Le concile de Trente, le signal de départ de la Contre Réforme
Le leader des Grignoux La Ruelle est élu bourgmestre en 1630. Le prince évêque, soutenu par les Chiroux, refuse le résultat de ces élections. La lutte entre Chiroux et Grignoux aboutit à l’assassinat de La Ruelle en 1637. Ce conflit est pour Liège l’aboutissement d’une lutte entre Réforme et Contreréforme qui a commencé presqu’un siècle plus tôt, en 1563, avec le concile de Trente.
Le 25 septembre 1555, la paix d'Augsbourg consacre la division religieuse de l'Allemagne entre catholiques et luthériens. Fatigué par ce conflit, Charles Quint partage en 1558 son empire entre les deux branches de la dynastie des Habsbourg. Son frère Ferdinand reçoit l’Empire germanique, Philippe reçoit l’Espagne et les Pays Bas. Tous les deux vont s’atteler à la contreréforme.
Le 4 décembre 1563, après 18 ans de travaux, 220 prélats signent l'acte final du concile de Trente. Le cardinal de Lorraine s'exclame : « anathème à tous les hérétiques ! », repris par les Pères : « anathème, anathème ! ». C’est le signal de départ de la Contreréforme.
1566 l'«Année des Merveilles» des iconoclastes ou «sectaires »
Philippe II garde les 17 provinces, mais il a de plus en plus difficile d’en assurer le contrôle. Août 1566: une chapelle est mise à sac par les iconoclastes à Steenvoorde; les «sectaires», terme qui désigne alors les protestants, de plus en plus nombreux, dévastent près de 400 églises en quelques jours. C'est l'iconoclasme de l'«Année des Merveilles» (1566).
On le présente souvent comme un conflit religieux. En fait c’est plutôt un combat contre une des bases sociales du pouvoir féodal. Quand les iconoclastes cassent les statues des saints, ils veulent casser aussi cette caste oisive qui s’accapare 30% du PNB pour orner ses églises.
Au départ, ce conflit ne se limite pas à la Hollande. Il concerne les 17 provinces. Et nous verrons que la principauté de Liège est plus qu’impliqué. Ne fût-ce parce que Ferdinand et Philippe se concertent dans ce combat qui ronge la base de leur pouvoir.
En 1559 Philippe II laisse sa tante, Marguerite de Parme, gouverner les Pays-Bas. En aout et septembre 1560 les protestants s'assemblent en grand nombre autour de Tournai. Ils se réunissent la nuit tombante, dans les bois, ils font la prêche et chantent des psaumes ce qui leur vaudra le surnom de "hurleurs" (Hurlus). Le mouvement iconoclaste gagne rapidement Anvers, Armentières, Ypres, Gand, la Frise, Tournai, Utrecht, Bois-le-Duc et Maastricht. Valenciennes se donne un régime théocratique de type genevois. Philippe II envoie le duc d’Albe qui institue le Conseil des Troubles.
En juillet 1565, la noblesse belge se réunit à Spa – dans la principauté - sous prétexte d’y prendre les eaux. C’est dans l’hôtel « Aux Armes d’Angleterre» qu’elle se mettra d’accord en vue de s’opposer aux édits de Philippe II; c’est le « compromis des nobles ». Le choix de la localité est inspiré par la relative tolérance de la principauté ; mais en même temps il montre la présence d’une certaine sympathie pour la cause des protestants dans la principauté.
Le 3 avril 1566, à la tête de deux cents gentilshommes, Bréderode, le boutefeu, le Danton de la révolution des Pays-Bas, entra dans Bruxelles en équipage de guerre. Le surlendemain, il présenta solennellement à Marguerite de Parme la requête des confédérés contre les placards et l’inquisition. Cette démarche est le début d’une révolution. « Voilà mes beaux gueux, » dit le conseiller Berlaymont en voyant défiler le cortège des confédérés.
Gérard de GROESBEECK
Cette démarche s’adresse en premier lieu aux espagnols, qui contrôlent encore les Pays Bas, mais dans le Saint-Empire Germanique aussi la Contre-réforme suscite une résistance. A Liège le peuple cherche à profiter de la situation pour déstabiliser son prince évêque. Gérard de GROESBEECK devient en 1565 prince-évêque de Liège. La réforme trouvera en lui un adversaire redoutable.
C’est ainsi que nous retrouvons parmi les confédérés, à côté des comtes d’Egmont et de Homes, Louis de Nassau et le prince d’Orange, une grande figure d’une famille importante de la principauté, Guillaume de la Marck, seigneur de Lumey (Lummen). Comme par hasard, Guillaume est le cousin de Bréderode. Guillaume aurait rejoint le protestantisme, ensemble avec des dizaines de nobles de la principauté. En 1568, Seraing-le-Château, seigneurie des Lamarck, sera d’ailleurs assiégé par le prince-évêque Gérard de Groesbeeck, en lutte contre Guillaume de Lummen, devenu entre-temps chef des "gueux de mer".
La famille GROESBEECK était originaire de la région de Gueldre. Elle arrive à Liège en fuyant les partisans de Luther. Autant dire que ça sera la haine contre les hérétiques. Les armoiries de la famille GROESBEECK portent «d'argent à la fasce ondée de gueules ». Ces armoiries font penser à un fleuve de sang. En 1566 Louis de Nassau s’empare de Saint Trond à la tête de 700 confédérés. Devant cette menace, le prince-évêque exige les clefs de Liège. Il a peur que les édiles n’ouvrent les portes aux protestants. Les bourgmestres refusent. S’ensuit un très long procès devant la Chambre Impériale. C’est ce refus qui sera un demi-siècle plus tard au centre du conflit Chiroux- Grignoux: en 1628 la chambre impériale de Spire rend une décision favorable au prince-évêque. Cette décision mettra le feu aux poudres.
Après Saint Trond les iconoclastes s’emparent de Hasselt le 20 janvier 1567, sous la direction d’Herman Stuyker, de Zwoll. Ils sont aidés par le seigneur de Lumey.
Après Hasselt, les protestants s’emparent de Tongres et de Maestricht. Herman Stuycker se vante « de faire entendre le tonnerre de sa voix dans l'église de Saint-Lambert».
Pour le prince-évêque, il est temps de tuer la contagion dans l’œuf. En mars de l'année suivante il prend Hasselt. Il arrive à faire soutenir son action par les états liégeois unanimes. Un incident perturbe sa victoire : il se tire – littéralement - une balle dans le pied. En voulant tirer un coup de pistolet pour donner le signal des réjouissances, l'arme rata ; il la remit dans sa fonte. Mais comme il descendait de cheval, son mouvement fit partir le coup et il reçut, au genou gauche, une blessure qui le rendit estropié pour le reste de ses jours. La justice immanente divine ?
Maestricht, Maeseyck et Stockem reçoivent en punition une garnison espagnole. Un siècle plus tard, l’exemple inspire Louis XIV qui accablait les protestants de dragonnades. Les dragonnés devaient loger cavaliers et supporter eux-mêmes les frais de leur persécution. Et les troupes ne manquaient pas de se faire entretenir luxueusement. A la seule vue des troupes, les conversions se faisaient par milliers. « Les conversions ont été si générales et ont marché avec une si grande vitesse, que l’on n’en saurait assez remercier Dieu ».
C’est l’escalade. D’Albe se tourne contre les conciliateurs. Le 5 juin 1568 les comtes d’Egmont et de Hornes sont décapités à Bruxelles. Nous disons en paraphrasant De Coster : et le prince évêque hérita. Le comte de Horne était sans héritiers. Son comté fut réuni à l'église de Liège en 1568 comme fief tombé en caducité.
Guillaume d'Orange dit le Taciturne prend la tête de la révolte des Pays-Bas espagnols contre le roi d'Espagne Philippe II. Son parcours est un hologramme de l’époque. Il fût lieutenant-colonel dans l'armée de Charles Quint et un de ses favoris jusqu'à s'appuyer sur son épaule lors de son abdication en 1555. Guillaume se montre jusqu'à la mort de son épouse en 1558, un catholique fidèle à la couronne espagnole, membre de la cour de Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas Espagnols. Le 25 août 1561, Guillaume épouse la fille de l'électeur de Saxe du parti des protestants de l'Empire. En 1567, à l’arrivée du duc d'Albe, Guillaume d'Orange s'enfuit de Bruxelles sur les terres de son beau-père en Saxe, et conseille au comte d'Egmont et au comte de Hornes de le rejoindre. Mais ceux-ci restent et sont exécutés.
En Frislande son frère Louis de Nassau remporte d’abord le combat de Heiligerlee (1568), mais il est battu quelques mois plus tard par le duc d’Albe après la bataille de Jemmingen.
Guillaume d'Orange essaye de diminuer la pression sur son frère en lançant une attaque via la principauté. Probablement en espérant ainsi d’inciter les princes protestants allemands à l’appuyer, et en tablant sur un soutien des Liégeois. Mais il n’arrive pas à déloger les troupes espagnoles de Maestricht. Il occupe Tongres et Saint-Trond. Il demande aux bourgmestres la permission de traverser Liège avec son armée. Le 28 octobre 1568 il se présente devant l'enceinte de Sainte-Walburge. Il se trouvait dans les troupes du prince d’Orange un assez bon nombre de liégeois, avec entre autres Guillaume de la Marck. Ils lui firent croire qu'il lui serait facile de se procurer des intelligences dans la place; de plus, il pouvait exploiter le conflit, non encore apaisé, qui divisait l'évêque et les magistrats de la cité. L'évêque Groesbeeck s’arrange avec le duc d’Albe. Voici un extrait d’une lettre du 5 Novembre 1568 au duc :
« Monsieur, depuis ma dernière d’hier soir, l’ennemy, incontinent après mynuict, a faict semblant de livrer l’assault à ceste cité : mais, voyant les nostres bien en ordre et animez à luy faire résistence, semble que sur ce poinct il s’en va retirant, et ne sçavons encoir vers où il tient la teste. Et partant, j’envoye en diligence vers ma ville de Huy à advertir le colonnel de Montdragon de ce que dessus, si d’adventure l’ennemy se voulust retirer vers cest endroict-là, et ne fauldrons de luy envoyer, au besoing, ce que povons avoir icy de secours. Aussy tost qu’aurons quelque plus grand esclarcissement et asseurance vers où l’ennemy prétend de tirer, Vostre Excellence en sera advertye.
Au reste, l’ennemy a usé de son accoustumé à l’encontre des maisons de Dieu et monastères d’alentour de ceste cité, y ayant boutté le feu, et espéciallement en l’abbaye de Saint-Lorens et Saint-Gilles, dont j’espère que la justice divine ne tarde à luy en paier ce qu’il mérite.
Sur ce, monsieur, après mes humbles recommandations à la bonne grâce de Vostre Excellence, je prie le Créateur donner à icelle en santé longue et heureuse vie. De Liége, ce ve de novembre 1568, à six heures devant midy.
De Vostre Excellence l’entièrement à luy faire humble service,
GÉRARDT, évesque de Liége » (Correspondance de Guillaume le Taciturne, prince d’Orange, William, Louis -Prosper Gachard, 1851).
Mais Guillaume n’arrive pas à exploiter le conflit entre l'évêque et les magistrats : les états refusent le passage. Il brûle alors les alentours de Liège (les abbayes de Saint-Laurent, de Saint-Gilles et du Val Benoît, Sainte-Marguerite, Hocheporte et Sainte-Walburge).
De La Marck s’attaque à l’abbaye de Flône : « Et incontinent, Gluilbeaume de Lumaye de la Marche, gentilhomme du pays de Liège, avecque plusieurs gens de chevaulx, vint en la Hesbaingne entre Huy et Liège au rivaige de la rivier de Mouze auprès de l'abbaye de Flône, où il fist plusieurs insolences, et entre autres, voyant la navir marchant passer par là, le fist incontinent arriver à terre en demandant qu'on luy livrast les gens d'églises qui estoient dedens, et y print ung moine qu'il fit tirer à la queu de son cheval et le trainat tant qu'il fut mort ».
Quand des Franchimontois et les Condruziens arrivent sous les ordres de l’espagnol Christophe Mondagoné, Guillaume doit abandonner son projet de rallier Liège. Il continue seul à travers le Brabant en espérant faire sa jonction avec les huguenots français. Sur ce chemin, il perd le 19 octobre 2000 hommes sur le ruisseau de la Jaulche. Le renfort huguenot s’avère assez faible. Guillaume d’Orange se retire sur Strasbourg. Il n’a plus rien. Il devra attendre les Gueux de Mer pour relancer le conflit.
Après le départ du prince d’Orange on forma une enquête contre tous ceux qui dans Liège étaient soupçonnés d’avoir tenu le parti du prince d’Orange, et il y en eût un assez grand nombre qui furent condamnés à divers supplices ; les uns furent pendus ; les autres décapités d’autres furent condamnés au bannissement ou à la prison perpétuelle (Histoire du pays de Liège, Volume 2 Par Louis Dieudonné Joseph Dewez).
En 1569, malgré l'hostilité des Liégeois, Gérard de Groesbeek renouvelle avec Philippe II d'Espagne un traité d'alliance. Guillaume de la Marck est condamné au bannissement éternel et ses biens confisqués.
Les Gueux de Mer
Le 1er avril 1572 les Gueux de Mer dirigés par Guillaume de La Marck s’emparent de La Brielle, en Zélande. Au sud, Louis s’empare de Mons ; Albe est pris entre deux feux.
Voici comment le vit Uylenspiegel:
"Le vent soufflant du ponant, la mer se fâcha sous la glace et la souleva par blocs énormes, lesquels furent vus se dressant, retombant, s'entre-heurtant, passant les uns sur les autres non sans danger pour le navire qui, lorsque l'aube creva les nuages nocturnes, ouvrit ses ailes de lin comme un oiseau de liberté et vogua vers la mer libre. Là ils rejoignirent la flotte de messire Lumey de la Marche, amiral de Hollande et Zélande, et chef et capitaine général, et comme tel portant une lanterne au haut de son navire.
-- Regarde-le bien, mon fils, dit Ulenspiegel à Lamme, celui-ci ne t'épargnera point, si tu veux de force quitter le navire. Entends-tu sa voix éclater comme tonnerre ? Vois comme il est large et fort en sa haute stature ! Regarde ses longues mains aux ongles crochus ! Vois ses yeux ronds, yeux d'aigle et froids, et sa longue barbe pointue qu'il laissera croître jusqu'à ce qu'il ait pendu tous les moines et prêtres pour venger la mort des deux comtes ! Vois-le redoutable et cruel ; il te fera pendre haut et court, si tu continues de geindre et crier toujours : Ma femme !
-- Mon fils, répondit Lamme, tel parle de corde pour le prochain qui a déjà au col la fraise de chanvre.
-- Toi-même la porteras le premier. Tel est mon vœu amical, dit Ulenspiegel.
-- Je te verrai à la potence pousser, longue d'une toise hors du bec, ta langue venimeuse, répondit Lamme.
Et tous deux pensaient rire".
De nombreux Wallons ont rejoint les Gueux de Mer qui recevront les premières «Lettres de Marque » et se livreront à la « course » ou piraterie. Ainsi, certains commandés par le Bruxellois Louis de Boisot détruisent la flotte espagnole en 1574. Adrien de Bergues, Comte de Dolhain, sera le premier amiral des Gueux. Louis de Bergues, frère du premier est le premier à recevoir une lettre de course de Guillaume le Taciturne. Ghislain de Fiennes, Seigneur de Limbres, est amiral des gueux et diplomate. Le wallon Corneille Robold sera membre de l’état-major de Guillaume de la Marck. Jean Tseraerts, bruxellois de naissance, sera gueux de mer et écuyer du Prince d’Orange. Il y a encore le wallon Jehan d’Aumaille et le liégeois Gelein Bauwensz.
Louis de Nassau s’empare de St Trond. Devant cette menace, le prince-évêque écrit le 6 juillet 1572 au capitaine de Franchimont lui ordonnant de fortifier la place et de se munir de vivres. Et il prend en même temps des mesures contre son ‘ennemi intérieur’.
« En 1573, deux Anabaptistes sont découverts dans la ville. On les livre à la torture pour leur arracher les noms de leurs complices. Ils bravent tous les tourments sans déceler personne, et finissent par être décapités pour servir d’exemple. Huit Anabaptistes saisis à Hasselt, et d’autres encore arrêtés à Huy, font preuve de la même fermeté et subissent le même sort. » Histoire de la Réformation dans l’ancien pays de Liège, D. Lenoir, 1861
Nombreux furent les Wallons qui ont préféré s'exiler plutôt que de renoncer à leur foi. 100.000 personnes originaires de nos régions trouvent refuge en Angleterre et aux Pays-Bas. Des églises wallonnes sont créées à Middelbourg, Amsterdam, La Haye, Rotterdam, Arnhem, Breda, Groningen ou Utrecht.
Des Wallons prennent une part active à la fabrication des canons de fusil dans le Royaume-Uni et à une coutellerie renommée à Sheffield. Le Verviétois Jean Mariotte obtient en 1639 une concession pour l'extraction des minerais et la construction d'un haut fourneau dans une principauté protestante d'Allemagne. Il fait construire des usines à Weinähr, Vallerau, Stromberg, Rimbel, et Fachbach.
Van Groesbeeck perd peut être des dizaines de milliers de sujets. Mais il y en a un qui revient. En 1576, Lumey fut banni des Pays-Bas par le prince d’Orange, pour des excès gauchistes. Il doit regagner la principauté de Liège. Luc 15.7 : «il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui commence une vie nouvelle que pour quatre-vingt dix-neuf justes qui n'en n'ont pas besoin». Dans le ciel, peut être ; dans le cœur de l’évêque, pas si sûr : Guillaume de la Marck mourut le 1er mai 1578, dans son château de Mont-Saint-Martin. Selon certains de la rage ; selon d’autres il fût empoisonné. Cette même année Van Groesbeeck est élevé au cardinalat par le pape Grégoire XIII pour sa lutte contre la propagation de l'hérésie. Sa principauté s’est peut être dépeuplée ; mais elle est exempte de toute hérésie !
La « neutralité » de Groesbeeck : un leurre
Van Groesbeeck proclame la neutralité de la Principauté de Liège en 1577. Mais sa neutralité est à sens unique : il a réussi à faire refuser par ses états le passage du Taciturne ; mais dix ans plus tard, en 1579, il autorisera le passage par Liège de l’espagnol Alexandre Farnèse, en marche sur Maestricht. Et sa collaboration ne se limite pas à une autorisation de passage. « Pendant le siège de Maestrieht, comme le prince de Parme n'avoit du canon suffisant pour la batterie, l'évêque lui en prêta 20, entre lesquels il y en avoit 12 belles et grandes, nommées pour leur grandeur et beauté les Douze apôtres, lesquels on n'a jamais restitué, ains sont à présent par accident tombées es mains des Hollandois, placées en divers villes et places, l'ayant aussi assisté de toutes amonitions requises et de toutes sorte de vivres, avec 4,000 pionniers, ce qui avança fort ledit siège. Pendant lequel le prince de Parme était logé dans Visé, ce qui offensa fort ledit prince d'Orange, s'en réservant un jour sa vengeance, au contraire du duc de Parme qui remercia les Liégeois de l'assistance qu'ils luy avoient fait durant ce siège...
Les massacres du siège de Maestricht étaient tels que la contagion qui suivit gagna Liège: le dénuement du peuple dépassa toute mesure ».
Pourtant Maestricht ressortissait pour moitié à l'église de Liège. La « neutralité » de Groesbeeck est donc un leurre qui n’empêche nullement la principauté d’être ravagée pendant les années par les deux parties belligérantes, et plus particulièrement les espagnols. Les ravages de la guerre coïncidaient avec une petite glaciation qui a amené des hivers très rudes.
La révolte des Pays Bas va se prolonger pendant 80 ans, avec une Trêve entre 1609 et 1621. Mais entre-temps s’ouvre un nouveau front. A la mort de Gérard de Groesbeek, en 1581, Ernest de Bavière, fraîchement installe sur le trône de Saint Lambert, entraine Liège dans un conflit. Les allemands qualifient ce conflit à juste titre de guerre, la Truchsessische Krieg. Elle sévira pendant cinq longues années de 1583 à 1588. Ce conflit annonce la guerre de trente ans qui secouera l’Empire germanique à partir de 1618.
La ‘Truchsessische Krieg’ d’Ernest de Bavière
En prélude à cette guerre de Trente ans, Cologne et Liège sont entrainés dans un conflit que les allemands qualifient à juste titre de guerre, la Truchsessische Krieg, qui sévit cinq longues années de 1583 à 1588.
C’est l’époque où la Maison de Habsbourg se prépare à restaurer le pouvoir du camp catholique dans la foulée de la Contre Réforme. Les catholiques s’unissent en 1609, sous la direction de Maximilien de Bavière et sous la bannière de la Sainte Ligue (catholique). Les luthériens et calvinistes de l’Allemagne du Nord fondent la Ligue de l’Union Évangélique.
C’est dans ce cadre-là qu’à la mort de Gérard de Groesbeeck, la maison de Bavière installe Ernest sur le trône de Saint Lambert en 1581.
Ernest venait de mater, en qualité de commissaire impérial, les calvinistes d’Aix-la-Chapelle. C'est de là qu'il était venu se faire inaugurer à Liège. Lors de sa Joyeuse Entrée à Liège Ernest met des gants. Les bourgmestres lui présentèrent les clefs magistrales ; mais il eut soin de les leur remettre aussitôt : « Vous les avez toujours gardées, dit-il, et j'ose espérer que vous les garderez toujours loyalement ». Rappelons-nous le conflit de 1566 où le prince-évêque avait exigé les clefs de Liège, par peur que les édiles n’ouvrent les portes aux protestants. Le procès devant la Chambre impériale était toujours en cours. Sa politesse ne convainc pas : le procès des clefs fut même recommencé sur nouveaux frais.
Le parti catholique allemand avait un fameux problème à Cologne aussi. Voilà que Gebhard Truchsess est élu électeur à Cologne en 1577, en battant de deux voix Ernest de Bavière. Mauvais perdant, Ernest conteste l’élection, sans succès.
Quelques années plus tard, Ernest reprend courage. Gebhard Truchsess tombe éperdument amoureux de la belle chanoinesse Agnès.
En soi pas de quoi fouetter un chat : Ernest lui aussi a même fait un enfant chez Gertrud von Plettenberg. Ce fils bâtard Wilhelm II von Bayern deviendra même abbé de Stavelot.
Mais Agnès est calviniste et Gebhard Truchsess embrasse aussi la religion de sa dulcinée. C’est ici que ça se corse pour Gebhard. Tout en étant Calviniste, il n'en prétendait pas moins conserver son électorat. Mine de rien, il s’attaque à un gros morceau.
La "Paix d'Augsbourg" (1555) avait défini le principe : "cujus regio, ejus religio". On avait stipulée une exception concernant les principautés ecclésiastiques. Un évêque qui se convertissait au luthérianisme, ne pouvait contraindre ses sujets catholiques à se convertir (ou émigrer). La Paix prévoyait aussi que des évêques qui apostasieraient perdraient leurs dignités.
L’électeur de Cologne était un des sept électeurs pour l’Empire. Les protestants avaient trois électeurs. Si Cologne basculait dans le camp protestant avec Gebhard Truchsess, la majorité catholique serait foutue. Il ne resterait plus que trois catholiques sur les sept électeurs.
Liège devient alors pour la maison de Bavière le point d’appui pour contester le pouvoir de Gebhard Truchsess à Cologne. Ernest arrive, avec l’aide des Jésuites, à mobiliser le chapitre de Cologne contre l’apostat. Truchsess est excommunié et déposé. Le 23 mai 1583, Ernest est élu, à l'unanimité, archevêque et électeur de Cologne.
Mais Truchsess ne se donne pas battu. Il écrit à l’Archevêque de Canterbury: "Vraiment, l’Antichrist Romain met tout en oeuvre pour nous opprimer". Ernest s’empare fin 1583 de Godesberg, à quelques kilomètres de Bonn, capitale de Truchsess, et tue tous les défenseurs. Le Bavarois lève des troupes à Liège avec l’aide du commandant Herman de Linden. Les armées d’Ernest menacent ensuite Gebhard et Agnès dans leur forteresse d’Arensburg. Les deux tourterelles arrivent à s’échapper vers les Pays Bas avec 1000 chevaliers. En 1585, Munster, Paderborn, et Osnabrück tombent. Et pour le coup final Ernest fait appel à Alexander Farnese, Duc de Parme, qui s’empresse de venir à sa rescousse dans la mesure où, à partir de l’Electorat de Cologne, il peut attaquer les Provinces rebelles des Pays Bas.
En 1586, Claude de Berlaymont – celui de «Voilà mes beaux gueux» - assiège avec 4000 soldats Schenck et Werl. Cloedt – un des généraux de Truchsess – arrive à s’échapper et va se barricader à Neuss avec une garnison de 1600 hommes. Neuss était bien fortifié : un siècle plus tôt Charles le Téméraire s’était cassé les dents sur la ville. Mais en Juillet 1586 le Duc de Parma encercle la ville avec 10.000 hommes et 45 canons, Cloedt est blessé grièvement. Le Duc de Parme inclinait à honorer le commandant de la garnison par une mort de soldat par l’épée, mais Ernest demandait son exécution immédiate. L’homme mourant était pendu avec plusieurs de ses officiers. 4000 morts remplissaient les remparts.
Début 1588, les supporters de Gebhardt reconquéraient encore Bonn. Mais au printemps 1588, Gebhard était à bout et abandonnait la lutte.
Gebhard Truchsess alla mourir oublié en Hollande, le 21 mai 1601. C'est à ce moment que les Hollandais résolurent de s'emparer par surprise de la citadelle de Huy. L'évêque, enfin de retour d'Allemagne, envoya aussitôt des milices au secours de la ville. Cela s’avérant insuffisant, les Espagnols intervinrent mais veulent garder leur conquête. Ernest ne put recouvrer Huy qu'à des conditions onéreuses. Un édit dépouilla les Hutois de leurs privilèges, sous le prétexte qu'ils s'étaient livrés trop facilement aux soldats des Provinces-Unies. Huy renfermait effectivement beaucoup de protestants. Immédiatement après la reddition, cent deux personnes furent condamnées comme suspectes d'hérésie.
Ernest fait tout pour extirper la Réforme de ses diocèses. Un édit 1582 oblige les hérétiques à émigrer. C’est ainsi que l’armurier Louis de Geer se retrouve munitionnaire de la Cour de Suède, qui soutient les protestants. Les canons espagnols seront approvisionnés par le munitionnaire liégeois Curtius.
Louis de Geer contre Curtius
En 1582 un édit d’Ernest accorde un délai aux protestants pour s’expatrier. C’est ainsi que l’armurier Louis de Geer se retrouve d’abord à La Rochelle, place libre des protestants suite à l’Edit de Nantes, et ensuite à Amsterdam. Il s’établit en Suède et y exploite des forges, en faisant venir des wallons exilés aux Pays-Bas pour des raisons religieuses. Entre 1620 et 1640, cinq mille artisans qualifiés sont recrutés en Wallonie, en France et en Lorraine, avec bureau de recrutement et contrats de travail. Ce mouvement migratoire prend tellement d’ampleur qu’en 1625, le gouverneur général des Pays-Bas catholiques doit interdire l’expatriation à l’encontre des ferronniers et forgerons namurois.
Le roi Gustave II Adolphe de Suède jouera un rôle clef dans la guerre de trente ans, du côté des protestants. De Geer deviendra successivement le munitionnaire de la Cour de Suède, commissaire général pour les fournitures de la marine et des armées, et banquier de l’État pour les besoins de guerre. Il loue une flotte entière. GUSTAVE-ADOLPHE, roi de Suède, dispose d'une armée moderne, formée surtout de conscrits luthériens, basée sur une artillerie redoutable. Les canons de fer fabriqués par de Geer tireront ainsi contre les canons espagnols approvisionnés par Jean De Corte dit Curtius qui aura le monopole de la fourniture de poudre pour les armées espagnoles.
La Ville de Durbuy a une salle Mathieu de Geer à Barvaux. En 2000 on y célébrait le jumelage avec la commune suédoise d’Östhammar.
Des procès pour sorcellerie à Stavelot
La lutte contre l’hérésie se mélange parfois avec la lutte contre la sorcellerie. En 1595, un moine de Stavelot, Jean Delvaux, fut accusé du crime de sorcellerie. L'historien Chapeauville, qui fut un des juges dans le procès, en fait le récit détaillé (CHAPEAUVILLE, t. III, § 593 à 605). Jean Delvaux est mis à la torture. Il accuse cinq cents complices de sorcellerie. Le Prince Evêque députa Chapeauville pour interroger de nouveau le sorcier et rédiger ses aveux en forme authentique. Les enquêtes concernent de vieilles femmes, mais aussi des hommes distingués, tels que le mayeur Kaimerlinck, des échevins, des curés, des religieux. Le 2 avril 1597, Jean Chapeauville prononça la sentence de dégradation et de remise au bras séculier de Delvaux. Le sorcier fut mis à mort par le glaive et non par le feu, parce qu'il se repentait de ses fautes et implorait la miséricorde de Dieu.
Son successeur Fernand persiste et signe. Une ordonnance de Fernand de Bavière de 1607 sur les procès de sorcellerie renforçait la Constitutio Criminalis Carolina et facilitait l’utilisation de la torture. Sous son règne la région de Westphalie de l’électorat de Cologne tient la palme des procès pour sorcellerie en Allemagne. Pratiquement tous les procès se terminaient par un arrêt de mort.
Dans ces conditions, un impôt sur les cheminées et sur les vins et cervoises mène à une violente émeute à Liège, en 1603. Le Prince doit faire profil bas. Il donne, le 14 avril 1603, un nouveau règlement à la cité. Un système électoral alambiqué reconnaissait aux métiers le pouvoir de nommer les édiles communaux. Il constituait une victoire inespérée pour le parti démocratique. Son successeur Ferdinand se hâtera de remettre ce règlement en question. L’occasion lui est fournie par la trêve conclue entre les Pays Bas et les Espagnols, entre 1609 et 1621. En 1613 Ferdinand de Bavière supprime le règlement de 1603. Il trouvera sur son chemin les Grignoux.
Le leader des Grignoux La Ruelle est élu bourgmestre en 1630. Le prince évêque, soutenu par les Chiroux, refuse le résultat de ces élections. La lutte entre Chiroux et Grignoux aboutit à l’assassinat de La Ruelle en 1637. Ce conflit est pour Liège l’aboutissement d’une lutte entre Réforme et Contreréforme qui a commencé presqu’un siècle plus tôt, en 1563, avec le concile de Trente.
Le 25 septembre 1555, la paix d'Augsbourg consacre la division religieuse de l'Allemagne entre catholiques et luthériens. Fatigué par ce conflit, Charles Quint partage en 1558 son empire entre les deux branches de la dynastie des Habsbourg. Son frère Ferdinand reçoit l’Empire germanique, Philippe reçoit l’Espagne et les Pays Bas. Tous les deux vont s’atteler à la contreréforme.
Le 4 décembre 1563, après 18 ans de travaux, 220 prélats signent l'acte final du concile de Trente. Le cardinal de Lorraine s'exclame : « anathème à tous les hérétiques ! », repris par les Pères : « anathème, anathème ! ». C’est le signal de départ de la Contreréforme.
1566 l'«Année des Merveilles» des iconoclastes ou «sectaires »
Philippe II garde les 17 provinces, mais il a de plus en plus difficile d’en assurer le contrôle. Août 1566: une chapelle est mise à sac par les iconoclastes à Steenvoorde; les «sectaires», terme qui désigne alors les protestants, de plus en plus nombreux, dévastent près de 400 églises en quelques jours. C'est l'iconoclasme de l'«Année des Merveilles» (1566).
On le présente souvent comme un conflit religieux. En fait c’est plutôt un combat contre une des bases sociales du pouvoir féodal. Quand les iconoclastes cassent les statues des saints, ils veulent casser aussi cette caste oisive qui s’accapare 30% du PNB pour orner ses églises.
Au départ, ce conflit ne se limite pas à la Hollande. Il concerne les 17 provinces. Et nous verrons que la principauté de Liège est plus qu’impliqué. Ne fût-ce parce que Ferdinand et Philippe se concertent dans ce combat qui ronge la base de leur pouvoir.
En 1559 Philippe II laisse sa tante, Marguerite de Parme, gouverner les Pays-Bas. En aout et septembre 1560 les protestants s'assemblent en grand nombre autour de Tournai. Ils se réunissent la nuit tombante, dans les bois, ils font la prêche et chantent des psaumes ce qui leur vaudra le surnom de "hurleurs" (Hurlus). Le mouvement iconoclaste gagne rapidement Anvers, Armentières, Ypres, Gand, la Frise, Tournai, Utrecht, Bois-le-Duc et Maastricht. Valenciennes se donne un régime théocratique de type genevois. Philippe II envoie le duc d’Albe qui institue le Conseil des Troubles.
En juillet 1565, la noblesse belge se réunit à Spa – dans la principauté - sous prétexte d’y prendre les eaux. C’est dans l’hôtel « Aux Armes d’Angleterre» qu’elle se mettra d’accord en vue de s’opposer aux édits de Philippe II; c’est le « compromis des nobles ». Le choix de la localité est inspiré par la relative tolérance de la principauté ; mais en même temps il montre la présence d’une certaine sympathie pour la cause des protestants dans la principauté.
Le 3 avril 1566, à la tête de deux cents gentilshommes, Bréderode, le boutefeu, le Danton de la révolution des Pays-Bas, entra dans Bruxelles en équipage de guerre. Le surlendemain, il présenta solennellement à Marguerite de Parme la requête des confédérés contre les placards et l’inquisition. Cette démarche est le début d’une révolution. « Voilà mes beaux gueux, » dit le conseiller Berlaymont en voyant défiler le cortège des confédérés.
Gérard de GROESBEECK
Cette démarche s’adresse en premier lieu aux espagnols, qui contrôlent encore les Pays Bas, mais dans le Saint-Empire Germanique aussi la Contre-réforme suscite une résistance. A Liège le peuple cherche à profiter de la situation pour déstabiliser son prince évêque. Gérard de GROESBEECK devient en 1565 prince-évêque de Liège. La réforme trouvera en lui un adversaire redoutable.
C’est ainsi que nous retrouvons parmi les confédérés, à côté des comtes d’Egmont et de Homes, Louis de Nassau et le prince d’Orange, une grande figure d’une famille importante de la principauté, Guillaume de la Marck, seigneur de Lumey (Lummen). Comme par hasard, Guillaume est le cousin de Bréderode. Guillaume aurait rejoint le protestantisme, ensemble avec des dizaines de nobles de la principauté. En 1568, Seraing-le-Château, seigneurie des Lamarck, sera d’ailleurs assiégé par le prince-évêque Gérard de Groesbeeck, en lutte contre Guillaume de Lummen, devenu entre-temps chef des "gueux de mer".
La famille GROESBEECK était originaire de la région de Gueldre. Elle arrive à Liège en fuyant les partisans de Luther. Autant dire que ça sera la haine contre les hérétiques. Les armoiries de la famille GROESBEECK portent «d'argent à la fasce ondée de gueules ». Ces armoiries font penser à un fleuve de sang. En 1566 Louis de Nassau s’empare de Saint Trond à la tête de 700 confédérés. Devant cette menace, le prince-évêque exige les clefs de Liège. Il a peur que les édiles n’ouvrent les portes aux protestants. Les bourgmestres refusent. S’ensuit un très long procès devant la Chambre Impériale. C’est ce refus qui sera un demi-siècle plus tard au centre du conflit Chiroux- Grignoux: en 1628 la chambre impériale de Spire rend une décision favorable au prince-évêque. Cette décision mettra le feu aux poudres.
Après Saint Trond les iconoclastes s’emparent de Hasselt le 20 janvier 1567, sous la direction d’Herman Stuyker, de Zwoll. Ils sont aidés par le seigneur de Lumey.
Après Hasselt, les protestants s’emparent de Tongres et de Maestricht. Herman Stuycker se vante « de faire entendre le tonnerre de sa voix dans l'église de Saint-Lambert».
Pour le prince-évêque, il est temps de tuer la contagion dans l’œuf. En mars de l'année suivante il prend Hasselt. Il arrive à faire soutenir son action par les états liégeois unanimes. Un incident perturbe sa victoire : il se tire – littéralement - une balle dans le pied. En voulant tirer un coup de pistolet pour donner le signal des réjouissances, l'arme rata ; il la remit dans sa fonte. Mais comme il descendait de cheval, son mouvement fit partir le coup et il reçut, au genou gauche, une blessure qui le rendit estropié pour le reste de ses jours. La justice immanente divine ?
Maestricht, Maeseyck et Stockem reçoivent en punition une garnison espagnole. Un siècle plus tard, l’exemple inspire Louis XIV qui accablait les protestants de dragonnades. Les dragonnés devaient loger cavaliers et supporter eux-mêmes les frais de leur persécution. Et les troupes ne manquaient pas de se faire entretenir luxueusement. A la seule vue des troupes, les conversions se faisaient par milliers. « Les conversions ont été si générales et ont marché avec une si grande vitesse, que l’on n’en saurait assez remercier Dieu ».
C’est l’escalade. D’Albe se tourne contre les conciliateurs. Le 5 juin 1568 les comtes d’Egmont et de Hornes sont décapités à Bruxelles. Nous disons en paraphrasant De Coster : et le prince évêque hérita. Le comte de Horne était sans héritiers. Son comté fut réuni à l'église de Liège en 1568 comme fief tombé en caducité.
Guillaume d'Orange dit le Taciturne prend la tête de la révolte des Pays-Bas espagnols contre le roi d'Espagne Philippe II. Son parcours est un hologramme de l’époque. Il fût lieutenant-colonel dans l'armée de Charles Quint et un de ses favoris jusqu'à s'appuyer sur son épaule lors de son abdication en 1555. Guillaume se montre jusqu'à la mort de son épouse en 1558, un catholique fidèle à la couronne espagnole, membre de la cour de Marguerite de Parme, gouvernante des Pays-Bas Espagnols. Le 25 août 1561, Guillaume épouse la fille de l'électeur de Saxe du parti des protestants de l'Empire. En 1567, à l’arrivée du duc d'Albe, Guillaume d'Orange s'enfuit de Bruxelles sur les terres de son beau-père en Saxe, et conseille au comte d'Egmont et au comte de Hornes de le rejoindre. Mais ceux-ci restent et sont exécutés.
En Frislande son frère Louis de Nassau remporte d’abord le combat de Heiligerlee (1568), mais il est battu quelques mois plus tard par le duc d’Albe après la bataille de Jemmingen.
Guillaume d'Orange essaye de diminuer la pression sur son frère en lançant une attaque via la principauté. Probablement en espérant ainsi d’inciter les princes protestants allemands à l’appuyer, et en tablant sur un soutien des Liégeois. Mais il n’arrive pas à déloger les troupes espagnoles de Maestricht. Il occupe Tongres et Saint-Trond. Il demande aux bourgmestres la permission de traverser Liège avec son armée. Le 28 octobre 1568 il se présente devant l'enceinte de Sainte-Walburge. Il se trouvait dans les troupes du prince d’Orange un assez bon nombre de liégeois, avec entre autres Guillaume de la Marck. Ils lui firent croire qu'il lui serait facile de se procurer des intelligences dans la place; de plus, il pouvait exploiter le conflit, non encore apaisé, qui divisait l'évêque et les magistrats de la cité. L'évêque Groesbeeck s’arrange avec le duc d’Albe. Voici un extrait d’une lettre du 5 Novembre 1568 au duc :
« Monsieur, depuis ma dernière d’hier soir, l’ennemy, incontinent après mynuict, a faict semblant de livrer l’assault à ceste cité : mais, voyant les nostres bien en ordre et animez à luy faire résistence, semble que sur ce poinct il s’en va retirant, et ne sçavons encoir vers où il tient la teste. Et partant, j’envoye en diligence vers ma ville de Huy à advertir le colonnel de Montdragon de ce que dessus, si d’adventure l’ennemy se voulust retirer vers cest endroict-là, et ne fauldrons de luy envoyer, au besoing, ce que povons avoir icy de secours. Aussy tost qu’aurons quelque plus grand esclarcissement et asseurance vers où l’ennemy prétend de tirer, Vostre Excellence en sera advertye.
Au reste, l’ennemy a usé de son accoustumé à l’encontre des maisons de Dieu et monastères d’alentour de ceste cité, y ayant boutté le feu, et espéciallement en l’abbaye de Saint-Lorens et Saint-Gilles, dont j’espère que la justice divine ne tarde à luy en paier ce qu’il mérite.
Sur ce, monsieur, après mes humbles recommandations à la bonne grâce de Vostre Excellence, je prie le Créateur donner à icelle en santé longue et heureuse vie. De Liége, ce ve de novembre 1568, à six heures devant midy.
De Vostre Excellence l’entièrement à luy faire humble service,
GÉRARDT, évesque de Liége » (Correspondance de Guillaume le Taciturne, prince d’Orange, William, Louis -Prosper Gachard, 1851).
Mais Guillaume n’arrive pas à exploiter le conflit entre l'évêque et les magistrats : les états refusent le passage. Il brûle alors les alentours de Liège (les abbayes de Saint-Laurent, de Saint-Gilles et du Val Benoît, Sainte-Marguerite, Hocheporte et Sainte-Walburge).
De La Marck s’attaque à l’abbaye de Flône : « Et incontinent, Gluilbeaume de Lumaye de la Marche, gentilhomme du pays de Liège, avecque plusieurs gens de chevaulx, vint en la Hesbaingne entre Huy et Liège au rivaige de la rivier de Mouze auprès de l'abbaye de Flône, où il fist plusieurs insolences, et entre autres, voyant la navir marchant passer par là, le fist incontinent arriver à terre en demandant qu'on luy livrast les gens d'églises qui estoient dedens, et y print ung moine qu'il fit tirer à la queu de son cheval et le trainat tant qu'il fut mort ».
Quand des Franchimontois et les Condruziens arrivent sous les ordres de l’espagnol Christophe Mondagoné, Guillaume doit abandonner son projet de rallier Liège. Il continue seul à travers le Brabant en espérant faire sa jonction avec les huguenots français. Sur ce chemin, il perd le 19 octobre 2000 hommes sur le ruisseau de la Jaulche. Le renfort huguenot s’avère assez faible. Guillaume d’Orange se retire sur Strasbourg. Il n’a plus rien. Il devra attendre les Gueux de Mer pour relancer le conflit.
Après le départ du prince d’Orange on forma une enquête contre tous ceux qui dans Liège étaient soupçonnés d’avoir tenu le parti du prince d’Orange, et il y en eût un assez grand nombre qui furent condamnés à divers supplices ; les uns furent pendus ; les autres décapités d’autres furent condamnés au bannissement ou à la prison perpétuelle (Histoire du pays de Liège, Volume 2 Par Louis Dieudonné Joseph Dewez).
En 1569, malgré l'hostilité des Liégeois, Gérard de Groesbeek renouvelle avec Philippe II d'Espagne un traité d'alliance. Guillaume de la Marck est condamné au bannissement éternel et ses biens confisqués.
Les Gueux de Mer
Le 1er avril 1572 les Gueux de Mer dirigés par Guillaume de La Marck s’emparent de La Brielle, en Zélande. Au sud, Louis s’empare de Mons ; Albe est pris entre deux feux.
Voici comment le vit Uylenspiegel:
"Le vent soufflant du ponant, la mer se fâcha sous la glace et la souleva par blocs énormes, lesquels furent vus se dressant, retombant, s'entre-heurtant, passant les uns sur les autres non sans danger pour le navire qui, lorsque l'aube creva les nuages nocturnes, ouvrit ses ailes de lin comme un oiseau de liberté et vogua vers la mer libre. Là ils rejoignirent la flotte de messire Lumey de la Marche, amiral de Hollande et Zélande, et chef et capitaine général, et comme tel portant une lanterne au haut de son navire.
-- Regarde-le bien, mon fils, dit Ulenspiegel à Lamme, celui-ci ne t'épargnera point, si tu veux de force quitter le navire. Entends-tu sa voix éclater comme tonnerre ? Vois comme il est large et fort en sa haute stature ! Regarde ses longues mains aux ongles crochus ! Vois ses yeux ronds, yeux d'aigle et froids, et sa longue barbe pointue qu'il laissera croître jusqu'à ce qu'il ait pendu tous les moines et prêtres pour venger la mort des deux comtes ! Vois-le redoutable et cruel ; il te fera pendre haut et court, si tu continues de geindre et crier toujours : Ma femme !
-- Mon fils, répondit Lamme, tel parle de corde pour le prochain qui a déjà au col la fraise de chanvre.
-- Toi-même la porteras le premier. Tel est mon vœu amical, dit Ulenspiegel.
-- Je te verrai à la potence pousser, longue d'une toise hors du bec, ta langue venimeuse, répondit Lamme.
Et tous deux pensaient rire".
De nombreux Wallons ont rejoint les Gueux de Mer qui recevront les premières «Lettres de Marque » et se livreront à la « course » ou piraterie. Ainsi, certains commandés par le Bruxellois Louis de Boisot détruisent la flotte espagnole en 1574. Adrien de Bergues, Comte de Dolhain, sera le premier amiral des Gueux. Louis de Bergues, frère du premier est le premier à recevoir une lettre de course de Guillaume le Taciturne. Ghislain de Fiennes, Seigneur de Limbres, est amiral des gueux et diplomate. Le wallon Corneille Robold sera membre de l’état-major de Guillaume de la Marck. Jean Tseraerts, bruxellois de naissance, sera gueux de mer et écuyer du Prince d’Orange. Il y a encore le wallon Jehan d’Aumaille et le liégeois Gelein Bauwensz.
Louis de Nassau s’empare de St Trond. Devant cette menace, le prince-évêque écrit le 6 juillet 1572 au capitaine de Franchimont lui ordonnant de fortifier la place et de se munir de vivres. Et il prend en même temps des mesures contre son ‘ennemi intérieur’.
« En 1573, deux Anabaptistes sont découverts dans la ville. On les livre à la torture pour leur arracher les noms de leurs complices. Ils bravent tous les tourments sans déceler personne, et finissent par être décapités pour servir d’exemple. Huit Anabaptistes saisis à Hasselt, et d’autres encore arrêtés à Huy, font preuve de la même fermeté et subissent le même sort. » Histoire de la Réformation dans l’ancien pays de Liège, D. Lenoir, 1861
Nombreux furent les Wallons qui ont préféré s'exiler plutôt que de renoncer à leur foi. 100.000 personnes originaires de nos régions trouvent refuge en Angleterre et aux Pays-Bas. Des églises wallonnes sont créées à Middelbourg, Amsterdam, La Haye, Rotterdam, Arnhem, Breda, Groningen ou Utrecht.
Des Wallons prennent une part active à la fabrication des canons de fusil dans le Royaume-Uni et à une coutellerie renommée à Sheffield. Le Verviétois Jean Mariotte obtient en 1639 une concession pour l'extraction des minerais et la construction d'un haut fourneau dans une principauté protestante d'Allemagne. Il fait construire des usines à Weinähr, Vallerau, Stromberg, Rimbel, et Fachbach.
Van Groesbeeck perd peut être des dizaines de milliers de sujets. Mais il y en a un qui revient. En 1576, Lumey fut banni des Pays-Bas par le prince d’Orange, pour des excès gauchistes. Il doit regagner la principauté de Liège. Luc 15.7 : «il y aura plus de joie dans le ciel pour un seul pécheur qui commence une vie nouvelle que pour quatre-vingt dix-neuf justes qui n'en n'ont pas besoin». Dans le ciel, peut être ; dans le cœur de l’évêque, pas si sûr : Guillaume de la Marck mourut le 1er mai 1578, dans son château de Mont-Saint-Martin. Selon certains de la rage ; selon d’autres il fût empoisonné. Cette même année Van Groesbeeck est élevé au cardinalat par le pape Grégoire XIII pour sa lutte contre la propagation de l'hérésie. Sa principauté s’est peut être dépeuplée ; mais elle est exempte de toute hérésie !
La « neutralité » de Groesbeeck : un leurre
Van Groesbeeck proclame la neutralité de la Principauté de Liège en 1577. Mais sa neutralité est à sens unique : il a réussi à faire refuser par ses états le passage du Taciturne ; mais dix ans plus tard, en 1579, il autorisera le passage par Liège de l’espagnol Alexandre Farnèse, en marche sur Maestricht. Et sa collaboration ne se limite pas à une autorisation de passage. « Pendant le siège de Maestrieht, comme le prince de Parme n'avoit du canon suffisant pour la batterie, l'évêque lui en prêta 20, entre lesquels il y en avoit 12 belles et grandes, nommées pour leur grandeur et beauté les Douze apôtres, lesquels on n'a jamais restitué, ains sont à présent par accident tombées es mains des Hollandois, placées en divers villes et places, l'ayant aussi assisté de toutes amonitions requises et de toutes sorte de vivres, avec 4,000 pionniers, ce qui avança fort ledit siège. Pendant lequel le prince de Parme était logé dans Visé, ce qui offensa fort ledit prince d'Orange, s'en réservant un jour sa vengeance, au contraire du duc de Parme qui remercia les Liégeois de l'assistance qu'ils luy avoient fait durant ce siège...
Les massacres du siège de Maestricht étaient tels que la contagion qui suivit gagna Liège: le dénuement du peuple dépassa toute mesure ».
Pourtant Maestricht ressortissait pour moitié à l'église de Liège. La « neutralité » de Groesbeeck est donc un leurre qui n’empêche nullement la principauté d’être ravagée pendant les années par les deux parties belligérantes, et plus particulièrement les espagnols. Les ravages de la guerre coïncidaient avec une petite glaciation qui a amené des hivers très rudes.
La révolte des Pays Bas va se prolonger pendant 80 ans, avec une Trêve entre 1609 et 1621. Mais entre-temps s’ouvre un nouveau front. A la mort de Gérard de Groesbeek, en 1581, Ernest de Bavière, fraîchement installe sur le trône de Saint Lambert, entraine Liège dans un conflit. Les allemands qualifient ce conflit à juste titre de guerre, la Truchsessische Krieg. Elle sévira pendant cinq longues années de 1583 à 1588. Ce conflit annonce la guerre de trente ans qui secouera l’Empire germanique à partir de 1618.
La ‘Truchsessische Krieg’ d’Ernest de Bavière
En prélude à cette guerre de Trente ans, Cologne et Liège sont entrainés dans un conflit que les allemands qualifient à juste titre de guerre, la Truchsessische Krieg, qui sévit cinq longues années de 1583 à 1588.
C’est l’époque où la Maison de Habsbourg se prépare à restaurer le pouvoir du camp catholique dans la foulée de la Contre Réforme. Les catholiques s’unissent en 1609, sous la direction de Maximilien de Bavière et sous la bannière de la Sainte Ligue (catholique). Les luthériens et calvinistes de l’Allemagne du Nord fondent la Ligue de l’Union Évangélique.
C’est dans ce cadre-là qu’à la mort de Gérard de Groesbeeck, la maison de Bavière installe Ernest sur le trône de Saint Lambert en 1581.
Ernest venait de mater, en qualité de commissaire impérial, les calvinistes d’Aix-la-Chapelle. C'est de là qu'il était venu se faire inaugurer à Liège. Lors de sa Joyeuse Entrée à Liège Ernest met des gants. Les bourgmestres lui présentèrent les clefs magistrales ; mais il eut soin de les leur remettre aussitôt : « Vous les avez toujours gardées, dit-il, et j'ose espérer que vous les garderez toujours loyalement ». Rappelons-nous le conflit de 1566 où le prince-évêque avait exigé les clefs de Liège, par peur que les édiles n’ouvrent les portes aux protestants. Le procès devant la Chambre impériale était toujours en cours. Sa politesse ne convainc pas : le procès des clefs fut même recommencé sur nouveaux frais.
Le parti catholique allemand avait un fameux problème à Cologne aussi. Voilà que Gebhard Truchsess est élu électeur à Cologne en 1577, en battant de deux voix Ernest de Bavière. Mauvais perdant, Ernest conteste l’élection, sans succès.
Quelques années plus tard, Ernest reprend courage. Gebhard Truchsess tombe éperdument amoureux de la belle chanoinesse Agnès.
En soi pas de quoi fouetter un chat : Ernest lui aussi a même fait un enfant chez Gertrud von Plettenberg. Ce fils bâtard Wilhelm II von Bayern deviendra même abbé de Stavelot.
Mais Agnès est calviniste et Gebhard Truchsess embrasse aussi la religion de sa dulcinée. C’est ici que ça se corse pour Gebhard. Tout en étant Calviniste, il n'en prétendait pas moins conserver son électorat. Mine de rien, il s’attaque à un gros morceau.
La "Paix d'Augsbourg" (1555) avait défini le principe : "cujus regio, ejus religio". On avait stipulée une exception concernant les principautés ecclésiastiques. Un évêque qui se convertissait au luthérianisme, ne pouvait contraindre ses sujets catholiques à se convertir (ou émigrer). La Paix prévoyait aussi que des évêques qui apostasieraient perdraient leurs dignités.
L’électeur de Cologne était un des sept électeurs pour l’Empire. Les protestants avaient trois électeurs. Si Cologne basculait dans le camp protestant avec Gebhard Truchsess, la majorité catholique serait foutue. Il ne resterait plus que trois catholiques sur les sept électeurs.
Liège devient alors pour la maison de Bavière le point d’appui pour contester le pouvoir de Gebhard Truchsess à Cologne. Ernest arrive, avec l’aide des Jésuites, à mobiliser le chapitre de Cologne contre l’apostat. Truchsess est excommunié et déposé. Le 23 mai 1583, Ernest est élu, à l'unanimité, archevêque et électeur de Cologne.
Mais Truchsess ne se donne pas battu. Il écrit à l’Archevêque de Canterbury: "Vraiment, l’Antichrist Romain met tout en oeuvre pour nous opprimer". Ernest s’empare fin 1583 de Godesberg, à quelques kilomètres de Bonn, capitale de Truchsess, et tue tous les défenseurs. Le Bavarois lève des troupes à Liège avec l’aide du commandant Herman de Linden. Les armées d’Ernest menacent ensuite Gebhard et Agnès dans leur forteresse d’Arensburg. Les deux tourterelles arrivent à s’échapper vers les Pays Bas avec 1000 chevaliers. En 1585, Munster, Paderborn, et Osnabrück tombent. Et pour le coup final Ernest fait appel à Alexander Farnese, Duc de Parme, qui s’empresse de venir à sa rescousse dans la mesure où, à partir de l’Electorat de Cologne, il peut attaquer les Provinces rebelles des Pays Bas.
En 1586, Claude de Berlaymont – celui de «Voilà mes beaux gueux» - assiège avec 4000 soldats Schenck et Werl. Cloedt – un des généraux de Truchsess – arrive à s’échapper et va se barricader à Neuss avec une garnison de 1600 hommes. Neuss était bien fortifié : un siècle plus tôt Charles le Téméraire s’était cassé les dents sur la ville. Mais en Juillet 1586 le Duc de Parma encercle la ville avec 10.000 hommes et 45 canons, Cloedt est blessé grièvement. Le Duc de Parme inclinait à honorer le commandant de la garnison par une mort de soldat par l’épée, mais Ernest demandait son exécution immédiate. L’homme mourant était pendu avec plusieurs de ses officiers. 4000 morts remplissaient les remparts.
Début 1588, les supporters de Gebhardt reconquéraient encore Bonn. Mais au printemps 1588, Gebhard était à bout et abandonnait la lutte.
Gebhard Truchsess alla mourir oublié en Hollande, le 21 mai 1601. C'est à ce moment que les Hollandais résolurent de s'emparer par surprise de la citadelle de Huy. L'évêque, enfin de retour d'Allemagne, envoya aussitôt des milices au secours de la ville. Cela s’avérant insuffisant, les Espagnols intervinrent mais veulent garder leur conquête. Ernest ne put recouvrer Huy qu'à des conditions onéreuses. Un édit dépouilla les Hutois de leurs privilèges, sous le prétexte qu'ils s'étaient livrés trop facilement aux soldats des Provinces-Unies. Huy renfermait effectivement beaucoup de protestants. Immédiatement après la reddition, cent deux personnes furent condamnées comme suspectes d'hérésie.
Ernest fait tout pour extirper la Réforme de ses diocèses. Un édit 1582 oblige les hérétiques à émigrer. C’est ainsi que l’armurier Louis de Geer se retrouve munitionnaire de la Cour de Suède, qui soutient les protestants. Les canons espagnols seront approvisionnés par le munitionnaire liégeois Curtius.
Louis de Geer contre Curtius
En 1582 un édit d’Ernest accorde un délai aux protestants pour s’expatrier. C’est ainsi que l’armurier Louis de Geer se retrouve d’abord à La Rochelle, place libre des protestants suite à l’Edit de Nantes, et ensuite à Amsterdam. Il s’établit en Suède et y exploite des forges, en faisant venir des wallons exilés aux Pays-Bas pour des raisons religieuses. Entre 1620 et 1640, cinq mille artisans qualifiés sont recrutés en Wallonie, en France et en Lorraine, avec bureau de recrutement et contrats de travail. Ce mouvement migratoire prend tellement d’ampleur qu’en 1625, le gouverneur général des Pays-Bas catholiques doit interdire l’expatriation à l’encontre des ferronniers et forgerons namurois.
Le roi Gustave II Adolphe de Suède jouera un rôle clef dans la guerre de trente ans, du côté des protestants. De Geer deviendra successivement le munitionnaire de la Cour de Suède, commissaire général pour les fournitures de la marine et des armées, et banquier de l’État pour les besoins de guerre. Il loue une flotte entière. GUSTAVE-ADOLPHE, roi de Suède, dispose d'une armée moderne, formée surtout de conscrits luthériens, basée sur une artillerie redoutable. Les canons de fer fabriqués par de Geer tireront ainsi contre les canons espagnols approvisionnés par Jean De Corte dit Curtius qui aura le monopole de la fourniture de poudre pour les armées espagnoles.
La Ville de Durbuy a une salle Mathieu de Geer à Barvaux. En 2000 on y célébrait le jumelage avec la commune suédoise d’Östhammar.
Des procès pour sorcellerie à Stavelot
La lutte contre l’hérésie se mélange parfois avec la lutte contre la sorcellerie. En 1595, un moine de Stavelot, Jean Delvaux, fut accusé du crime de sorcellerie. L'historien Chapeauville, qui fut un des juges dans le procès, en fait le récit détaillé (CHAPEAUVILLE, t. III, § 593 à 605). Jean Delvaux est mis à la torture. Il accuse cinq cents complices de sorcellerie. Le Prince Evêque députa Chapeauville pour interroger de nouveau le sorcier et rédiger ses aveux en forme authentique. Les enquêtes concernent de vieilles femmes, mais aussi des hommes distingués, tels que le mayeur Kaimerlinck, des échevins, des curés, des religieux. Le 2 avril 1597, Jean Chapeauville prononça la sentence de dégradation et de remise au bras séculier de Delvaux. Le sorcier fut mis à mort par le glaive et non par le feu, parce qu'il se repentait de ses fautes et implorait la miséricorde de Dieu.
Son successeur Fernand persiste et signe. Une ordonnance de Fernand de Bavière de 1607 sur les procès de sorcellerie renforçait la Constitutio Criminalis Carolina et facilitait l’utilisation de la torture. Sous son règne la région de Westphalie de l’électorat de Cologne tient la palme des procès pour sorcellerie en Allemagne. Pratiquement tous les procès se terminaient par un arrêt de mort.
Dans ces conditions, un impôt sur les cheminées et sur les vins et cervoises mène à une violente émeute à Liège, en 1603. Le Prince doit faire profil bas. Il donne, le 14 avril 1603, un nouveau règlement à la cité. Un système électoral alambiqué reconnaissait aux métiers le pouvoir de nommer les édiles communaux. Il constituait une victoire inespérée pour le parti démocratique. Son successeur Ferdinand se hâtera de remettre ce règlement en question. L’occasion lui est fournie par la trêve conclue entre les Pays Bas et les Espagnols, entre 1609 et 1621. En 1613 Ferdinand de Bavière supprime le règlement de 1603. Il trouvera sur son chemin les Grignoux.
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