mardi 5 janvier 2010

Raes de Heers contre le Téméraire : le sac de Liège en 1468

Dédié aux dirigeants du peuple Guillaume des Champs, dit de la Violette, Jean Rigault, Gillet Ponchin, Henri de la Chaussée, Jean de la Boverie dit Le Ruyte, Gilles de Metz, Raes de Heers, Jean Heylman, Fastré Baré Surlet, Guillaume de Berlo, Eustache de Strailes, Gossuin de Streel, Jean de Hornes, dit de Wilde, Vincent de Buren

Nous avons laissé nos hédroits fin 1416, avec l'empereur Sigismond qui rend les franchises aux Liégeois. En rendant aux liégeois leur charte d'Albert de Cuyck et leurs privilèges, l’empereur germanique a voulu freiner les ardeurs des ducs de Bourgogne. Mais cette leçon n’a pas suffi. Les ducs de Bourgogne rêvent d’un royaume de la mer Baltique à la Méditerrannée, avec des morceaux arrachés à l’Allemagne et la France. Ce rêve évoluerra en cauchemar. La fin de Charles le Téméraire est une explosion de violence. La ville de Liège en sera une des victimes : le Téméraire brûlera la ville en 1468.
C’est une maigre consolation que l’auteur de ces méfaits périra quelques années plus tard devant Nancy.

La Bourgogne par deça et par delà
À la mort en 1384 de Louis de Male, comte de Flandre, Marguerite de Flandres et son époux Philippe II ‘le Hardi’ héritent des comtés de Bourgogne, Artois, Flandre, Rethel et Nevers. Un bel héritage, mais un casse tête : la Flandre « par-deçà » est séparé du pays de « par-delà», la Bourgogne.
Leur petit fils Philippe le Bon achète le comté de Namur en 1421 et le duché de Luxembourg en 1443. En 1436, à la mort de sa cousine, il hérite le Hainaut, la Hollande, la Zélande et la Frise. La principauté liégeoise deviendra dès lors la pièce maitresse pour relier les pays par deça et par delà.
Pour le duc de Bourgogne l'évêque Jean de Heinsberg est trop lié à l’Empire. Il le force donc à abandonner l'évêché au profit de Louis de Bourbon qui est nommé prince de Liège le 30 mars 1456 (dans les textes historiques on utilise souvent le terne ‘élu’ pour le prince éveque ; j’ai gardé parfois ce terme, même s’il ne couvre aucunement la réalité).
Louis de Bourbon est un pantin à la solde de Philippe le Bon. A l'âge de sept ans, il fut placé à la cour de Bourgogne. Les Bourbons fourniront plus tard une dynastie à la France, mais vers 1400 le duché des Bourbons est un duché parmi tant d’autres, et fournit connétables, chambellans, conseils et autre personnel politique aux différents camps en présence. C’est ce Louis qui s’installe donc sur le trône de la principauté. Walter Scott a fait l'un des personnages historiques de son "Quentin Durward" en le surnommant "le Bon Evêque"
Le Bourbon reçoit très vite le surnom de premier mendiant du pays ou d'évêque mendiant. Il altère le titre de la monnaie et exige des monastères, comme des villes, d'énormes subsides.
Il eut de Catherine d'Egmont, duchesse de Gueldre, trois fils naturels, dont l'aîné, Pierre de Bourbon, sera appelé « le grand bâtard de Liège » et deviendra chambellan de Louis XII.
Knuppelslaegers, fustigeants, locum, Compagnons de la verte tente etc…
Très vite la révolte grandit. L’époque était révolutionnaire: en 1452 Gand s’était révolté contre Philippe ‘le Bon’. Et en 1463 la ville de Cologne conteste la nomination de son archevêque Robert de Bavière.
En 1457 déjà l'élu doit menacer les Liégeois de mesures de rigueur. Et l’année après Louis de Bourbon se retire à Maastricht.
Les modérés essayent de calmer le jeu et se rendent auprès du prince. Tout semble rentrer dans le calme, mais de retour à Liège, quand les négociateurs donnent lecture du texte du traité, l'assemblée populaire, excitée par le mambour de la Cité, Guillaume des Champs, dit de la Violette, Jean Rigault et Gillet Ponchin, valut à la ville trois jours de complète anarchie.
La révolte s’étend à la campagne.
En 1461 on voit apparaître dans le pays de Looz les knuppelslaegers ou fustigeants. A leur tête, Raes de la Rivière, seigneur de Heers et de Linter. Sous son impulsion Tongres et Saint-Trond se fédèrent pour résister à la juridiction de l'officialité et aux exactions des procureurs fiscaux.  « Les ‘Clupslaghers’ ou flagellants exercent des violences contre les procureurs fiscaux et les villes lossaines elles-mêmes se liguent contre ces collecteurs d’impôts. Dans les villes et villages, plusieurs hommes s’érigent en confrérie (societas), adoptent un étendard vert et une livrée mi-partie de vert et de la couleur propre à leur lieu d’origine : ils prennent le nom de compagnons de la Verte Tente ou de la Verdure. On peut accepter l’effectif théorique de 4000 pour l’ensemble de la principauté, ainsi que l’avance le légat pontifical Onofrio (C. Gaier, Armes et combat dans l’univers médiéval II, éd. De Boeck, p.105).
Dans son TI, Claude Gaier décrit le combat des couleuvriniers dans le Kriekelerenbosch entre Berlingen et Ulbeek (C. Gaier, Armes et combat dans l’univers médiéval I, éd. De Boeck, p.39-43).
A Huy agissent les ‘locum’, les gens du comun.
Il y a aussi les Compagnons de la verte tente, une allusion aux frondaisons des arbres de la forêt qui servent de gîte à ses révolutionnaires. Ou bandits, pour certains. Un exemple seulement: "Dans l’esprit pervers de Raes surgit l’idee d’envoyer des enfants entre 7 et 10 ans dans les rues avec des panneaux “A bas le Bourbon“ . Ces enfants étaient totalement aliénés de leurs parents et vivaient surtout à la campagne sous le ciel ouvert. On les dénommait “ les Compagnons de la verte tente “. Ceci était un corps franc de partisans, armé de couleuvrines. Leur drapeau était mi-vert et leur habit moitié vert et moitié la couleur d’où ils provenaient".
On parle aussi entre 1465 et 1468 des couleuvriniers. La couleuvrine est au départ un simple tube de fer, fermé à une extrémité excepté pour une ouverture appelée lumière, et inséré dans une pièce en bois arrondie pour pouvoir être tenu sous le bras. Le tube est chargé avec des billes de plomb et de la poudre ; on tire en insérant un fil chauffé dans la lumière. On avait commencé à fabriquer massivement cette arme dans le pays de Liège à partir de 1420. C’était la première arme à feu portable.
Raes et Surlet, Robespierre et Danton
A côté de Raes de la Rivière, leader des révolutionnaires, nous voyons émerger une autre figure clef qui représente la tendance modérée : Fastre Baré de Surlet. Surlet et Raes, c’est Danton et Robespierre. A cette différence près que Surlet évolue au fil du temps vers des positions plus radicales et meurt les armes à la main dans la bataille de Brusthem.
bataille de Brusthem- ill Vilters- Van Hemel
La plupart des historiens sont très sévères pour Raes. En partant d’un rejet de tout ce qui est révolutionnaire, son souvenir est noirci à l’extrême.
Quelques exemples : «Il attira à lui les mécontents, les agents de désordre. Intrigant perpétuel, contrecarrant toujours subrepticement toute tentative de conciliation, il devait être l'agent secret de Louis XI, soudoyé pour fomenter au pays de Liège la discorde et la guerre civile.
(Et, lors de la bataille de Brusthem) quand Raes de la Rivière ‘qui n'avait point la grosse renommée d'estre des plus hardis’, vit la tournure que prenaient les événements, il quitta la ligne de combat en criant qu'il allait faire avancer ‘cheus de derier ‘», mais il piqua des deux et, d'une traite, se mit à l'abri du danger, à trois lieues de là, dans son moulin d'Oreye ».

Dans ‘La Cité de Liège au Moyen-Age, Liège, 1909’, Godefroid Kurth reprend l’anecdote d’une fuite de Raes sur le champ de bataille, et entraine la femme de Raes dans sa haine : « L'armée liégeoise comptait environ 15.ooo hommes. A la voir défiler, on eût pu croire que c'était une procession plutôt qu'une armée, car un cortège ecclésiastique se groupait en tête, autour de la bannière de saint Lambert, et la statue de la Vierge de Montenaeken. Une seule figure gâtait la grandeur solennelle du défilé : c'était la femme de Raze de Heers, qui, à cheval sur le passage des soldats, les exhortait à se bien conduire. On eût dit que cette amazone, digne de l'aventurier qui était son époux ne voyait dans ses compatriotes que les instruments de sa malsaine ambition. Quant à Raze de Heers, dès le début de l'action, voyant la tournure que prenait la bataille, il avait décidé de se conserver à la patrie en se sauvant ».
Or, Raes de la Rivière de Heers est une figure attachante qui poursuit avec beaucoup d’esprit de suite une stratégie révolutionnaire. Tout au long de ces années mouvementées, il arrive à faire porter ses décisions par les masses. Il construit de manière lucide le front le plus large contre le Prince.
Raes, c’est aussi l’union de la campagne et de la ville. Originaire de Heers, il est élu maître du métier des fèvres de la Cité le 25 juillet 1463.
La Cité sous la protection du roi de France.
Les opposants se rendent compte que pour renverser leur évêque mendiant, ils devront tenir compte de son protecteur, le duc de Bourgogne. Les dirigeants liégeois essayent donc de conclure des alliances avec ses ennemis. Une piste toute désignée est un accord avec les rois de France. Charles VII (aidé par Jeanne d'Arc) et Louis XI mettent en place un royaume centralisé. La Bretagne et la Bourgogne représentant des dangers pour cette unité française. Ils voient dans la révolte liégeoise une bonne occasion d’affaiblir un adversaire. En 1458 déjà deux missions diplomatiques liégeoises partent auprès du roi de France Charles VII. En 1460 nouvelle mission diplomatique. La Cité est placée sous la protection du roi de France. Une ‘protection’ qui s’avérera bien relative...
Charles VII meurt le 22 juillet 1461. Son fils Louis XI perfectionne encore la stratégie par rapport au pays de Liège. L’objectif est d’y entretenir un état permanent de rébellion contre l'élu et à créer ainsi des embarras continuels au duc de Bourgogne.
L'interdit sur la Cité
Le 29 octobre 1461 la Cité prend des mesures révolutionnaires et condamne à l'exil les principaux conseillers du prince. Retiré à Louvain, Louis de Bourbon jette l'interdit sur la Cité et le comté de Looz : défense d'administrer les sacrements et de célébrer l'office divin. Il trouve plus fort que lui : l'archevêque de Cologne lève l'interdit. Et celui-ci est contredit en 1462 par une Bulle du pape Pie II qui confirme l'interdit.
Raes utilise ses méthodes bien à lui pour briser l’interdit : il se présente dans les églises, contraignant prêtres et chanoines à célébrer les offices. Il menace même le grand doyen de la cathédrale, Jean de Seraing, de le jeter à la Meuse s'il tenait compte de l'interdit. «Vous chanterez tous, sinon nous jetterons dans la Meuse un tel nombre des vôtres qu'une des arches du Pont sera bientôt obstruée par leurs cadavres ».
Pendant que pape, archévêques et évêque se jettent des anathèmes, en 1462, un calme trompeur semblait régner dans la Cité. L’élu était rentré dans sa capitale le 4 juillet; les modérés l'emportaient à la rénovation magistrale, et les conseillers du prince, jadis bannis, rejoignent leur maître dans la ville. Mais la trève est de courte durée : à l'inspiration de Raes de la Rivière – encore lui - l'assemblée du Palais les exile pour une seconde fois. Louis de Bourbon partit immédiatement pour Maestricht, le 13 septembre 1462.
Comme dans chaque révolution, le peuple balance entre les modérés et les révolutionnaires. L’art du révolutionnaire est d’être patient et de prendre le temps pour convaincre le peuple. Raes de la Rivière arrive chaque fois à gagner une majorité. Et chaque fois qu’il est obligé de reculer il arrive à regagner avec patience le terrain perdu. C’est à cette époque qu’il arrive à faire basculer Fastré Surlet dans le camp de la révolution.
Le 12 juin 1463 rebelote : le prince consentit à revenir en ville. Mais en guise de paroles de bienvenue, il ne fit entendre que des menaces et des allusions à l'aide qu'il escomptait du duc de Bourgogne. Au printemps suivant Raes de la Rivière propose la déchéance de l'élu et la mise sous séquestre de ses biens. Le 10 septembre 1464 le légat pontifical excommunie Raes de Heers, Surlet, Jean Heylman et huit échevins.
La déchéance et la mise sous séquestre, c’est l’aboutissement de la révolution. Si le peuple pouvait encore vivre sans messe, il est plus difficile de vivre sans tribunaux. Raes organise une des premières grèves du pays de Liège. A l'instigation de Raes de la Rivière, les fèbvres refusèrent tout travail, tant que la Loy n'aurait pas repris son cours (22 janvier1465); requis par 30 des 32 métiers, 12 des 14 échevins acceptent la réouverture de la justice, sans le prince évêque, sous la présidence de Jean de la Boverie dit Le Ruyte.
Le 23 décembre 1465 le pape Paul II déclare par une bulle ‘La Pauline’ que l'autorité temporelle et spirituelle sur le pays de Liège appartient à l'évêque, et non à la Cité et aux bonnes villes qui l'ont usurpée.
Un lapin sorti du chapeau de Raes: Marc de Bade
Mais la réouverture de la Justice ne suffit pas. En proposant la déchéance de l'élu, Raes de la Rivière doit offrir une alternative au peuple. Son alternative n’est pas la république. D’autres pourtant le feront : la Confédération des XIII cantons suisses sortira renforcée de l'effondrement de l'État bourguignon ; les Provinces Unies déclareront la république en 1581. Raes de Heers proposa un nouveau prince-évêque. Marc de Bade fit son entrée le 22 août 1465. Ce Marc est le n-ième fils d’une famille proche de l’Empire. Son frère, le margrave ou marquis Charles de Bade est le beau-frère de l'empereur Frédéric III. Pour ne pas disperser le domaine familial, les autres frères sont orientés vers une carrière ecclésiastique : Jacques de Bade est archevêque de Trèves et Georges de Bade est évêque de Metz.
Raes insiste pour que Von Baden ne s’intitule pas l’élu de Liège (cela pourrait évoquer trop Thierry de Perwez battu à Othée), mais « régent administrateur postulé de la ville de Liège, gouverneur et régent du pays de Liège ».
De la part de Raes, cette stratégie vers l’Est est mûrement réfléchie et le complément logique de l’alliance avec la France. La même année, Raes propose un traité d'alliance avec le marquis Charles de Bade. La ville de Cologne avance à la cité de Liège 2500 florins.
En fait déjà depuis 1434 l'empereur Frédéric III et le roi français avaient conclu un traité d'alliance contre Philippe le Bon, qui constituait une menace pour les deux trônes. En 1455 Philippe avait même posé sa candidature comme roi des romains contre Frédéric III.
Nous avons vu que l'archevêque de Cologne avait déjà apporté son grain de sable en 1462 en levant l'interdit du pape. La situation bascule avec son successeur Robert de Bavière. La ville de Cologne conteste sa nomination en 1463. Les Liégeois, et Raes en premier, voient directement le paralèle avec leur propre combat contre leur évêque. Et le paralèle ne s’arrête pas là : l’archeveque appelle à l’aide le duc de Bourgogne qui ne demande pas mieux que de s’immiscer dans les affaires de l’Empire. Raes comprend directement les possibilités de ce changement de situation. Avec ses moyens d’information sommaires et limités, Raes saisit l’intérêt d’une évolution qui dix ans plus tard ménera au siège de Neuss qui sera pour Charles le Téméraire le début de sa fin.
chateau Rheydt - wikipedia
Raes mène dans le cadre de cette stratégie en juillet 1464 un raid sur le château de Rheydt. Les historiens liégeois en parlent comme d’un fait divers. Certains y voient même une manigeance d’un tyran révolutionnaire contre le leader des modérés Surlet. Il est vrai que Surlet avait des liens familiaux avec les d'Arendael de Rheydt, mais il avait des raisons autrement plus directs pour agir. Johann von Arendal, (Jean d'Arendael) maître du château de Rheydt, avait attaqué des marchands de Liège et de Cologne. En 1464, Raes mène une campagne de vengeance et détruit le château. Le protecteur de Von Arendal était l’archéveque honni de Cologne, qui avait demandé de l’aide aux Bourguignons, et l’Empereur Friedrich III avait prononcé un interdit contre les maîtres de Rheydt.
Marc de Bade fait sa Joyeuse Entrée à Liège le 22 avril. Le 1 août il va chercher en Allemagne 400 hommes d’armes montés encadrés par 3 comtes, et il amène une bombarde et une serpentine. 400 hommes, à cette époque, c’est important. Ca dépasse les capacités de mobilisation de la maison de Bade. On peut supposer que Marc est en mission commandée pour l’empereur Fréderic III.
Marc de Bade abandonne
Mais le 4 septembre 1465 déjà, le mambour Marc de Bade et son frère abandonnent l'armée.
Pourquoi n’est-il pas resté plus longtemps? La plupart de nos historiens disent qu’il aurait été contrarié par les atrocités des milices liégeoises contre le duché de Limbourg, qui dépendait du Duc de Bourgogne. Cela nous semble un peu léger.
Une explication plus plausible est que De Bade s’est rendu compte que Raes voulait un prince evêque qui ne coûtait pas trop au peuple. Il est vrai que nous sommes ici dans le spéculatif, et que nous savons fort peu du projet politique de Raes. Quand de Bade a compris ça, il a décroché.
Son retrait pourrait aussi avoir été décidé par Fréderic III. Celui-ci envoie Von Baden pour encourager les Liégeois à se lancer à fond dans le conflit avec les bourguignons. Et, une fois atteint le point de non retour, il se retire pour ne pas s’impliquer trop directement dans ce conflit. L'empereur s’engagera à fond quand le Téméraire sera affaibli par le long siège de Neuss. Le retrait de Marc de Bade est un coup dur pour les révolutionnaires liégeois, qui continuent néanmoins à faire miroiter un retour du « régent du pays de Liège ».
En mars de cette même année commençait en France la guerre dite du Bien public, une révolte des nobles à l’instigation du duc de Bourgogne contre Louis XI. Cela avait sûrement influencé le choix du moment de la déchéance du prince par Raes qui a estimé, à juste titre, que c’était le moment de tailler des croupières à l’ennemi principal, le duc de Bourgogne. Le 23 mai 1465 Louis de Laval, sire de Chatillon, arrive à Liège, chargé par Louis XI de proposer à la Cité de s'unir à lui contre la Ligue du Bien public. Le 17 juin 1465, les Liégeois s'allièrent à la France.
De nouveau, à ce moment décisif, les modérés arrivent à faire fléchir le peuple et Fastré Baré Surlet décida les XXXII métiers à tenter une démarche auprès de Louis de Bourbon. Mais le prince, se borne à leur répondre « qu'il saurait bien, lui-même, se faire rendre justice ». C'était la dissolution du parti modéré.
Le 16 juillet c’est la bataille de Monthérly entre la Ligue et Louis XI. Bataille indécise, comme nous savons maintenant. Mais les Liégeois croient que le duc de Bourgogne est battu. En août 1465, après l’entrée joyeuse de Marc de Bade, Liège déclare la guerre au duc de Bourgogne. Le 24 août 1465 Marc de Bade chasse Louis de Bourbon de Huy. Celui-ci doit chercher asile à la cour de Bourgogne. C’est le seul exploit militaire de Marc de Bade, et il a eu de l’aide d’un homme qu’on retrouvera plus tard sous le nom de Sanglier des Ardennes. Dans l’euphorie, Dinant va provoquer Bouvignes.
Il y a toujours eu de l'animosité à Dinant contre leurs voisins de Bouvignes, et contre le duc de Bourgogne, souverain des Bouvignois. Le duc de Bourgogne avait déjà réprimé différentes fois les agressions des Dinantais : cependant elles ne discontinuaient point. Les Dinantais exprimèrent leur joie pour la nouvelle de la prétendue défaite de Charles à Montlhéry en insultant l'ennemi. Ils fabriquèrent un mannequin à l'effigie du comte sous les murs même de Bouvignes, en criant aux Bonvignois : « Veez là le filz de votre duc, que le roy de France ferat pendre comme il est ici pendu. Il se disoit de vostre duc, mais il maintoit, car il estoit vilain bastard au sieur de Heinsberg, nostre evesque, et à votre bonne duchesse » (De Gerlache :Histoire de Liège depuis César jusqu'à Maximilien de Bavière). Ce mannequin restera dans la gorge du duc…
Le 4 septembre 1465 donc Marc de Bade et son frère abandonnent l'armée. Ce qui ne décourage pas les troupes liégeoises qui, le 30 septembre, mettent le siège devant Limbourg, aux mains de la Bourgogne aussi.
Aléa jacta est pour les Liégeois. Après toutes ces agressions, il n'y a plus de retour possible. C’est le moment que choisit Louis XI pour signer, le 5 octobre 1465, le Traité de Conflans. Louis XI juge - à juste titre - qu’il ne saurait se battre sur deux fronts, contre bourguignons et bretons. Il signe une paix séparée avec le comte de Bourgogne.
Nous pouvons supposer que l’empereur germanique juge lui aussi que dans ce contexte-là il vaut mieux, provisoirement, tirer son épingle du jeu. Roi et Empereur sont dans une situation comparable : leur pouvoir commence à s’affirmer, mais il n’est pas encore solide assez pour se mettre tous les vassaux ensemble sur le dos. Il faut les battre un à un, et, si possible, les affaiblir en attisant la révolte dans leurs fiefs.
20 octobre 1465 la bataille de Montenaeken
Les liégeois se retrouvent donc seul devant la Bourgogne. Philippe le Bon ne lance pas encore ses forces principales. Il donne ordre à Jean, comte de Nassau, de marcher avec une armée de Brabançons et de Namurois contre Liège. Le 20 octobre 1465 c’est la bataille de Montenaeken.
bataille Montenaeken- ill oudelandvanluik
Godefroid Kurth (La Cité de Liège au Moyen-Age) donne la version suivante, pleine de fiel pour Raes (Raze) : « Raze restait le chef avoué du pays; mais, débordé lui-même, il n'était obéi que lorsqu'il donnait les ordres que la populace attendait de lui. Se rendant bien compte que le danger viendrait du côté du Brabant, il avait fait fortifier Montenaeken à la frontière de ce pays. Mais en vain il insista pour y conduire l'armée : on ne l'écoutait pas. Raze se rongeait de dépit et d'impuissance; il se voyait empêché de réaliser le programme du roi pendant qu'un meneur de troisième ordre, Gérard Campsor, se substituait à lui et emmenait de nouveau les milices communales dans le Limbourg, où rien ne les appelait.
Charles le Téméraire avait fait prendre les armes aux Brabançons, en attendant qu'il vînt lui-même à la rescousse. Le Conseil de Liége prit peur : il rappela l'armée partie pour le Limbourg, mais elle refusa de revenir et continua de piller ce pays. On ne put opposer aux Brabançons que des forces très inférieures. A Montenaeken, retranchés dans le village et protégés par la tour de l'église, qu'ils avaient fortifiée, les Liégeois, malgré leur petit nombre, auraient pu tenir plus d'un jour en attendant du renfort. Mais, dans leur ardeur irréfléchie, ils se laissèrent entraîner en rase campagne par un stratagème de l'ennemi, et ils subirent une défaite sanglante. Dix huit cents des leurs restèrent sur le carreau (20 octobre 1465). Cette fois, l'armée qui assiégeait Limbourg comprit qu'il était temps de veiller au salut du pays; elle leva le camp, mais elle le fit avec une telle précipitation qu'elle laissa son artillerie au pouvoir des assiégés, qui lui donnèrent la chasse
».
Le 12 novembre 1465 la Cité demande une trêve. La paix de Saint-Trond (22 décembre) remet en vigueur des paix imposées jadis par Jean sans Peur après le désastre d'Othée, en 1408. Le vainqueur exigeait que les Liégeois «bailleroient et délivreroient à mondict seigneur le duc ceulx qu'il tient et répute les plus coupables et qui ont esté causes de cesdictes guerres et qui ont plus offensé et mesprins envers icelluy seigneur, jusques au nombre de dix personnes, tels qu'il lui plaira». Nous verrons comment cette question des otages prendra une place de plus en plus importante au fil du temps. Pour une révolution, la protection de ses dirigeants est une question vitale.
Les négociateurs du traité de Saint-Trond condamnés à la peine de mort
Le conflit entre modérés et révolutionnaires ressurgit. A leur retour à Liège, les négociateurs sont accueillis avec aigreur. Du côté des modérés, onze métiers votent l'adoption de la paix et le bannissement de Raes et de Fastré. Mais ces deux derniers, avec l'appui de la majorité des corporations, firent échouer cette tentative d'apaisement.
L'armée bourguignonne, dans l'intervalle, ne cessait d'avancer: la paix fut enfin acceptée au Palais le 22 janvier 1466. Le duc de Bourgogne avait consenti au retrait de la clause relative aux otages, moyennant augmentation de l'indemnité de guerre.
Raes et Fastré s'en prennent aux délégués de la Cité qu'ils traitent de marchands de chair humaine, de trafiquants des libertés publiques. Les modérés craignent pour leur vie et quittent la cité. Leurs demeures furent mises au pillage. Il ne restait en ville que Gilles de Metz. Mais Fastré Baré fit arrêter Gilles de Metz. En février 1466 les cinq commissaires de la Cité, qui avaient été chargés de négocier le traité de Saint-Trond, sont condamnés à la peine de mort. Le 1er mars Gilles de Metz, un des négociateurs, est exécuté.
Fin mai 1466 les délégués liégeois rencontraient l’ancien régent à Cologne. On croit comprendre qu’il ne rejettait pas l’éventualité de son retour au Pays de Liège. Le 11 juillet une seconde ambassade était acceuillie avec à Liège avec enthousiasme.
Mais cela n’apporte rien de concret et en juillet 1466 la ville accepte le traité. Il y a un hic : on se rend compte que Dinant n’est pas repris dans le traité. Pour H. Pirenne (Histoire de Belgique), «Charles, exaspéré par les injures que lui avaient prodiguées les habitants de Dinant, avait refusé de la comprendre dans la paix. Les batteurs de cuivre et la bourgeoisie riche se montraient disposés à accepter ses conditions. Mais les petits métiers, soutenus par une foule de bannis, d'étrangers, d'aventuriers et de Compagnons de la verte tente, redoublaient au contraire d'insolence et de provocations. On répandait le bruit que Marc de Bade venait d'obtenir du pape la consécration épiscopale, et son retour à Liége, au mois de juillet 1466, provoqua une explosion d'enthousiasme. Dans la banlieue, on cloua son image sur des troncs d'arbre, et l'on érigea sur les portes de la cité des statues le représentant agenouillé aux pieds d'un ange qui le coiffait de la mitre. Cette équipée du mambourg ne dura d'ailleurs qu'un instant. A la nouvelle que Charles marchait contre Dinant il abandonna le pays à son sort, et regagna piteusement l'Allemagne au milieu du mépris public ».
(il n’y a que Pirenne qui parle d’un retour effectif de Marc de Bade en 1466. A mon avis il mélange 1455 et 1456 : de Bade est parti en septembre 1465 ; en 66 on a essayé en vain de le faire revenir).
Godefroid Kurth (La Cité de Liège au Moyen-Age) en rajoute en couche, en dénonçant la tyrannie de la populace. Il décrit comment, à Liége aussi, les secours à Dinant divisent encore une fois modérés et radicaux: «Charles le Téméraire se réservait de tirer un châtiment exemplaire de ces fabricants de chaudrons qui l'avaient osé traiter de bâtard de Heinsberg. Dinant était alors livré entièrement, comme Liège, à la tyrannie de la populace. La bourgoisie modérée et clairvoyante avait vainement résisté aux meneurs exaltés qui représentaient à Dinant la politique de Raze et de Baré; la ville tremblait de voir arriver les Bourguignons. Elle envoya implorer le secours des Liégeois. S'il était resté une lueur de sens politique chez les hommes qui décidaient alors des destinées de la Cité, cette demande n'eût pu avoir qu'une seule réponse. On aurait fait remarquer aux Dinantais qu'à violer du jour au lendemain le traité de Saint-Trond qu'elle venait de signer, la Cité de Liège ne gagnerait que de partager leur triste destinée. Mais les masses populaires n'obéissent qu'à la voix de la passion et du sentiment. Avec une irréflexion et une étourderie déconcertantes, les Liégeois décidèrent de secourir Dinant, c'est-à-dire de violer le traité de Saint-Trond. Il avait suffi pour cela de quelques paroles sonores lancées au Palais par les virtuoses habituels de la rhétorique populaire. Toutefois, les hésitations et les lenteurs qu'on mit à exécuter la décision prise, en trahissant à l'évidence les suprêmes résistances du bon sens public devant un acte de folie suprême, firent perdre à Dinant le bénéfice des résolutions de la Cité. Dinant ne fut pas secouru et Liège se compromit inutilement. Comme la nouvelle de la prise de Dinant fut confirmée, il s'ensuivit bientôt un tumulte effroyable, et la multitude se déchaîna avec fureur contre les meneurs, ces traîtres qui l'avaient empêchée de partir. Guillaume de la Violette, poursuivi comme un gibier par la foule exaspérée, fut percé de cent coups et laissé mort dans la rue. On courut aussi chez Jean Le Ruyte et chez Raze de Heers, mais ils avaient eu le temps de se mettre à l'abri. Finalement, la multitude calmée se ravisa ».
Philippe de Commynes- wikipedia
Philippe de Commines fut un observateur privililégié : il était à cette époque conseiller des ducs de Bourgogne. Il décrit ainsi la fin de l’épisode de Dinant: « Le lendemain que la ville fut prise, arrivérent les liégeois en grand' compagnie, pour les secourir; et les rencontrasmes avec la bataille, où estoient les principaux chefs de l'armée. Toutesfpois, après qu'ils furent allés et retournés deux ou trois fois, fut accordé par eux, entretenir la paix de l'an précèdent et bailler certaine somme d'argent, et pour sûreté, de tenir cecy mieux que ce qui estoit passé, ils promirent bailler trois cens ostages. On tira droit à eux, pour recevoir les ostages, ou pour les combatre, s'il y avoit faute. Nous les trouvasmes separés; et jà se departoient par bendes et en désordre, comme peuple mal conduict. Il estoit ja près d'heure de midy, et n'avoient point baillé les ostages. Le comte de Charolois demanda au mareschal de Bourgongne, qui estoit là, s'il leur devoit courre sus ou non. De l'un costé il voyoit ses grands et anciens ennemis deffaits, et les voyoit sens nulle résistanoe. D'autre costé on l'argueroit de sa promesse. La fin fut qu'on envoya un trompette vers eux, lequel rencontra les ostages qu'on luy amenoit. On envoya incontinent une ambassade à Liége pour confirmer cette paix. Le peuple (qui est inconstant) leur disoit à toute heure qu'on ne les avoit osé combatre ; et leur tirèrent coulevrines à la teste, et leur firent plusieurs rudesses. Le comte de Cbarolois s'en retourna en Flandres. En cette saison mourut son père (16 juin 1467) ».
Le 10 septembre 1466, moyennant une aggravation des clauses de la paix de Saint-Trond et la livraison de cinquante otages, le Téméraire consentit à retirer ses troupes du pays. Mais son repos est de courte durée. La nouvelle de la mort de Philippe le Bon 16/6/1467 donna lieu à des manifestations de joie et de haine. Le 17 novembre 1467 Charles le Téméraire entre à Liège et fait lire sa Sentence:
- toutes les institutions ou autorités communales sont supprimées.
- l'enceinte fortifiée de la ville détruite.
- le duc devient gardien et haut avoué héréditaire du pays.
- les privilèges de la Cité sont brûlés.
A Liége, le parti de la guerre ne put décider la population à s'exposer au sort de Dinant. Charles le Téméraire imposait à la cité vaincue la "Paix de Saint-Laurent". Charles n’a pas oublié les couleuvriniers. Y figurait l'interdiction de "jamais forger en la dite cité et pays artillerie grosse ni menue, ou forger harnois, ni faire aucune ouvrage de fondure de métal de fer, de ceuvre, ni d'arreu pour faire artillerie ou habillement de guerre". Et après le sac de Liége "le Duc de Bourgogne ... logea Polleur et fit brusler toutes les maisons et rompre tous les moulins à fer qui estoient au pays et qui est la plus grande façon de vivre qu'ils aient".
Guy de Brimeux
Il transmet à Gui de Brimeu, seigneur d'Humbercourt l'avouerie du pays et lui confère le titre de Lieutenant-général.
Mais la présence d'Humbercourt ne suffit pas pour maintenir l’ordre. L’année après, en septembre 1468, de nombreux proscrits rentrent dans la Cité: Gossuin de Streel, Jean de Hornes, dit de Wilde et Vincent de Buren.
Les proscrits se sont rendu compte que leur adversaire Charles le Téméraire était très isolé. Celui-ci avait essayé de susciter une nouvelle ligue contre Louis XI, avec le soutien d'Edouard IV d'Angleterre. Mais au printemps 1468, Louis XI avait réuni les états généraux à Tours - ce fut leur seule réunion de tout son règne - dans le but d'obtenir l'appui du royaume contre les princes rebelles. Le 10 septembre 1468, il avait pu signer le traité d'Ancenis avec son frère Charles et François II par lequel ces deux vassaux promirent de ne plus s'associer au Téméraire. Les exilés pouvaient donc espérer que le Téméraire n’aurait pas le temps de s’occuper de la principauté.
Les proscrits repassèrent la frontière au nombre d'environ deux cent quarante, sous la conduite de deux capitaines énergiques, Jean de Wilde et Vincent de Buren. Le 9 septembre, ils rentraient à Liège en poussant le cri de : 'vivent la France et les francs Liégeois!' et leurs chefs s'installaient dans le palais épiscopal. Le dimanche 10 octobre, au soir, Jean de Wilde, Goswin de Strail, Jean de Lobos, suivis de deux cents cavaliers et de quelques milliers de piétons, sortirent de Liège et prirent la route de Tongres. Arrivés dans cette ville à la faveur de la nuit, ils cernèrent les maisons du légat, du prince et de Humbercourt. Humbercourt fut arrêté. Le lendemain, on convint que le prince retournerait dans la capitale. La nouvelle de la prise de Tongres transporta les esprits à Liège.
Malchance pour eux : le jour avant leur sortie vers Tongres, le 9 octobre 1468, Charles le Téméraire négociait à Péronne avec Louis XI. Les outrages faits à ses soldats lors de la prise de Tongres irritent hautement le Téméraire. Le duc reproche à Louis XI – à juste titre évidemment – une double politique. Louis prétend que ce n’est pas vrai, et, comme gage de sa ‘sincérité’, accepte d’accompagner le Téméraire dans son expédition punitive contre Liège. Malchance ou manipulation ? Il y a sûrement de la manipulation de la part de Louis XI, qui a encité les liégeois tout en ne pensant même pas un moment à les venir en aide.
Il y a de la naïvité envers le roi français de la part des dirigeants liégeois.
Ceci dit, les dirigeants liégeois faisaient la bonne analyse en constatant l’isolement du duc de Bourgogne. Stratégiquement il l’était. En 1472 la guerre avec la Bourgogne reprend et avec elle le déclin du Téméraire et de la Bourgogne. Péronne était pour Louis XI purement tactique : il veut casser d’abord cette alliance avec l’Angleterre. Il s’y prend mal au départ : il essaye de faire déboulonner Edouard IV par le comte de Warwick. Cela n’aboutit pas et il règle finalement le problème anglais en achetant en 1475 en Picquigny le roi anglais Edouard IV.
Et même tout seul Liège était pour Charles un gros morceau à avaler. Sa campagne prend du temps ; De Commynes parle à plusieurs reprises d’une situation indécise. D’ailleurs, six ans plus tard, les Colognais résistent victorieusement au siège de Neuss.
La bataille de Brusthem
Philippe de Commynes décrit bien comment le duc de Bourgogne doit se battre sur deux fronts. Il fait le siège de Saint Trond, et doit se tourner contre 30.000 liégeois qui viennent pour l’obliger à lever le siège. «Ledit duc mit le siège devant Sainct-Tron, et là affusta son artillerie. Dedans la ville estoient quelques trois mille Liégcois. Le troisiesme jour aprés que le siége y fut mis, les Liégeois en très~grand nombre de gens, comme de trente mille personnes et plus, tous gens-de-pied (sauf environ cinq cens chevaux) et grand nombre d'artillerie, vindrent pour lever nostre siége, et se trouvèrent en Bruestein. L'alarme vint tantost en nostre ost; l'on n'en fut adverty que par les fourageurs qui fuyoient. Je ne me trouvay oncques en lieu avec ledit duc de Bourgongne. Incontinent fit tirer toutes les batailles aux champs, sauf aucuns qu'il ordonna pour demourer au siége. Quand le traict fut failly aux nostres, le coeur revint auxdits Liégeois, qui avoient leurs piques longues (qui sont bastons avantageux; et cbargèrent sur nos archiers et sur ceux qui les conduisoient; et en une troupe tuèrent quatre ou cinq cens hommes en un moment; et branloient toutes nos enseignes, comme gens quasi desconfits. Et sur ce pas fit le duc marcher les archiers de sa bataille, qui d'un ardent courage assaillirent lesdits Liégeois, lesquels en un moment furent desconfits. Des gens-de-cheval, il y en envoya une partie pour donner la chasse; mais il faloit qu'ils prissent bien deux lieues de torse voie pour trouver passage, et la nuict les surprit, qui sauva la vie à beaucoup de Liégeois. Autres renvoya devant ladite ville, pource qu'il y ouyt grand bruit, et doutoit leur saillie. A la vérité ils saillirent trois fois; mais tousjoors furent rebouté ». Nous voyons que le combat n’était pas si inégal que ça, et n’était pas perdu d’avance.
L'armée liégeoise était commandée Raes de la Rivière, Fastré Baré Surlet, Guillaume de Berlo, Jean de la Boverie et Eustache de Strailes. Fastré Baré Surlet et Eustache de Strailes y perdent la vie.
Le sacrifice des six cents Franchimontois
Après Brusthem les Liégeois ne se donnent pas battus. Le 21-22 octobre 1468 ils font une sortie pour tenter d'arrêter les Bourguignons.
Le 26 octobre, l'avant-garde bourguignonne campe entre la porte de Saint-Léonard et le village de Herstal. Jean de Wilde tente une nouvelle sortie de avec quelques centaines de Rivageois et de Franchimontois par les portes de Vivegnis et de Saint-Léonard. Il est mortellement blessé.
Charles arriva au camp de Sainte-Walburge avec le roi de France, le jeudi 27. Dans la nuit du samedi 29 octobre, trois à quatre cents Franchimontois, conduits par Vincent de Buren et Goswin de Strail, tentèrent, en escaladant les hauteurs de Sainte-Walburge, de pénétrer jusqu'au propre logis du duc. Ils furent reconnus et presque tous tués.
Là aussi Philippe de Commynes décrit la panique dans le camp bourguignon. On pense sérieusement à abandonner: "Il s'en fallut de bien peu que cette glorieuse entreprise ne réussît, et si les Liégeois avaient été directement aux maisons du roi de France et du duc de Bourgogne, nul doute que les deux princes n'eussent été tués et que l'armée n'eût été entièrement détruite".
Mais le lendemain, Charles le Téméraire donna quand même le signal de l'attaque.
Le 3 novembre 1468 il ordonne l’incendie et la destruction de Liège, pendant sept semaines. Il fait venir spécialement des pionniers pour ça.
Le 12 novembre 1468 Charles le Téméraire fait donner la chasse aux réfugiés liégeois dans le pays de Franchimont, dans un froid épouvantable.
Le 3 janvier 1470 le prince-évêque Jean de Bourbon rentre dans sa ville épiscopale. Pour l’évêque, c’est une victoire à la Pyrrhus. Sa principauté est pillée, brûlée. Et le Téméraire s’arroge le droit de percevoir, pendant trente ans, le 30e denier sur les marchandises qui passeraient par le pont des Arches. Le 29 août 1482, le Bourbon se fera tuer par un chevalier brigand Guillaume de la Marck sous les murs de Liège. Comme son protecteur le Téméraire, son corps, dépouillé de ses derniers vêtements, resta abandonné dans le ruisseau de Wez.
Le déclin de Charles le Téméraire : le siège de Neuss
On dirait que le sac de Liège a déchainé Charles le Téméraire. Il se croit tout permis. Il se met tout le monde à dos. En juillet 1473 il envahit la Lorraine. En automne 1473 Charles le Téméraire tente d'obtenir pour ses possessions qui relèvent de l'Empire le statut de royaume indépendant et cherche à marier sa fille Marie à Maximilien de Habsbourg, fils de l'empereur Frédéric III. Le 28 octobre 1473 il reçoit le titre de roi de Bourgogne. Mais pas la fille. Comme Louis XI, Frédéric III gagne du temps. Il ne doit pas attendre longtemps : l’occasion se présente l’année après.
En 1474, Robert de Bavière, le prince-archevêque de Cologne, est déposé par les chanoines de son chapitre; il met le siège devant Neuss, où Hermann, landgrave de Hesse, le nouvel archevêque désigné par Cologne, s'est réfugié.
Le bourguignon tombe dans le panneau : il rejoint Robert de Bavière devant Neuss. Nous y retrouvons d’ailleurs le prince évêque de Liège, où Charles l'avait convoqué avec ses vassaux.
Le Téméraire croit avoir les mains libres devant l’empereur germanique : il vient de signer à la fois un traité d'alliance avec le roi d'Angleterre, Édouard IV, et une prolongation de la trêve avec Louis XI. Mais ce traité et cette trêve ne pèsent pas plus lourd que son titre de roi de Bourgogne. Charles le Téméraire espère recevoir l'appui d'un corps expéditionnaire anglais fort de 14 000 fantassins et de 1500 chevaliers, mais ce corps ne débarquera qu’en fin 1475. D'ailleurs, Louis XI freine leurs ardeurs avec des espèces sonnantes et trébuchantes. Les ‘alliés’ anglais et français laissent donc cuire Charles dans son jus. Le siège se prolonge. Au bout de sept mois, l'empereur regroupe une armée de secours pour Neuss.
Louis XI profite de l’affaiblissement de son adversaire pour contre-attaquer en Picardie et en Artois.
Entretemps se forme une coalition anti-bourguignonne avec les villes alsaciennes et les Suisses, sous instigation de Sigismond d'Autriche. Ce neveu de Frédéric III, de la maison de Habsbourg aussi, a mis pas mal de bâtons dans les roues de son oncle. Mais cette fois-ci la coalition anti-bourguignonne arrange très bien Frédéric III. Les Confédérés suisses déclarent la guerre au duc de Bourgogne le 26 octobre 1474, en plein siège de Neuss.
La Picardie et la Suisse obligent donc le duc de Bourgogne à lever le siège de Neuss le 26 juin 1475. En échange d'un contingent militaire liégeois pour sa campagne en Suisse, le duc de Bourgogne permet même aux Liégeois de rebâtir la ville.
Il est battu à deux reprises par les Confédérés suisses aux batailles de Grandson (2 mars 1476) et de Morat (22 juin 1476).
Pendant que le Téméraire tente de reconstituer une armée, la Lorraine se révolte et René II de Lorraine fait son entrée à Nancy le 22 août 1476. Le Téméraire pénètre en Lorraine en octobre. René II, aidé par les Alsaciens, les allemands et les suisses, engage le 5 janvier 1477 la bataille de Nancy où est tué Charles le Téméraire.
Mariage entre Maximilien de Habsbourg et Marie de Bourgogne
Avec la mort de Charles le Téméraire, Fréderic III n’a plus d’obstacle au mariage entre son fils Maximilien de Habsbourg et Marie de Bourgogne, le 19 août 1477.
Evidemment, les conditions sont complètement différentes que celles de l’automne 1473 où c’était Charles le Téméraire qui cherchait à marier sa fille. En 1477 c’est les Habsbourg qui s'assurent la majeure partie de l'héritage bourguignon.
Le Téméraire mort, le cliquetis des armes se calme. Frédéric III qui avait vu imploser son Saint-Empire sous les coups conjugués des Turcs, des Hussites, de Matthias Corvin, de Charles le Téméraire et des cantons confédérés de Suisse, et qui, début 1477 encore, en était réduit à courir le pays en demandant l'hospitalité aux monastères qu'il trouvait sur sa route, voit tout d’un coup retomber les pièces du puzzle qu’il avait si laborieusement réunies. Fin de la même année il ne reste à son fils Maximilien que la question suisse à régler. Albrecht Dürer commence "Le Triomphe de Maximilien".
De son côté aussi Louis XI règle le problème anglais en achetant en 1475 en Picquigny le roi anglais Edouard IV. Il peut mourir en 1483 en ayant brisé définitivement les prétentions de la féodalité française.
Tout ça pour ça ?
La cité de Liège et de Dinant ont payé un prix élevé. Le sac des deux villes n’était sûrement pas une fatalité. La Confédération suisse sort gagnante de cette guerre. C’est en partie le sort qui a voulu que la foudre bourguignonne s’est abattue sur Liège. Même si, comme pour tout régime en déclin, on ne doit pas rêver voir partir la féodalité sur la pointe des pieds, sans faire des dégâts. Quand les intérêts économiques d’une classe sont en jeu, celle-ci détruirait le monde pour les défendre…
Nous savons fort peu des projets politiques de Raes de Heers ; tout au plus peut on essayer de reconstituer une partie à partir de ses actes : les fustigeants qui résistent aux exactions des procureurs fiscaux ; la dictature révolutionnaire contre la dictature du Prince Evêque. En plus, objectivement, les rapports des classes dans les villes, et entre ces villes et la campagne, sont très complexes.
Mais, finalement, peu importent les idées subjectives de Raes. Objectivement, tous ces mouvements ont aidé la royauté – française et germanique - à remporter la victoire définitive. Comme le disait Engels, « tous les éléments révolutionnaires en étaient tout aussi réduits à s'appuyer sur la royauté que celle-ci en était réduite à s'appuyer sur eux ».
Cette idée mérite une citation un peu plus longue : "Mais partout s'étaient accrus les éléments de la population qui réclamaient avant tout que cessassent ces querelles entre seigneurs féodaux. Trop faibles eux-mêmes pour faire aboutir leur volonté, ces éléments trouvèrent un puissant appui dans la tête même de tout l'ordre féodal - la royauté. Il est évident que, dans ce chaos général, la royauté était l'élément de progrès. Elle représentait l'ordre dans le désordre, la nation en formation en face de l'émiettement en Etats vassaux rivaux. Tous les éléments révolutionnaires, qui se constituaient sous la surface de la féodalité en étaient tout aussi réduits à s'appuyer sur la royauté que celle-ci en était réduite à s'appuyer sur eux. L'alliance entre royauté et bourgeoisie date du Xe siècle ; souvent interrompue par des conflits - car au moyen âge rien ne poursuit sa route avec constance - elle se renouvela toujours plus ferme et plus puissante, jusqu'à ce qu'elle ait aidé la royauté à remporter la victoire définitive et que celle-ci, en signe de reconnaissance, subjuguât et pillât son alliée".
La fin du prince-évêque Louis de Bourbon
Après la mort du duc, le prince-évêque Louis de Bourbon fuit à Gand, auprès de Marie de Bourgogne. Mais celle-ci veut faire oublier le plus vite possible l’héritage sanglant de son père. Le 19 mars 1477, elle renonça à tous les droits que les traités de paix lui donnaient sur le pays de Liège, et fit rendre au prince les originaux mêmes de ces traités. Deux semaines plus tard la Cité rétablit les XXXII métiers. Cela crée les conditions pour que Bourbon puisse rentrer à Liège, le 10 avril. Le 15 mai il est suivi par Raes de Heers et des émigrés Liégeois. Raes meurt le 25 octobre 1477, dans son lit. C’est à ses enfants que Marie de Bourgogne rend le château qui avait été détruit par Charles le Téméraire en 1467.
La situation reste tendue : en septembre-novembre 1477 une nouvelle conjuration est découverte à Liège. Les conjurés sont exécutés ou bannis.
L’année après, en 1478 c’est le retour du perron, érigé le 18 juillet sur la place du marché. Et on commence la reconstruction de l'enceinte de la ville, achevée en 1491.
C’est dans ce contexte que nous voyons réapparaître un gentilhomme brigand Guillaume DE LA MARCK. Du temps de Marc de Bade il avait contribué à chasser le Bourbon de Huy, mais il se fait oublier. Mais en 78 Ce raubritter ou chevalier du vol croit que son heure est venu. Il arrive à se faire nommer mambour de la Principauté, avec le soutien du Prince qui avait bien besoin de ses quelques dizaines de lances. Il se rend populaire en humiliant le prince, à tel point qu’il conçoit le projet de faire élire son fils Jean d'Aremberg à l'épiscopat.
Mais le chapitre élit le 16 octobre 1482 Jean de Hornes. Celui-ci est bientôt reconnu comme l'évêque légitime par le Pape et l'Empereur. Le sanglier des Ardennes fut excommunié par l'archevêque de Cologne.
Une guerre sanglante s'ensuivit entre Maximilien Ier du Saint Empire, et Guillaume de la Marck qui bénéficiait du soutien de Louis XI. Mais en 1483 Louis XI signe le traité d'Arras avec Maximilien et s'engage à ne plus assister de La Marck. Une paix est signée le 21 mai 1484 à Tongres qui réconcilie en théorie le nouvel évêque et La Marck.
Mais on ne défie pas impunément un empereur. Maximilien chargea le nouveau prince évêque de Hornes de s'emparer par ruse de la personne de Guillaume et de le conduire à Maestricht pour l'y faire juger et exécuter, le 17 juin 1485.
Sa mort ne suffit pas à apaiser les conflits puisque ses frères Everard et Robert poursuivirent la guerre contre Maximilien de Habsbourg. Pendant sept ans, une nouvelle guerre désola le pays de Liège. Evrard d'Arenberg s'empara trois fois de Liège. Le Traité de Francfort en 1489 entre Maximilien de Habsbourg et Charles VIII de France limite les apports extérieurs qui nourrissaient ce conflit. Ce qui explique la réconciliation des deux frères avec Jean de Hornes en juillet 1492.
En 1500 Maximilien incorpore la principauté de Liège au cercle de Westphalie. Dans chaque cercle, les différends pourraient s'élever entre Etats allemands, doivent être soumis à une autorité judiciaire supérieure, la Chambre impériale. La nomination d’Erard DE LA MARCK comme prince-évêque de Liège, en remplacement de Jean de Horne, en 1505, mettait fin aux discordes intestines. Erard trouvera les Rivageois sur son chemin… 

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