maintenant
on prie le kolkhoz de mettre chaque année à la disposition de notre
industrie en développement, au moins un million et demi de jeunes kolkhoziens.
Les kolkhoz, désormais dans l'aisance, doivent tenir compte que,
sans cette aide de leur part, il sera très difficile
de pousser le développement de notre industrie; or, sans
développer notre industrie nous ne pourrons pas satisfaire la demande toujours accrue des paysans en marchandises de grande consommation.
Les kolkhoz ont toute possibilité de faire suite à notre demande, puisque l'abondance
des moyens techniques dans les kolkhoz libère une partie des travailleurs de la
campagne, lesquels, employés dans l'industrie, pourraient être d'une grande utilité pour l'ensemble de notre économie nationale ».
Nous allons voir comment Mao, dans des conditions techniques
encore plus faibles, lors de son ‘grand bond en avant’, établit en 1958 les
communes populaires « afin de contribuer au processus de libération de la
femme et d’avancer vers le communisme en passant de ‘à chacun selon son
travail’ à ‘chacun selon ses besoins’ », avec la création de services
communautaires et extension de leur gratuité, répartition des produits disponibles
selon les besoins etc. En URSS, en 1939,
la collectivisation a à première vue résolu le problème du blé marchand.
« Alors qu’en 1914 26% de la
production, soit 213 millions de quintaux, provenant à 46.9% de grandes
propriétés, ont été livrés au marché, la production marchande de 1927 ne
s’élevait qu’à 103 millions de quintaux. Avec la collectivisation, la
production marchande des céréales a atteint, en 1938-1939, 365 millions de
quintaux ou 40% de la production globale (Rapport XVII Congrès
URSS cité dans L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil Sirey, Paris, 1950
P90).
Le développement de l’agriculture soviétique vu au ras des
pâquerettes
Nous avons vu les définitions du MEP. Nous avons vu comment
les kolkhoz se consolident, entre autres via une lutte tenace contre un certain
gauchisme et égalitarisme. Je voudrais maintenant parcourir la même réalité au
ras des pâquerettes. Notre source principale est Charles Bettelheim, un des
grands spécialistes occidentaux de l’économie planifié.
Nous avons vu comment ça a coûté des années pour définir la
place des parcelles individuelles dans les kolkhoz. Un véritable statut type
pour les ‘artels’ n’a vu le jour qu’en 1935 (
Économie institutionnelle des transformations agraires en Russie Vladimir Yefimov ). Bettelheim nous donne une idée de l’importance de ces parcelles dans le
budget d’un kolkhozien.
« Par suite du soin mis par les
kolkhoziens à l’entretien de leurs parcelles individuelles, par suite aussi des
prix plus avantageux qu’ils obtiennent pour les produits qu’ils en tirent, on
constate que, dans certaines régions, près de 40% des revenus des kolkhoziens
viennent de leurs propres parcelles ; en moyenne on admet qu’avant guerre
au moins 20% des revenus des kolkhoziens provenaient de leurs parcelles
individuelles (Michelson, Serge, Politique agricole et capacité
alimentaire de l'U.R.S.S. à la veille de la guerre, Paris, Librairie générale
de droit et de jurisprudence, 1945 cit. dans L’économie soviétique Ch.
Bettelheim recueil Sirey, Paris, 1950 p.
67).
C’est ce qui explique qu’un décret du 27 mars 1939 précise
que les parcelles individuelles ne pourront en aucun cas dépasser les limites
légales, c.à.d. un quart à un demi hectare en général et dans certaines régions
un hectare. A vrai dire, ce décret ne fait que reprendre le statut type de
l’artel qui prévoit que chaque maison kolkhozienne, dans les régions de blé et
de betterave, peut posséder 3 bêtes à corne dont 1 vache, 1 truie avec
porcelets, jusque 10 moutons et brebis, une quantité illimitée de volaille et
de lapins et jusqu’à vingt ruches.
Bettelheim nous donne aussi une idée de l’importance de ces
parcelles dans le panier de la ménagère. En 1935 le marché kolkhozien fournit
17% de la production marchande de viande, 32% des produits laitiers ; 19%
des pommes de terre et 13% des légumes
(L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil
Sirey, Paris, 1950 p.118). Ceci dit, il n’y a pas que le kolkhozien à
titre individuel qui a accès aux marchés kolkhozien ; les kolkhoz aussi peuvent
vendre une partie de leur produit collectif sur ces marchés.
La contrepartie de ces parcelles individuelles dans les
revenus des kolkhoziens est la valeur de
la journée de travail collective (JT, troudoden en russe ).
« Chaque kolkhozien est crédité du
nombre de journées de travail qu’il accomplit. Mais la valeur de ces JT n’est
fixée que plus tard, lorsque le kolkhoz a fait ses récoltes, payés ses dettes
(versements aux SMT, impôts etc.). Le solde est divisé par le nombre de JT
effectuées par l’ensemble des kolkhoziens, le quotient donne la valeur de la
JT. Il ne reste plus qu’à multiplier pour chaque kolkhozien le nombre de ses JT
par la valeur d’une JT pour savoir ce qu’il a gagné
(La planification soviétique Ch. Bettelheim, 3° éd., 1945 P162) ».
La faible rémunération en argent que comprend chaque JT est un sujet de mécontentement. En 1932 la
recette moyenne par foyer est de 37 pouds de céréales et 108 roubles ; le
nombre de journées travail par foyer est de 310. En 1937 la recette est de 106
pouds de céréales et 376 roubles pour 438 journées travail (L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil
Sirey, Paris, 1950 P112). Aussi,
un décret du 19 avril 1938 ordonne’ de distribuer au moins 60 à 70% de leurs
revenus en argent sous la forme de JT et que le versement au fonds indivisible ne devait pas dépasser
10% (La planification soviétique
Ch. Bettelheim, 3° éd., 1945 P163 et 106).
Au fil du temps l Gouvernement Soviétique a pris des mesures
destinées à augmenter la produit distribuable. Pour le blé le prélèvement était
fixé en 1941 à un quart ou un tiers de la totalité de la récolte dans les
régions dites productives (= produisant un excédent de blé) et à un huitième
dans les autres régions (L’économie
soviétique Ch. Bettelheim recueil Sirey, Paris, 1950 P101).
Ce faible rapport fait que les kolkhoziens essayent de
limiter leur travail collectif. C’est pourquoi en 1939 le nombre annuel minimum des journées de
travail obligatoires était fixé pour chaque membre des kolkhoz entre 60 et
cent. Ce régime a paru insuffisant en temps de guerre. Un nouvel arrêté fixe en
1942 le nombre des journées de travail obligatoires entre 100 et 150 (L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil
Sirey, Paris, 1950 P110).
Ce qui explique aussi que des gens cherchent à quitter le
kolkhoz, ou que le kolkhoz veut exclure. Or, «le kolkhozien, bien que libre de quitter le kolkhoz,
n’a pas la possibilité de céder sa part de coopérateur. Il perd également le
droit à la parcelle individuelle qu’il cultive (L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil Sirey, Paris,
1950 P61) ».
Un problème similaire s’est sûrement posé dans l’autre
sens, pour les dizaines de millions de kolkhoziens qui ont quitté la
campagne pour aller travailler en usine à la demande de l’Etat. Si le
kolkhozien n’avait pas la possibilité de céder sa part de coopérateur,
abandonnait il tout s’il voulait aller travailler en usine? Je n’ai pas
trouvé beaucoup de précision là dessus. Je suppose que pour un jeune qui
n’avait pas encore contribué beaucoup au fonds indivisible le choix n’était pas
trop déchirant.
Dans le même ordre d’idées, comment a-t-on géré les
transferts de terres de la campagne vers les villes ? Avec le
développement des villes des terres agricoles sont reprises aux kolkhoz. Je ne
peux pas parler d’expropriations, puisque la terre était nationalisée. Or, sur
quelle base régler alors ces transferts ? Le problème se pose d’ailleurs
exactement de la même manière en Chine Dans le capitalisme la main invisible du
marché établit un prix qui est jugé juste par ceux qui acceptent le principe du
marché. Sous le socialisme le problème est plus complexe : comment indemniser
correctement les collectivités à qui on enlève des terres pour y
construire une usine ou des apparts?
Les Stations de
Machines et de Tracteurs (SMT) : un débouché captif pour les constructions
mécaniques, mais aussi une ponction sur les revenus des kolkhoz.
Nous avons vu comment l’état soviétique crée des SMT. Mais
dans un premier temps la collectivisation doit se passer de machines. Le nombre
de SMT connait sa vraie croissance entre 1932 et 1936, donc lors du 2PQ
seulement. Le 1PQ a du se faire sans support mécanique ! De 1932 à 1936 le
nombre des SMT est passé de 2000 à 5000, tandis que le % des kolkhoz desservis
par les SMT et passé de 49,3 à 82,6%. En 1940 le nombre des SMT est passé à
7000 (L’économie soviétique Ch.
Bettelheim recueil Sirey, Paris, 1950 P71-72). En 1938 les kolkhoz sont
propriétaires de 20,3% des moyens de production utilisés dans l’agriculture, l’essentiel
étant détenu par les SMT. Elles cultivaient 86,4% des surfaces cultivées en
URSS (L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil
Sirey, Paris, 1950 P66).
Ces machines sont évidemment un progrès énorme point de vue
productivité. Mais c’est aussi une nouvelle ponction sur les
revenus des kolkhoz : le prix de la location des SMT est payé en nature. Et
les résultats ne suivent pas toujours. Les kolkhoz payent le prix de
l’apprentissage. Dans l’agriculture, les travaux les plus pressés sont fréquemment
arrêtés par suite de la détérioration des machines, parfois défectueuses,
toujours malmenées. Ainsi, la Pravda Vostoka du 6/4/1937 signale que dans le
SMT de Ouïtchi, 20 tracteurs fonctionnent sur 105. La Pravda du 9/5/1936
signale pour la région méridionale de Kazakhstan 792 camions immobilisés sur
1774 ; 2737 sur 6594 dans la région de Kouybichev ; 50% dans la
région d’Ordjonikidze (L’économie
soviétique Ch. Bettelheim recueil Sirey, Paris, 1950 p.243).
Malgré ces maladies de jeunesse, le % des surfaces
ensemencées par les kolkhoz passe de 1,2% en 1928 à 30% en 1930, 58% en 1931 et
68% en 1932.
Une autre maladie de jeunesse : les kolkhoziens, au
début, se préoccupaient surtout de réaliser le plan des surfaces
ensemencées, sans guère se soucier du moment. Le plan de 1931 prévoyait qu’au 1 octobre 43
millions d’ha seraient ensemencées ; à cette date il n’y en avait que 19.
Ce retard avait aussi des causes matérielles, e.a. la diminution énorme du cheptel
(ex. 36 millions de chevaux en 1916, 16 millions en 1935), qui n’a pu être
compensée par l’augmentation du nombre des tracteurs (278.000 chevaux-vapeur
(CV) en 1928, 1 million CV en 1930, 2,2 million CV en 1932 et 6,5 million CV en
1935). La baisse des quantités d’engrais naturels suite à l’abattage du cheptel
n’a pas directement été compensée par la production d’engrais chimiques (L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil
Sirey, Paris, 1950 P280). La
production des superphosphates était de 213 kilotonnes KT en 1928 (plan 480KT)
et 612 KT en 1932 (plan 3.400 KT) (L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil Sirey, Paris, 1950 P291).
D’un côté donc des prélèvements pour les fonds indivisibles et
les SMT. De l’autre côté les livraisons obligatoires à des prix très bas. En
plus des livraisons obligatoires il y a encore des prix conventionnels, 30 à
40% supérieurs aux prix des livraisons obligatoires, mais toujours inférieurs
aux prix du marché. L’Etat accorde par
priorité des livraisons de produits industriels au Kolkhoz qui ont repli leur
plan de livraison aux prix conventionnels. Les textes officiels sont peu
explicites sur ce problème qui exprime dans le fond les rapports entre classe
ouvrière et paysannerie, et le problème de l’accumulation primitive.
L’Etat acquiert donc le blé à bas prix, mais revend cher. L’impôt
sur le Chiffre d’Affaires (CA) est le plus important des impôts soviétiques
(53% des recettes budgétaires en 1931 ; 85% en 1936 ; 60% en 1940) . 87%
du produit de l’ impôt sur le chiffre d’affaires provenait de la taxation des
produits agricoles. Voici quelques taux institués en 1936 : graisse 55 à
81% ; viande 77 à 87% ; textiles 50% et plus. En 1937, un tiers des
revenus fournis par l’impôt sur le CA et près d’un quart des revenus
budgétaires étaient dus aux céréales. Un grand nombre de marchandises sont
frappés plusieurs fois, le grain lorsqu’il est transmis au moulin, la farine
lorsqu’elle est transmise à la boulangerie etc. La population rurale se
nourrissant presqu’exclusivement de ses propres céréales, la charge est
d’autant plus lourde pour la population urbaine (La planification soviétique Ch. Bettelheim, 3° éd., 1945 P172).
En 1932 on permet aux marchés kolkhoziens de vendre du blé,
ce qui était interdit auparavant. Il y a maintenant deux prix du blé, le prix
de l'Etat et le prix du marché. Ca met un peu de beurre dans leurs épinards des kolkhoziens. Mais ça a comme effet pervers
qu’ils essayent de limiter au minimum leurs livraisons à l’Etat, pour pouvoir
vendre à bon prix leur blé sur les marchés kolkhoziens. Et c’est évidemment un
terrain fertile aussi pour toutes sortes de spéculateurs. Staline propose de contrer
cela par une mobilisation du travail des militants à la campagne :
« Quel
est le principal défaut de notre travail à la campagne ? Nos militants
ruraux n'ont pas su tenir compte de la nouvelle situation créée à la campagne
après que fut autorisé le commerce kolkhozien du blé. Et c'est précisément
parce qu'ils n'ont pas tenu compte de la situation nouvelle, qu'ils n'ont pas
su réorganiser leur travail conformément à cette nouvelle situation. Tant qu'il
n'y avait pas de commerce kolkhozien de blé, tant qu'il n'y avait pas deux prix
du blé, le prix de l'Etat et le prix du marché, la situation dans les campagnes
se présentait d'une certaine manière. Avec l'autorisation du commerce
kolkhozien de blé, la situation devait changer à fond, car l'autorisation du
commerce kolkhozien signifie la légalisation du prix du blé sur le marché, prix
plus élevé que celui établi par l'Etat. Inutile de démontrer que cela devait
pousser les paysans à se réserver quant aux livraisons de blé à l'Etat. Le
paysan faisait ce calcul : «Le commerce kolkhozien de blé est autorisé, le prix
du marché est légalisé ; je puis, au marché, pour une même quantité de blé,
recevoir plus qu'en le livrant à l'Etat. Par conséquent, à moins d'être un
imbécile, je dois garder le blé, en livrer moins à l'Etat, en laisser plus pour
le commerce kolkhozien et, de cette façon, m'arranger de manière à toucher plus
pour la même quantité de blé vendu.»
Logique
on ne peut plus simple et plus naturelle !
Mais
le malheur est que nos militants ruraux, en tout cas beaucoup d'entre eux,
n'ont pas compris cette chose simple et naturelle.
Peut-être
ne fallait-il pas autoriser le commerce kolkhozien de blé ? Peut-être était-ce
une faute, surtout si l'on considère que le commerce kolkhozien présente non
seulement des côtés positifs, mais aussi certains côtés négatifs ? Non, ce
n'était pas une faute. Aucune mesure révolutionnaire n'est garantie contre
certains côtés négatifs, si elle est faussement appliquée. Il faut en dire
autant du commerce kolkhozien de blé. Le commerce kolkhozien est nécessaire et
avantageux tant pour la campagne que pour la ville, tant pour la classe
ouvrière que pour la paysannerie. Et précisément parce qu'il est avantageux, il
fallait l'introduire.
Qu'est-ce
qui guidait le Conseil des commissaires du peuple et le Comité central
lorsqu'ils ont introduit le commerce kolkhozien de blé ? Avant tout, la volonté
d'élargir la base des échanges entre la ville et la campagne, d'améliorer le
ravitaillement des ouvriers en produits agricoles, et des paysans en articles
de la ville. On ne saurait douter que le commerce de l'Etat et des coopératives
à lui seul, n'y suffit pas. Il fallait compléter ces canaux du système
d'échanges par un nouveau canal: le commerce des kolkhoz. Et nous l'avons fait
en introduisant le commerce kolkhozien.
Ce
qui les guidait ensuite, c'était la volonté de donner au kolkhozien, par le
commerce kolkhozien de blé, une source complémentaire de revenu, et de
consolider sa position économique. Ce qui les guidait enfin, c'était la volonté
de donner au paysan, en introduisant le commerce kolkhozien, un nouveau stimulant
pour améliorer le travail des kolkhoz, tant en ce qui concerne les semailles
qu'en ce qui concerne la rentrée des récoltes.
Vous
savez que toutes ces considérations du Conseil des commissaires du peuple et du
Comité central ont été confirmées entièrement et sans réserve par les faits
récents de la vie des kolkhoz. Accentuation du processus de consolidation des
kolkhoz ; cessation de l'abandon des kolkhoz par leurs adhérents; tendance
croissante des paysans individuels à rejoindre les kolkhoz ; volonté des
kolkhoziens de n'accepter les nouveaux membres qu'avec beaucoup de discernement
; tout cela et bien d'autres faits analogues attestent avec évidence que le
commerce des kolkhoz, loin d'affaiblir, a, au contraire, renforcé et consolidé
la situation des kolkhoz (Le travail à la campagne p.561 Et aussi p.104 ).
Vers 1937 on peut cueillir
les premiers résultats.
Le rendement des céréales passe de 7 quintaux en 1932 à 11
en 1937, et le coton de 6 à 12 suite à des plans scientifiquement conçus
d’assolements et de mesures agro-techniques, une planification détaillée des
labours et engrais. C’est aussi seulement au 2PQ que la mécanisation commence à
faire sentir ses effets. La surface travaillée par tracteur par an monte de 363
en 1933 à 474 en 1936 (L’économie
soviétique Ch. Bettelheim recueil Sirey, Paris, 1950 p.283).
De 1928 à 1937 la production des céréales passe de 733
millions de q à 1150 millions de q, le coton de 8,2 à 24,8 (L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil
Sirey, Paris, 1950p 284). De 1926 à 1940 la population urbaine passe de
26 à 61 millions, la population rurale de 121 à 132 millions (L’économie soviétique Ch. Bettelheim recueil
Sirey, Paris, 1950 P93).
Le problème de la part marchande de la production agricole a
été entièrement résolu du fait de la collectivisation qui laisse pratiquement à
l’Etat le soin de déterminer son importance.
Conclusions
affiche soviétique 1932 la collectivisation |
Les rendements sont satisfaisants pour le blé et les
cultures industrielles. Il y a eu un creux d’une petite dizaine d’années, mais
vu l’ampleur de cette révolution dans la révolution, cela n’est pas énorme. La
contrerévolution de velours a diminué la production pendant une période bien
plus longue. Le bilan est un peu plus
mitigé pour le cheptel, surtout si on voit le pourcentage important de viande
et de lait qui est ‘assuré’ par les lopins individuels et les marchés
kolkhozien.
Y avait-il une alternative à l’élimination des koulaks en
tant que classe ? Je ne parle pas ici des méthodes employées, mais du
principe d’exproprier les paysans capitalistes qui exploitaient le travail
salarié. La révolution russe a exproprié des propriétaires féodaux et le
clergé, et a donné les terres à ceux qui la travaillaient. Jusque là, elle
avait fait ce que la révolution française en particulier, et les révolutions
bourgeoises en général, avaient fait auparavant : une révolution
antiféodale. Si l’URSS s’était arrêté là, on aurait vu exactement comme en
France, une polarisation entre des paysans riches et pauvres. Les paysans
capitalistes achètent des moyens de production ; et les paysans pauvres
perdent leurs moyens de production et achètent leur pitance et contribuent
ainsi aussi à l’élargissement du marché capitaliste.
L’Union Soviétique était donc obligé de faire une révolution
dans la révolution, et exproprier les paysans capitalistes. Ils ont fait ça, à juste titre, après une
période de stabilisation après la guerre civile. On a vu d’ailleurs pendant
cette courte période de cinq ans une polarisation entre paysans riches et
pauvres. Jouer sur l’enrichissement des koulaks, comme certains l’ont préconisé
même au sein du Parti Communiste, c’était suivre la voie capitaliste. Et c’est
les fermes collectives qui ont permis l’amorce d’une accumulation socialiste.
Aurait-on peu choisir des cadences plus lentes d’accumulation ?
Indépendamment encore de la menace d’une intervention étrangère, pouvait-on
dans une démarche de collectivisation marquer le pas ? Il fallait produire
des machines agricoles pour consolider les kolkhoz et pour leur donner une base
technique. Déjà maintenant les machines se sont fait attendre en Russie
jusqu’au milieu du 2PQ. Et ce délai d’attente était incompressible puisqu’il a
fallu construire une sidérurgie avant de lancer les fabrications métalliques.
Mao a critiqué la pression sur la paysannerie ; mais nous verrons dans un
prochain blog que dans la pratique le poids de l’industrialisation a pesé
autant en Chine qu’en URSS.
Les SMT ont été abandonnées par Kroutchov. Le système n’a
pas été repris en Chine non plus. Or, ce système tenait la route. Les
travailleurs des SMT ont constitué des noyaux prolétariens à la campagne. Ces
stations étaient un marché captif pour machines et tracteurs, payées par des
prélèvements en nature. Ces prélèvements, ensemble avec les livraisons
obligatoires, ont constitué un trésor de guerre qui a permis à l’état
soviétique de peser sur le marché du blé. Bien sûr, il y a eu des maladies de
jeunesse : un % élevé de machines en panne etc. Mais une bonne partie de
ces ‘maladies’ étaient un passage obligatoire et de toute façon quelqu’un
aurait dû payer ces frais d’apprentissage. Si on avait laissé la décision
d’achats des machines aux kolkhoz même, ces achats se seraient espacés sur une
période beaucoup plus longue. Nous reprendrons cette question sur base de
l’expérience chinoise.
Evidemment, ces prélèvements et achats obligatoires sont une
sorte de taxe, il ne faut pas se voiler la face. La paysannerie a porté sa part
du fardeau de l’industrialisation de départ.
Un autre problème est la décision de vendre le blé très cher
dans les villes. En URSS on a instauré un impôt sur le chiffre d’affaires qui a
poussé vers le haut les prix du blé et d’autres produits agricoles. Indépendamment encore des périodes de pénurie,
où l’on a dû instaurer des cartes de rationnement, il y avait dans ces prix
surfaits des produits agricoles un terrain fertile pour la spéculation. Ca
restait tentant d’aller chercher à bas prix du blé à la campagne et de le
vendre avec une bonne marge dans les villes. Ce qui a obligé de mettre des
gabelous un peu partout.
Dans un second temps on a même autorisé le commerce
kolkhozien de blé avec la volonté explicite de donner au kolkhozien une source complémentaire
de revenu. Les kolkhoziens profitaient donc partiellement de ce système de
prix surfaits pour le pain: toute la partie de leur récolte qui dépassait les
prélèvements et achats obligatoires pouvait être vendu à bon prix dans les
villes. Bien sûr, l’état avait suffisamment de poids sur le marché pour que ces
prix ne montaient pas trop haut. Toujours est-il que cet impôt - 87% du produit
de l’ impôt sur le chiffre d’affaires provenait des produits agricoles – renchérissait
les produits agricoles.
On peut donc dire que les entorses à la loi de la valeur –
pour revenir à la question de départ posée par Staline dans ’les problèmes
économiques du socialisme en URSS’ - ne se limitaient pas au prix d'une
tonne de céréales qui était le même que celui d'une tonne de pain cuit, mais
aux prix de tous les produits agricoles par rapport aux prix industriels. En
plus, avec l’instauration du commerce kolkhozien de blé on a créé un système de
double prix : un prix dans le circuit d’Etat, et un prix sur les marchés
kolkhozien. L’Etat soviétique disposait assez de blé pour éviter que cet écart
ne se creuse de trop, mais il n’a jamais utilisé ce poids économique pour
revenir à un prix correspondant à la valeur. Son objectif était de maximiser
les rentrées fiscales et éviter une flambée trop forte des prix.
Y avait-il une alternative ? Quelqu’un devait quand
même avancer les ressources nécessaires à l’industrialisation, il n’y a pas de
miracles. Mais une autre politique des
prix est possible. En Chine on a résolu le problème par l’autre bout. On y a,
comme en URSS, introduit des livraisons obligatoires. Mais on a vendu le blé à
bas prix dans les villes, ce qui a permis de garder les salaires dans
l’industrie assez bas. Maintenant, aussi longtemps que l’offre était plus bas
que la demande, il a fallu quand même instaurer un système de rationnement et créer
un monopole d’état sur tout le commerce de céréales. En Chine il a fallu
attendre les réformes de 1978 pour augmenter la production et donc l’offre (quant
à diminuer la demande, la stratégie de dénatalité a aidé). En 1985 on a pu
supprimer les livraisons obligatoires. Et encore : pour le coton et le
grain, elles sont supprimées en 2004 seulement. On a pu faire cela parce qu’en
1987 on a encouragé la production par la biais des prix plus rémunérateurs. Les
paysans ont été les grands bénéficiaires : leur revenu initial passe de
135 yuan par personne à 255 yuan en 1985. Mais le grand perdant a été l’Etat.
Les hausses agricoles n’ont que faiblement été répercutées sur les prix
urbains. L’Etat a perdu ainsi le sixième des revenus budgétaires (Claude Aubert Les réformes agricoles ; dans Les réformes en chine,
Revue du Tiers Monde PUF 1987 p.739). L’Etat perdant, a-t-il réussi à rattraper
la différence quelque part, où est-on arrivé à moins d’état (et plus de
capitalisme) ? Nous analyserons cela plus loin.
Une autre question plus fondamentale : n’aurait-on pas
du donner plus de poids à la cellule familiale comme base de l’organisation
dans l’agriculture ? En URSS les lopins individuels assuraient malgré et
contre tout un cinquième de la nourriture des villes. En Chine on est revenu en
1978 sur l’exploitation familiale et cela a permis de booster la production: la
Chine est aujourd’hui autosuffisante pour son alimentation. La seule question à
ce propos est si le caractère socialiste de la Chine pourra être maintenu dans
ce contexte…
Ceci dit, on doit se poser la question si les chinois auraient
pu passer à cette solution en 1953 ? La Réforme de 1978 aurait-elle pu
réussir si on n’avait pas jeté les bases d’une industrie lors de ces premières
vingt-cinq années d’accumulation primitive ? Et une question encore plus
fondamentale : on est revenu à l’exploitation familiale, mais sur une base
saine. Chaque famille a eu une part équitable des terres. Ce partage n’aurait
jamais été possible sans la mise en commun des terres dans le cadre de la
réforme agraire de 1949-1953. Bien sûr, ce partage ne bloque pas la
polarisation : malgré la propriété
sociale de la terre, il y a déjà aujourd’hui des familles qui ont repris de
manière ‘informelle’ les terres des autres. Quelle sera l’étape suivante ?
Vers où doivent évoluer ces exploitations familiales ? Vers des
exploitations carrément capitalistes où l’on donne le droit de vendre les
terres, et où dans toute logique les moins nantis seront obligé de vendre leurs
terres et de devenir prolétaires ? Des prolétaires forcés par une logique
capitaliste ; pas des paysans qui sont petit à petit entrainés dans une
économie socialiste ? La question se pose en Chine aujourd’hui. Mais ceci
mérite une réflexion plus approfondie que je vous livrerai dans un prochain
blog…
Biblio
MANUEL D'ECONOMIE POLITIQUE INSTITUT D'ECONOMIE de
l’ACADEMIE DES SCIENCES DE L'U.R.S.S.
La planification soviétique Ch. Bettelheim, 3° éd.,
Librairie M. Rivière et Cie, Paris, 1945 ; L’économie soviétique Ch. Bettelheim
recueil Sirey, Paris, 1950
Staline « Les questions du léninisme » ;
édition Frasheri, Tirana, 1970.
Ludo Martens un autre regard sur Staline Chapitre 4 - La
collectivisation
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