mercredi 4 janvier 2012

Comment Herstal reste en 1569 un fief de Guillaume d'Orange, prince des gueux

Viens, nous lirons les livres sombres 
Des penseurs et des combattants
Nous scruterons les maux, les guerres, 
 Et le creux fatal qu'a laissé 
 Le pied tragique de nos pères 
Dans l’âpre fange du passé (Victor Hugo )
 En 1740 Fredéric le Grand obligeait par la force son ‘cousin’ le prince évêque de Liège à racheter sa baronnie libre de Herstal pour 240.000 thalers. Deux siècles avant l'évêque Van Groesbeeck avait refusé le transfert de Herstal à la principauté pour une hypothèque de 26.000 florins.
Deux siècles de procédures qui ont nourri une armée d’avocats! Si cette épisode avec Fredéric le Grand est juteuse, l’échec de la tentative de rattachement en 1569 est aussi intéressante. Au centre de cette histoire Guillaume d'Orange, prince des hérétiques et des gueux, et le chevalier de l'Ordre Teutonique Hanxeller, dont nous pouvons toujours admirer la tour "Pépin", place de la Licour. C’est tout ce qui nous reste de son manoir.
Et pour brouiller les pistes un Charles Quint (V) qui s’appelle Charles II quand il met sa casquette de duc de Bourgogne et Carlos I quand il se présente comme roi des Espagnes.
Tout commence à Mariembourg près de Couvin en juin 1554. Le roi de France Henri II avait pris la ville et l’avait rebaptisée Henribourg. Après avoir repris la ville, Charles Quint demande à sa sœur Marie de Hongrie, gouvernante des Pays-Bas, d’y construire une forteresse. Problème: Mariembourg fait partie de la principauté de Liège. A première vue un petit problème puisque Charles V est aussi chef du prince éveque Érard de La Marck. Charles propose en échange de Marienbourg la seigneurie de Herstal. Depuis 1096 (au moins ; autant dire depuis la nuit des temps) Herstal dépendait du duc de Brabant. Enclavée au sein de la principauté de Liège, cette seigneurie échappait à la juridiction des princes-évêques qui ont 36 raisons à mettre la main sur ce territoire. Les bannis et les malfaiteurs de Liège ne pourront plus y chercher refuge. Et puis il y a la taxe sur les boissons : " On sèt bin beûre a Hèrsta, èt nin tchîr ! " (les liégeois y vont boire leur chope sans taxes: on sait bien boire à Herstal et pas cher!). Bref, quand Charles Quint propose généreusement à l’évêque de La Marck de lui abandonner « toute la juridiction sur Herstal comme Duc de Brabant et marquis d’Anvers », on s’attendrait à une réaction enthousiaste. Mais Erard de La Marck est tout sauf un imbécile: il se rend vite compte que cette juridiction sur Herstal est une boîte vide. Charles Quint n’a que le droit de relief sur le seigneurie. Le relief, est un droit seigneurial sur les mutations de propriétés. Ce droit - une année de revenu du bien - doit être payé si la mutation n'est pas due à une succession en ligne directe ou à une vente. Erard de La Marck veut toute la souveraineté. Or, celle-ci appartient au vassal de Charles Quint, le Prince Guillaume d’Orange. Celui-ci tient Herstal en fief en vertu du testament de son cousin germain René de Chalons. Au moment où Charles Quint propose le transfert, en 1546, le Prince Guillaume est encore mineur (il a 13 ans), et son père et ses tuteurs demandent que la décision soit différée jusqu’à la majorité de leur pupille. En plus, le 22 août 1544, juste après le décès de René de Chalon, Guillaume d'Orange avait été acceuilli à la cour de Charles V à Bruxelles. Dans ces conditions l’empereur hésite à léser son vassal dans ses droits sur Herstal. Jusque là cette histoire est un fait divers, avec Charles V qui essaye de faire un enfant dans le dos de son prince éveque. Charles V abdique en 1555. A cette époque son lieutenant-colonel Guillaume d’Orange est un de ses favoris. Charles s'appuyera sur son épaule lors de son abdication. Il scinde son Empire : il cède les Flandres et les Espagnes à son fils Philippe et ses duchés autrichiens à son frère Ferdinand, qui héritera ainsi de la couronne impériale germanique. La principauté de Liège ne dépend donc plus de Marie Thérèse et Philippe II. Cette situation décourage Van Groesbeek, successeur du prince evêque de la Marck, qui propose en 1558 – en vain - un échange avec le comté de Dahlem plutôt qu’avec Herstal. On sort du fait divers avec le mariage en 1561 de Guillaume d’Orange avec la fille de l'électeur de Saxe. Anne de Saxe est protestante et Guillaume change allégrement de religion. Le favori de Charles Quint devient persona non grata. En 1567, à l’arrivée du duc d'Albe, Guillaume d'Orange s'enfuit de Bruxelles sur les terres de son beau-père en Saxe. En 1569 le duc d’Albe confisque les biens de Guillaume d’Orange. La question- clef de toute cette histoire: pourquoi le transfert de Herstal vers la principauté n’a pas lieu, maintenant que la pierre d’achoppement – Guillaume d’Orange – est en disgrâce ?
D’autant plus que l’année avant Guillaume avait lancé une attaque sur les Pays Bas espagnols via la principauté de Liège,en tablant sur un soutien des Liégeois. Le 28 octobre 1568 il s’était présenté devant l'enceinte de Sainte-Walburge, avec dans ses troupes un assez bon nombre de liégeois, qui lui firent croire qu'il lui serait facile de se procurer des intelligences dans la place. Mais l'évêque Groesbeeck s’arrange avec le duc d’Albe et les états de Liège refusent le passage. Guillaume brûle alors les abbayes de Saint-Laurent, de Saint-Gilles et du Val Benoît, Sainte-Marguerite, Hocheporte et Sainte-Walburge et essaye à travers le Brabant de faire sa jonction avec les huguenots français. Le renfort huguenot s’avèrant assez faible, Guillaume se retire sur Strasbourg. Il n’a plus rien. Je n’ai retrouvé aucune référence historique, mais n’est-il pas permis de penser que la rocade de Guillaume par Liège est aussi motivé par ses liens avec Herstal ? C’est un peu comme s’il jouait à domicile… Et c’est ici qu’on se trouve devant un énigme énorme. Pourquoi en 1569 le Chapitre de Liège n’arrive pas à réactiver et faire aboutir le dossier du transfert de Herstal, puisque d’Albe avait confisqué les biens de Guillaume d’Orange? La raison invoquée est que Guillaume avait engagé son domaine envers un certain Hanxeller pour 26.000 florins. Hanxeller aurait été une personnalité trop considérable pour lui confisquer Herstal et sans confiscation il aurait fallu lui rembourser 26.000 florins. François Hanxeller était drossard de Millen et seigneur de Gangelt. Ce n’est pas ces titres qui allaient freiner un duc d’Albe ! Surtout que ces 26.000 florins étaient destinés directement au trésor de guerre de Guillaume d’Orange. En plus, il y avait un précédent : en 1568 le comte de Hornes avait été décapité à Bruxelles et le prince évêque avait réuni à l'église de Liège le comté de Horne comme fief tombé en caducité, le comte de Horne étant sans héritiers. Ceci dit, Hanxeller était aussi et chevalier de l'Ordre Teutonique depuis 1549. Or, jusqu’à la fin de l’Ancien régime, cet Ordre avait son mot à dire à Liège. Et s’il y avait une réelle alliance entre les princes éveques et le duc d’Albe dans leur lutte contre la Réforme, il y avait aussi une volonté de la part des éveques et du Saint Empire Germanique de laisser tirer les marrons du feu par les Espagnols. Cette politique dite de ‘neutralité’ explique peut être en partie le manque d’initiative du côté liégeois.
Toujours est il que François Hanxeller peut s’attribuer le titre de ‘seigneur gagiste de Herstal’. Il y construit même en 1575 un manoir. En 1603 Herstal retourne aux Nassau. Ce château fut démoli en 1854 ; le seul vestige qui nous reste est la tour dite "Pépin". Et un grand point d’interrogation : pourquoi d’Albe n’a pas mis le grappin sur cette seigneurie du Taciturne, et pourquoi Herstal n’a pas été réuni à la principauté à cette éqoque ?
Un des Seigneurs ultérieurs d'Herstal, Guillaume de Nassau ( 1650-1702) devint Roi d'Angleterre. Cocorico" pour notre dynamique Mayeur : Il ne faut donc pas désepérer quand on est Député Européen.
Et si la reine Beatrix porte aujourd'hui toujours le titre de Baronne de Herstal, vous comprenez maintenant pourquoi...

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